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samedi, 15 janvier 2011

« Les Modernes, et après ? »

Voilà belle manière de décentrer — ou peut-être bien recentrer — la question des PostModernes.

 

C'est ce qu'en janvier, offre Philippe Forest* en trois interventions aux vieux Nantais qui fréquentent l'Université permanente.

Il ouvre avec La Bruyère, au début des Caractères (1688):

« Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent... L'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d'entre les modernes »,

poursuit dialectiquement avec Isidore Ducasse à la fin de ses Poésies (1870):

« Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes... Nous avons l'avantage de travailler après les anciens, les habiles d'entre les modernes.

 

Il prolonge avec Jacottet et Aragon qui relancent Ducasse.

Je pense qu'il ne tient pas à résoudre le problème à l'usage des manuels de littérature à venir et je m'autoriserai à dégager mes horizons de lecteur quelque peu embrumés par "anti" et "post".

 

Baudelaire resurgit :

Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !


Et ça me va bien, que ce soit dans le lire, que ce soit dans l'écrire : osciller de l'enthousiasme à la nostagie. Cendrars n'est pas loin.

 

 

* L'homme d'un Philippe Sollers au Seuil, de L'enfant éternel, et dernièrement du Siècle des nuages, chez Gallimard.

 

Post-scriptum : Hautetfort, plateforme qui héberge ce blogue, offre la possibilité de publier des textes sur un autre mode que les notes : ce sont les "Pages" ; elles se trouvent dans la colonne des rubriques, à droite de cette note et peuvent être aussi occasions de commentaires..

mercredi, 22 décembre 2010

pour le solstice d'hiver

 

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aux lectrices,

aux lecteurs

 

 

 

"Que d'autres se flattent des livres qu'ils ont écrits,  

moi, je suis fier de ceux que j'ai lus.


                    Jorge Luis Borges

 

vendredi, 17 décembre 2010

Quand à nouveau l'ombre s'étend

à "Lison"

 

Sa voix s'éleva encore tremblante de la fragilité de la douleur. Elle dit l'amour sans mesure pour sa mère. Elle ouvrit Les Matinaux que celle-ci, naguère, lui avait offert. Sa voix nous éloigna de la mort. À nouveau, nous étions dans le soleil.

 


Dans mon pays, les tendres preuves du printemps
et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts
lointains.

La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie. Le
verre de fenêtre est négligé. Qu'importe à l'attentif.

Dans mon pays, on ne questionne pas un homme
ému.

Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque chavirée.


Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.

On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.

Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les
arbres de mon pays. Les branches sont libres de
n'avoir pas de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.


Dans mon pays, on remercie.

 

Qu'il vive*

 

Ce fut d'une beauté austère, nue. Le silence seul — ou la musique — était possible.

Nous entrions, apaisés, dans cette absence sans retour. 

 

 

 

*René Char, La sieste blanche, Les Matinaux, 1950/1986.


 

 

 

vendredi, 10 décembre 2010

ce n'est pas vrai !

la littérature aujourd'hui ?  Ah, bon ?

En ce cas-là, monsieur Finkielkraut, faut-il parler de "livres" ou de "bouquins" ?

S'il vous plait ?

 

Post-scriptum :

Autres temps, autres littératures et littérateurs.

Et dire que je me suis désabonné du Nouvel Obs.

mardi, 07 décembre 2010

irresponsable ? je suis donc un irresponsable

Je n'irai point prendre la queue devant la banque que depuis des annnées, pour percevoir mon modeste salaire et ma plus encore modeste retraite, je suis obligé de fréquenter : je suis "à sec", sinon à découvert. Et mon épargne, à peine placée, s'envole en bouquins ! J'aurais bien aimé être un irresponsable, ce matin.

J'ai beaucoup apprécié le commentaire de Paul Jorion sur France Cul. J'ai sur l'étagère "Mer" un de ses premiers (?) bouquins d'anthropologue économiste sur les pêcheurs de Houat*, une de mes Iles bien-aimées.. Lui aussi tient un blogue.

Un gars du côté des croquants. Totalement libre.

