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samedi, 12 février 2022

Ulysse, celui d'il y a cent ans

Onze cent vingt six pages de lecture folle... et toutes, depuis des années n'ont pas encore été lues.
James JOYCE achève son écriture en 1921.
Le bouquin est édité le 2 février 1922 à Paris par la librairie Shakespeare and Company fondée par Sylvia Beach.
La première traduction française a été commencée dès 1924 et fut faite par Auguste Morel, assisté par Stuart Gilbert et entièrement revue par Valery Larbaud et James Joyce.

Premiers feuilletages dans l'ULYSSE du Livre de poche, façon Hachette, vers 70, 71....
Depuis 98, dans le Folio 2830, toujours dans la traduction d'Auguste Morel.

 

et...un vieux rêve d'éducation populaire

je suis juché sur un tonneau à l'un des carrefours de la place Graslin,
et selon les jours,
près de la Cigale, près du Molière, au carrefour de la rue Voltaire
pour atteindre jusqu'au lire ultime

 

... et oui j'ai dit oui je veux bien Oui.

 

Post-scriptum :
Le titre du bouquin en anglais, ULYSSES, le titre en français, ULYSSE.
Ce S du titre anglais pourquoi disparaît-il ?
Joyce fut le co-traducteur de son œuvre. Alors ?

samedi, 01 décembre 2018

le bateau d'Ulysse

 

cette traduction de Σχεδια :  bateau ou radeau ?
la traduction de « σχεδιἡν » (skedièn) par radeau m'a beaucoup interrogé.


C'est au Chant V de l'Odyssée : Ulysse est retenu par Calypso, sur l'île de cette nymphe royale qui désire faire de l'errant son époux.
Alors que, dès les premiers versets de ce chant, quand Zeus expédie Hermès chez Calypso, pour conseiller avec insistance à celle-ci de "lâcher les cothurnes" du Grec, il précise bien à son messager qu'Ulysse, non sans peine certes, rentrera "sur un bateau bien jointoyé" (verset 33).
La nymphe obéit à l'injonction de Zeus et met tout en œuvre afin qu'Ulysse construise son bateau : elle le conduit sur le site où il trouvera les arbres nécessaires et lui fournit les outils. 
De l'abattage des arbres à la voile enfin prête à être hissée, s'énoncent 28 versets — de 233 à 261 — pour quatre jours de labeur. 
C'est entre les versets 249 et 257 qu'achoppent les traducteurs français, ignorant sans doute tout ou presque de l'architecture navale, et de l'antique et de l'actuelle.
Même, même Jean Cuisenier qui sur les traces de Victor Bérard, s'efforce de retracer le périple achoppe étonnamment sur le verbe τορνoώ (τορνώσεται dans le texte homérique) qu'il confond avec son voisin le précédant dans le Bailly et qui est τορνευω ; d'où son hypothèse qu'Ulysse mesure ses travaux à l'aide d'un compas de charpentier.

Ce passage n'en est pas moins difficile à interpréter, car le vocabulaire d'Homère peut se référer à deux états différents des techniques de construction. L'expression "ossoon tornôsetai", « les dimensions et le fond qu'il donne », peut se référer soit à l'usage du compas du charpentier pour fixer des mesures, soit à l'opération de « tourner »,« faire tourner le bordage d'une carène ».

Jean Cuisenier, le Périple d'Ulysse, p. 344.

Dans les outils fournis par Calypso, sont nommés la hache d'airain, la doloire, les tarières, les clous et chevilles, mais le point de compas de charpentier ; et bien peu claire, la description de cette opération qui consisterait à "faire tourner le bordage d'une carène".

 

Voici ces versets 249/257 :

ὅσσον τίς τ᾽ ἔδαφος νηὸς τορνώσεται ἀνὴρ
φορτίδος εὐρείης, ἐὺ εἰδὼς τεκτοσυνάων,
τόσσον ἔπ᾽ εὐρεῖαν σχεδίην ποιήσατ᾽ Ὀδυσσεύς.
ἴκρια δὲ στήσας, ἀραρὼν θαμέσι σταμίνεσσι,
ποίει: ἀτὰρ μακρῇσιν ἐπηγκενίδεσσι τελεύτα.
ἐν δ᾽ ἱστὸν ποίει καὶ ἐπίκριον ἄρμενον αὐτῷ:
πρὸς δ᾽ ἄρα πηδάλιον ποιήσατο, ὄφρ᾽ ἰθύνοι.
φράξε δέ μιν ῥίπεσσι διαμπερὲς οἰσυΐνῃσι
κύματος εἶλαρ ἔμεν: πολλὴν δ᾽ ἐπεχεύατο ὕλην.



