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lundi, 01 janvier 2024

Pour entrer en 2024

              Έναντιοδρομία 


                la course en sens inverse                                                                                                                      
selon Héraclite, cité par Jean Stobée*
 
tu rebrousses chemin

tu reviens sur tes pas

tu retournes en arrière

tu remontes à l'origine

tu retournes au passé

tu reviens aux sources

tu reflues

tu régresses

tu luttes à contre-courant

tu lis à rebours

tu vas à l'opposé

tu es dans l'aller-et-retour

tu pratiques le va-et-vient

Tu pêches au flot et au jusant


rêves de l'éternel retour

et puis va à nouveau de l'avant
 et avance régénéré 

                                        
"le soc de la charrue va d'est en ouest
                                         puis d'ouest en est
                                         puis d'est en ouest sans finir".

                                                                        (Pascal Quignard)

 C'est une des notices concernant un terme parmi les plus brèves du "Bailly", le dictionnaire Grec-Français (1894). Toute recherche du concept chez les spécialistes héraclitéens — les miens tout du moins : Marcel Conche, Jean Brun, Kostas Axelos, Jean-François Pradeau, Cornelius Castoriadis — est vaine. Il m'a fallu l'égarement dans le dernier "poche" de Quignard, Mourir de pensée, p. 34, pour le découvrir.

Depuis l'entrée dans ce XXIe siècle que je ne vis guère comme une joie profonde, c'est un sens qui me sied, cet à-rebours. Le peuple dit "On est de son siècle" ; si pourri fut-il, j'ai sincèrement une sympathie pour le XXe. J'y aurai vécu soixante-quatre ans et même si je m'en vas jusqu'en 2036, centenaire donc, je n'aurai séjourné en cet actuel qu'à peine un peu plus du tiers de ma vie.
Remontons donc, certains jours, ce fil des ans. Il sera redescendu plus tard. 
D'ici 2040, n'est-ce pas ? j'ai l'heur de la pratiquer, cette Έναντιοδρομία.

             Je vous souhaite, à toutes et tous, de la pratiquer jusqu'à 2040 et même au-delà, vers 2060 .



 
  *Jean Stobée, originaire de Stobi, en Macédoine, compilateur entre 450 et 500 avant notre ère, in Eclogarum physicarum et ethicarum libri, I,

samedi, 05 mars 2022

Marcel CONCHE s'en est allé

Pour quelques heures, je délaisse Marcel Proust et ses Jeunes Filles en fleurs, James Joyce et son Ulysse.
Quelques heures, peut-être même quelques jours, pour réouvrir les Fragments d'Héraclite que Conche traduisit, les Essais de Montaigne qu'il commenta...

Marcel Conche, ouvreur de ces chemins, qui m'écrivit lettre si chaleureuse en guise merci pour mon envoi de Passay, village de pêcheurs, me fut un très précieux guide

Voici ce qu'il publiait sur la quatrième de couverture de ses Fragments d'Héraclite, livre paru en juin 1986.

Qui est le “véritable" Héraclite ? La présente édition  des Fragments de son œuvre perdue... vise à restituer autant que cela est possible la pensée même d'Héraclite, dans son unité et sa cohérence. Ce qui surgit ainsi des ruines du texte est une structure belle, un cosmos, une sorte de temple grec déployant son harmonie dans la durée. Chaque fragment apporte sa précision nécessaire ; chacun est complémentaire de tous les autres, même si quelques-uns, plus décisifs, jouent le rôle de pierres d'angle. De ce temple, profondément logique, émane un rayonnement, une sagesse, un appel, un espoir. De l'éternelle vérité, aucun philosophe fut-il dans une proximité plus grande ?
Avec Héraclite, dit Hégel, “
la terre est en vue".

 

mercredi, 04 mars 2020

fallait-il donc publier "les terres du couchant" ?

Bizarre après-midi de lecture débutant par ce feuilletage critique des terres du couchant, Louis Poirier insérant dans les 258 pages d'un texte qui aurait sans doute dû demeurer au fond d'une malle les pages 75/93 qui sont pages anciennes d'un texte autrement plus mystérieux, les pages 14/31 de La Route, qui ouvre la Presqu'île, lue en 1970.

Premières lignes :

Ce fut, si je m’en souviens bien, dix jours après avoir franchi la Crête que nous atteignîmes l’entrée du Perré ; l’étroit chemin pavé qui conduisait sur des centaines de lieues de la lisière des Marches aux passes...