 

 

* Paul JORION, Les pêcheurs d'Houat, anthropologie économique, Coll. Savoir, chez Hermann, 1983

 

 

 

dimanche, 05 décembre 2010

lire un bouquin serait ne pas lire un livre

« — Et ça, il me  semble que quelque chose arrive à la littérature quand un livre devient un bouquin. J'ai même le sentiment très vieux jeu, très collet monté, que ceux qui lisent un livre comme livre et ceux qui le lisent comme bouquin ne lisent pas le même livre...

..........(gloussements d'acquiescement en fond sonore).................

— Ça, c'est un rapport spécifiquement vulgaire aux œuvres d'art en général.»

 

Trois messieurs, sans doute fort bien et pas du tout du genre vulgus (ou vulgum ou vulgare)pecus s'entretenaient hier matin de l'art de la lecture : en quelques mots, voici résumée l'atmosphère de la conversation que diffusait "Répliques". Des références stendahliennes, flaubertiennes, nietzschennes, barthésiennes — pas tout à fait les miennes. — deleuziennes. C'était de bon ton — déjà trop ? — mais je peux encore entendre. Et puis dans les dernières minutes, l'animateur qui déboule avec cet "Et ça..."

Et là, c'est trop : je suis issu — "je monte", aurait dit Veuillot — de la classe du "vulgaire" ; je lis plus souvent des bouquins que des livres; je n'ai pas lu l'introduction à l'analyse structurelle du récit, l'horizon restreint de mon vulgus (ou vulgum ou vulgare) pecus ne m'a apporté que le Plaisir du texte plus accessible, financièrement ; mais Montaigne est loin de "m'emmerder"*.

Ce qui, hier matin, n'a pas été le cas de deux de ces messieurs. Qui m'ont au plus profond, donc viscéralement — je ne prolonge que la "rumination bovine" nietzschenne, à laquelle il fut noblement fait allusion — EMMERDÉ !

Cet irrespect, ce mépris, cette morgue, cette impudence, ! Dantzig* et Finkielkraut sont parfois — souvent ? — des personnages indignes.

Finkielkraut a bien tenté d'atténuer sa morgue en lisant cette citation de Proust. Mais quelle sincérité attendre de cette bouche dédaigneuse ?

Dans la lecture, l'amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d'amabilité. Ces amis-là, si nous passons la soirée avec eux, c'est vraiment que nous en avons envie. Eux, du moins, nous ne les quittons souvent qu'à regret. Et quand nous les avons quittés, aucune de ces pensées qui gâtent l'amitié : Qu'ont-ils pensé de nous ? - N'avons nous pas manqué de tact ? - Avons-nous plu ? - et la peur d'être oublié pour tel autre. Toutes ces agitations de l'amitié expirent au seuil de cette amitié pure et calme qu'est la lecture.



Marcel Proust
Sur la lecture, p.45 
Actes Sud, mars 1988 


Alentour de cet ordinateur, mes bons vieux BOUQUINS sont, pour la plupart, des rivages chaleureux. Leur "rumination" m'autorise paisiblement cette humeur.

 

 

* Référence à la fatuité du monsieur, naguère en septembre 2005, à propos de Montaigne.

dimanche, 28 novembre 2010

« il faut y aller »

Poser sur la table "La traversée des catastrophes"* me ramène à deux décennies en arrière quand j'ai ouvert "Traité du désespoir et de la béatitude"**.

Un de ces deux ou trois bouquins que, à peine ouverts, vous estimez rassembler toutes les questions que vous vous posez depuis un, deux, trois, dix ans — peut-être d'ailleurs depuis seulement un ou deux jours — mais questions qui taraudent, ou expériences ou situations qui ont blessé, incisé, déchiré, mais aussi bouquins dont les quelques pages feuillettées vous ouvrent des estuaires, des horizons, qui, sans apaiser, vous font accéder à une sérénité neuve.

Sans doute faut-il y entrer avec l'incertitude de la quête et le murissement acquis dans de longs cheminements en solitude.

J'ai posé quelques balises, me suis arrêté sur quelques pages.

