Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 31 décembre 2016

Achevant l'an 2016 et inaugurant son suivant



Lisant un Lucien Jerphagnon posthume
"qui riait avec les dieux"
et s'interrogeait sur ce que le penser,
dans ses plus hautes intuitions, ne nous fera qu'entrevoir
il citait  Henri Bergson
que déjà Vladimir Jankélévitch
citait dans la dernière page de son tonique et revigorant penser sur "La Mort"



« Je ne sais pas, mais je devine parfois que je vais avoir su »



à toutes et tous
dans les parages de mes amitiés et au-delà


* Lucien Jerphagnon, L'homme qui riait avec les dieux, éditions Albin Michel, 2013.
* Vladimir Jankélévitch, La Mort, Champs Flammarion, 1977.

lundi, 17 octobre 2016

Quand à Bashô, s'ajoutent les Fleurs du Mal et la Diane Française

Dernière fin de semaine en cure.

À l'aube, entre deux trouées nuageuses, Castor et Pollux, les Gémeaux au zénith de la clairière.

Hier, Chez mes Très Douces, à Saint-Pierre de Buzet, brocante et vide-grenier.
Déniché une édition des Fleurs du mal de 1935 pour 50 centimes. Préface signée d'un JC anonyme qui parle ainsi de Jeanne Duval, "cette" négresse qu'il enleva..." ;  ce"cette" : un soupçon de mépris, non ? L'Expo Coloniale de 31 est encore proche.

 Plus loin dans une caisse, La Diane Française d' Aragon, parue en juin 1945, chez Seghers dont "la présente édition constitue le premier tirage de l'édition courante" pour 1 euro.
Acquisition d'autant plus précieuse qu'il y a le merveilleux "Il n'y a pas d'amour heureux" que Brassens mettra en musique dans les années 50, et que, dix ans plus tard, dans la brinquebale d'un GMC, toute nuit, je chantonnais lors de ma première opération-commando de jeune " sous-bite" appelé, dans l'ouest du Zaccar au printemps 61. Pour qui ?

Au petit matin de ce jour-là, après plus d'une minute de marche dans une tenace puanteur, j'allais enjamber sur un sentier escarpé mon premier cadavre. Victime d'un accrochage précédent ou d'une épuration ?

Je n'avais pas de parti pour me redonner les vraies couleurs de France* et la juste violence m'était pour un temps encore inconnue. 

     

 * Du poète à son parti, in La Diane de France, p. 87.

samedi, 10 septembre 2016

Cendrars sur le Volturno

 

Quelle idée de s'embarquer un matin de septembre sur un joli petit "Fifty" de 30 pieds, baptisé VOLTURNO, pour le convoyer de Belle-Île en Vilaine quand on sait qu'un navire du même nom prit feu en pleine tempête en 1913 ? Mais ça, c'est une autre histoire... Et une histoire à la Cendrars !
Serais-je monté à bord, si j'avais su ce naufrage ? Les voileux ont réputation d'être superstitieux, : le louis d'or  sous le pied de mât... le cousin du lièvre ou l'animal aux grandes oreilles... le refus des poulies-coupées (!) à bord...
D'un air amusé, un compagnon de convoyage me fit remarquer que le nom "Volturno" avait un rapport avec l'écrivain Cendrars. Je fus légèrement dépité de cette ignorance.

Volturno001.jpg

Oui, une histoire à la Cendrars, dans la vie même de Cendrars .


Il se nomme alors Frédéric Sauser. Le 11 décembre 1911, il débarque du Birma à Ellis Island, petite île près de New-York où sont parqués, triés, contrôlés, chaque jour, les milliers de migrants fascinés déjà par le "rêve américain". Il vient à l'invite d'une femme qui l'aime.

Nous arrivons par un beau clair de lune splendidement étoilé. Voici le premier phare...J'attends le point du jour, l'aube de ma vie... C'est une nouvelle naissance ! Je vois des feux briller, comme à travers l'épaisseur de la chair... Je me souviens, je me souviens des splendeurs apparues... Vais-je crier, ainsi qu'un nouveau-né ?

Ils vivront six mois d'amour et de misère. Il réembarquera pour l'Europe, seul, le 6 juin 1912*, sur le bateau des refoulés du Nouveau Monde, le VOLTURNO.

Je reviens d'Amérique à bord du Volturno, pour 35 francs de New-York à Rotterdam

écrit-il dans un poème ultérieur, « Le Panama ou les aventures de mes sept oncles ».

Il se nomme désormais Blaise Cendrars et le jour de Pâques, dans la solitude et la fièvre, il a écrit un texte qui va ébranler et la langue et la poésie françaises du siècle naissant.

