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vendredi, 05 décembre 2008

j'ai fait l'école buissonnière

Prenant le tram de bonne heure et sous une pluie battante, je devais aller aux Chantiers pour suivre le cours hedomadaire de Grec ancien ; je n'avais traduit que les trois premières lignes d'un texte de Lysias, c'est-à-dire peu travaillé.
À la hauteur du pont de Pirmil, j'ai décidé de "sécher" le cours et de renouer avec une bonne vieille pratique enfantine que j'avais par deux fois mise en œuvre quand n'ayant pas appris mes leçons et oublier mes devoirs, je craignais les foudres d'un instituteur que je n'aimais pas et qui ne m'aimait guère : faire l'école buissonnière.

Et c'étaient journées de liberté entre le Jardin des Plantes — d'où le plaisir buissonnier — les camelots de la rue de la Marne bordée par les interminables et hautes vitrines des Grands Magasins Decré et le Celtic, antique salle de cinéma de la rue des Carmélites, rebaptisé récemment Le Cinématographe.
Hors la paresse pour traduire Lysias, aucune commune mesure avec la situation de l'écolier de jadis, sinon d'affirmer pour le plaisir du pas de côté, ce que Nicléane m'a renvoyé le midi, quand je lui ai "avoué" l'écart, un attrait certain et constant pour célébrer l'éloge de la fuite.

Je ne suis pas allé au Jardin des Plantes, je ne suis pas entré au Cinématographe. Je suis entré à la Fnac et j'ai feuilleté, deux heures durant, quelques bouquins que je n'acheterai pas, amusant comme ce "Chers imposteurs" de Bothorel qui éreinte Onfray, Sollers et autre B.H. Lévy — mais ce ne sont que coups de pied au cul entre lettrés —, inintéressant comme cet "Art de bien veillir" d'un certain Anselm Grün — lire et relire de préférence "L'Art de vieillir", tout court, de John Cowper Powys, émouvant comme celui de Françoise Hardy, "Le désespoir des singes et autres bagatelles" — un titre comme l'air de certaines de ses chansons (mon côté fleur bleue) et d'autres de philosophie et d'histoire dont les titres et auteurs m'échappent désormais.

michea001.jpgJe suis quand même ressorti de la Fnac avec, ce qui est rare, un livre sur lequel deux modestes colonnes du Monde, signées de Nicolas Truong, avaient, vendredi dernier, attisé ma curiosité, très insatisfaite des avatars politiques que nous vivons ces jours : La Double Pensée : retour sur la question libérale de Jean-Claude Michéa. C'est inédit, en poche, ça ne coûte que 9 € et ça décape. Enfin, moi, j'y vois plus clair !
C'est très libertaire, radical, "orwellien" et paisible.
« La volonté orwellienne de réenraciner le projet socialiste dans les valeurs tradionnelles de la common decency* se situe... aux antipodes du moralisme qui caractérise les idéologies du Bien. » (p. 157).

Je suis allé ensuite rue de la Fosse, chez mon librairie préféré, retirer la Correspondance de Mallarmé. Les correspondances éclairent souvent aussi bien, sinon mieux que les commentaires critiques?


* Common Decency traduit habituellement par "honnêteté élémentaire" ou bien "décence commune".


samedi, 29 novembre 2008

Segalen, un type d'extrême-droite ?

Hier nuit, après ce long après-midi de radio lévi-straussienne, je me replonge dans le Magazine littéraire de mai qui fut consacré à l'anthropologue centenaire, histoire de me rafraîchir dans la Pensée sauvage à travers une contribution de Philippe Descola qui n'est pas loin de me faire revenir à l'approche très concrète d'Héraclite quand il nomme les tensions que perçoivent nos sens.
Souvent, dans mes feuilletages de revues, je laisse tomber des pans entiers ; cette fois-là, je m'étais procuré le magazine pour Lévy-Strauss et j'avais totalament effacé de mon intérêt le Festival Étonnants Voyageurs qui se déroule en mai — je crains que ce ne soit devenu qu'une immense braderie de bouquins à touristes. Justement, il y avait un débat entre le père fondateur du festival et un écrivain égyptien sur le thème de la chose voyageuse
Je suis tombé en beau milieu d'article sur ceci qui m'aurait assommé aussi radicalement qu'un coup de bôme de vieux gréement, si j'avais été à bord.

Le Magazine littéraire :
Le poète Victor Segalen a poussé loin l’aventure de la rencontre de « l'autre ». Il s'est identifié aux anciens Maori dans Les Immémoriaux, aux Chinois de l'époque impériale dans Stèles...
Michel Le Bris :
« Segalen est un cas d'exception. Si on prend Jack London, Robert Louis Stevenson, qui eux aussi ont fait le voyage vers la Polynésie, les mers du Sud, etc., Victor Segalen est très particulier. Il a des positions qui sont pratiquement celles de Le Pen politiquement. Il est d'extrême droite. Sa théorie littéraire en procède directement. Il dit par exemple qu'il faudrait maintenir une partie de l'humanité à l'état de bétail pour le profit de l'autre. On a fait un certain temps l'éloge de la différence extrême, la différence finit par nier ce qui fait l’unité du genre humain. C'est l'inverse de Stevenson...»