Tel un homme expert en architecture navale
arrondit la carène d'un navire marchand

ainsi Ulysse se construisit un esquif de belle largeur

Dressant le tillac, en assemblant des membrures bien jointoyées,

il acheva de poser le long plancher du pont.

Il y dressa le mât tenu par des haubans
et y établit la vergue pour les voiles.

Pour barrer le bateau il fit un gouvernail. 

En guise de filières, il érigea un entrelacement de claies d'osier
se protégeant ainsi de la violence des flots.

Pour lester, il déposa au fond de la carène des billes de bois.



ou encore plus poétiquement

Les proportions que donnent à la carène d'un navire

de commerce quelque ouvrier maître en charpentes,

Ulysse les choisit pour son vaste bateau.

Pour dresser le gaillard, il bâtit un bordage étanche

de poutrelles, par des voliges en longueur.

Il disposa le mât et l'antenne du mât,

puis fabriqua la barre afin de pouvoir gouverner.

Enfin d'un bastingage en claies d'osier il protégea

son bateau de la houle et le lesta d'une charge de bois.

traduction de Philippe Jacottet,
Odyssée, Livre V, p. 91

 

Bref rappel lexical

 • τορνώσεται
3° personne singulier, indicatif futur moyen ou subjonctif aoriste moyen
- de τορνόομαι, donner une forme arrondie,
par le haut pour un tumulus de sépulture,
par le bas pour une carène de navire
ἔδαφος, fond, base
τεκτοσυνάων, de τεκτοσυνη, art de construire
• ικρια,
tillac, gaillard
ἔδαφος, fond, base
τεκτοσυνάων, de τεκτοσυνη, art de construire
• ικρια,
tillac, gaillard
• τεχνησατο ευ, tailla avec art
• τεχνηεντως  (verset 270), avec art,
  
racine commune à τεκτοσυνη (?).

 

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Dernière tâche dans l'armement du bateau : la voilerie. Calypso y participe, apportant elle-même des toiles et Ulysse confectionnera les voiles lui-même. Revient dans un verset le terme τεχνησατο ευ, de la même racine τεχν — il tailla bien. 
Triplement maître dans l'art de l'architecture naval : concevoir et réaliser une carène de bateau, réaliser un gréement de voilier, couper les voiles. Cet homme est un homme d'océan possédant tous les savoirs marins, et loin d'être un naufragé s'affolant dans l'assemblage hâtif de troncs d'arbres ou... de planches qu'est un radeau.


τόφρα δὲ φάρε᾽ ἔνεικε Καλυψώ, δῖα θεάων,
ἱστία ποιήσασθαι· ὁ δ᾽ εὖ τεχνήσατο καὶ τά.
ἐν δ᾽ ὑπέρας τε κάλους τε πόδας τ᾽ ἐνέδησεν ἐν αὐτῇ,

μοχλοῖσιν δ᾽ ἄρα τήν γε κατείρυσεν εἰς ἅλα δῖαν.

Et pendant ce temps-là, Calypso, cette toute divine

lui apporta la toile dans quoi il tailla de bonnes voiles
dont il ralingua têtière, bordure et chutes, il gréa
les drisses pour hisser et les écoutes pour border,
enfin sur des rouleaux il mit le voilier à l'eau.


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Parmi la vingtaine de traducteurs français depuis cinq siècles, — l'unique traductrice Anne Dacier incluse, — seuls, Du Bois de Rochefort en 1781 et, de nos jours, Philippe Jaccottet traduisent ce σχεδιἡν par "vaisseau", pour le premier et, par "bateau" pour le second ; les traducteurs des XIXᵉ et XXᵉ s'obstinent sur la facilité du "radeau". 