« Je me suis réveillé en sursaut. Je me suis mis à écrire, à écrire. Je me suis rendormi. Je me suis réveillé une
deuxième fois en sursaut. J'ai écrit jusqu'au petit jour et je me suis recouché pour de bon. Je me suis réveillé à cinq heures du soir. J'ai relu la chose. J'avais pondu les Pâques à New York

Seigneur,  c'est  aujourd'hui le  jour  de votre Nom,
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion,

Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans le livre, doucement monotones.

Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d'or

Dans un missel, posé sur ses genoux.
Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.

A l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.

Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.

A vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c'était son amour

Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère.


Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet

Attend derrière la porte, attend que je l'appelle!
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, — c'est l'Éternel.

.................................................................................
.................................................................................

Seigneur, l'aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

Déjà un bruit immense retentit sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et dénient.

Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.

Une foule enfiévrée par les sueurs de l'or
Se bouscule et s'engouffre dans de longs corridors.

Trouble, dans le fouillis empanaché des toits,
Le soleil, c'est votre Face souillée par les crachats.


Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne..
Ma chambre est nue comme un tombeau...

Seigneur, je suis tout seul et j'ai la fièvre...
Mon lit est froid comme un cercueil...

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents...
Je suis trop seul. J'ai froid. Je vous appelle...

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux...
Non, cent mille femmes... Non, cent mille violoncelles.

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses...
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées...

Je ne pense plus à Vous. Je ne pense plus à Vous.



Le VOLTURNO, sans doute à la mi-juillet 2012, touchera le port de Rotterdam. En débarque un Blaise Cendrars bien décidé à devenir écrivain et à "bourlinguer" : « On bourlingue sur les livres comme sur la mer ». Les paquebots seront pour lui des bibliothèques flottantes.


En octobre 1913, au milieu de l'Atlantique, en pleine tempête, un violent incendie qui ne pourra être maîtrisé se déclare à bord du VOLTURNO : une importante explosion secoue la soute à charbon et la salle des machines. Le paquebot coule ; il y aura 136 disparus sur plus de 650 passagers et membres d'équipage.

lillustration3.jpg

 

DONC, ayant eu connaissance de tout ce qui précède et ayant été un lecteur plus attentif de l'ami Blaise, aurais-je,  ce samedi dernier 2 septembre 2016, accepter de  monter à bord du petit "fifty" Volturno pour le convoyer en Vilaine ?
PAS SI SÛR !

Ce qui est certain, c'est que le seul nom de "Volturno" m'a fait replonger dans la belle bibliothèque flottante de Cendras, de Bourlinguer jusqu'Au cœur du Monde !

 

 

* Le 21 mai 1912, écrit sa fille Myriam Cendrars dans la très forte biographie qu'elle a consacrée à son père en 1984 (chez Balland, publiée par la suite en "Points Biographie" au Seuil, 1985).

lundi, 18 juillet 2016

un fatras de livres peut-il faire une fatrasie de titres ?

Depuis plus d'un mois, s'accumulent sur la table des bouquins lus, relus, à relire, à lire.

La fatrasie commencerait par :

Je suis un crabe ponctuel
et s'achèverait par
Mourir de penser

Que faire de

l'Histoire de la littérature grecque
Le Savoir Grec ?

sinon de rappeler
L'avenir des Anciens en osant lire les Grecs et les Latins

ce qui m'amènerait à
La Théogonie et la naissance des dieux

et de sauter quelques siècles en plongeant en
Montaigne dans la Splendeur de la liberté
évitant ainsi l'échouage dans un
Adieu à Montaigne
quand me sauverait
De Montaigne à Montaigne

Ont surgi pour quelques jours
Antonin ARTAUD
L'ombilic des limbes
Suppôts et Suppliciations
et de là, suis entré
Dans la maison du Sphinx

combien mal aisé d'éviter des titres tels que
Carnet de route, écrits littéraires
Modernes catacombes
L'amitié de Roland BARTHES
Un ARAGON  hénaurme
et tout autant
le Dictionnaire René CHAR

Entrer dans
BASHO Seigneur ermite, l'intégrale des Haïkus
Anthologie personnelle
et
Nouvelles orientales
Cornélius CASTORIADIS ou l'autonomie radicale

Et mettre de côté pour la fin de l'été
La Poésie et le Peuple : Cadou, un cas exemplaire

ma table est bien dans
Des mots et des mondes
(Dictionnaires, encyclopédies, grammaires, nomenclatures)

Retour à son fatras, la fatrasie ne s'est point écrite et les noms d'auteurs ne seront donc qu'énumération, la seule rigueur d'icelle étant dans l'ordre des titres de livres  — n'arrive point à gommer ce soupçon d'érudition, mais promis juré, ils se tiennent tous, celles et ceux qui suivent ici :

Jacques Roubaud, Pascal Quignard, Suzanne Saïd et autres, Jacques Brunschwig et autres, Pierre Judet de La Combe, Hésiode, Christophe Bardyn, Jean-Michel De la Comptée, Claude Lévi-Strauss, Georges Charbonnier, Antonin Artaud (2), Denis Roche, Régis Debray (2), Philippe Sollers, Phillipe Forest, Danièle Leclair et..., Makoto Kemmoku et..., Jorge Luis Borges, Marguerite Yourcenar, Serge Latouche, Christian Moncelet et Henri Meschonnic.

