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samedi, 03 octobre 2009

un caleçon contre "l'institutionalisation de l'islam"

J'y suis donc allé.

Chez mon libraire de la Fosse.

Revenu avec deux livres dans ma besace.

 

L'incendie du Hilton de FB et d'Amin Zaoui — ce  conservateur de la Bibliothèque nationale d'Alger qui s'est fait "jeté" il y a un an à peine, par la ministre algérienne de la Culture, Khalida Toumi — La chambre de la vierge impure. À lire La razzia et quelques autres de ses bouquins, je me demande comment il avait pu être nommé à un tel poste. Sa mise à l'écart serait due à l'invitation d'Adonis, le grand poète syrien.

Je ne citerai qu'un bref passage de la chambre de la vierge impure. Mais il est vrai qu'à lire Amin Zaoui ou Boualem Sansal, je me suis repris à espérer en ma troisième terre d'élection. J'espère que leurs bouquins, bien entendu interdits, circulent dans une belle et et saine clandestinité.

 

De Zaoui, donc, dès la seconde page de son récit :

Quand on a eu fini de faire l'amour, allongée sur un faux tapis persan imprimé de deux magnifiques paons, liesse de couleur, Sultana, encore nue, m'a lancé un regard perplexe et malin, le désir se reflétant dans le charbon de ses yeux, et m'a dit : « Je veux savoir comment tu ranges ton zizi dans ton caleçon. »

Sa voix douce et délectable me paraissait appartenir à une race d'oiseau en voie de disparition. Une race qui n'existait qu'au paradis ou dans l'imaginaire fou de Ziryab (789-857), célèbre musicien luthiste et chanteur bagdadien installé à Grenade la musulmane. En me lançant cette requête, Sultana n'était ni souriante, ni moqueuse, ni taquine. Elle avait l'air sérieux, méditatif et réfléchi. Toute une poésie d'enfant animait l'eau de son regard !

Je ne sais pas pourquoi, mû par une force extraordinaire, le superbe charbon de ses yeux s'est métamorphosé en jade.

J'ai paniqué.

L'eau n'est pas dormante !

J'étais en train de me rhabiller. Je scrutais le ciel du village à travers une lucarne, je l'ai aperçu très haut, enseveli dans un bleu fantastique.
Je ne m'attendais pas à une telle requête, et pourtant je l'ai trouvée intelligente, pertinente !
Et embarrassante.
Je ne m'étais jamais demandé comment je faisais pour ranger mon trésor dans mon caleçon ou dans mon slip.
« Mon oiseau édénique est là. On apprend comme ça, à ranger son zizi sans la prescription d'un maître, sans leçon de quiconque, sans grande difficulté, sans gêne. C'est une autre pédagogie. Une pédagogie divine. C'est un geste intuitif et illuminé, un don d'Allah le Miséricordieux, Lui qui octroie aux hommes le génie et l'intelligence de savoir ranger leurs fortunes dans leurs slips et apprend aux belles femmes comment cacher le sang de l’erreur dans des mouchoirs en coton. »

 

Ces quelques lignes peuvent faire tout autant que le plaidoyer d'Adonis contre "l'institutionalisation de l'islam" !

 

mardi, 29 septembre 2009

Blogue ou ne blogue plus ! Scanne ou ne scanne point !

Faudrait-il ne plus aller en mer ?

Trois notes en ce septembre. C'est un mois amorphe.

 

Tant de petits événements dont les longs moments de rêveries — "rêvasseries", devrais-je écrire — marines, m'éloignent !

 

Ces sites et ces blogues qui ferment, cet entremêlement entre la Très Grande Bibliothèque, ses ancien (gaullien) et nouveau (chiraquien) présidents, LE nouveau ministre — un ministre ou un papillon ? — et Goggle ! La presse s'en fait régulièrement l'écho et le site de l'homme qui est une aiguille, oh combien précieuse !, dans la botte de foin creuse les interrogations jusqu'à provoquer un commentaire du président en exercice de la BNF.

 

Je m'en fus naguère visiter ZazieWeb : ça remonte à janvier 2001. J'aimais bien. Dans l'émoustillement de la nouveauté, j'ai même commis une ou deux notes.

 

Puis, j'ai migré vers remue.net, quand FB, seul tenait rubriques sur Toile ; j'ai espacé mes visites quand le site s'est "collectivisé" — Oh ! le vilain mot —, mais il est vrai que j'ai ressenti ce passage comme une dépersonnalisation.

Le site devenait sérieux et littéraire en diable ! Il passait des marges au bon vrai réseau "Lettré".

 

Et je suis prosaïquement revenu aux papiers du Monde des Livres, à LibéLivres, de temps à autre au Magazine littéraire selon les dossiers et les thèmes, aux rayons de la Fnac — pour consulter, jamais pour acheter — et à mon Libraire de la Fosse.

 

Demain, j'y vas !

lundi, 31 août 2009

à chacun sa rentrée littéraire

Il y en aurait 659 ! Je ne sais si j'en lirai un.

Toujours ce fichu plaisir d'être dans les contres. Et dans ce qui serait plutôt à côté des romans.