La mort d'autrui exige ceci : ce que l'on ne peut pas dire, il faut malgré tout parvenir à le parler. Mais alors parler pour dire quoi, si l'on ne peut pas dire la mort ? Parler d'autre chose ? Parler pour ne rien dire er pour passer le temps ? Bavarder ? D'abord oui, évidemment oui : c'est là l'expérience de tous ceux qui ont tenu la main d'un mourant aimé, souvent avec une certaine noblesse et aussi un sens profond de la dérision. Mais on ne le peut que jusqu'au point où ce n'est même plus possible, où la demande d'un « parler la mort » devient trop forte, trop insupportable, et où un déni mélancolique menace trop fortement. Et alors, arrivé à ce point, que parler ou que dire d'un dit impossible ? Dire encore la seule chose qui puisse être dite, la vie,  mais avec un autre ton et une autre douceur, parce qu'il s'agit de trouver une parole apte à énoncer la vie au sein même de cette expérience du mourir, à partir d'elle et pour elle, dans ce qui subsiste et s'affîrme de force de vie au cours de l'expérience d'une disjonction radicale entre le parler et le dire : parler la mort pour dire la vie. (p.155) 

Mais le mourir a toujours une fin qui reste encore à vivre pour celui qui ne meurt pas : un jour, l'autre meurt pour de bon... Nier la mort qui monte, refuser de la « voir en face », tant que l'autre vit encore, même d'une vie de plus en plus diminuée, est souvent la marque d'une sagesse et d'un amour supérieurs, tout comme il est sage de ne pas regarder le soleil en face pour ne pas s'y brûler sottement les yeux. Mais face à la mort effective, face au cadavre, une telle négation ne peut que s'affaisser en une dangereuse dénégation. « La » mort n'était peut-être rien pour soi, mais pas « le » mort ou « la » morte : je l'aimais jusque-là, mais aujourd hui que m'est-il, que m'est-elle encore ? (p. 196)

 

Maintenant, comme le philosophe nous y invite, « il faut y aller ». Aux dernières pages du livre, il écrira encore : 

Il faut continuer...... c'est cela vivre. Accepter la continuité sous toutes ses formes, jusqu'à affirmer la continuité du noble et du bas, du splendide et du grotesque.

 

*Pierre ZAOUI, La traversée des catastrophes - philosophie pour le meilleur et pour le pire, Coll. L'ordre philosophique, au Seuil, octobre 2010.

** André COMTE-SPONVILLE, Le mythe d'Icare, t.1 et Vivre, t.2 - Traité du désespoir et de la béatitude, Coll. Perspectives critiques, PUF, janvier 1988.


Post-scriptum :

• Un entretien dans l'émission "La fabrique de l'humain".

Deux recensions : dans le Monde des Livres du 29/10/2010 et dans le LibéLivres du 18/11/2010.

Si le bouquin n'est pas disponible en librairie, il ne faut pas être pressé ; l'appareil de diffusion géré par La Martinière est plutôt "grippé".

jeudi, 18 novembre 2010

elle nous lisait l'hisoire sainte

 

Je devais être dans cette classe qu'on nomme actuellement le Cours Préparatoire ; j'aurai bientôt six ans.

C'était Mme Nicolas qui, chaque après-midi, au début de la classe et pendant un quart d'heure, nous lisait l'Histoire Sainte. J'écoutais dans le ravissement. Peut-être le sommeil me gagnait-il, préfigurant les lointaines siestes à venir ?

 

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École primaire des Frères de Ploermel, 1 rue Talensac - 1941/1942

 

 Plus tard, je pris sans doute des chemins bibliques qui divergent de ceux empruntés par un de mes actuels littérateurs préférés (voir la note précédente). Plus laïcs, pour être "tendance". J'ai un penchant plus net pour ce qui s'avoue "inventé" que pour ce qui s'affirme "révélé".

 

Je continue de lire et la Bible et Michon.

 

Post-scriptum : (qui a peu à voir avec la Bible, les mythologies et Pierre Michon)

Quand nous fâchions madame Nicolas, elle s'écriait : « Je vous pilerais dans mon moulin à café ». Ce conditionnel présent était sa seule violence.