 

Post-scriptum : j'allais oublier
DU BELLAY,
Les Regrets, Les Antiquités de Rome, Le Songe
,
de Joachim Du Bellay.

Post-scriptum 2 : en ces temps misérables de "présidentialisme", de 49-3, d'état d'urgence, de fous de dieu qui massacrent et s'assassinent, lire tous celles-et ceux cités, et surtout, Castoriadis et sa Montée de l'insignifiance, non mentionnée, parce que trop tôt rangée sur l'étagère.

À quand notre autonomie individuelle et sociale ? A quand ? Mais à quand ?

 

 

mardi, 03 novembre 2015

une si grossière erreur

Elle a duré plus de soixante-cinq ans.
Depuis les premiers émois amoureux et les premières lectures de Joachim.
Après le petit Lyré et la douceur angevine, entre les Ceux qui sont amoureux et les Messer non ou bien les Messer si, entre un conclave enserré et dix cardinaux en vente, il y avait ceci, tout ceci :

 

Ô beaux cheveux d’argent mignonnement retors !
Ô front crêpe et serein ! et vous, face dorée !
Ô beaux yeux de cristal ! Ô grand’bouche honorée,
Qui d’un large repli retrousses tes deux bords !

Ô belles dents d’ébène ! Ô précieux trésors,
Qui faites d’un seul ris toute âme enamourée !
Ô gorge damasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, dignes d’un si beau corps !

Ô beaux ongles dorés ! ô main courte et grassette !
Ô cuisse délicate ! et vous, jambe grossette,
Et ce que je ne puis honnêtement nommer !

Ô beau corps transparent ! ô beaux membres de glace !
Ô divines beautés ! pardonnez-moi, de grâce,
Si, pour être mortel, je ne vous ose aimer. 

 

Tout ceci : qui rassemblait ce qui était visible et ce qui était invisible, connu et inconnu, su et seulement deviné et, ce qui ne pouvait être honnêtement nommé... L'enrobage litanique, ces Ô et ces ! à chaque vers, sinon même à chaque hémistiche, aggravait l'émotion. Aucune laideur n'était envisageable.

Le "prof" pouvait bien parler de pétrarquisme, de préciosité, demeurait le mystère de la gorge damasquine, des grands beaux tétins — Ô ces tétins ! — de la délicate cuisse ; sur la chose innomée, étaient posés des mots lus ailleurs, dans la clandestinité des poèmes non autorisés ou dans la banalité triviale du dictionnaire de langue française : le mont de Vénus, le sadinet, la vulve.

Quand la plus Belle et Première dévoila ses secrets, le poème, n'étant que littérature, fut mis de côté.
Plus tard repris et relu, il prit rang dans la poésie érotique de qualité. Le Pétrarquisme masquait toujours les "laideurs" (!) que ce diable de Joachim, dans son mépris pour toutes les pompes romaines et vaticanes, avait subrepticement glissées.

Me souviens que seules m'avaient longtemps interloqué les belles dents d'ébène.

 

* Le sonnet est le 91e (XCI) des Regrets.

vendredi, 08 mai 2015

cette seule phrase pour cent Charlie Hebdos.

Je ne sais si  cette phrase sera citée par les commissaires — quel titre paradoxal ! — dans l'exposition de la Bibliothèque Nationale de France sur les Écritures de Roland Barthes.
Zazie n'aurait pas mieux écrit, sans doute l'aurait-elle dit plus crûment.

 

Le texte est (devrait être) cette personne désinvolte qui montre son derrière au Père Politique.

Le plaisir du texte, page 84.

dimanche, 19 avril 2015

un Homme des livres : François Maspéro II

« Chaque ménagère doit apprendre à diriger l'État »

Lénine

C'est l'exergue que place Fadéla M'rabet en tête de son dernier chapitre la femme algérienne. C'est mon deuxième bouquin de "chez Maspéro".


Avril 1965. Le ciel s'obscurcit déjà. Les résolutions du Congrès de Tripoli (juin 1962) sur l'avenir des femmes algériennes demeurent dans l'ombre.L'auteure journaliste et animatrice d'un magazine féminin à Radio Alger Maspéro 2 - copie.jpgs'appuie sur les témoignages qu'elle recueille, dresse un tableau de la situation des femmes en 1965, affirme leurs souhaits, décrit les perspectives qu'il faudrait, enfin, envisager.
Sans complaisance, sans acrimonie, avec lucidité :« L'Algérienne est à inventer. »
Rabéa s'en est allée par delà les horizons de la Terre. Nous avions quitté le climat trop dur de Biskra pour la douceur marine d'Annaba. Je suis atrocement seul dans mes nuits algériennes.