Je suis allé chercher sur la sixième étagère un bouquin de Francis Jeanson qui s'en est allé ce premier d'août.

 

Je n'aimais guère son penchant sartrien et ses agissements de "porteur de valises" avaient choqué mon immaturité citoyenne ; je lui en avais voulu d'éreinter Camus.

Mais il avait animé la collection Écrivains de toujours, en avait commis le n°3, le Montaigne par lui-même. Ça suffisait déjà à me rabibocher avec sa pensée.

Et puis sur la sixième étagère, il y avait ce livre de lui, avec cet ex-libris, « Annaba, le 26 avril 1965 » : "Lettre aux femmes"

 

"Femmes, je vous aime ! Vous qui êtes mes sœurs, mes amies, mes amours, vous aussi que je croise un instant et ne reverrai plus, vous toutes qui rendez belle la vie, qui êtes la vie, si je m'adresse à vous c'est par bonheur. Par tout ce bonheur qui me vient de vous, et que jamais je ne parviendrai à vous rendre..."

 

C'est le versant mâle d'une correspondance avec une femme. J'étais, après la mort de l'aimée, dans une solitude écorchée vive, dans un tohu bohu affectif qui n'a peut-être bien jamais cessé.

Mais Jeanson était déjà de ces philosophes qui jamais ne séparent écriture littéraire et penser philosophe. Avec Montaigne, Sartre et... Camus, il était à bonne école. Non ?

 

Je ne sais s'il m'a aidé à sortir du tohu bohu. Sans doute non.

Mais il m'a mis en chemin et le tohu bohu m'a rassuré.

"Lettre aux femmes" est bien certainement l'un des "mes" meilleurs "romans" de la rentrée 2009.

 

Je vous regarde mon amie. De mes deux mains ouvertes, j'entoure votre visage et le contemple longuement. Vos pensées m'échappent, sous vos paupières closes, mais non point cette larme en suspens qui vient de se former entre vos cils. Je voudrais que vous n'ayez plus mal. Je voudrais que vous soyez heureuse. Je voudrais qu'à travers toutes mes maladresses et tant de mots que j'aligne, les uns insignifiants les autres superflus, quelque chose vous parvienne de cette vive tendresse avec laquelle je pense à vous et qu'aucun naufrage, en tout cas, ne saurait menacer.

Demain, je vous écrirai mieux. Ce soir, j'aimerais vous bercer.


 

 

samedi, 25 juillet 2009

un "blogue" de silence (... ou presque) I

Un  si bel été ?
Au gré des marées et des vents.

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Tréac'h Gouret,  d'où fut lancée, au début du flot, la barque emportant le corps de Gweltas, l'ermite de Lenn Her Hoad, sans doute le soir du 10 mai 565. Elle s'échoua, à la basse mer du lendemain, dans l'anse du Petit Mont. Les moines ensevelirent le corps de leur Abbé en l'abbaye de Rhuys dont il avait été le fondateur.

Sic transit...






jeudi, 25 juin 2009

une méchante mauvaise astuce

Lisant dans le LibéLivres d'aujourd'hui la rubrique de Launet, titrée "À fond la caisse", de lourdes idées de contrepétries qui alertent le cerveau du lecteur, et celle-ci :

 

« Un roman placé près des caisses se vend mieux.»

qui peut devenir

 

« Un coran placé près des m(e)sses se vend mieux. »


Enfin, bon ! méchante mauvaise façon de renvoyer les monothéistes à leur commerce. Le soleil du sud-ouest n'est guère favorable à des pensers plus profonds.

vendredi, 12 juin 2009

Sant Gildas aurait accueilli le barde Taliésin 3

Myrddhin (Merlin) aurait demandé à sa sœur Gwendydd, qui devait aller en Petite Bretagne prononcer l'élogue funèbre de son époux Rodarcus, de revenir  avec Taliésin qui était parti étudier près de Gweltas — Saint Gildas —  en la presqu'île de Rhuys.

 

Je vais y penser cette nuit ou demain à l'aube en arrondissant la pointe de Grand'Mont, surplombée par si peu de vestiges de l'Abbaye de Saint-Gildas. Où d'ailleurs résida un autre amoureux— puis moine — célèbre, un certain Abélard natif du Pallet en Pays Nantais.

 

Mon petit imaginaire rêve plutôt d'un séjour de Taliésin invité par Gweltas en son ermitage de Houat, dans le vallon de Lenn Her Hoad, qui débouche à l'abri des vents dominants sur la grande grève de Tréac'h Gouret à l'est de l'ile.

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Ce soir, avec S, je largue.

Au retour, je publierai la rencontre de Viviane et de Merlin dans L'Enchanteur pourrissant, ou Merlin relu par Apollinaire.

mercredi, 10 juin 2009

la "vita Merlini" 2

Puisque je suis parti dans la geste de Merlin, j'y vas !