Dernières lignes :

...Je me souviens de leurs yeux graves et de leur visage étrangement haussé vers le baiser comme vers quelque chose qui l’eût éclairé — et le geste me vient encore, comme il nous venait quand nous les quittions, avec une espèce de tendresse farouche et pitoyable, de les baiser au front.

La Route, qu'en 2006, Louis Poirier avouait être "comme le vestige unique d’un livre mort parce qu’il n’avait “pas choisi, pour l’attaquer le ton juste...” Et pourtant quelle fascination dans cet incipit qui annonçait un immense western, une épopée à la Tolkien ou à la ...Homère.

Pourquoi, comment ai-je glissé de ce qui pour moi, avait été certes une déception, mais aussi une porte si largement ouverte à de fascinantes rêveries, vers ces pages odieuses de Lettrines II quand Louis Poirier, dit plus noblement (?) Julien Gracq, relate les leçons de piano, que tout enfant il prenait chez les demoiselles Quignard, demeurant rue Barème à Ancenis, dames esseulées d'une bourgeoisie exténuée, pages qui révolteront le neveu d'icelles, un certain Pascal Quignard ?

Pourquoi Gracq des années après, soixante-sept ans qprès, enfonçait-il le couteau dans la plaie d'un destin malheureux ?.. Il est possible que Gracq ait voulu répondre à la détresse de son enfance...
Le fils du mercier de Saint-Florent qui s'appelait Poirier, désira s'annoblir du nom de Gracq.
Moi, le neveu des musiciennes pauvres, je gardais le nom pauvre, le nom dédaigné par les riches autochtones de Saint-Florent-le-Vieil, des organistes Quignard...
Le fils du mercier de Saint-Florent portait monocle et se prenait pour un aristocrate...

Et le lecteur de rouvrir Leçons de solfège et de piano du susdit lequel en ce même bouquin, réglant ses comptes de descendant d'une bourgeoisie ancienne avec l'ascendant d'une nouvelle bourgeoisie de négoce, mentionne heureusement — le lecteur s'éloigne des aigreurs écrivaines (!) — en des pages d'un superbe pédantisme,

Paul Celan,qui l'incita à traduire du grec Alexandra, qui est aussi Cassandre, le poème de Lycophron,
Héraclite  : φυσις κρυπτεσθαι φιλει — la nature aime à se cacher
et Zénon : φιλος αλλος εφη εγο — il dit que l'ami est un autre JE — Zénon qui en chutant se brisa le doigt et se précipita dans la mort....

Et me voilà donc pour la première fois dans Zénon par le truchement fort savant de Diogène Laërce qui écrivit, il y a quelques dix-sept cents ans  en dix livres, Vies et doctrines des Philosophes illustres.

Abandonnant sans regret les terres du couchant, je reprends La Route.

 

de Julien GRACQ
La Presqu'île, José Corti, Paris 1970
Lettrines 2, José Corti, Paris 1974
Les terres du couchant, éditions Corti, Paris 2014

de Pascal QUIGNARD
Leçons de solfège et de piano, Arléa, Paris 2013
Lycophron et Zétès, Poésie/Gallimard, 2010

d'HÉRACLITE
Fragments, Presses Universitaires de France, Paris 1986

de DIOGÈNE LAËRCE
Vies et doctrines des Philosophes illustres, La Pochotèque, Le Livre de Poche, 1999

dimanche, 23 septembre 2018

portrait premier

 

Il est assis parmi les enfants, ensemble ils jouent aux osselets, il est souriant — qui donc écrira plus tard qu'il était le visage même de la tristesse. L'œil est vif, il hume l'air marin avec appétit ; certes l'âge le courbe et le pas est hésitant quand il prend le chemin de la mer.
Atteindra-t-il ou pas l'inespéré ?

lundi, 02 janvier 2017

an 2017, jour 2

IMG_3718.JPG

Que le feu héraclitéen avive allègrement l'âtre de vos premiers jours de cet An qui vient de s'ouvrir !

 

Ailleurs, en ce deuxième jour, écoutant sur France Cul les Nouveaux chemins de la Connaissance — changés, hélas !, en Chemins de la Philosophie — je réapprends par les sentiers de Confucius, commentés par la belle Adèle et la philosophe Anne Cheng, qu'entre les septantes et les octantes années, nous serions parvenus à la sérénité de la sagesse.