 

 

 

 

dimanche, 14 novembre 2010

quand revient le religieux dans mes petits matins

Les réveils matinaux entraînent des journées de réflexions et de lectures inattendues. Ce matin j'écoutais donc à mi-chemin de son émission, Abdelwahab Meddeb et ses cultures d'Islam.


La veille, j'avais refermé, fort marri, les propos de Pierre Michon sur la littérature, Le roi vient quand il veut ; les premières sondes m'avaient assuré d'un bon voisinage — Rimbaud, Giono, Borges et même Gracq — même si je suis plus éloigné de Balzac, de Flaubert, de Proust et de Faulkner.

Mais page 324, "La Bible est mon pays" m'a peiné. Plus, irrité parce qu'il renvoie en deux ou trois pages mes chers Grecs à leurs calendes, et ce, pour son aversion platonicienne et le je m'enfoutisme qu'il proclame à propos de "l'obsession méticuleuse des Grecs pour le demos". C'est le demos qui vous lit, cher Pierre Michon, même si ce n'est qu'une infime minorité de ce demos.

Plus souterrainement, je suspecte Michon d'avoir découvert sur le tard un penchant pour le sacré, sinon pour la spiritualité, et la plus religieuse* qui soit :

La Bible s'adresse à moi en direct. C'est une parole ad hominem. Il y a ce « Tu » qui m'enjoint d'entendre et de parler. Or, ce n'est pas un être grec qui peut proférer cette injonction, ni y répondre : ce n'est ni l'âme ni le corps de la philosophie grecque, c'est la chair et l'esprit de Paul, le «vif». Le texte d'Homère est très beau, indiscutablement, mais par le fait qu'il se suffit à lui-même, il est mort : on y croit autant qu'à l'intrigue de marionnettes siciliennes. Tout à l'inverse, le texte de la Bible est à vif, il ne se suffit pas. Il est en manque de moi. C'est une affaire d'énonciation. Et cela est au cœur de ce qui me précipite quelquefois à écrire. Si quelque chose de biblique se réveille en moi, c'est que la Bible me somme d'être vivant. Comment dire ? Oui, me somme d'être l'interlocuteur de Yahvé. Dans ce dialogue entre Dieu et le « Tu » à qui il s'adresse, je suis mis en demeure d'exister, de répondre présent, de répliquer par  ma propre voix. D'écrire donc. Et la seule réponse possible  est : Israël, c'est moi.

pp. 329-330

 

Et voilà Pierre Michon, en paulinien convaincu, de vivre son chemin de Damas ! Fichtre !

Nous avons fait sans doute le chemin inverse. Lui, il ouvre la Bible, à l'âge d'homme. Moi, c'est madame Nicolas qui me l'a lue dès la Maternelle.

Je la lis encore comme je lis l'Illiade et l'Odyssée — je trouve parfois plus sens dans les pérégrinations d'Ulysse pour éclairer mes sillages — mais j'avoue, la Bible, je ne l'ai point refermée. À preuve, ce matin, j'ai ouvert le Livre des Nombres (11,32). Pour retrouver la première Marie ou Miryâm ou Mériem, sœur de Moïse et d'Aarôn.

Et cette quête parce qu'au petit matin, un lecteur chrétien du Qoran — un comble  ! —  m'a paru ébranler vigoureusement les ineffables fadeurs mariales de la catholicité. Entre autres vérités évangéliques. Le "forçage étymologique" qui suit est salubre.

Marie est une des figures du nomadisme et de l’errance. Dousse procède à cette lecture après avoir été hafêz, après avoir appris par cœur le Coran dans sa langue originelle afin d’accueillir la résonance orale de cette parole inspirée qu’il lit en la mettant toujours en relation avec la Bible ; ainsi voit-il comment agit le dissemblable dans le ressemblant, comment opère le différent dans l’identique. Alors la parole coranique est reçue comme altérité et non comme altération. Parmi les audaces de cette interprétation, nous relevons le forçage étymologique qui ensource le mot arabe de masîh (qui désigne Jésus le Messie) non pas seulement dans la racine verbale M.S.H. (qui confirme le sens de l’oint) mais aussi dans S.^.H. qui ouvre sur l’errance (sâ’h), ce qui situe le nom même de messie au cœur de la tension entre temple et désert.

présentation de l'émission du 14.11.2010 sur France Cul

Ce Michel Dousse n'est pas qu'un étonnant récitant (hafêz) du Qoran. C'est un athlète de l'étymologie et il a quatre-vingt ans.