Débat avec Alaa El Aswany,
Les écrivains voyageurs sont-ils au bout du chemin ?
in Le Magazine littéraire, n°475, mai 2008, p. 16

Que je sache, ces quelques lignes n'ont suscité aucune réaction.
Donc, ou Le Bris a raison et sur quels textes de Segalen fonde-t-il son assertion ?
Ou c'est une réaction dépitée face à l'échec de sa notion de "littérature-Monde" à la française, dont la mayonnaise ne prend guère ?
Ou encore manifeste-t-il son aigreur de Celte qui échoue à se hisser aux côtés de l'ancêtre — c'est bien connu par ici : un Breton, une Bretagne, deux Bretons, deux Bretagnes ?
Et ça devient une querelle de paroisse. Le tout, venant d'un ancien "mao" reconverti...qui a quelque mal à digérer les littératures dites, ou engagée, ou d'introspection anorexique et claustrophobe, ou jeux de langage ?

Bon, je n'ai pas ...encore lu les œuvres complètes de Segalen ; je ne vais point m'atteler à cette tâche aux seules fins de vérifier la justesse de l'assertion. Je demeure avec mes petits bouts de sens saisis dans mes lectures qui me font assurer que Segalen est des premiers à avoir dénoncer les égarements de la colonisation et tenter de tirer l'exotisme vers une esthétique du divers.
Sans doute est-ce là l'ambivalence ? l'ambiguité et ses dangers ?

Je suis bien aise de n'avoir point dû à monsieur Le Bris d'aimer les littératures voyageuses. Je précédais son festival de quelques années, sinon de quelques décades.

Bon, toute cette affaire, ça va finir par faire : trois Bretons, trois Bretagnes !

vendredi, 28 novembre 2008

pour saluer monsieur Lévy-Strauss

ama.jpg

À chacun, ses Amazones !

Cette femme me fit signe sur les sentiers de la Pensée Sauvage, quand le "grand Vieux" centenaire qui est, aujourd'hui honoré, n'avait pas encore forgé la notion.

Dix ans plus tard, un peu à l'esbrouffe, dans un jury de diplôme d'État — le seul que je présentai dans mon parcours d'autodidaxie — j'employais la notion qui époustoufla les membres du dit jury.
Depuis cette femme première, il y avait eu d'autres rencontres et de femmes et d'hommes.
La Pensée Sauvage était parue depuis deux ans à peine ; je venais des Aurès, où j'achevais* de décrasser quelques-uns de mes oripeaux de jeune branleur occidental après avoir lu Le cru et le cuit, sans avoir jamais ouvert une page de La Pensée sauvage....

* Est-ce jamais achevé ?

samedi, 22 novembre 2008

« Ar Mizioù Du »

Ar Mizioù Du, les mois noirs des Bretons: nous y sommes. Ma treille a perdu ses dernières feuilles dorées. Le ciel est bas, lourd, gris.
Mais je me prépare à planter pour les étés à venir un mûrier-platane, le Morus kagayamæ.

À la Sainte-Catherine
Tout bois prend racine.

Je ne peux m'empêcher de me redire les deux premiers vers de la fable de La Fontaine :
Un octogénaire plantait.
« Passe encor de bâtir ; mais planter à cet âge !
»

Le père d'une amie qui est aussi ma voisine de la Bouguinière disait, lui :
«Vénérable vieillard, je te dois cet ombrage ! »

Fi des plantations ! le "jardin" du lecteur demeure tout autant anarchique en ce début d'automne : la valse hésitante entre le Pierre Reverdy de chez Seghers, le post-exotisme de Volodine et de ses hétéronymes — Pessoa ayant enfin un émule — et Mallarmé, poète et philosophe.
Et je n'écris point de mes plans d'écriture : Algériennes qui se traîne dans les derniers soubresauts et tumultes de l'année 1961, l'hommage à l'homme du Lycosthène qui fut mon compagnon d'adolescence, quand, hors des joutes littéraires dévolues aux premiers de la classe — il plaidait pour Voltaire et je défendais Rousseau, j'étais l'horrible Don César de Bazan et il était Ruy Blas, il était Don Carlos et j'étais Hernani — nous découvrions dans la "clandestinité" que nous imposaient les Bon Pères, les Symbolistes et Décadents dans une anthologie dissimulée entre le "Bailly" et le "Gaffiot", dont les textes troublaient nos élans missionnaires.
Ainsi Albert Samain :
Vers l'archipel limpide, où se mirent les Iles,
L'Hermaphrodite nu, le front ceint de jasmin,
Épuise ses yeux verts en un rêve sans fin ;
Et sa souplesse torse empruntée aux reptiles,

Sa cambrure élastique, et ses seins érectiles
Suscitent le désir de l'impossible hymen.
Et c'est le monstre éclos, exquis et surhumain,
Au ciel supérieur des formes plus subtiles.