Le tragique du radeau de la Méduse les a-t-il influencé si fortement au point de confondre engin flottant de survie à fond plat, livré à tous les aléas des vents et des courants, impossible à gouverner et l'esquif, certes construit à la hâte, mais avec une coque creuse — donc l'arrondi inversé d'un tumulus de sépulture — au fond de laquelle on peut déposer en guise de lest des troncs d'arbres.

Et puis pourquoi un tillac ? un plancher ? Comment pourrait-on lester le fond plat d'un radeau ?

Aux deux traductions précédentes, il me faudrait ajouter la justesse du dessin de Lob et Pichard dans leur fastueuse et sensuelle bande dessinée parue en 1974.

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Demeure un étonnement : ce sont les quatre jours qui accaparent Ulysse à la construction de ce bateau. S'il y a énigme, c'est bien cette brièveté.
Amusante remarque à propos de celle-ci : Lob et Pichard imaginent, eux, un androïde, ANDROS, qui, clandestinement, prête main forte à notre Errant. Tout merveilleux semblant possible sur l'île de la tant belle Déesse qui, de plus, vous offre l'immortalité, pourquoi pas aussi ce miracle de jours sans référence à la durée du jour dans nos vies de mortels ?

Le bateau achevé, Calypso subviendra à l'avitaillement :

ἐν δέ οἱ ἀσκὸν ἔθηκε θεὰ μέλανος οἴνοιο
τὸν ἕτερον, ἕτερον δ᾽ ὕδατος μέγαν, ἐν δὲ καὶ ᾖα
κωρύκῳ: ἐν δέ οἱ ὄψα τίθει μενοεικέα πολλά:
οὖρον δὲ προέηκεν ἀπήμονά τε λιαρόν τε.

Dans le bateau, elle posa une outre de vin noir 

et une autre plus grande d'eau, puis dans une besace
les vivres et d'autres mets en suffisance.
Elle fit se lever un vent inoffensif et doux

Et notre errant, qui refusa et l'immortalité et la si torride passion de son hôtesse, d'ouvrir ses voiles :

γηθόσυνος δ᾽ οὔρῳ πέτασ᾽ ἱστία δῖος Ὀδυσσεύς.
αὐτὰρ ὁ πηδαλίῳ ἰθύνετο τεχνηέντως    
ἥμενος, οὐδέ οἱ ὕπνος ἐπὶ βλεφάροισιν ἔπιπτεν
Πληιάδας τ᾽ ἐσορῶντι καὶ ὀψὲ δύοντα Βοώτην
Ἄρκτον θ᾽, ἣν καὶ ἄμαξαν ἐπίκλησιν καλέουσιν,
ἥ τ᾽ αὐτοῦ στρέφεται καί τ᾽ Ὠρίωνα δοκεύει,
 οἴη δ᾽ ἄμμορός ἐστι λοετρῶν Ὠκεανοῖο·
τὴν γὰρ δή μιν ἄνωγε Καλυψώ, δῖα θεάων,
ποντοπορευέμεναι ἐπ᾽ ἀριστερὰ χειρὸς ἔχοντα.
ἑπτὰ δὲ καὶ δέκα μὲν πλέεν ἤματα ποντοπορεύων.

Ulysse jubilant ouvrit ses voiles au vent favorable.
Il s'installa et prit la barre, en véritable homme de mer qu'il était,
jamais  le sommeil ne tomba sur ses paupières;
il contemplait les Pléiades, le Bouvier tard couché,
et l'Ourse, qu'on appelle aussi le Chariot,
qui tourne sur place en guettant Orion
et, seule des constellations, ne se baigne point dans l'Océan.
Calypso, divine entre les déesses, lui avait bien recommandé
de naviguer au large, gardant toujours l'Ourse à main gauche.
Dix-sept jours durant, il cingla ainsi en haute mer.

 

Et ce n'est point avec un radeau qu'il eût pu naviguer vers l'Est ces dix-sept jours, durant.