Je suis avec quelque lenteur en train d'engranger la première de ces octantes et me paraissent bien lointains encore les fastes de cette sage sérénité. Malgré ma fréquentation insistante d'Héraclite, de Montaigne, de Bachelard, et de quelques autres que l'on nomme poètes, Char, Cadou, Du Bellay, ... Mais, qui, des seconds ou des premiers cités, serait plus philosophe que poète, plus poète que philosophe ?

D'autre part, je ne tiens guère à vivre cet autre précepte du sage chinois :
"Celui qui le matin a compris les enseignements de la sagesse, le soir peut mourir content."

J'attendrais bien le soir pour ne mourir content que le lendemain matin ou même le surlendemain soir....

 

mardi, 05 avril 2016

Έναντιοδρομία ou la course en sens inverse

Έναντιοδρομία
la course en sens inverse                                                                                                                           
selon Héraclite, cité par Jean Stobée*

 

rebrousser chemin
revenir sur ses pas
retourner en arrière
remonter à l'origine
retour au passé
l'éternel retour
revenir aux sources
refluer
régresser
à contre-courant
à rebours
à rebrousse-poils
à l'opposé
aller-et-retour
va-et-vient



"le soc de la charrue va d'est en ouest puis d'ouest en est puis d'est en ouest sans finir". (Pascal Quignard)

 

C'est une des notices concernant un terme parmi les plus brèves du "Bailly". Toute recherche du concept chez les spécialistes héraclitéens — les miens tout du moins : Marcel Conche, Jean Brun, Kostas Axelos, Jean-François Pradeau, Cornelius Castoriadis — est vaine. Il m'a fallu l'égarement dans le dernier "poche" de Quignard, Mourir de pensée, p. 34, pour le découvrir.

Depuis l'entrée dans ce XXIe siècle que je ne vis guère comme une joie profonde, c'est un sens qui me sied, cet à-rebours.Le peuple dit "On est de son siècle" ; si pourri fut-il, j'ai sincèrement une sympathie pour le XXe. J'y aurai vécu soixante-quatre ans et même si je m'en vas jusqu'en 2036, centenaire donc, je n'aurai séjourné en cet actuel qu'un tiers de ma vie.

Remontons donc, certains jours, ce fil des ans. Il sera redescendu plus tard.
D'ici 2040, n'est-ce pas ? j'ai l'heur de la pratiquer, cette Έναντιοδρομία.

 

 

 

*Jean Stobée, originaire de Stobi, en Macédoine, compilateur entre 450 et 500 avant notre ère, in Eclogarum physicarum et ethicarum libri, I,

samedi, 06 septembre 2014

au pays de René Char II

Au matin, on s'éveille et le Monde, des frontières de l'Ukraine au cœur de l'ancienne Mésopotamie en passant par les petites crottes humides d'une république parisienne en dérive, étale sa merde jusqu'à nous contraindre de lassitude à boucher nos oreilles - et le nez. René Char, se référant à Héraclite, nous maintient debout, loin de la nausée :

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Manuscrit d'Héraclite d'Ephèse
III. Grands astreignants...
Recherche de la base et du sommet, 1971

 

Quelques années auparavant, appuyé à Georges de La Tour, dans le maquis de Céreste, il écrivait :

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 La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j'ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère !
....................................
Le Verbe de la femme donne naissance à l'inespéré mieux que n'importe quelle aurore....

 

Feuillets d'Hypnos, 178
1943-1944

in Fureur et Mystère, 1962

 

 

 

 René Char achevait son texte par un salut au peintre :

« Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d'êtres humains. »

 

Reconnaissance à René CHAR dont le poème, aujourd'hui, me MAINTIENT.

 

 

 

 

 

 

 

mercredi, 20 novembre 2013

pour maintenir ouvert l'œuvre du Camus centenaire

 

Un dernier bouquin s'est ajouté, ce dimanche 17 novembre, à la pile "Albert Camus", après mon passage à la braderie que proposait le Grand Séminaire de Nantes se délivrant à très bas prix de milliers d'ouvrages dont les legs entraînent sans doute l'encombrement de sa bibliothèque ; deux longues travées dans le cloître couvert : dans l'une, "les ouvrages de théologie, de foi et de religion" — sic —, dans la seconde, "les ouvrages profanes" — à nouveau, sic !
Je n'avais acquis, dans les ouvrages... profanes que Mission terminée de Mongo Béti, ce savoureux roman africain de la fin des années cinquante, lu dans la sensuelle moiteur de mes derniers jours éburnéens, prêté sans doute et... perdu quand, à la sortie du cloître, pris par le remords, je m'emparai pour 1€ de ce tome II des Carnets paru en 1964, dans la collection Soleil de chez Gallimard. Un premier parcours m'a livré ceci :