J'en ai oublié d'aller à la messe, mais ça fait plus de trente ans que c'est le même oubli, chaque dimanche que dieu ne fait point.

Je n'ai pas oublié mes deux douzaines d'huitres du Marais Breton.

 

 

* En ces temps de "spiritualité laïque", ce n'est point redondance.

mercredi, 27 octobre 2010

d'un Pays Basque, l'autre

Dans ce pays, on ne passe pas de frontière : nous sommes au Pays Basque.

Au hasard des pérégrinations, j'ai découvert un de ces monastères qui jalonnaient le chemin de Saint Jacques.

 

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©Nicléane

Urdax dans une des ces vertes et profondes vallées basques.
Et comme je suis toujours à l'affût d'histoires de livres, voilà encore une bibliothèque dévastée par les soldats de la Convention en 1793. Neuf mille livres livres furent brûlés.

 

BiblioUrdax.jpg

©Nicléane

 

dimanche, 03 octobre 2010

au hasard des tables de nuit

Quand j'évoquais les bornes WiFi, je pensais à l'écriture. Loin des lectures !

Et voilà que la table de nuit de la chambre qui m'accueille chaque fois aux rivages aquitains chez Col et mon vieux compagnon Er Klasker m'invite à relire Daewo.

J'ai mis entre parenthèses mon Jammes et mon Giono.

 

La circulation intense de la parole ouvrière, le lancinant des fermetures de "boites" en cinq pages litaniques.

Dans l'humilité et le respect :

« Fouiller la benne aux archives, j'ai pensé, c'est comme si j'avais été prendre des papiers directement dans leur poche, et je n'ai pas osé. »

 

Dans l'accueil de l'interpellation :

« Vous me lisez, là, ce que vous avez gribouillé ? »

 

Dans le percutant du témoignage :

« Moi, je parle pour ces visages. »

 

En ces temps de manifs, de cortèges indénombrables, dans le miteux lettré de la rentrée littéraire, où est-elle la Parole d'en bas ?

Merci, François, pour tes flopées de guillemets ouvriers !

 

 

Post-scriptum : Est annoncée l'adaptation télévisée par lui-même, Gérard Mordillat, de son bouquin "Les vivants et les morts", pour le 6 de ce mois.

 

lundi, 20 septembre 2010

errances en lectures

 

 

Lourde fatigue... venue trop précoce des fraicheurs automnales ? aquagym immodérée ?

 

Tu viens d'achever avec ta compagne une "stèle à une voyageuse". Plutôt, tu t'es préoccupé, toi, de rechercher des textes, brefs éclats de mots pour désarçonner l'amie qui va entreprendre une pérégrination.

Tu as parcouru Montaigne, Bouvier, Caillé, Onfray, Gros*. Et voilà que souhaitant caser Marcher, une philosophie de ce dernier et ranger Bouvier, Le Hibou et la Baleine, Le poisson-scorpion, les Routes et déroutes, ses Œuvres en Quarto, tu ébranles les bouquins de Kenneth White qui est son voisin d'étagère.

Le premier livre qui se penche : les rives du silence

 

Assez
assez de tant de choses

cette vague qui se brise
blanche prose

Et que cela, ne l'oublie pas
ne sente jamais le poète

Enfin, un peu de réalité
ce goût de sel sur la langue                    

Brumes blanches
à Roscoff

la marée qui se retire
à Douamenez

A ceux qui parlaient écriture
il répondait : ouverture

Écrire des poèmes?

Plutôt suivre la côte
fragment après fragment

 

Ode fragmentée à la Bretagne blanche

 

 distiques si éloignés des stances houleuses de Perse — pourtant à plusieurs reprises, cité en exergue.

 

Du coup, j'ai descendu la vingtaine de bouquins : poèmes ? essais ? carnets de voyage ? journaux ?