Si l'on n'oublie pas, — ce que permet de préciser en s'appuyant sur l'hypothèse des deux astronomes américains* qui datent le retour à Ithaque, au vu des événements astronomiques donnés par Homère, après le séjour en mystérieuse Phéacie,  — qu'il quitte Calypso au milieu du printemps, c'est l'époque où se lèvent tout le long des rivages sud — la côte du futur Maghreb — les brises thermique soufflant le jour du noroît au suet, et inversement du suet au noroît la nuit, autorisant donc une navigation entre allures au portant et au travers, de trois à cinq nœuds, soit 100 milles nautiques par jour, soit un parcours en 17 jours d'environ 1 700 milles nautiques, qui mènent l'excellent barreur qu'est Ulysse aux rivages mythiques de l'île des Phéaciens, laquelle, figée plus tard en rocher par la colère de Poseidon, n'est sans doute dans le rêve du lecteur de l'Odyssée point si lointaine... d'Ithaque.

L'Errant n'est plus dans la durée des "jours et des nuits", nuits d"amour, jours de nostalgie et de labeur, de la terre de Calypso l'immortelle. Il est revenu dans le temps immuable des clepsydres et des sabliers. Ce n'est pas encore le temps des horloges, ...des montres connectées et des smartphones.

Notre "barreur jubilant" affrontera encore quelques épreuves météorologiques, identitaires et institutionnelles avant d'enfin s'étendre tendrement près de Pénélope sur le lit qu'il avait fabriqué naguère avec l'art d'un "designer" antique, tout aussi talentueux que l'architecte naval, maître des carènes, des gréements et des voiles.

 

*

Datation Odyssée - copie.jpg


Pour consulter le texte en grec ancien :

Le site anglophone PERSEUS

• le site HODOÏ de l'Université de Louvain

 

 Bibliographie

Histoire du voilier, Björn Landström, Albin Michel, 1969
Dictionnaire de la Marine à voile, Bonnefoux & Paris, éditions de la Fontaine au Roi, Paris 1987
ULYSSE, Homère,Lob, Pichard, éditions Dargaud 1974, pui Glénat, 1981

lundi, 21 mars 2016

au petit matin

 

Deux mots, ce matin entendus avant le lever du soleil, Altérité et Généalogie d'un territoire, deux mots qui me renvoient aux premiers mois du jeune adulte que je deviens, parce que, soixante déjà, c'est le grand départ vers l'Altérité, l'Autre et vers des territoires ignorés quasi inconnus dont la mince cartographie se résume à un carte Michelin bien succincte.


L'altérité — donc l' ÉTRANGER que je vas devenir, — pas l'autre, mais moi, l'étranger isolé seul chez les barbares dans ces paysages inconnus, ces odeurs nouvelles et cet intime qui va s'ouvrir, qui s'ouvre, la Barbare, Femme première qui va m'ouvrir, s'offrir, sans soumission, parfois avec rudesse dans sa tendresse — Jeune voyageur sorti des brumes que sais-tu de l'univers des Autres ? —  le monde ignoré de ces cartographies que mes maitres ne m'ont point enseignées

jeudi, 18 décembre 2014

en cette mi-décembre trop sombre

 

un après-midi brumeux, comme ce jourd'hui, un de ces jours comme abandonnés, j’avais parcouru lentement le Musée, guettant l’émotion qui allait sourdre ou non, l’œil paresseux...



Et puis, il y eut Cassandre*,

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cette blancheur nue
brisée dans le sang d’une guerre à peine achevée et dont le massacre se poursuit encore...

Visage haussé vers le ciel noir, pour l’ultime prière au dieu, à n’importe quel dieu !

La flamme qui brûle sur l’autel, pensée d’une foi moribonde ?
Dans les plis du vêtement jeté, ensanglanté
de violence et de feu,  sur l’angle d’une stèle, se devine
un harnachement d’homme de guerre...

Comme image de ma mort à-venir, cette longue, belle et froide nudité.






*Au Musée des Beaux-Arts de Nantes, tableau de Jérôme-Martin Langlois, 1779-1838.

vendredi, 10 octobre 2014

Dix ans

et depuis quelques mois, pas mal d'écrans vides quand on ouvre "grapheus tis" !