La perversité rôde en ses courts cheveux blonds.
Un sourire éternel, frère des soirs profonds,
S'estompe en velours d'ombre à sa bouche ambiguë ;

Et sur ses pâles chairs se traîne avec amour
L'ardent soleil païen, qui l'a fait naître un jour
De ton écume d'or, ô Beauté suraiguë.


Ainsi Pierre Louys :
Ses yeux purs abaissés réverbèrent sans fin
L'incolore nombril comme une étoile éteinte
Elle tient dans ses doigts extatiques et bleus
Au pli vierge du sexe un lotus fabuleux

Le même écrivait à Mallarmé qu'il nommait "Maître" :
Nous aurons coupé pour le plus pur silence
Sous vos pieds créateurs les roses de la nuit


Décidément, la semaine à venir ne peut être que mallarméenne.



samedi, 08 novembre 2008

prière d'insérer

insérer001.jpg


Voilà que ces jours derniers, dans la tête du blogueur, se mêlent et l'atelier de Grec ancien et le VendéeGlobe et la littérature. Ce ne sont qu'histoires de mer !

Tout a commencé jeudi matin avec un travail de reprise en douceur sur le texte rebattu de l'Anabase de Xénophon : Thalassa ! Thalassa !
Je passe, rue de la Fosse, chez Coiffard, je dois y retirer Les quatre saisons de Ronsard, et de Mallarmé, Divagations, en Poésie/Gallimard, je cherche en vain les Carnets d'un vieil amoureux, je tombe sur Boutès, déjà feuilleté en octobre et qui m'avait frappé par un pré-texte que je pensais être une introduction ou un exergue, qui s'avère être un prière d'insérer, un vrai, feuillet encarté — ainsi jadis adresse de l'éditeur au critique —, Boutès narré par Pascal Quignard, ce lecteur fasciné et fascinant des Latins et des Grecs — je me demande si ce n'est pas sous l'influence de mes lectures de Quignard que j'ai repris l'étude du Grec ancien.
Un prière d'insérer qui concentre en quinze lignes le mythe des Sirènes, les Argonautes et Ulysse et qui s'achève dans la concision d'une chute :
« Seul Boutès sauta.»
chute paradoxale qui ne ferme pas, mais ouvre en surprenant le lecteur ignorant. Ce prière d'insérer comme une vie pré-natale du texte qui nous est offert dans les pages suivantes — Quignard explorateur de notre vie "ante". N'en déplaise à Gérard Genette*, cette page est bien adresse non au critique, mais au lecteur;

Boutès**, l'un des cinquante Argonautes, me relance vers ces trente Argonautes contemporains qu'entre deux phrases de version grecque, quelques poèmes de Mallarmé et les dix chapitres du Boutès de Quignard, je vais suivre passionnément, trois mois durant.

* Gérard Genette, Seuils, coll. Poétique, au Seuil, 1987 : un merveilleux bouquin sur l'alentour du livre, le "paratexte", tout ce qui enserre le texte et lui fait référence, mais qui n'est pas le texte?
** Apollodore dans La Bibliothèque, I, 9, 25.

mercredi, 05 novembre 2008

embellie automnale

Dac'hlmat ventilé par la légère brise de suet, soleil à profusion, silence à peine troué par l'aboiement lointain d'un chien : bonheur d'une sieste philosophe en bouquinant Le Christianisme hédoniste d'Onfray, tome II de sa Contre-histoire de la philosophie .

foleux.JPG

J'avais achevé ma journée de lundi sur la prééminence du juste sur le vrai ; Onfray me fait découvrir, dans le capharnaum sectaire des Gnostiques qui suit l'effacement des Antiques et accompagne l'avènement du Christianisme, Épiphane qui, à peine âgé de dix-sept ans au commencement du IIe siècle de notre ère, écrit un traité De la Justice qu'Onfray qualifie de brûlot qui semble pouvoir être dit anarchiste tant il voue aux gémonies les dieux de papier, d'argent et de fumée célébrés par la plupart des vivants.
Un Père de l'Église, Clément d'Alexandrie, peu enclin à l'indulgence face aux Gnostiques, sauvera quelques-unes des idées du traité d'Épiphane, que Jacques Lacarrière nomme un "Rimbaud gnostique"*.
Me voilà renvoyé dans la douceur de l'après-midi à ma sentence de la veille au soir. Y a-t-il si grand écart entre Épiphane et ma "grande vieille" des Aurès, Germaine Tillion ?
Le Juste serait-il valeur moins pérenne que le Vrai ?