J'avais commencé de lire Kenneth White en 1977 avec ses Limbes incandescents, publiés dans Les Lettres nouvelles de Maurice Nadaud. L'ex-libris de son dernier livre lu, La maison des marées note le 24 novembre 2005. 

 

... je ne rencontre pas âme qui vive, à vélo ou à pied, seulement des mouettes, rassemblées sur la plage face au soleil ou bien nichées ça et là, solitaires, et des corbeaux fourrageant dans d'énormes amas de goémons. Au loin, par intervalles, des essaims de petits oiseaux, sans doute des migrateurs faisant route vers quelque région chaude du Sud pour y passer l'hiver. Ici, encore des rochers aux formes grotesques, souvent blanchis par les fientes, et le sentier qui court au milieu des bruyères (les cendrées rouge sombre et les callunes plus pâles), des mûriers sauvages, des fougères, des prunelliers et des chèvrefeuilles. Cette partie sud-sud-ouest de l'île est celle qui voyait le plus grand nombre de naufrages, comme le dit un rapport de 1681 :

« Le bout de l'isle Doüessant le plus exposé au mauvais temps est celuy d'Oüest Suroüest et c'est sur ce bout que se font presque tous les nauffrages. »

C'est là que coule cette violente rivière marine, le Fromveur. Où que l'on regarde, on aperçoit un phare. Je marche le long de Penn ar Roc'h et continue vers Penn Arland en passant par Bouge an Dour, Porz Gwenn et Penn ar C'hreac'h. Partout le soleil qui brille sur le mica, ici et là des touffes de carotte sauvage ou de criste-marine, et, dans une petite crique tranquille, où l'eau vert-bleu clapote contre les rochers, un héron blanc.

 

Ailleurs, sur un rivage des Landes :

 

Chardon bleu sur la dune
bleu brûlant sur la dune
les racines dans le sable
mais vigoureux en diable

le chardon bleu et moi
toute la journée nous restons
sous ce soleil de plomb

moi je contemple le grand tout
lui il y est et il s'en fout

 

sermon du chardon bleu

in Terre de diamant

 

La vingtaine de bouquins est encore toute évâillée sur la table. Pour une paresseuse lecture.

 

 

 

* Marcher, une philosophie, Frédéric GROS, Carnetnord, 2009.

lundi, 30 août 2010

adjectif, mon souci

Toutes les lectures de l'été ne furent point aussi vaines que le De l'amour de Stendhal* et L'Éducation senimentale de Flaubert ; j'ai relu L'Échappée belle de Bouvier et je suis tombé sur ce passage qui efface une tenace rancœur datant de ma classe de IVe — soixante ans de rumination — quand le "prof" d'alors m'humilia à propos d'une narration de tempête qui débordait d'adjectifs "hugoliens" : je me souviens  encore avoir décrit, entre autres verbales inflations, des "gouffres d'émeraude" !!!

 

Adjectifs

Gobineau, avec quelques autres de ces flibustiers orientaux déjà cités, m'a ouvert la grande épicerie des adjectifs où je suis allé me servir avec tout le mauvais goût que je me souhaite.

Dans la littérature des années cinquante, temps où j'ai fait mes études, si éprise de rhétorique sartrienne ou d'austérité camusienne, l'adjectif n'avait pas bonne mine. Oh non  ! Il faisait bonbonnière ottomane ou tango argentin gominé. Ce caniche frisotté troublait l'absinthe de Monsieur Teste. La belle phrase - comme on dit « une belle âme » dans les confessionnaux de province - vertueuse, sobre, forte de son seul et inéluctable sens était celle qui s'en passait le mieux. Or, il m'apparut clairement qu'à l'est de Zagreb, on ignorait tout de ces lois somptuaires et de ces édits jansénistes ; on savait, en revanche, qu'on ne peut rendre justice à la stridence d'une cornemuse, au tremblement liquide d'une flûte de Pan, à ces dégringolades chromatiques et si navrantes du « tar » (le luth iranien) sans leur accorder au moins trois adjectifs, enfoncés avec le pouce dans la phrase comme pistache dans la brioche. Gobineau ne l'oublie jamais lorsqu'il fait parler ses personnages : qu'on soit au Caucase, en Arménie, au Turkestan ou en Perse, les destins les plus modestes ou les plus malheureux sont comme soulevés et portés par un discours emphatique, fleuri, compatissant qui aide encore là où la vie n'aide plus et qui relève bien plus d'un vœu pieux et respectable que du mensonge, si mensonger soit-il.