 

Il y a deux ou trois siècles d'écrits qui dévoilent, ajoutent, recréent, brodent, glosent, commentent une histoire dont la source semble être un écrit de langue brittonne, fixant des traditions orales datant du VIe siècle, puis traduit en latin par Geoffroy de Monmouth, érudit gallois latinisant — s'inspirant lui-même d'un certain Nennius scribe du IXe siècle — qui fut dans la mouvance des ducs de Normandie, puis des Plantagenêts devenus rois d'Angleterre. L'ouvrage, la Vita Merlini, daterait de 1132. Le même érudit gallois écrira une Historia regum Britanniæ (qui développe l'histoire de Merlin en fondant ce qui allait devenir l'histoire du roi Arthur, de la Table Ronde, du Saint-Graal, francisée par Robert Wace en 1155, réécrite, par l'inévitable Chrétien de Troyes — lequel ignore et c'est aussi bien — la geste de Merlin qui sera amplifiée par Robert de Boron vers 1200.

 

Vers 1230, Le Lancelot-Graal — l'Estoire Saint Graal, l'Estoire de Merlin, le Lancelot propre, la Queste del Saint Graal, la Mort le Roi Artus — achève la vaste épopée arthurienne, laquelle s'est considérablement enrichie — ou appauvrie ! — des lectures très chrétiennes de scribes anonymes ou pas, moines des scriptoria ou écrivains de cour. Ce dernier ensemble semble assez cohérent et original pour laisser supposer l'existence d'un auteur, ou tout au moins d'un petit atelier unique de scripteurs.

 

Je n'ai pas parlé du Tristan de Béroul, de celui de Thomas, vers 1170/1190, le dernier plus conforme à l'idéologie amoureuse dominante de l'époque, ni du Peerlevaus (Perceval)



Donc, Merlin — ou  en gallois « Myrddin » ou « Myrdhin », en breton « Merzhin », en cornique « Marzhin », en latin Merlinus : un homme, barde, devin ou prophète, sans doute ayant été roi — le casqué d'Excalibur, le film de Boorman me paraît juste —, né d'un homme-fée (un diable, diront les chrétiens) et d'une pucelle, fille de roi et druidesse ou nonne, selon, avec toutes interrogations et interprétations.

 

Donc naît Merlin. Alla de grande Bretagne en petite Bretagne, conseilla, prophétisa, tomba amoureux de Viviane et vit encore— cet an 2009, encore, si,si ! — en lieu ignoré de la forêt de Brocéliande — en pays Gallo, nous disons plus prosaïquement  "forêt de Paimpont". D'où, suivant le conseil de Du Bellay, des récits qui suivront celui de Geoffroy de Bornemouth. Que voici, rédigé par un certain médiéviste, Jacques Boulenger*  :

 

Et, ayant ainsi travaillé, il se rendit en la forêt de Brocéliande auprès de Viviane, sa mie.
Quand elle le vit, elle fit paraître une grande joie, et lui, il l'aimait si durement que pour un peu il serait devenu fou.
— Beau doux ami, lui dit-elle, ne m'enseignerez-vous pas quelques nouveaux jeux, et comment, par exemple, je pourrais faire dormir un homme aussi longtemps que je voudrais sans qu’il s’éveillât ?
Il lui demanda pourquoi elle voulait avoir cette science, et elle ne lui confessa point la raison véritable, mais,hélas! il connaissait bien toute sa pensée.
— Parce que, dit-elle, toutes les fois que vous viendrez, je pourrai endormir mon père Doynas et ma mère: ils me tueraient s'ils s'apercevaient jamais de nos affaires. Et, de la sorte, je vous ferai entrer dans ma chambre.



Bien souvent, durant les sept jours qu'il passa avec elle, la pucelle lui renouvela cette demande. Une fois qu'ils se trouvaient tous deux dans le verger nommé
Repaire de liesse, auprès de la fontaine, elle lui prit la tête en son giron et, quand elle le vit plus amoureux que jamais:
— Au moins, dit-elle, apprenez-moi à endormir une dame.

Il savait bien son arrière-pensée; pourtant il lui enseigna ce qu'elle désirait, car ainsi le voulait Notre Sire. Et beaucoup d'autres choses encore: trois mots, par exemple, qu'elle prit en écrit, et qui avaient cette vertu que nul homme ne la pouvait posséder charnellement lorsqu'elle les portait sur elle; par là se munissait-elle contre Merlin lui-même, car la femme est plus rusée que diable. Et il ne pouvait s'empêcher de lui céder toujours.

Enfin, après une semaine, il la quitta tristement pour aller où il devait être, et ce fut dans la forêt de l'Epinaie aux environs de Logres.

Là, il prit l'apparence d'un vieillard tout croulant d'âge, monté sur un palefroi blanc, vêtu d'une robe noire et coiffé d'une couronne de fleurs, dont la barbe était si longue qu'elle faisait trois fois le tour de sa ceinture et, ainsi fait...
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Rêvant ainsi, Gauvain était entré dans la forêt de Brocéliande. Tout à coup il s'entendit appeler par une voix lointaine et il aperçut devant lui une sorte de vapeur qui, pour aérienne et translucide qu'elle fût, empêchait son cheval de passer. 