Mais les jours sont habités par la douceur et l'amitié tendre de quelques-unes. Avec Zohra, Mériem, Nadja, nous relançons la bibliothèque de l'ancienne Maison des Jeunes et de la Culture saccagée en 61 par l'OAS ; c'était la seule d'Annaba avant l'implantation du Centre culturel français. À l'aide du Cours élémentaire de formation professionnelle édité par l'Association des Bibliothécaires Français, nous nous autoformons.

C'est le compagnonnage de ces jeunes femmes qui va enrichir l'inclination féministe que les longues et amoureuses confrontations nocturnes avaient fait sourdre dans la touffeur des nuits éburnéennes, puis dans la séche aridité des Aurès.

Le Harem et les cousins doit être en cours d'écriture et le Deuxième Sexe encore d'une lecture inconcevable.

Le 13 mai 1968 — quelle date et quelle année ! — l'Algérie est quittée et dans le tohu bohu fécond des années post-soixante-huitardes,  Maspéro va beaucoup éditer.
En 1970, paraît le numéro 54-55 de PARTISANS, Libération des Femmes annnée zéro. Extrait de feminisme001.jpgl'introduction à la première édition :

Nous avons pris conscience qu'à l'exemple de tous les groupes opprimés, c'était à nous de prendre en charge notre propre libération. En effet, si désintéressés soient-ils, les hommes ne sont pas directement concernés et retirent objectivement des avantages de leur situation d'oppresseurs. Seule l'opprimée peut analyser et théoriser son oppression et par conséquent choisir les moyens de la lutte.

La lecure de ce gant de crin est rude.
Mais s'affirme un ancrage — est-il achevé, quarante-cinq ans plus tard ? — dans certains comportements féminisés.
Le lecteur est déjà engagé aux côtés des Femmes, dans le Planning Familial où militent — quels que soient les avantages de leur situation d'oppresseurs (!) — un nombre certain de "mecs".

 

Deuxième merci à l'Éditeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

jeudi, 16 avril 2015

un Homme des livres : François Maspéro I

 Je ne sais si l'autobiographie du lecteur qui n'est qu'une liasse d'une quinzaine de feuillets sera un jour un écrit ; ces notes du blogue jetées en vrac sur la Toile sont sans doute les traces toujours vives de cette nécessité du lire. 

La mort de François Maspéro provoque un retour sur cette charnière de vie qui est la libération des obligations militaires - et quelles obligations : trente mois de guerre - et le retour au métier sur les lieux mêmes de cette guerre, l'Algérie.

Ce seront avant le cessez-le-feu du 19 mars 62, La Révolution Algérienne par les textes d'André Mandouze, Maspéro 1 - copie.jpgemprunté dans la bibliothèque de Jobic ou de Christian, et puis passé l'enthousiasme de l'indépendance, quasi à sa parution, en novembre, le 7 exactement, acheté à cette si précieuse petite librairie de la place Ben M'hidi,  anciennement place Béchut, Les damnés de la Terre de Frantz Fanon. La lecture de Fanon achèvera le grand lessivage inauguré dans les entretiens parfois vifs avec mes deux amis et la relation amoureuse avec Rabéa. Je découvrais alors la pensée politique des Français dits “libéraux” qui  accompagnaient la lutte de libération. Se soulevait tout un univers inconnu de pensées, de points de vue, d’actes, se découvrait toute ma méconnaissance du mouvement de libération algérien. Je m’étonnais, m’irritais, défendais la victoire militaire française ; la rencontre dans le maquis des Aurès avait poursuivi le rinçage et l'essorage. L'enthousiasme de l'indépendance ouvrait l'horizon et, de Fanon, je prenais ma première leçon politique :

Nous ne voulons rattraper personne. Mais nous voulons marcher tout le temps, la nuit et le jour, en compagnie de l'homme, de tous les hommes... Il s'agit pour le Tiers-Monde de recommencer une histoire de l'homme...

J'y étais. Il aura fallu sept ans au jeune occidental qui, en octobre 55, s'en allait en rêvant enseigner les "petits noirs", pour accéder à ce nouveau monde. Curieusement, ce n'était pas la préface de Sartre — elle me laissait dubitatif — ce furent  les quelques citations des poètes que je fréquentais depuis la fin de mon adolescence qui m'ancraient dans la pensée nouvelle : René Depestre, Aimé Césaire et... René Char. La lecture littéraire  comme soubassement de la lecture politique et de l'action à engager.

 Le poème émerge d'une imposition subjective et d'un choix objectif.
Le poème est une assemblée en mouvement de valeurs originales déterminantes en relations contemporaines avec quelqu'un que cette circonstance fait premier.