Nicléane est revenue de sa promenade dans les collines avec un plein cageot de pommes de Chailleux qu'elle a ramassées dans un pré laissé en friche.
Le soir, après avoir longé la côte de Piriac, nous sommes passés par Guérande, GwenRan, le Pays blanc. Des années, que nous n'étions pas entrés dans l'enceinte des remparts. La petite ville d'été des Ducs est devenue un clinquant lacis de rues à touristes en mal de celtitude. Seuls, les chocolatiers échapperaient à ma rogne.

* Les Gnostiques de Jacques Lacarrière. Je ne cite ce site (!!!) que pour la seule lecture de l'extrait concernant Épiphane.

lundi, 03 novembre 2008

le vrai et le juste

Cet apès-midi, je déroge à mon principe de n'acheter que chez mes libraires, je suis tombé, au Centre culturel du Leclerc de la route de Pornic, sur le tome II de la Contre-Histoire de la philosophie de Onfray, ...en poche évidemment. Trop onéreux en broché. J'avais enregistré en 2004 les six cours sur Montaigne. Précieusement. Le rendu écrit est ponctué de sous-titres rapportés au corps qui, déjà, me font salivé le "mens" : l'étrangeté à soi-même, une parole couchée, le corps aéré de la voix, avoir dans la bouche une langue morte, excréments, fagotage et fricassée, une pensée du fleuve, des baisers dans la moustache...
J'avais entendu, je vais lire.

Plus tard, j'ai glissé dans mon dossier Lectures de Toile, de Delaume, la belle guerrière, S'écrire, mode d'emploi et de FB, Exercice de la littérature. Mais n'ayant point encore de "liseuse", je suis astreint au déroulement vertical du volumen que m'impose le fomat PDF ; je ne suis guère à l'aise dans cette espèce de régression que m'imposent et la numérisation d'un texte et mon impécuniosité. Certaine me dirait : ou le bateau ou la littérature !

Avant le sommeil, je lis ceci sur un papier, glissé du sous-main :

Dire le vrai ne suffit pas, il faut dire le juste.
De Germaine Tillion.

Demain, je fais un tour du côté de la Vilaine pour ensoleiller Dac'hlmat, mon bon voilier. Voilà pourquoi je n'ai pas encore de liseuse".
Une pensée du fleuve, quoi !

jeudi, 30 octobre 2008

tri dans mes journaux "à livres"

Tous les mois, je revisite mes sources d'information aux fins d'éventuelles lectures.
Rares, elles sont trois : le LibéLivres du jeudi, le Monde des Livres du vendredi. Et dedans, je trie les signatures : Robert Maggiori, Édouard Laumet, récemment Claire Devarrieux, Roger-Pol Droit, Robert Solé (je fuis Savigneau, Ceccaty, Kechichian, Douin), Jérome Garcin, Jacques Drillon, JeanLouis Ézine (je saute Aude Lancelin).
Bel accord pour octobre entre Devarrieux, le 9, Solé, le 10 et ce jour d'hui, Garcin à propos d'un certain Marcel Mathiot, maître d'école et conseiller municipal pour ses Carnets d'un vieil amoureux :

« Décidément, je ne guérirai jamais de mon enfance. »
Moi non plus, et ce n'est point nostalgie !
Nouvelle convergence, sur les Esquisses algériennes de Pierre Bourdieu : Libé Livres avec un bon mois d'avance, le 11 septembre, Le Monde, le 17 octobre et le Nouvel Obs, ce jour avec La jeunesse kabyle de Bourdieu, signé Jean Daniel.
Il me faut ici revenir sur Images d'Algérie, une affinité élective, paru en 2003, réunion de notes et de photographies prises par Bourdieu entre 1958 et 1960, un Bourdieu déjà engagé et encore lisible qui va de ses émotions à "l'objectivation engagée" du scientifique.

Pour achever ce tri, un mince voile de tristesse, sinon une certaine rogne : pourrai-je, dans vingt ans, lire les 3 500 pages des Notules de Julien Gracq, puisque celui-ci stipule "qu'elles ne pourront faire l'objet d'aucune divulgation" ?

Entretenons-nous donc une vigoureuse santé avec la lecture de Mathiot sans en sauter une ligne, mais sans, non plus, le suivre à la lettre, le gaillard.

mardi, 21 octobre 2008

« Et quand personne ne me lira... »

Un parler ouvert ouvre un autre parler et le tire hors, comme le fait le vin et l'amour.

C'était jeudi dernier dans Une Vie, une Œuvre , le ton, le tempo d'une langue qui s'était habillée de la voix de Piccoli. Il me suffit de si peu pour retourner à cette lecture qui depuis plus de vingt ans ponctue des jours, des soirées, quelques heures, parfois une minute ou deux, pour quelques chapitres ou pour une phrase, trois ou quatre mots : Montaigne.
Rien de tel que les regards si brefs soient-ils de lecteurs ou savants ou naïfs pour me remettre en goût d'ouvrir les Essais. Ce matin-là, les passeurs avaient indistinctement nom Magnien, Sève, Pouilloux, Pachet. Peu importe l'indistinct de l'intervenant ; les voix surgissaient de leurs lectures faites, des bribes copiées et recopiées ; des paysages montaigniens s'ouvraient, rénovés, se dévoilaient, neufs, actuels.
Les paroles s'accordaient plus sur l'épicurien, délaissant le sceptique. Et l'ironie légère, comme un rouge aux joues, s'entendait dans les commentaires.