— Comment! disait-elle, ne me reconnaissezvous plus? Bien vrai est le proverbe du sage : qui laisse la cour, la cour l'oublie!
— Ha! Merlin, est-ce vous? s'écria messire Gauvain. Je vous supplie de m'apparaître, et que je vous puisse voir.
— Las! Gauvain, reprit la voix, vous ne me verrez plus jamais, et après vous je ne parlerai plus qu'à ma mie. Le monde n'a pas de tour si forte que la prison d'air où elle m'a enserré.
— Quoi! beau doux ami, êtes-vous si bien retenu que vous ne puissiez vous montrer à moi? Vous, le plus sage des hommes!

— Non pas, mais le plus fol, repartit Merlin, car je savais bien ce qui m'adviendrait. Un jour que j'errais avec ma mie par la forêt, je m'endormis au pied d'un buisson d'épines, la tête dans son giron; lors elle se leva bellement et fit un cercle de son voile autour du buisson; et quand je m'éveillai, je me trouvai sur un lit magnifique, dans la plus belle et la plus close chambre qui ait jamais été.
« Ha! dame, lui dis-« je, vous m'avez trompé! Maintenant que deviendrai-je si vous ne restez céans avec moi?
— Beau doux ami, j'y serai souvent et vous me tiendrez dans vos bras, car vous m'aurez désormais prête à votre plaisir. » Et il n'est guère de jour ni de nuit que je n'aie sa compagnie, en effet. Et je suis plus fol que jamais, car je l'aime plus que ma liberté.

 

Mes sources

pour cette note

• Merlin l'enchanteur, Jean Markale, Retz, 1981.

• Les romans de la Table Ronde, tome 1, Jacques Boulenger, préface de Joseph Bédier, UGE, 10/18, 1971

reprise d'une édition Plon, 1941.

• Histoire littéraire de la France, I. Des origines à 1600, sous la direction de Pierre Abraham & Roland Desne,  Les Éditions Sociales, 1971.

à feuilleter l'estoire de Merlin.


 

dimanche, 07 juin 2009

au hasard d'une étagère

Jeudi, belle fête du compagnonnage en Éducation Populaire. Maria, après trente-cinq années de services loyaux, rigoureux, militants même, s'en allait vers sa liberté, quittant un service public qui s'affaisse de plus en plus dans un néant convenant fort bien aux tenants de ce néo-libéralisme qui prétend nous imposer ses régles et dites réformes.

Avec celles et ceux qui sont encore, administratives, conseillers, inspecteurs, dans l'institution, la résistance s'est organisée pour s'opposer, sinon tenter d'endiguer la connerie !

 

Le lendemain, vendredi, Robert Solé, dans Le Monde des Livres publiait un article sur Adonis à propos de la parution d'un livre d'entretiens de ce dernier ; j'ai réouvert Mémoire du vent qui fut mon entrée première dans la langue  et les Chants de Mihyar le Damascène, préfacé par des petits galets de Guillevic. Dans sa conception de l'écriture, il me ramène avec tant d'acuité aux mots qui vont surgir de René Char :

 

Le poète n'écrit pas ce qu'il connait. L'écriture embrasse l'inconnu.

Sinon elle n'est pas l'écriture.


Mais en replaçant les deux bouquins sur l'étagère — ils sont rangés par ordre alphabétique —je me suis aperçu que c'était un Apollinaire, L'enchanteur pourrissant,  qui introduisait les "A" alors que ce devait être Adonis. Une réminiscence remontée d'un lointain passé m'a fait penser qu'il y avait autre chose que la lettre "A" pour accoter mes deux poètes et qu'un mot rapprochait — de ces mots fascinants, et on ne sait trop pourquoi, qui courent tout au long de vos lectures rêveuses —qu'un mot rapprochait donc l'austère du désert et l'effervescent prédécesseur du Surréalisme : c'est Damascène !


Sachant que l'un et l'autre décidèrent d'opter pour des pseudonymes d'origine grecque, — Apollinaire pour Guillaume de Kostrowitzky, Adonis pour Ali Ahmad Esber — il n'y a pourtant qu'un mince voisinage entre le romano-monégasque et le syro-libanais. Si Damascène est noble et masculin chez Adonis, il est féminin et trivial avec délice chez Apollinaire

Damascène donc que je retrouve dans la Chanson du Mal-Aimé,


Et moi j'ai le cœur aussi gros

Qu'un cul de dame damascène

O mon amour je t'aimais trop

Et maintenant j'ai trop de peine

Les sept épées hors du fourreau


J'ai replacé dans l'ordre Adonis, Apollinaire, puis Aragon, Artaud, Audiberti, etc.

Pas tout à fait d'ailleurs, car j'ai gardé sur la table L'enchanteur pourrissant qui est autre façon de lire Merlin et Viviane. Mais, c'est encore une autre histoire ! N'est-ce pas ?

C'est un peu comme les cinq premiers vers de l'Odyssée par cinq, dix ou vingt traducteurs. J'ai, avec Apollinaire, une troisième version de l'Enchantement Merlin. Donc trois notes à venir sur Myrddin enserré dans la bulle d'air par trop belle Viviane.