 

Nicolas Bouvier

L'Échappée belle

éloge de quelques pérégrins, p. 88.

 

 

* Dans la dernière émission d'un été avec Philippe SollersLire c'est entendre — celui-ci annonce donner une place très importante à Stendhal dans le  prochain roman qu'il va publier. Tiens ! j'effacerai peut-être  ainsi mon fiasco (!) estival...

 

 

 

 

samedi, 28 août 2010

après les bornes, les stèles et autres repères, ... les livres...

Après avoir appeler — crier ? — à la dispersion — à l'abolition ? — de tous repères et limites des territoires de l'homme, voici que Perse demande l'éventement de toutes les poussières — pruine, poudre, loess, fard, cendres, squames — en introduisant dans la « Basilique du Livre », « un homme de peu de nom », qui vient rire — ricaner ? —.

Et que les vents donc envoient aux quatre horizons toute la quincaillerie des livres, « le fonds de commerce de la boutique à comprendre », écrira Claudel.

L'auteur ? l'éditeur ? le libraire ? le bibliothécaire ? le critique ? le liseur ? le blogueur ? tous et tout ?

 

Tout à reprendre. Tout à redire. Et la faux du
regard sur tout l'avoir menée !

Un homme s'en vint rire aux galeries de pierre
des Bibliothécaires. — Basilique du Livre!...
Un homme aux rampes de sardoine, sous les prérogatives
du bronze et de l'albâtre. Homme de peu de nom.
Qui était-il, qui n'était-il pas?

Et les murs sont d'agate où se lustrent les lampes,
l'homme tête nue et les mains lisses dans les
carrières de marbre jaune — où sont les livres au
sérail, où sont les livres dans leurs niches, comme jadis.
sous bandelettes, les bêtes de paille dans leurs jarres,
aux chambres closes des grands Temples — les livres
tristes, innombrables, par hautes couches crétacées
portant créance et sédiment dans la montée du temps.

Et les murs sont d'agate où s'illustrent les lampes.
Hauts murs polis par le silence et par la science,
et par la nuit des lampes. Silence et silencieux offices.
Prêtres et prêtrise. Sérapéum!

A quelles fêtes du Printemps vert nous faudra-t-il
laver ce doigt souillé aux poudres des archives
— dans cette pruine de vieillesse, dans tout ce fard
de Reines mortes, de flamines — comme aux gise-
ments des villes saintes de poterie blanche, mortes
de trop de lune et d'attrition?

Ha! qu'on m'évente tout ce lœss! Ha! qu'on m'évente tout ce leurre!
Sécheresse et supercherie d'autels...
Les livres tristes, innombrables, sur leur tranche de craie pâle...

Et qu'est-ce encore, à mon doigt d'os, que tout
ce talc d'usure et de sagesse, et tout cet attouchement
des poudres du savoir? comme aux fins de saison
poussière et poudre de pollen, spores et sporules de
lichen, un émiettement d'ailes de piérides, d'écailles
aux volves des lactaires... toutes choses faveuses à la
limite de l'infime, dépôts d'abimes sur leurs fèces,
limons et lies à bout d'avilissement — cendres et
squames de l'esprit.

 

Vents, I, 4.


 

« La littérature, je n'en suis pas » proclamait l'ancien diplomate, au moment où il s'autopubliait en Pléiade (1972) après avoir accepté en 1960 le Nobel de ... littérature.

Bon ! cette affirmation qui n'est pas dans Vents n'est sans doute qu'une hyperbole.

 

Il n'empêche que je me rêverais bien devant nombre de bouquins en cet homme de peu de nom, qui s'en vint rire aux galeries de pierre des Bibliothécaires.

 

Mais !