Et quand personne ne me lira, ay-je perdu mon temps, de m'estre entretenu tant d'heures oisives, à pensements si utiles et aggreables ? Moulant sur moy cette figure, il m'a fallu si souvent me testonner et composer, pour m'extraire, que le patron s'en est fermy (affirmé), et aucunement (quelque peu) formé soy-mesme. Me peignant pour autruy, je me suis peint en moy, de couleurs plus nettes, que n'estoyent les miennes premieres. Je n'ay pas plus faict mon livre, que mon livre m'a faict.

Montaigne
II, XVIII

Dans les lignes précédant ce texte, il reconnaît la facilité d'usage qu'apporte l'imprimerie, mais il s'estimerait récompensé si les pages de son livre servaient, citant Martial* et Catulle**, d'emballage pour les olives, les thons ou les maquereaux, lui se contentant d'empêcher que quelque coin de beurre ne se fonde au marché.

*Ne toga cordyllis, ne penula desit olivis (Martial)
"Que les bonites ne manquent point d'emballage, ni les olives de cornets !"
**Et laxas scombris saepe dabo tunicas (Catulle)
"Souvent je fournirai de larges tuniques aux maquereaux"

dimanche, 19 octobre 2008

retour à à la Possonière, terre de Ronsard

Ce matin un commentaire d'Alain B. et voilà mon projet de note autour de Montaigne et de l'émission de jeudi dernier, Une vie, une Œuvre, repoussé à un autre jour, parce qu'Alain cite un voyage en Vendômois, à la Possonière, manoir de Ronsard.
J'ai, à la suite de mes lectures de Michel Chaillou le "sentiment géographique" très développé qui m'est un puissant excitant à l'ouverture d'une œuvre.
Je ne quitterai donc point ce cher XVIe siècle, j'ouvre les Amours de Marie, cette brune Fleur angevine, paysanne pucelle de quinze ans. Alain soutient que Ronsard est le poète le moins superficiel de la langue française ; ça me chiffonne un peu pour mon Du Bellay préféré.
J'ai passé un après-midi enchanteur et ensoleillé dans les allitérations, les pétraquismes, les yeux, les poils, les roses, les herbages, les tétins, les aporismes et l'élégie la plus ivre : je suis revenu avec ce geste désespéré que j'adresse à Alain, mon compagnon de bord de mer qui a le mal de mer, mais célèbre si bien dans ses images et la mer, et les roses, et la femme.


Je veux, me souvenant de ma gentille Amie,
Boire ce soir d'autant, et pource, Corydon,
Fais remplir mes flacons, et verse à l'abandon
Du vin pour réjouir toute la compagnie.

Soit que m'amie ait nom ou Cassandre ou Marie,
Neuf fois je m'en vais boire aux lettres de son nom,
...........................................................
..........................................................
Gagnons ce jour ici, trompons notre trépas :
Peut-être que demain nous ne reboirons pas.
S'attendre au lendemain n'est pas chose trop prête.



et trois sonnets plus loin, cette épitaphe désespérée


Celui qui gît ici sans cœur était vivant,
Et trépassa sans cœur, et sans cœur il repose
.



Le moins superficiel ? Ne sais. L'un des plus graves, souventes fois.

samedi, 18 octobre 2008

quelques minutes de télévision dite littéraire

Tombé par hasard sur le café littéraire de Picouly. La gueule un peu serrée de Onfray m'y retient. Le voilà qui s'étend encore sur les tristesses de la sexualité chrétienne qui mènera à la pornographie libérale. Quand se nettoiera-t-il de son passage adolescent chez les Salésiens ? Il est au café littéraire pour la parution de Le souci des plaisirs. Pour une érotique solaire. Beau titre !
La caméra bouge et s'arrête sur un jeune homme qui approuve à plein corps la sexualité libertaire prônée par notre philosophe.
J'identifie ainsi le jeune homme : François Bégaudeau qui est invité pour son Antimanuel de littérature. Le jeune homme que je n'ai ni lu, ni vu — son film avec Cantet — devient très vite un sale gosse quand, toujours aussi serré, Onfray paraît contester le copiage/copillage du titre "antimanuel"*. Le sale gosse se déchaîne avec la venue sur écran de l'homme au blogue de littérature critique le plus lu et commenté — évidemment que je suis jaloux — Assouline. Vraiment un sale gosse, Bégaudeau, une tête à claques, sûr de lui...
Asinus asina fricat, à l'envers. Avec Bégaudeau, le frottement serait plutôt de la ruade. Assouline submergé et la gueule immobile de Onfray.
Bof ! Leurs antimanuels sont quand même des manuels : les leurs.
Auraient mieux fait d'écouter Clément Rosset et son Précis de philosophie dans l'émission , le jeudi précédent.