 

Post-scriptum qui n'a pas grand'chose à voir avec ce qui précède :

60% des citoyens absents aux urnes.

Si ce n'est pas là, la dilution d'un suffrage universel exsangue... ?






 

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vendredi, 15 mai 2009

vous avez dit « Floralies » ?

à F instigatrice sans doute de l'incongruité postcitée

à A vieux copain d'adolescence qui m'accompagnait

 

Après avoir visité pour la première fois de ma vie de né Nantais, un lieu devenu une espèce de mondialisation de l'ikabéna, pratique florale certes honorable mais devenue logique universelle jardinière qui vous fait contempler comme une incongruité une modeste colline du val de Loire et quelques ceps de vigne, égarés sur une "planète" artificielle.

 

Toi dont la jambe traîne un peu comme une brume
D'été et comme si la douleur te tirait
Lentement vers la terre ô compagnon que j'ai
Choisi pour les yeux, enfin voici que s'allume

Toute ma vie et que je vois l’éternité
Pareille à ce pays mouvant où tu t'enfonces
Avec ta jambe un peu trop lasse dans l'été
Sous les sourcils trop bleus de la nuit qui se froncent

Ils marchent près de nous les amis de haut bord,
Grands couturiers de la saison, veneurs des villes
Eteintes, des couchants désolés, vers le port
Au pavillon de clair soleil inaccessible

Entre nous deux celle que j'aime et que tu prends
Pour un pommier sauvage, et toujours aussi belle
La poésie comme une graine dans le vent
Qui s'ouvre et se referme aux battements des ailes

Des maisons sont couchées sur des enfances basses
Pleines de géraniums et de bouquets chanteurs
Au creux de la vallée ce sont des trains qui passent
Et le convoi des solitudes sans chaleur

Mais près d'ici la bonne auberge, la tonnelle
Où volètent les mains fluviales les prénoms
Aimés ; et sur la table ronde qui chancelle
Un verre vide avec des larmes dans le fond.

 

René Guy CADOU

La Haie-Longue : 1 km

 

Le modeste jardinier et vieux matelot pour une quinzaine de jours,  s'en va vers le Sud. Ce n'est pas sûr qu'il y trouve la chaleur. Ce qui, d'ailleurs, n'a aucune importance.

mercredi, 13 mai 2009

une remontée fluviale et Pierre Michon


La flemme d'aller en mer dans les successions des grains !

On remonte la Vilaine de Foleux jusqu'à Redon, en lisant Pierre Michon.

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Et au retour dans le petit "jardin de curé de devant, la soie sensuelle offerte d'une énorme pivoine.
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Et Michon, et ses Onze, dans tout cela.
Relisant mes notes de remontée de Vilaine :
Acagnardé dans ma couchette de navigateur, je lis dans les sinuosités de Michon, dans ses invariables et ses adverbes, dans l'afflux de ses particules conjonctives, — ainsi, mes vieux" Grecs — je m'égare dans ses écarts.
J'ai musardé entre les quarante premières pages, si peu pressé de rencontrer les Onze. Il y a si longtemps que le liseur n'a point été interpellé si poliment « Puisque vous m'en priez, Monsieur...» à la page 17 jusqu'à cette dernère adresse « C'est Lascaux, Monsieur. Les forces. Les puissances. Les Commissaires. » à l'avant-dernier paragraphe de la dernière page.
Merci, monsieur Pierre, de tant d'égards.
Je continuais de lire et le plus grand des petits fleuves était paisible. Les grains point trop menaçants. La musique était de printemps : célébré dans les poèmes de Guardini sur des airs de Luzzasco Luzzaschi et de Claudio Monteverdi.

J'ai enfin rencontré les Onze à la page 43. Mais les effluves d'herbes fraîchement coupées dans les prairies d'amont m'ont troublé quand ceci était lu :

Voyez là-haut à deux pas la robe d'or, et au-dessus de la robe un regard posé sur vous. Et sous la robe d'or, avec plus de fulgurance, voyez le corps nu de la belle dame. Vous sentez dans vos braies l'émotion immédiate, la divine, l'intense, la seule ?
Imaginez ceci encore : quoique limousin vous avez vingt ans et la beauté d'un dieu, et dans les bras la vigueur qui vous a permis de respirer jour après jour dans des nuées de moustiques la carpe mûre et n'en pas mourir, comme sont morts la moitié de vos congénères, tombés d'une échelle, étouffés dans la boue, secoués par les fièvres, pas plus que vous n'êtes mort petit, à trois ans dans le puits, à huit ans sous la charrette, à quinze d'un couteau, comme sont morts vos dix frères et sœurs.
Sentez votre vigueur, votre beauté, votre chance d'une certaine façon.
Car ceci se passe : la belle dame privée d'homme longtemps vous regarde avec, dans le regard, l'aveu qu'elle a dans ses jupes l'émotion que vous avez dans vos braies. Mais soudain elle regarde ailleurs et ne vous regardera plus, parce que la loi est de fer et que le Père universel veille, et parce que Dieu est un chien.

Comme un rêve de toison odorante de fenaison à venir, quand fleuriront les châtaigniers au long des rives !