Petite baie avant Ténès, au pied des chaînes montagneuses. Demi-cercle parfait. Dans le soir tombant, une plénitude angoissée plane sur les eaux silencieuses. On comprend alors que, si les Grecs ont formé l'idée du désespoir et de la tragédie, c'est toujours à travers la beauté et ce qu'elle a d'oppressant. C'est une tragédie qui culmine. Au lieu que l'esprit moderne a fait son désespoir à partir de la laideur et du médiocre.
Ce que Char veut dire sans doute. Pour les Grecs, la beauté est au départ. Pour un Européen, elle est un but, rarement atteint. Je ne suis pas moderne.

Carnets, tome II
Cahier n°V, septembre 1945-avril 1948

 

Ramené, le lecteur, plus de cinquante ans en arrière dans ces paysages contemplés du haut de ces crêtes du Dahra.

La beauté, le désespoir et la mer pensés par les Grecs.

Et "ce que Char veut veut dire" ? En avril 1948, Camus vient certainement de lire la préface que son ami a écrite pour Fragments d'Héraclite d'Éphèse d'Yves Battistini — ce que laisserait entendre leur échange de lettres en mai 1948.


 Disant juste, sur la pointe et dans le sillage de la flèche, la poésie court immédiatement sur les sommets, parce qu'Heraclite possède ce souverain pouvoir ascensionnel qui frappe d'ouverture et doue de mouvement le langage en le faisant servir à sa propre consommation... Au delà de sa leçon, demeure la beauté sans date, à la façon du soleil qui mûrit sur le rempart mais porte le fruit de son rayon ailleurs.
Héraclite ferme le cycle de la modernité qui, à la lumière de Dionysos et de la tragédie, s'avance pour un ultime chant et une dernière confrontation. Sa marche aboutit à l'étape sombre et fulgurante de nos journées. Comme un insecte éphémère et comblé, son doigt barre nos lèvres, son index dont l'ongle est arraché.

1948
René Char

Recherche de la base et du sommet.


Faut-il à ces textes adjoindre l'anecdote de Tipasa, quand Albert Camus et Louis Guilloux, l'homme du Sang Noir, contemplent la beauté solaire du lieu des Noces et que l'ami breton hasarde naïvement qu'il y manque quelques nuages ?
Les hommes d'Ouest ne peuvent se défaire, dans la beauté et le désespoir, des brumes atlantiques.

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Modestement, je mets mes pas dans ceux de Camus : décidément, je ne suis pas moderne.

mardi, 26 février 2013

des chiottes d'Héraclite au four du boulanger

Cinq ans que cette histoire de dieux dans un lieu incongru me turlupine.
Et le sourire de se relancer avec une nouvelle allusion à cette anecdote relatée par Aristote que cite dans une brève recension du Monde des Livres de vendredi passé, ce bon Roger-Pol Droit, présentant D'un pas de philosophe, bouquin récent d'un certain Michel Malherbe. Voilà que l'âtre — ou les latrines — de notre Éphésien bien-aimé devient un four de boulanger. Interprétation qui surpasse... en noblesse toutes traductions antérieures.

Bref rappel du texte d'Aristote — De partibus animalium, A.5,645 — traduit pudiquement par Michel Crubelier  :

« On dit qu'Héraclite, à des visiteurs étrangers qui, l'ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, dit : "Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine". Eh bien, de même, entrons sans dégoût dans l'étude de chaque espèce animale : en chacune, il y a de la nature et de la beauté. »*

Traduire c'est choisir.
Le coin du feu ne me déplaisait pas ; quand j'ai découvert, par la vertu d'un traducteur très libéré, Jean François Pradeau,  que ce fameux mot grec "hipnos" qui nomme tout autant la cuisine, le foyer, l'âtre, le four,  — pouvait être aussi les chiottes, les latrines, les toilettes — qu'il y avait quelque cohérence avec l'hésitation des visiteurs à entrer, avec le chauffage d'un lieu où l'on se dénude — à Éphèse, les hivers peuvent être froids — et avec le prolongement du commentaire d'Aristote "entrons sans dégoût", j'ai fortement pensé que les toilettes — ou latrines, ou "chiottes" — m'était le terme le plus adéquat à l'harmonie des contraires affirmée par Héraclite pour énoncer fort concrètement son vécu de l'immanence des dieux. 