À propos de ces manuels antimanuels, chez mes Bons Pères, j'ai appris dans le Précis de Littérature Française du chanoine Ch.-M Des Granges. J'estime que je m'en suis sorti aussi bien que ceux qui plongèrent plus tard dans les Lagarde et Michard. L'important c'est de se façonner ses contres — ou ses antis — soi-même.
D'ailleurs le discours de Mirabeau, cité hier, je l'ai retrouvé chez... le chanoine.

* L'un et l'autre reconnaissaient leur dette (?) à Duneton et à son Anti-manuel de Français. Lire le blogue de Constantin C.

Post-scriptum (qui n'a rien avoir avec les noms cités ci-dessus) :
Notre jus de pommes 2008 aura été pressé, à la Pierre-Anne, avec des pommes de Chailleux, nom gallo de la Drap d'Or.

vendredi, 17 octobre 2008

sur la Criiiiii......se

Je ne comprends goutte aux mécanismes des Bourses, aux placements, aux indices nikkei, dow jones, nasdaq et autres cac40, aux discours de mesdames, messieurs les économistes et les politiques. Je rangeais quelques papiers — après avoir rincé mes cinquante bouteilles pour la matinée "jus de pommes" de demain, aux pressoirs de la Pierre-Anne — ; je suis tombé sur cette intervention à l'Assemblée...!
Si actuelle.

Messieurs, au milieu de tant de débats tumultueux,
ne pourrai-je pas ramener à la délibération du jour par un petit nombre
de questions bien simples? Daignez, Messieurs, daignez me
répondre.
Le premier ministre des Finances ne vous a-t-il pas offert le
tableau le plus effrayant de notre situation actuelle?

Ne vous a-t-il pas dit que tout délai aggravait le péril? qu'un
jour, une heure, un instant pouvaient le rendre mortel? Avons-
nous un plan à substituer à celui qu'il nous propose?
Je ne crois pas les moyens de M. (...) les meilleurs possibles;
mais le ciel me préserve, dans une situation
si critique, d'opposer mes moyens aux siens. Vainement je les
tiendrais pour préférables; on ne rivalise pas en un instant
avec une popularité prodigieuse, conquise par des services
éclatants, une longue expérience, la réputation du premier
financier connu, et, s'il faut tout dire, des hasards, une destinée
telle qu'elle n'échut en partage à aucun mortel.
Il faut donc en revenir au plan de M. (...).

Mais avons-nous le temps de l'examiner, de sonder ses bases,
de vérifier ses calculs? Non, mille fois non.

D'insignifiantes questions, des conjectures hasardées, des
tâtonnements infidèles, voilà tout ce qui, dans ce moment, est
en notre pouvoir. Qu'allons-nous donc faire par la délibération?
Qu'est-ce donc que la banqueroute, si ce n'est le plus cruel,
le plus inique, le plus inégal, le plus désastreux des impôts? .

Mes amis, écoutez un mot, un seul mot.

Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le
gouffre où le royaume est près de s'engloutir. Il faut le combler,
ce gouffre effroyable! Eh bien! voici la liste des propriétaires
français. Choisissez parmi les plus riches afin de sacrifier moins
de citoyens; mais choisissez, car ne faut-il pas qu'un petit
nombre périsse pour sauver la masse du peuple?

Allons, ces deux mille notables possèdent de quoi combler le
déficit. Ramenez l'ordre dans vos finances, la paix et
la prospérité dans le royaume.... Frappez, immolez sans pitié ces tristes
victimes! précipitez-les dans l'abîme! Il va se refermer.... Vous
reculez d'horreur.... Hommes inconséquents! Hommes pusillanimes!

Et ne voyez-vous donc pas qu'en décrétant la banque-route,
ou, ce qui est plus audacieux encore, en la rendant inévitable
sans la décréter, vous vous souillez d'un acte mille fois
plus criminel, et, chose inconcevable, gratuitement criminel,
car enfin cet horrible sacrifice ferait du moins disparaître le
déficit. Mais croyez-vous, parce que vous n'aurez pas payé, que
vous ne devrez plus rien? Croyez-vous que les milliers d'hommes
qui perdront en un instant par l'explosion terrible ou par ses
contre-coups tout ce qui faisait la consolation de leur vie,
et peut-être leur unique moyen, de la sustenter, vous laisseront
paisiblement jouir de votre crime?