Cette note sera trop longue, mes Dames, mais Michon m'a presque réconcilié avec une profession — un métier, plutôt, non ? —

Il était, François Corentin, du nombre de ces écrivains qui commençaient à dire, et sûrement à penser, que l'écrivain servait à quelque chose, qu'il n'était pas ce que jusque-là on avait cru ; qu'il n'était pas cette exquise superfluité à l'usage des Grands, cette frivolité sonnante, galante, épique, à sortir de la manche d'un roi et à produire devant des jeunes filles plus ou moins vêtues dans Saint-Cyr ou dans le Parc-aux-Cerfs ; pas un castrat ni un jongleur; pas un bel objet plein d'éclat enchâssé dans la couronne des princes ; pas une maquerelle, pas un chambellan du verbe, pas un commis aux jouissances ; rien de tout cela mais un esprit - un fort conglomérat de sensibilité et de raison à jeter dans la pâte humaine universelle pour la faire lever, un multiplicateur de l'homme, -une puissance d'accroissement de l'homme comme les cornues le sont de l'or et les alambics du vin, une puissante machine à augmenter le bonheur des hommes. On appelle ce coup de pouce les écrivains des Lumières, vous l'avez dit. Monsieur. Et réellement ils étaient du côté de la lumière, même et surtout s'ils avaient la pénible certitude d'être une taupe sortant le nez d'une cour de cave : car quels que soient l'illusion ou l'imposture fondatrice, le truquage pour mettre Dieu dans le nid que lui préparaient leurs pages, l'appétit limousin qui les tenait debout, ils furent le sel de la terre à leur façon. À leur façon ils furent ce levain qu'ils voulaient être: parce que l'appétit limousin, ils avaient réussi à le transmuer au fond d'eux-mêmes, comme magiquement, mais très véridiquement, en générosité.

Vous l'avez dit, Monsieur Michon. Et bien dit.
Comme sont si bien écrits :

" Géricault l'a peint quand il avait la mort sur l'épaule. "

"Aussi soyons bas un instant : parlons politique."

"...tremblant de vin, de joie et de terreur..."

terrible phrase répétée en deux pages pour le plumet de Carrier à Nantes sur les rives de Loire et pour le plumet de Collot d'Herbois dans la plaine des Brotteaux à Lyon.

Mais ce Michon, est-ce un conteur ? Ou un peintre ?
Ne serait-il point ce Corentin, peintre sollicité pour ce tableau des Onze qui confond la grande table de chêne autour de laquelle se négocia l'œuvre des Onze en l'église Saint-Nicolas et la grande table de chêne et la lanterne de corne sur la table qui est celle de la cène où officient figés, les Onze. Je crois entendre toujours les chevaux dans leurs stalles de souffre, d'or et des basalte, pourtant je n'entends plus les cloches.
Est-ce Corentin de la Marche qui n'exista point ? Est-ce Jules Michelet qui certainement exista ? N'est-ce pas Pierre Michon qui existe sûrement ?

L'autre soir à la brune, rue de la Fosse, j'ai entrevu un homme qui s'éloignait vers la Loire, un homme au manteau couleur de fumée d'enfer.
Je vous l'écrit ainsi, Mes Dames, Messieurs et Pierre Michon grommellerait que Dieu est un chien.








mardi, 12 mai 2009

je veille sur un nid de mésanges

 

Car les chats, et ils sont plus nombreux dans le voisinage, sont à l'affût.

La mésange qui annonça à René Char la mort de Pablo Picasso.

 

À sept reprises ce 8 avril, une toute bête mésange solliciteuse a heurté du bec le carreau de la fenêtre, me faisant filer de l'attention matinale à l'alerte de midi. Une nouvelle tantôt ? À quatre heures, je l'appris. Le terrible œil avait cessé d'être solaire pour se rapprocher plus encore de nous.


Picasso sous les vents étésiens,

in Fenêtres dormantes et porte sur le toit.

 

Je ne dis pas que la mésange est un oiseau du malheur.

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vendredi, 01 mai 2009

un premier mai, du muguet et pourquoi pas Lorca

J'étais bien décidé à rejoindre, ce matin, les cortèges de manifestants. Tout en ignorant sous quelle bannière — souvent entre deux bannières ! — j'allais défiler. Et puis ma bonne vieille fainéantise des 1er Mais de naguère m'a fait me lever pour cueillir du muguet — il a plus de cinquante ans et il me fut donné par la mère Guérin, ma si gentille voisine qui s'en est allée.
Et puis donc, je me suis recouché, ayant toujours pensé qu'il me fallait pratiquer la paresse pour fêter le Travail.

Mais j'ai eu l'heur d'aller visiter le blogue de celui que je nomme discrètement "mon infréquentable" — désormais, la discrétion n'est plus de mise — et j'y ai lu une fort belle charge sur les lecteurs ; mais allusion était faite d'un désaccord qu'il aurait eu avec un autre blogueur à propos de Lorca.

Et me voilà, repartant sous la couette avec mon tome II des Poésies de Lorca, moi qui pensais attaquer la page 16 des Onze de Pierre Michon.