René Char
Partage formel

Premier merci à l'Éditeur.

 

 

 

 

 

lundi, 23 février 2015

Inutile de chercher l'intrus

Pour le périple aux rives de Garonne, j'avais glissé dans ma besace de lecture deux "poches : d'Assia Djebar, L'Amour, la fantasia, pour une relecturede Pascal  Quignard, Les désarçonnés, pour la continuité plutôt ardue d'une lecture entamée au printemps 2014.
En ex-libris sur la page de garde où je note depuis plus de soixante ans le lieu et la date d'achat, j'avais ajouté après lecture du chapitre I, "Irai-je jusqu'au terme de ce dernier royaume ?" J'y suis encore... tanguant entre répulsion pour les moments de cruauté sur l'avant de ma barque et fascination toujours étonnée pour l'érudition gréco-latine sur ma poupe.

Voila que Le Monde des Livres m'a titillé avec La naissance de la philosophie par un italien qui m'était inconnu, Giorgio Colli. Abruptement, ce qu'il décrit et argumente est ceci : quand naît la philosophie "écrite" avec un certain Platon, s'efface l'oralité de la sagesse - oser écrire la sagesse oraculaire ? - des Héraclite, Empédocle et autre Parménide.

image.jpg

Et puis voici, comme un retour à l'envoyeur, que Noémie ouvre la curiosité de son aïeul, lui confiant son plaisir de lire l'Eldorado de Laurent Gaudé. Les réticences de l'aïeul à propos des romanciers d'aujourd'hui s'atténuent.
Faut-il encore faire le bon choix ? dans les invites de la table du libraire agenais s'affirmera sans hésitation Pour seul cortège parce que c'est la mort d'Alexandre, l'empire qui se fissure, les reines éventrées, le retour incertain du cadavre vers la mer Égée, la cohorte des pleureuses et parmi elles, Dryptéis, celle qui fut l'amante de Héphaistion et sans doute d'Alexandre. Courent tout au long des pages les noms des lieutenants d'Alexandre : Ptolémée, Lysimaque, Kleistos, Antigone, Léonnatos, Néarque, le nom des reines et des filles de roi, Sisygambis, Roxane, Stateira.

Du fond de son corps monte un nouveau spasme, plus terrible que les précédents. Ses muscles se figent. Il ne peut plus respirer. Il sent la douleur rayonner dans chaque nerf. Il est en feu. Il se renverse en arrière, le dos cabré, le visage blême et il cède. Il est temps de mourir.

Les pleureuses s'avancent lentement dans leur robe de deuil et Dryptéis maintiendra le souffle de l'empire.

Le retour aux lectures d'enfance se fit, hier, lors d'une foire aux Livres à Buzet-sur-Baïse. De tout : La semaine de Suzette, Bécassine, Dubout, les Talliandier avec les Delly et les Max du Vieuzit, jusqu'à la Bibliothèque Rose Illustrée : Le général Dourakine m'a été cédé pour 5 euros.
De suite j'ai vérifié. Je n'avais rien oublié de la fessée subie par Madame Papofski

samedi, 03 janvier 2015

soixante ans de "poches" et de bonheur qui commencent ainsi

Mon premier poche : Terre des hommes de Saint-Exupéry, le 68,  le 20 août 1954.
Le deuxième : Le Zéro et l'Infini d'Arthur Kœstler, le 35, le 6 décembre de la même année.
Le troisième : Journal d'un curé de campagne de Georges Bernanos, le 103, en février 1955.

DSCN1966.JPG

Ils ne coûtaient que 150 fr — en "anciens francs" — et s'achetaient au sous-sol de la "grande surface" nantaise d'alors, chez Decré. Les premiers bouquins d'adolescence, pour moi tout seul, de "vrais" bouquins qui changeaient des minces classiques de Gigord, Hatier ou Larousse.

Le zéro et l'infini nous avait été proposé par notre professeur de Philo, Jacques Dujardin, pour illustrer ses cours sur le Marxisme. Dans le milieu de mes "Bons Pères, je ne me souviens pas d'un anticommunisme viscéral. Le Goulag n'était pas encore dans l'actualité, mais les procès de Moscou n'étaient pas ignorés. Dois-je avouer que longtemps d'Arthur KŒSTLER ce que je retins ce furent, dans les troubles bien tardifs d'une sexualité adolescente,  "les seins dorés comme des pommes" : cet extrait d'un dialogue tapé contre le mur de la cellule en "alphabet quadratique"