Contemplateurs stoïques des maux incalculables que cette
catastrophe vomira sur la France, impassibles égoïstes qui
pensez que ces convulsions du désespoir et de la misère passeront,
comme tant d'autres, et d'autant plus rapidement qu'elles
seront plus violentes, êtes-vous bien sûrs que tant d'hommes
sans pain vous laisseront tranquillement savourer les mets
dont vous n'aurez voulu diminuer ni le nombre ni la délicatesse?
Non, vous périrez... et dans la conflagration universelle que vous
ne frémissez pas d'allumer, la perte de votre honneur ne sauvera pas
une seule de vos détestables jouissances.

Voilà où nous marchons....
Je ne vous dis plus, comme autrefois : Donnerez-vous, les
premiers, aux nations, le spectacle d'un peuple assemblé pour
manquer à la foi publique? Je ne vous dis plus : Eh! quels"
titres avez-vous à la liberté, quels moyens vous resteront pour
la maintenir, si dès votre premier pas vous surpassez les turpitudes
des gouvernements les plus corrompus, si le besoin de
votre concours et de votre surveillance n'est pas le garant de
votre Constitution? Je vous dis : Vous serez tous entraînés
dans la ruine universelle, et les premiers intéressés au sacrifice
que le gouvernement vous demande, c'est vous-mêmes.

Votez donc ce subside extraordinaire et puisse-t-il être suffisant!
Votez-le, parce que, si vous avez des doutes sur les
moyens (doutes vagues et non éclairés), vous n'en avez pas sur
sa nécessité, et sur notre impuissance à le remplacer, immédiatement du moins.
Votez-le, parce que les circonstances politiques ne souffrent aucun retard,
et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps;
le malheur n'en accorde jamais...
Vous avez entendu naguère ces mots forcenés : "Catilina est aux
portes de Rome, et l'on délibère!" et certes, il n'y avait autour de
nous ni Catilina, ni péril, ni factions, ni Rome.... Mais aujourd'hui
la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace
de consumer, vous, vos propriétés, votre honneur, et vous délibérez?...

Mirabeau
Discours sur la contribution du quart des revenus
(Septembre 1789.)


Jusqu'au nom de Necker, le M. (...), les mâles accents éliminaient déjà madame Lagarde, et on n'y entend guère les scansions "énarchistes" de messieurs Fillon et Woerth ; même le "nègre" de notre président ne suscite chez son petit maître d'envolées telles.
Les "parachutes dorés" ne seront point ces "tristes victimes...précipitées dans les abimes".
AH ! qu'un petit nombre périsse pour sauver la masse du peuple?
En ces jours,nous serions plutôt dans l'inverse.

mercredi, 15 octobre 2008

un après-midi peu ordinaire

Passionnant d'arpenter une zone commerciale particulièrement monstrueuse avec FB : il râle, maugrée, mais son regard est en alerte et l'appareil photo prend les notes.
Un parking de quarante mille places. Au nord, le Zénith ; au sud, Ikéa ; à l'est, Décathlon et Boulanger, à l'ouest, Leclair Atlantis — une injure à l'océan proche. Et puis encore UGC-Ciné, Flunch, PathéCiné et un cube culturel noir, ONYX.
Nous échangeons devant un café noir, dans l'interminable galerie marchande Leclerc près des "travellators" d'Ikéa. FB maugrée toujours sur cet espace, mais nous évoquons l'océan, l'île de Houat, Saint-Simon, l'aventure du remue.net ancien, du publie.net nouveau — comme un vin —, de Gracq, de ce que j'écris dans ma paresse, de Calaméo, de mon année Char, des Chroniques portuaires.
Passe l'ombre d'une religieuse âgée qui, dans un autre centre commercial, précédait FB, en y déposant, à la caisse, une paire de collant "Golden Lady" et ce sont des pages de Tumulte qui s'ouvrent.

Tout à l'heure, nous allons entrer sous le chapiteau ceinturé de ganivelles qui fait verrue parmi les quarante mille véhicules. La médiathèque de Saint-Herblain — son adjoint à la Cultre et son bibliothécaire — donne à feuilleter son nouveau site Danslalecture*.
Puis FB va dialoguer avec le secrétaire général de la Société des gens de lettres sur la création littéraire à l'heure du numérique. Dialoguer enfin, ce seront deux parallèles qui parfois se courbent jusqu'à se rapprocher, mais tout aussi vite s'éloignent : que peuvent-elles tracer d'autre entre un monsieur très correct qui avoue ne pouvoir écrire de la poésie qu'avec un crayon et du papier et un "huluberlu" échevelé qui agite un SonyReader contenant certainement tout Rabelais et Saint-Simon, en reconnaissant qu'il ne sait peut-être plus calligraphier le moindre mot.

La nuit du parking nous a séparés. Merci, François ! L'après-midi fut belle dans "l'horreur" mercantile que tu vitupères.
Au printemps prochain bien établi, nous arpenterons les grèves de Houat.

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le mouillage de Houat En-Tal au mois de juin 2008 - Photo de Nicléane- manière de se laver les yeux de la zone Atlantis de Saint-Herblain !