J'y ai lu — relu à voix basse  — le Divan du Tamarit, songeant mélancolique


Te voir nue, c'est se rappeler la Terre,
la Terre lisse et vierge de chevaux,
la Terre sans aucun jonc, forme pure,
fermée à l'avenir : confins d'argent.

Te voir nue, c'est comprendre l'anxiété
de la pluie cherchant la fragile tige,
la fièvre de la mer au visage immense
sans trouver l'éclat de sa joue.

Le sang sonnera à travers les lits
et viendra tenant son fer fulgurant,
mais toi tu ne sauras pas où se cachent
le cœur de crapaud ou la violette.

Ton ventre est une lutte de racines,
tes lèvres sont une aube sans contour.
Sous les roses tièdes de ton lit
gémissent les morts, attendant leur tour.


Casida de la Femme couchée

Le Divan du Tamarit


Je suis un indéracinable adepte du "nostos" grec. Manière de me confronter à l'aporie "célébrer le travail sous la couette".

Le "petit Nicolas", ses gouvernants, ses banquiers et la grippe porcine sont à la fois trop proches et si lointains !

Revenons aux Casidas de Federico et laissons avec sympathie les Travailleurs défiler.


À quelques dames donc et à Constantin C.

lundi, 27 avril 2009

"coma", page au hasard

« Je ne suis bien que lorsque je ne suis que ce qui est nécessaire pour être l'autre. »

Pierre Guyotat
Coma, 2006.


En écoutant Patrice Chéreau sur France Cul.
Celui-ci lira Coma, mercredi à venir, sur la même antenne.

dimanche, 26 avril 2009

butinantes algériennes

Il faut éviter les énumérations d'écrivains quand l'un d'eux vous entraîne dans l'évocation d'un pan de littérature qui s'est dispersé au fil des ans sur les rayons selon l'ordre "logique" qui présidait alors à aux passions et intérêts plus ou moins marqués du lecteur.
Ainsi, la rencontre de Boualem Sansal — nous nous nous sommes quittés dans une si chaleureuse accolade, il m'a même laissé son adresse de courriel — me fait parcourir mes horizons algériens ; je ne sais plus où retrouver Feraoun, et le cherchant, je tombe sur le mince dos de dérisions et Vertige de Sénac

Jean Grosjean Dominique Aury me sortent des textes de
James Sacré.

Dans la grisaille un poète ose péter. Comme un saint
tibétain* rote dans le poème.

Mais sa ruche — depuis Char — rien aimé de plus
vaste — fabuleuse contrée d'une syllabe à l'autre !

Abeille du néant — mais pour quel miel aussi ! —
Denis Roche.

* Le "fou" de Dug en particulier, pour qui le mot "chie" est sacré.


Jean Sénac
Miel(c)
dérison et Vertiges
, Actes Sud, 1983

Encore toujours à la recherche de Feraoun, une identique couverture marron clair, mais elle est de Maspéro, c'est un autre grand secoueur de la langue française, Nabile Farès.

: IV
les arrestations furent nombreuses. Tout comme avant 1962, les gens disparaissaient, après une convocation, pendant trois quatre mois, pour ressurgir ensuite, de l'autre côté de la grande ville, au pays sud.

Et les gens se taisaient, car personne n'y comprenait plus rien, sauf ceux qui, une nouvelle fois, prenaient le chemin des émigrés.

J'eus si peur, là, au fond du rire et du désarroi.
J'eus si peur que mon âme et ma force, ce courage
d'être que l'on nomme vivre, se sont affaissées.

J'eus si peur.

Terrible lieu de notre dire : je vis contre la misère
du dire, ou sa haine, ou sa blessure. Certains disent
que le sage préfère taire la parole du jour.

Le sage ? ou, le traître : ou le jaloux, celui qui garde pour lui le silence du jour.

C'est pourquoi, j'ai enfoui le carnet. Celui écrit
en français, par l'enfant mort, de la balle au front.

Mon âme est devenue vieille, d'un coup, comme
une feuille accrochée aux branches du figuier.

Les nervures de la parole, sous les racines de
l'amandier.

Le feu brûle encore aujourd'hui, malgré les pensées incrédules.

L'incantation demeure, car le pays a soif, soif.
C'est pourquoi j'ai enfoui le carnet, et ouvert mon amour vers ceux qui accompagnent la parole d’exil et du malheur.


Nabile Farès,
L'exil et le désarroi

Voix, François Maspéro, 1976.

Nabile Farès pressent, dans des prémisses qui ne laissaient aucun doute, la catastrophe intérieure que que va dénoncer, démonter, Boualem Sansal.

J'aurais bien aimé donner à lire le chapitre VII — trop long pour une lecture de blogue — de Mémoire de l'Absent, quand le Récitant se lève pour dire le vrai sur la KAHÉNA :

Telle est la place du Récitant.

La Kahéna est insaisissable ; et la parole doit mordre
le silence pour découvrir le Récitant. Celui dont le pouvoir
ne se limite pas à ce monde. Mais qui déploie.
Mais qui brasse. Mais qui anime. Mais qui ouvre tue
manœuvre produit invente jette les paroles du monde.