COMBIEN DE TEMPS Y A-T-IL QUE VOUS AVEZ
COUCHÉ AVEC UNE FEMME?
Il avait certainement un monocle; il s'en servait sans doute
pour taper et son orbite dénudée était prise de tics nerveux.
Roubachof n'éprouva aucune répulsion. Du moins, cet homme
se montrait tel qu'il était; c'était plus agréable que s'il avait
tapé des manifestes monarchistes. Roubachof réfléchit un peu,
puis il tapa :
IL Y A TROIS SEMAINES.
La réponse vint aussitôt :
RACONTEZ-MOI TOUT.
Vraiment, il allait un peu fort. Le premier mouvement de
Roubachof fut de rompre la conversation; mais il se souvint
que son voisin pourrait par la suite devenir très utile comme
intermédiaire avec le n°400 et les cellule au-delà. La cellule
à sa gauche était évidemment inhabitée; la chaîne s'arrêtait
là. Roubachof se cassait la tête à chercher une réponse. Une
vieille chanson d'avant la guerre lui revint à l'esprit; il l'avait
entendue quand il était étudiant, dans quelque music-hall où
des femmes aux bas noirs dansaient le cancan à la française.
Il soupira d'un air résigné et tapa avec son pince-nez :
LES SEINS DORÉS COMME DES POMMES...
Il espérait que c'était le ton juste. Il avait bien deviné, car
le N° 402 insista :
CONTINUEZ. DES DÉTAILS.
Maintenant il devait certainement se tirailler nerveusement
la moustache. Il ne pouvait manquer d'avoir une petite
mous
tache aux bouts frisés. Le diable l'emporte; il était le seul
in
termédiaire; il fallait rester en relations. De quoi parlaient les
officiers dans leur mess? De femmes et de chevaux. Roubachof
frotta son binocle sur sa manche et tapota consciencieusement :
DES CUISSES DE POULICHE SAUVAGE...
Il s'arrêta, épuisé. Avec la meilleure volonté du monde il
n'en pouvait plus. Mais le N° 402 jubilait...*

Pour les "cuisses de pouliche sauvage", l'Apollinaire des Poèmes à Lou, clandestinement introduit entre grammaire latine de Petitmangin et grammaire grecque de Ragon, m'avait déjà sensibilisé à la sensualité équestre des artilleurs de 14/18.

Ce fut aussi l'année de la triade poétique, avec mes trois "Seghers" : René Guy Cadou, René Char, Henri Michaux. Tout aussi clandestins que l'Apollinaire.
Ajouts au Claudel des Cinq grandes Odes pour la gloire catholique et aux Méharées de Théodore Monod pour le voyage — eux, avaient obtenu le "nihil obstat" du préfet de discipline — ces trois Livres de Poche et ces trois Seghers m'établissaient Lecteur.

 

 

* Arthur KŒSTLER, Le zéro et l'infini, Le Livre de Poche, n°35, 1954

 

 

dimanche, 27 avril 2014

enchevêtrement des lectures

 

Depuis une semaine.. ou deux, des livres qui se mêlent sur la table parce qu'ils sont parus en poche  — enfin ! — et que cela va bien pour la bourse du lecteur qui s'avance dans l'âge de l'heureuse inactivité.

Depuis novembre, il y avait la grosse Philosophie, anthologie de Foucault, pour le savoir, le pouvoir, l'éthique. Pour l'archéologie, la généalogie. Pour les discontinuités, les ruptures radicales et cette venue tant attendue de l'usage des plaisirs, du souci de soi. Michel Foucault et son effort de penser autrement.

Sont donc arrivés s'emmêlant, s'enchevêtrant, se heurtant,
Le sexe ni la mort, trois essais sur l'amour et la sexualité de André Comte-Sponville, l'Éros, la Philia, l'Agapè pour l'archéologie,
Les Freudiens hérétiques, contre-histoire de la philosophie t.8 de Michel Onfray pour les ruptures,
Les Désarçonnés de Pascal Quignard  qui pratique et l'archéologie et les ruptures dans les serres philosophiques des trois précédents, Quignard qui naguère — en 1995 — écrivit Rhétorique spéculative, belle généalogie de la tradition lettrée antiphilosophique qu'il fait remonter à Fronton le Romain — il eût pu remonter à Homère et Héraclite — et que lui-même pratique depuis quarante ans à travers ses romans, ses essais, ses petits Traités, ses contes. Les Désarçonnés si désarçonnants dans l'horreur en ses premières pages que j'ai failli en déchirer et brûler le premier feuillet et ne plus poursuivre au delà de ce chapitre 1.

L'alternance des quatre compères ébranle souvent la table du lecteur. Alors, je feuillette, sur la même table qui porte cet enchevêtrement, un point fixe : un certain Après le livre  de François Bon qui lui aussi est d'archéologie, de généalogie et de ruptures.
Doublement lu, parfois dans ce bon vieux support du codex, parfois sur l'iPad, dernier merveilleux petit avatar des tablettes d'Uruk  — mes compagnons de bel ouvrage me surnommaient "le Mac'Intosh'iste forcené".
Ne fut-ce que pour évaluer quotidiennement la bonne jouissance qu'évoquait Barthes : que ce soit sur papier, que ce soit sur écran, "on ne saute jamais les mêmes passages".*

Les jonquilles se fanent, les seringas embaument, j'attends la nouvelle lune pour semer mes graines de tomates en godets.