Ce soir, au cinéma le Beaulieu, le passé rattrape quelques-un(e)s d'entre nous : Germaine Tillion et ses images oubliées. D'actualité bien vivante après la semaine du Colloque de Blois : naguère acteurs, nous serons témoins, conteurs d'une Algérie douloureuse qui nous tient au cœur..

* Y. A. qui est un grand bibliothécaire prétend qu'une anthologie — ce que veut être Danslalecture — ne peut être que subjective. Je rêve d'une anthologie collective qui rassemblerait les choix des lectrices et des lecteurs d'une collectivité citoyenne, bien sûr, à l'usage non-exclusif de cette collectivité... avec un flux RRS pour les textes nouveaux qui s'y aggloméreraient. N'est-ce pas, François.


dimanche, 12 octobre 2008

dans cet automne de douce lenteur, encore de si pesantes questions

La dernière grappe de la treille a été coupée. Cette treille, elle est tardive, abondante aux lourdes grappes sucrées.
Je ne suis pas mécontent de descendre d'aïeux vignerons.

Hier, invitation à la Médiathèque Condorcet, pour l'inauguration de l'exposition "Femmes en résistances" : "hénaurme" absence de Germaine Tillion, nulle part nommée.
Je ne sais que trop pourquoi ! Désormais, ce silence peut prêter au sourire.
Quand on se tenait à l'écart des doctrines et des modes de pensée, on ne pouvait que s'attendre à ce silence — quand ce n'était pas aux injures — des tenant(e)s de la pensée correcte anti-colonialiste.

« Si le mal répond au mal, quand le mal finira-t-il ? »

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Toute l'œuvre de Tillion est un essai lucide, inquiet mais jamais désespéré, d'approfondir la question que pose cette enfant aurésienne*

* En feuilletant L'Algérie aurésienne de Germaine Tillion, aux éditions de la Martinière, 2001.

vendredi, 10 octobre 2008

ce Nobel, un peu "téléphoné", non ?

La semaine dernière, un entretien avec Garcin dans le Nouvel Obs et en baie de Douarnenez, un "7 à 9" avec Ali Baddou et sa fine équipe, mercredi matin et hier au soir, le Prix. Certes, on savait Le Clézio "nobélisable", mais le hasard médiatique a trop bien fait les choses.
Ce qui m'a paru intéressant, c'est le contenu de la revue de presse internationale de ce matin, sur France Cul. Pourra-t-on écrire plus juste sur le "saint" de notre appareil littéraire, ainsi qualifié par Sollers, ce vieux "satan" — Lévy et Houellebecq n'étant, en ces jours d'effervescence éditoriale, que des "diablotins" ?

Après Désert, j'ai rouvert le dernier qui me chamboula l'âme, et pour cause, il me renvoyait à ces années côte-d'ivoiriennes, quand je descendais le soir, au bord de l'étang derrière la concession de l'école, pour me baigner parmi les nudités éclatantes des filles du Moronou.

Les jeunes filles étaient très belles, longues, étincelantes dans l'eau de la rivière. Il y avait une femme étrange que Bony emmenait (Fintan) voir, chaque fois, à travers les roseaux. La première fois qu'il l'avait vue, c'était peu de temps après son arrivée, il pleuvait encore. Elle n'était pas avec les autres filles, mais un peu à l'écart, elle se baignait dans la rivière.
Elle avait un visage d'enfant, très lisse, mais son corps et ses seins étaient ceux d'une femme. Ses cheveux étaient serrés dans un foulard rouge, elle portait un collier de cauris autour du cou. Les autres filles et les enfants se moquaient d'elle, ils lui jetaient de petites pierres, des noyaux. Ils avaient peur d'elle. Elle n'était de nulle part, elle était arrivée un jour, à bord d'une pirogue qui venait du sud, et elle était restée. Elle s'appelait Oya.
Elle était nue au milieu de la rivière. Elle se lavait, elle lavait ses vêtements. Le cœur de Fintan battait fort, pendant qu'il la regardait à travers les roseaux. Bony était devant lui, pareil à un chat à l'affût.
Ici, au milieu de l'eau, Oya n'avait pas l'air de la folle à qui les enfants jetaient des noyaux. Elle était belle, son corps brillait dans la lumière, ses seins étaient gonflés comme ceux d'une vraie femme. Elle tournait vers eux son visage lisse, aux yeux allongés. Peut-être qu'elle savait qu'ils étaient là, cachés dans les roseaux. Elle était la déesse noire qui avait traversé le désert, celle qui régnait sur le fleuve.


De Onitsha
J.M.G. LE CLÉZIO.


Plus de cinquante ans ! Et c'est encore hier.
Je n'en étais point à l'ère du post-exotisme ; l'Afrique me façonnait dans la sensualité et la rudesse.

Décidément, il m'est très bon de relire de grands romans.