Mais n'oublions point qu'ensuite, il nous faudra nous laver ce doigt d'os ! Et continuer de lire ce qui advient à la page suivante :

 

Que si la source vient à manquer d'une plus haute connaissance,

L'on fasse coucher nue....


 

Post-scriptum : Lire Saint-John Perse, c'est accroître, quasi à chaque page, son vocabulaire en botanique, biologie, mythologie, géologie !


vendredi, 27 août 2010

« égaré » par mer calme

 

La semaine passée, trois jours de mer sans une ride... encalminés... à peine l'imperceptible balancement d'une lointaine houle,

j'ai ouvert Vents  et ce fut comme si je lisais pour la première fois la violence et la colère dans les majestés fort convenues de Saint-John Perse.

Fracas des forces, ébranlement des balises.

Lecture d'un égaré.

Est-ce si sûr, cette venue des écritures nouvelles ?

 

........................................................................

Elles épousaient toute colère de la pierre et
toute querelle de la flamme; avec la foule s'engouffraient
dans les grands songes bénévoles, et jusqu'aux
Cirques des faubourgs, pour l'explosion de la plus haute tente
et son échevèlement de fille, de Ménade,
dans un envol de toiles et d'agrès...

Elles s'en allaient où vont les hommes sans naissance
et les cadets sans majorât, avec les filles de licence
et les filles d'Église, sur les Mers catholiques
couleur de casques, de rapières et de vieilles châsses à reliques,

Et s'attachant aux pas du Pâtre, du Poète,
elles s'annexaient en cours de route la mouette mauve
du Mormon, l'abeille sauvage du désert et les migrations
d'insectes sur les mers, comme fumées de choses errantes
prêtant visière et ciel de lit aux songeries des femmes sur la côte.

Ainsi croissantes et sifflantes au tournant de notre âge,
elles descendaient des hautes passes
avec ce sifflement nouveau où nul n'a reconnu sa race,

Et dispersant au lit des peuples, ha ! dispersant
— qu'elles dispersent ! disions-nous — ha ! dispersant

Balises et corps-morts, bornes militaires et stèles votives,
les casemates aux frontières et les lanternes aux récifs;
les casemates aux frontières, bassescomme des porcheries,
et les douanes plus basses aupenchant de la terre;
les batteries désuètes sous les palmes, aux îles de corail blanc
avilies de volaille; les édicules sur les caps et les croix aux carrefours;
tripodes et postes de vigie, gabions, granges et resserres,
oratoire en forêt et refuge, en montagne; les palissades d'affichage
et les Calvaires aux détritus; les tables d'orientation du géographe
et le cartouche de l'explorateur ; l'amas de pierres plates
du caravanier et du géodésien; du muletier peut-être ou
suiveur de lamas ? et la ronce de fer aux abords des corrals,
et la forge de plein air des marqueurs de bétail,
la pierre levée du sectateur et le cairn du landlord,
et vous, haute grille d'or de l'Usinier, et le vantail ouvragé
d'aigles des grandes firmes familiales...

Ha ! dispersant — qu'elles dispersent ! disions-
nous — toute pierre jubilaire et toute stèle fautive,

Elles nous restituaient au soir la face brève
de la terre, où susciter un cent de vierges et d'aurochs
parmi l'hysope et la gentiane.

Ainsi croissantes et sifflantes, elles tenaient
ce chant très pur où nul n'a connaissance.
Et quand elles eurent démêlé des œuvres mortes
les vivantes, et du meilleur l'insigne,

Voici qu'elles nous rafraîchissaient d'un songe
de promesses, et qu'elles éveillaient pour nous,
sur leurs couches soyeuses,

Comme prêtresses au sommeil et filles d'ailes
dans leur mue, ah! comme nymphes en nymphoses
parmi les rites d'abeillage — lingeries d'ailes dans
leur gaine et faisceaux d'ailes au carquois —

Les écritures nouvelles encloses dans les grands
schistes à venir...



Vents, I, 3.

 

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©Nicléane

Trois jours, et la brise ne se levait point, et nous étions plongés dans les beautés indicibles des horizons bleus et gris de l'ouest.

Heureux !