N'en déplaise à certains, Héraclite était un philosophe qui savait rire.

 

Je dédie cette note à Pierre Coavoux qui m'envoya en février 2008 le texte d'Aristote qui m'était alors introuvable sur la Toile. Et cet aujourd'hui même, de lui,  je reçois un courriel qui commente amicalement "mes lectures de salle d'attente". Le courriel est intitulé "Aristote (suite). À suivre donc.

Μετα φιλιας Ô Πέτρε



*Le texte d'Aristote sur le site de  l'Antiquité grecque et latine de Philippe Remacle. Ou sur Hodoï, site de l'Université de Louvain.

Ἐν πᾶσι γὰρ τοῖς φυσικοῖς ἔνεστί τι θαυμαστόν· καὶ καθάπερ Ἡράκλειτος λέγεται πρὸς τοὺς ξένους εἰπεῖν τοὺς βουλομένους ἐντυχεῖν αὐτῷ, οἳ ἐπειδὴ προσιόντες εἶδον αὐτὸν θερόμενον πρὸς τῷ ἰπνῷ ἔστησαν (ἐκέλευε γὰρ αὐτοὺς εἰσιέναι θαρροῦντας· εἶναι γὰρ καὶ ἐνταῦθα θεούς),  οὕτω καὶ πρὸς τὴν ζήτησιν περὶ ἑκάστου τῶν ζῴων προσιέναι δεῖ μὴ δυσωπούμενον ὡς ἐν ἅπασιν ὄντος τινὸς φυσικοῦ καὶ καλοῦ. 

 ΠΕΡΙ ΖΩΙΩΝ ΜΟΡΙΩΝ, V

mercredi, 31 octobre 2012

l'École d'Athènes


À six heures du matin, s'emmêlaient avec bonheur la peinture, la philosophie et les Grecs. ÇA s'écoutait avant le lever du jour quand sous les gelées nocturnes se sont fanés les derniers dahlias.

Peut-être connaissez-vous l'histoire de cette fresque : une fois qu'elle a été terminée, Raphaël a rajouté au tout premier plan la figure de Michel-Ange mélancolique sous les traits d'Héraclite. Dès que j'ai su que cette figure avait été rajoutée, je me suis demandé comment Raphaël avait fait pour ajouter un élément central capital sans déséquilibrer la fresque. Personne ne s'est posé la question. Je n'ai eu la réponse qu'à partir du moment où j'ai compris que la structure était mnémonique. Je veux dire qu'à l'intérieur même de la Chambre de la Signature, à la voûte vous avez le principe : la philosophie ; sur les murs vous avez les grands représentants :les philosophes ; dans ces grands représentants vous en avez deux principaux : Platon et Aristote ; Platon est le contemplatif, qui indique le ciel et porte le Timée dans la main gauche ; Aristote est l'actif, qui a la main tendue vers le sol et qui tient sous son bras l'Éthique à Nicomaque. Vous avez Diogène, vautré comme un porc (ou plutôt comme un chien puisque c'est un cynique) sur les marches, aux pieds d'Aristote. Il est donc le «mauvais actif», corollaire du «bon actif» Aristote. Sous Platon vous n'avez rien, car il est incomparable pour un néo-platonicien. Il est le maître même, le Moïse chrétien, comme on l'appelait.

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Puis, voyant le chef-d'œuvre de Michel-Ange, la chapelle Sixtine, Raphaël lui rend un hommage ironique en le mettant là où il n'y avait rien dans le système mnémonique, car il n'y avait aucun corollaire comparable à Platon. En revanche, il y avait la place pour l'imago et, du coup, Raphaël met, génialement, Héraclite le contemplatif négatif (tout passe, tout coule, rien ne dure), sous les traits de Michel-Ange en pose de mélancolique, les genoux pliés, le menton sur la main. Il remplissait le lieu qui attendait la figure, mais c'est bien une structure de mémoire : le principe, les grands représentants, et ensuite les corollaires négatifs de l'actif, rien sous Platon et puis corollaire négatif du contemplatif avec Michel-Ange en Héraclite.

Daniel Arasse, Histoires de peintures, France Culture/Denoël, 2004