Eût-il fallu les meubler avec les hésitations du penser, les errances des lectures, le tohu bohu des contradictions qui jamais ne seront des contraires qui s'harmoniseraient d'héraclitéenne manière ?
Dix ans et cependant pas du tout l'intention de clore.


Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux

L'aphorisme de Char, affirmé le 10 octobre 2004 est toujours de saison. Sans doute me suis-je laissé submerger par les livres, les auteurs, leur imaginaire et le mien...

Ainsi depuis septembre après un séjour au pays de Jean Giono et de René Char et avant le recommencement de l'atelier de Grec ancien, l'invasion de l'Odyssée, de ses avatars, de ses traducteurs : le vieil Homère, qu'il ait, ou non, été aveugle, qu'il fût un, double ou multiple...


Le seul vraiment "nobélisable" si une vie antérieure était imaginable.

Ce 10 octobre 2004, j'avais salué Derrida et son interrogation : « Sommes-nous des Juifs ? Sommes-nous des Grecs ?» suivie de la réponse joycienne :« Jewgreek is Greekjew. Extremes meet” »

Que ce soit Joyce l'Irlandais qui énonce la réponse, me fait sans vergogne fabriquer un trépied qui est le mien :

GREC      JUIF
CELTE

Que les dix années à venir me soient fécondes !

mardi, 01 janvier 2013

2013 dans une bulle

 

L'habitude est de présenter — et/ou d'offrir — ses vœux pour l'an qui commence.
Vogue Ulysse, vent portant vers le ponant. Je n'offre que la bulle, parole blanchie d'Homère.

Que la lectrice, le lecteur, y glissent leurs rêves !

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Dernière vignette de la Bande dessinée ULYSSE de Homère, scénariste, Lob, adaptateur, Pichard, dessinateur, aux Éditions Jacques Glénat, 2ème trimestre 1981.

lundi, 31 décembre 2012

un beau pavé dans mon sabot

le savoirgrec.jpg Dans la première note de ce blogue, le 10 octobre 2004, je saluais ainsi Jacques Derrida :

 « Sommes-nous des Juifs ? Sommes-nous des Grecs ? Nous vivons dans la différence entre le Juif et le Grec, qui est peut être l’unité de ce qu’on appelle l’histoire. Nous vivons dans et de la différence, c’est-à-dire dans l’hypocrisie dont Lévinas dit si profondément qu’elle est “ non seulement un vilain défaut contingent de l’homme, mais le déchirement profond d’un monde attaché à la fois aux philosophes et aux prophètes ”.
 Sommes-nous des Grecs ? Sommes-nous des Juifs ? Mais qui sommes-nous... d’abord des Juifs ou d’abord des Grecs ?... À l’horizon de quelle paix appartient le langage qui pose cette question ? Où puise-t-il l’énergie de sa question? Peut-il rendre compte de l’accouplement historique du judaïsme et de l’hellénisme ? Quelle est la légitimité, quel est le sens de la copule dans cette proposition du plus hégélien, peut-être, des romanciers modernes :“Jewgreek is Greekjew. Extremes meet”* ?

in L’écriture et la différence, p. 227-228

Quand ce beau pavé bleu de 1248 pages m'a été déposé dans mon sabot, près de la cheminée, après avoir consulté le sommaire, je me suis empressé d'aller lire "Hellénisme et Judaïsme". Ne fut-ce que pour simplifier par une approche historique la complexité des questions dérridiennes qui ne s'éclaircissent guère dans les arcanes des phénoménologies d'Husserl, d'Heidegger et de Lévinas.

Peut-on être fasciné par Héraclite et ses aphorismes et subjugé par les proférations d'Isaïe ?
J'ai vécu l'enfance et l'adolescence dans le voisinage d'Abram, l'homme qui part sans volonté de retour, puis les ans de maturité et l'entrée dans les parages du grand âge, embarqué sur les mers d'Odysseus, l'homme qui erre dans la nostalgie de la terre natale.


Accouplement et déchirement.


Un dieu en qui il faut croire et des dieux qui n'existent pas ?
Les tables de la Loi d'un illuminé sur un mont et des lois que ratifie l'assemblée du peuple sur la place du marché.