Dans le vent de suroît, paisiblement Dac'hlmat tire sur ses amarres...

 

* Barthes écrit :...(ßonheur de Proust, d'une lecture à l'autre, on ne saute jamais les mêmes passages.)

Le plaisir du texte, p.22, paru au Seuil, en février 1972. Qui sur l'étagère n'est plus un livre mais un amas de 109 feuillets.

mardi, 18 février 2014

« un homme qui n'a pas la clef de son derrière »

Comme l'écrivassier de ce blogue qui passe des millénaires avant notre ère à des siècles voisins : aujourd'hui, Denis Diderot, demain Charles Péguy. L'un entre chiasse, acide urique et déconvenue amoureuse, l'autre — ce sera demain, après-demain ou un autre jour — me ramenant au bonheur du sonnet.

Ce jour, l'amant de Sophie Volland.


le 5 juin 1765

Si je souffre !
Plus que jamais, et je le mérite bien. Je mangeai comme un louveteau, ou comme notre ami M. Gaschon, quand le dîner est délicat. Je bus des vins de toutes sortes de noms ; un melon d'une perfidie incroyable m'attendait là; et croyez-vous qu'il fût possible de résister à un énorme fromage glacé ; et puis des liqueurs et puis du café ; et puis une indigestion abominable qui m'a tenu sur pied toute la nuit, et qui m'a fait passer la matinée entre la théière et un autre vaisseau qu'il n'est pas honnête de nommer. Dieu merci, me voilà purgé pour dix ans ; et peut-être que cette débâcle emportera le rhumatisme que j'appellerai ma goutte, quand il me plaira; car quand la poitrine est bien j'ai un pouce à la main gauche qui me fait un mal de diable.
Tout cela n'est rien. Il n'y a dans ce monde qu'un bien et qu'un mal réel ; et heureusement la part que je prétends au bonheur est en bonne main. Je ne vous vois jamais bien portante, bien aimante, que je ne me moque du sort. Il ne peut m'attaquer qu'en vous qui ne lui laissez, ma foi, guère de prise.
 J'ai dîné chez moi avec deux œufs frais ; je suis venu ici sur les quatre heures où j'ai trouvé votre billet, et j'y réponds qu'il n'est guère possible à un homme qui n'a pas la clef de son derrière, et à qui un cahot peut faire jeter les hauts cris de s'embarquer, quelque attrait qu'il ait pour le voyage et les voyageuses. Si vous vouliez renvoyer la partie à mardi ou mercredi, j'en serais sans manquer...

Mille amitiés et mille respects. Je m'étais engagé par tous les sacrements du monde à dîner aujourd'hui dans votre voisinage, et grâce à mon indisposition, en laquelle j'ai vu, par une réponse qu'on m'a faite, qu'on n'avait pas grande foi, me voilà brouillé avec toute une maisonnée. Je m'ennuie bien d'être sans cesse ou par ma  santé  ou  par  mes occupations  l'homme aux contretemps. Quand est-ce donc que je me porterai bien et que je n'aurai rien à faire que de vous aimer et que de vous en donner de vieilles preuves que vous trouverez toujours nouvelles?...

Bonsoir, mon amie. Je vous salue et vous embrasse comme hier. Je me méfierai à l'avenir de l'appétit que donne l'amour. Bonsoir, bonsoir.

 

Tirée de Lettres à Sophie Volland, en Folio Classique, édition établie et présentée dans une préface éclairante sur cette vie "philo-amoureuse" de Diderot,"obligé d'être à la fois Socrate et Platon, (pouvant) encore songer à une Aspasie en la personne de Sophie". Hélas ! aucune lettre de la correspondante bien- aimée.

samedi, 14 décembre 2013

pour saluer Michel Chaillou nantais et fameux entre'bailleur de mots

 

Au hasard de quelques rencontres et de brefs entretiens.

Le démodé, c'est le temps qui s'habille

disait-il à propos d'une belle vieille femme  — L'éloge du démodé n'était pas encore écrit.

 

On est toujours fort de nos incertitudes qui nous ouvrent le large.


 En septembre 2007, il énonçait son projet d'écritures :

J'ai encore dix-sept ouvrages à écrire, j'ai les dix-sept titres, j'ai les dix-sept premières phrases.

 Dont il ne dévoila rien, par crainte de désamorcer ses imaginaires.

 

Le style, c'est le dépôt du temps dans ma langue.


