mardi, 26 février 2013
des chiottes d'Héraclite au four du boulanger
Cinq ans que cette histoire de dieux dans un lieu incongru me turlupine.
Et le sourire de se relancer avec une nouvelle allusion à cette anecdote relatée par Aristote que cite dans une brève recension du Monde des Livres de vendredi passé, ce bon Roger-Pol Droit, présentant D'un pas de philosophe, bouquin récent d'un certain Michel Malherbe. Voilà que l'âtre — ou les latrines — de notre Éphésien bien-aimé devient un four de boulanger. Interprétation qui surpasse... en noblesse toutes traductions antérieures.
Bref rappel du texte d'Aristote — De partibus animalium, A.5,645 — traduit pudiquement par Michel Crubelier :
« On dit qu'Héraclite, à des visiteurs étrangers qui, l'ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, dit : "Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine". Eh bien, de même, entrons sans dégoût dans l'étude de chaque espèce animale : en chacune, il y a de la nature et de la beauté. »*
Traduire c'est choisir.
Le coin du feu ne me déplaisait pas ; quand j'ai découvert, par la vertu d'un traducteur très libéré, Jean François Pradeau, que ce fameux mot grec "hipnos" qui nomme tout autant la cuisine, le foyer, l'âtre, le four, — pouvait être aussi les chiottes, les latrines, les toilettes — qu'il y avait quelque cohérence avec l'hésitation des visiteurs à entrer, avec le chauffage d'un lieu où l'on se dénude — à Éphèse, les hivers peuvent être froids — et avec le prolongement du commentaire d'Aristote "entrons sans dégoût", j'ai fortement pensé que les toilettes — ou latrines, ou "chiottes" — m'était le terme le plus adéquat à l'harmonie des contraires affirmée par Héraclite pour énoncer fort concrètement son vécu de l'immanence des dieux.
N'en déplaise à certains, Héraclite était un philosophe qui savait rire.
Je dédie cette note à Pierre Coavoux qui m'envoya en février 2008 le texte d'Aristote qui m'était alors introuvable sur la Toile. Et cet aujourd'hui même, de lui, je reçois un courriel qui commente amicalement "mes lectures de salle d'attente". Le courriel est intitulé "Aristote (suite). À suivre donc.
Μετα φιλιας Ô Πέτρε
*Le texte d'Aristote sur le site de l'Antiquité grecque et latine de Philippe Remacle. Ou sur Hodoï, site de l'Université de Louvain.
Ἐν πᾶσι γὰρ τοῖς φυσικοῖς ἔνεστί τι θαυμαστόν· καὶ καθάπερ Ἡράκλειτος λέγεται πρὸς τοὺς ξένους εἰπεῖν τοὺς βουλομένους ἐντυχεῖν αὐτῷ, οἳ ἐπειδὴ προσιόντες εἶδον αὐτὸν θερόμενον πρὸς τῷ ἰπνῷ ἔστησαν (ἐκέλευε γὰρ αὐτοὺς εἰσιέναι θαρροῦντας· εἶναι γὰρ καὶ ἐνταῦθα θεούς), οὕτω καὶ πρὸς τὴν ζήτησιν περὶ ἑκάστου τῶν ζῴων προσιέναι δεῖ μὴ δυσωπούμενον ὡς ἐν ἅπασιν ὄντος τινὸς φυσικοῦ καὶ καλοῦ.
ΠΕΡΙ ΖΩΙΩΝ ΜΟΡΙΩΝ, V
18:39 Publié dans dans les pas d'Héraclite | Lien permanent | Commentaires (0)
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