Voilà les deux extrémités d'un arc. D'ailleurs à l'arc, je substiturais bien le trépied, car au GrecJuif, je souhaiterais bien ajouter le Celte, ce qui autoriserait une féminisation de cette différence et une ouverture marine sur des horizons océaniques plus vastes. 

Lire Isaïe et le Livre de Ruth.
Ouvrir Homère et plonger dans les obscurités d'Héraclite.
Célébrer la maison de l'air de Viviane** et embarquer avec Brendan.

Loin, loin de la Loi et des lois, accouplement et déchirement.
Oui, vraiment à penser qu'à trente siècles près, tout se tient.

 

* James Joyce, Ulysse.
** Pour se remettre en mémoire quelques "savoirs" celtes.

 

vendredi, 18 mai 2012

retour à terre, depuis quelques jours

Dans le couchant, saluée la bouée des Mâts, la plage de la Mine d'Or, fine comme un verset de Perse. Les vents de terre s'étaient apaisés. Nous entrions par la passe de la Grande Accroche dans l'estuaire de ma belle Vilaine.

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   « Trouve ton or, Poète, pour l'anneau d'alliance; et tes alliages pour les cloches, aux avenues de pilotage...»
  Car nous tenons tout à louage, et c'est assez d'emmailler l'heure aux mailles jaunes de nos darses...
  La mer aux spasmes de méduse menait, menait ses répons d'or, par grandes phrases lumineuses et grandes affres de feu vert.

Saint-John Perse,  Amers, I, 2

 

Nous étions revenus pour écouter le très sec terrien qu'est Pierre Bergounioux, au verbe plus haut tenu encore que ses écrits. Il devait nous entretenir du style, il s'égara dans le ressassement de ses questionnements sur l'origine du Grand Récit ; ce fut toujours grand plaisir à entendre cette voix de rocaille charruer l'histoire littéraire de Homère à Faulkner. Mais c'était déjà su.

Sur la table de presse, j'ai pris Jusqu'à Faulkner* dont le lecteur peut suivre l'écriture dans les premières pages du Carnet de notes 2001-2010. Je relève l'acuité du regard sur Stendhal entre les pages 26 et 38 quand il évoque "ce grand frisson" qui "parcourt la Chartreuse".

 

* Cependant, petite anicroche érudite, page 15 : ce n'est point Circé qui offre l'immortalité à Ulysse, mais au Chant V (208-209) de l'Odyssée, Calypso . On peut être agrégé et être troublé par la suprême beauté des Enchanteresses. Sachant que dans l'une et l'autre rencontre, le marin errant ne rechigne point à s'avancer au profond des grottes et à successivement "monter sur le lit très beau" et de Calypso et de Circé. N'y aurait-il que les marins pour ne pas confondre les féminines promesses des Iliennes divines ?

lundi, 02 avril 2012

dénombrant "mes" îles

 Lisant Avant de J.B. Pontalis, ce chapitre intitulé Îles, lieux d'attachement et de détachement : « Me détacher sans me perdre », énonce son patient analysé. Je suis très loin de ces analyses.

Néanmoins,"mes" ÎLES !

Plus de soixante abordées, arpentées, entre îles de Loire de l'enfance et de l'adolescence, celles de Bretagne et de Biscaye, les Méditérranéennes, peu de Caribéennes et les Pacifiques lointaines.
Celles aperçues, entrevues, jamais foulées et encore rêvées.

À écrire.

 

Et pour me maintenir dans ces jours de remugle :

Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir.

René Char,
Envoûtement à la Renardière,
Seuls demeurent, 1938-1944.

mercredi, 25 janvier 2012

Quel titre pour la tristesse ?

 

Le pas suspendu de la cigogne ?

L'Éternité et un jour ?

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 “ Je ne suis qu'un visiteur", faisait-il dire à un de ses personnage dans Le Pas suspendu de la cigogne.


 « Où s'est-il retiré, où s'en est-il allé, le Sage ? —
Après tous les miracles qu'il a faits,
après que la renommée de son enseignement
se fut répandue sur tant de nations,
il s'est dérobé aux regards et personne n'a pu apprendre
avec certitude ce qu'il est devenu...


Constantin Cavafis
Pour autant qu'il soit mort