Nous reste à rêvasser sur les entrebaillements de ses dix-sept titres et les jachères ouvertes par ses dix-sept premières phrases.

jeudi, 01 août 2013

première phrase lue dans la fraicheur matinale...

 

...d'une journée annoncée caniculaire.


« Mieux vaut un vieux caleçon aujourd'hui qu'un pantalon neuf demain. »

Proverbe Béninois

mardi, 30 juillet 2013

la lecture estivale du vieillard

à Pierre C.
pour son entrée dans les Octantes
(et ce n'est pas un cadeau !)

 

Ailleurs, dans mon magazine actuel, c'est écrit  "Sur la plage, les pavés", "La liste noire de l'été". Et invariablement depuis, chaque été, ces références à des pavés, des plages et des paresses estivales. Sans doute y a-t-il de bons crus ? Je suis peu sensible à ces appâts éditoriaux.
J'ai plutôt mes "piles" de l'année. La première de 2013 fut celle de Camus (Albert !), elle est toujours en service. Mais, depuis au moins dix ans, j'ai une pile "Vieillesse" qui demeure sur la platine pas encore tout à fait obsolète de mes vinyles, et le plus consulté de la pile, c'est, de John Cooper Powys, L'art de vieillir. Powys, ce Gallois baroque, sensuel et délirant qui m'enchanta, dans les années 80, avec Le Déluge, le tome IV des Enchantements de Glastonbury.


La Vieillesse...recherche "l'oisiveté afin de retrouver son âme". Elle veut discourir, ruminer et réfléchir. Elle veut s'adonner à d'heureuses divagations.
Elle lit avec sa philosophie, elle lit avec ses réactions esthétiques, elle lit avec le bagage obscur, amorphe, inconstant de son expérience complexe, elle lit avec son être stupide, végétatif, avec sa passivité animale, avec la solitude de son égoïsme, avec l'humilité impersonnelle de son indifférente curiosité.
Elle déchiffre le monde sous le faisceau lumineux qui vient de la sphère extérieure de l'âme. Elle a surtout grand besoin d'une sensation très particulière qu'il exige de ses lectures, la sensation de la continuité de la vie.
... la Vieillesse, en revoyant les années passées, ne veut pas s'arrêter quand ses propres souvenirs commencent à s'estomper. D'instinct, elle fait appel à ceux de ses ancêtres, à ceux des hommes du temps jadis !
Ainsi donc, les livres qui font le mieux l'affaire sont ceux-là même que l'on ne saurait lire rapidement ou feuilleter. Ces ouvrages charrient les courants superficiels et profonds du fleuve de la vie tandis qu'il glisse entre les brumes d'un passé populeux et celles d'un avenir inhabité.
Ces livres ne seront pour ainsi dire jamais du genre à vous ensorceler, à vous hanter, à vous captiver ou vous galvaniser. Au diable, ces drogues envoûtantes n'offrant aucune difficulté que l'on ne puisse surmonter sans gros effort, aucune de ces pages vides à la banalité reposante, aucun plagiat académique plaisant autant que facile, aucune platitude humaine sans valeur artistique, aucun radotage désuet, aucun paysage herbeux et monotone, aucune dune stérile entre la mer et la terre, aucun promontoire dénudé d'où observer la marche ennuyeuse des Constellations ! Au diable, ces livres qui vous donnent la fièvre, qui vous titillent, ces livres à vous faire dresser les cheveux sur la tête, ces livres sans aucune répétition, sans aucune défaillance, sans aucune digression, sans aucune divagation rhétorique, sans aucune description méticuleuse, sans aucun horizon d'une fastidieuse uniformité !
Bref, les livres qui conviennent le mieux aux personnes âgées sont, de toute évidence, ces ouvrages peu passionnants, peu actuels, interminables que nous en sommes venus à appeler les Classiques. Que les Classiques ne soient pas lecture facile, que les Classiques soient parfois obscurs et souvent très ennuyeux, qu'ils requièrent invariablement des tâches aussi mécaniques que chercher des mots dans le dictionnaire ou dans le lexique, est d'autant mieux pour les personnes âgées.

 

Ajouterai-je que si Powys n'écrit dans les lignes précédentes qu'à propos du vieux lecteur mâle, il nuance dans les pages suivantes le comportement de nos compagnes lectrices :

Dans sa sensibilité littéraire, la femme se montrera beaucoup plus éclectique et ouverte que son contemporain et aussi beaucoup moins pédante.
J'aurais tendance à penser que les vies réalistes et passionnantes d'êtres qui ont marqué la société seront, après les romans, sa lecture préférée.


* John Cooper Powys, L'art de vieillir, traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, Coll. "en lisant en écrivant", Librairie José Corti, 1999.
pp. 235-244.

Du même,  Le Déluge, tome IV, Les enchantements de Glastonbury, Coll. Du monde entier, Gallimard 1976