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mardi, 21 octobre 2008

« Et quand personne ne me lira... »

Un parler ouvert ouvre un autre parler et le tire hors, comme le fait le vin et l'amour.

C'était jeudi dernier dans Une Vie, une Œuvre , le ton, le tempo d'une langue qui s'était habillée de la voix de Piccoli. Il me suffit de si peu pour retourner à cette lecture qui depuis plus de vingt ans ponctue des jours, des soirées, quelques heures, parfois une minute ou deux, pour quelques chapitres ou pour une phrase, trois ou quatre mots : Montaigne.
Rien de tel que les regards si brefs soient-ils de lecteurs ou savants ou naïfs pour me remettre en goût d'ouvrir les Essais. Ce matin-là, les passeurs avaient indistinctement nom Magnien, Sève, Pouilloux, Pachet. Peu importe l'indistinct de l'intervenant ; les voix surgissaient de leurs lectures faites, des bribes copiées et recopiées ; des paysages montaigniens s'ouvraient, rénovés, se dévoilaient, neufs, actuels.
Les paroles s'accordaient plus sur l'épicurien, délaissant le sceptique. Et l'ironie légère, comme un rouge aux joues, s'entendait dans les commentaires.

Et quand personne ne me lira, ay-je perdu mon temps, de m'estre entretenu tant d'heures oisives, à pensements si utiles et aggreables ? Moulant sur moy cette figure, il m'a fallu si souvent me testonner et composer, pour m'extraire, que le patron s'en est fermy (affirmé), et aucunement (quelque peu) formé soy-mesme. Me peignant pour autruy, je me suis peint en moy, de couleurs plus nettes, que n'estoyent les miennes premieres. Je n'ay pas plus faict mon livre, que mon livre m'a faict.

Montaigne
II, XVIII

Dans les lignes précédant ce texte, il reconnaît la facilité d'usage qu'apporte l'imprimerie, mais il s'estimerait récompensé si les pages de son livre servaient, citant Martial* et Catulle**, d'emballage pour les olives, les thons ou les maquereaux, lui se contentant d'empêcher que quelque coin de beurre ne se fonde au marché.

*Ne toga cordyllis, ne penula desit olivis (Martial)
"Que les bonites ne manquent point d'emballage, ni les olives de cornets !"
**Et laxas scombris saepe dabo tunicas (Catulle)
"Souvent je fournirai de larges tuniques aux maquereaux"

Commentaires

te lire c'est me dire tout ce que je n'ais pas encore lu ou écouté par la voix des passeurs de paroles . alors merci à toi de m'ouvrir cette fenêtre qui me permet à chaque fois un clin d'oeil littéraire. je crois qu'il me faudrait m'installer un peu dans ta librairie...

Écrit par : jac | mardi, 21 octobre 2008

AU BONHEUR DE MONTAIGNE

à ma fille Pauline


QUE DU BONHEUR

À LIRE MONTAIGNE

- je sais c’est indécent

pareil aveu

Quand on ne cesse de criailler à nos oreilles

comme qui verserait dans un entonnoir*

toutes les inepties des journaux télévisés

des bourses et des petits maîtres autorisés

à gâter l’estomac et la tête

des pauvres spectateurs ficelés à leurs sottises -

Que du bonheur à trotter gaiement

plus sûr et plus ferme

à mont qu’à val*

Sans rien prétendre ni demander

aux commerçants des Danaïdes

Mais en marchant

bronchant chopant*

sur ces secousses bienheureuses

que nous donnent toujours

les élancements de la poésie…

* Montaigne De l’institution des enfants

Écrit par : jjd | dimanche, 11 janvier 2009

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