C'est ainsi.

Le Récitant n'est tenu d'aucune restriction en sa
parole ; car il est le Récitant.

Œuvre. Louanges. Ou Délires.

Tel est l'espace du Récitant. Qui confond la prudence.
Le siècle. Le faux discours. Celui qui ménage les portes
gauches du désir. Le tremblement des lèvres.
Ou la course neuve du dire.

Celui qui œuvre contre les disparitions de ce monde.
Qui lève la parole Mère dans le chaud d'être ou de mort.
Qui intensifie le regard et noue les fibres des lointains
temps.

Ici le jour doit toucher l'ombre comme une herbe
par temps de vivre
dire ?



Nabile Farès,
Mémoire de l'Absent, livre II

Seuil, 1974

vendredi, 24 avril 2009

Boualem Sansal ou l'écriture du courage

J'ai rencontré Boualem Sansal, hier au soir, au Lieu Unique, dans le cadre des EuroMéditerranéennes.
Je n'ai pu empêcher l'émotion de me nouer la gorge et les larmes d'inonder les yeux. Ses écrits depuis 1999 percent les pénombres sanglantes et le borné du fanatisme. L'espoir épuisé reprend racines en entendant cet homme qui avoue modestement, paisiblement que la violence qui le menace chaque jour est « encore gérable ».
Cinquante ans après Kateb Yacine, il se lève pour affirmer le passé, le présent et le futur du Berbère, homme aux carrefours des cultures, des races, des envahisseurs, des occupants, des métissages, en ce pays appelé jadis Numidie et qui est le Maghreb.
Sur l'autre rive, soyons heureux d'avoir de tels manieurs de langue française : Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Nabile Farès, Rachid Mimouni. Et je n'oublie point les aïeux : Feraoun, Dib, Mammeri, Sénac.

Il y a longtemps, trop longtemps on va dire, que nous ne nous sommes pas parlé. Comment mesurer le temps écoulé si personne ne bouge, si rien ne vient, si rien ne va ? Constater l'arrêt est un progrès, cela implique cette chose banale et fantastique que quelque part, quelqu'un, un jour, vous, moi, un autre, a dû s'entendre dire : « Dieu, où en sommes-nous après tant d'années livrées au silence ? » ou simplement : « Que se passe-t-il en ces lieux ? » Terribles questions. Des hommes sont morts sans savoir, et d'innombrables enfants arrachés à la vie avant d'apprendre à marcher, et des villes entières, qui furent belles et enivrantes, ont été atrocement défigurées. Le nom même de notre pays, Algérie, est devenu, par le fait de notre silence, synonyme de terreur et de dérision et nos enfants le fuient comme on quitte un bateau en détresse. Et combien de touristes l'évitent à toutes jambes ! La beauté de nos paysages et notre hospitalité légendaire ne font pas le poids devant les mises en garde des chancelleries et les alarmes insoutenables des médias et des ONG.

Nous voilà seuls, à tourner en rond, ressassant d'antiques lamentations.

Mais peut-être aussi avons-nous cessé de nous parler parce que personne n'écoutait l'autre. La rumeur galopante, l'ivresse du vide, le bourdonnement lancinant de nos rues, l'imposante étroitesse de nos grands esprits, les flonflons, les prêches, les harangues, les crises, les terrorismes, les détournements et les famines qui ont décimé plus que l'économie ne l'autorisait, les pénuries qui ont occupé nos vies si courtes, les corvées d'eau, les deuils, les queues devant les juges, le regard hypnotisant des surveillants ont leur part d'explication dans notre aphonie, c'est vrai. Combien excusables sommes-nous de ne pas savoir parler et courir à la fois ! Pense-t-on à tirer des plans sur la comète lorsqu'on est assailli par le malheur au quotidien et que la grande affaire, la véritable urgence, la ruse de chaque instant,consiste à échapper à la mort, à tromper le bourreau, à se garder des catastrophes, à contourner les plantons, à gagner du temps tout simplement.
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Une autre fois, nous parlerons des héros qui ont conduit notre résistance séculaire contre les envahisseurs : les rois Juba et Jugurtha tués par les Romains, la reine Kahena tuée par les Arabes, l'émir Abd el Kader chassé par les Français, mort en exil, Ben M'Hidi exécuté par le général français Aussaresses, Abane Ramdane, le chef de la révolution algérienne, assassiné par les patrons du FLN, etc


Poste restante : Alger
Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes.


Je n'ai lu que Le serment des Barbares, Harraga et son Petit éloge de la mémoire.
Il est publié en Folio, il habite Boumerdès, l'ancien Rocher-Noir, refuge de l'administration gaulliste dans les dernières années de l'Algérie "française", puis du Gouvernement provisoire entre mars et juin 1962. Les derniers livres de Boualem Sansal sont interdits, ils circulent sous le manteau.
A-t-on encore besoin du bon vieux samizdat des années soviétiques pour répandre son œuvre ?
La Toile ? Elle peut servir ! Non ?
Nous allons en parler ce soir. Avec lui.