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dimanche, 25 juillet 2010

les biographies lézardent-elles l'œuvre ?

 

Je ne témoigne, ici, que de mes aventures dans les biographies. Et encore me faut-il préciser qu'il y a lecture de biographie  et lectures des biographies...!

Celles d'auteurs jusque là non lus et celles de ces auteurs que je fréquente depuis longtemps. Les premières ont souvent été des incitations à l'approche de l‘œuvre ; les secondes, certaines du moins, dans leur recherche d'archives privées, lettres, notes, je les ai vécues plus comme des enquêtes aux limites du voyeurisme, sinon de la fouille-merde...

Mais si le voyeur, c'était le lecteur. Moi donc !

 

Dernière mésaventure : avec Nicolas Bouvier, l'œil qui écrit d'un certain François Laut.

Devais avoir un certain pressentiment — j'avais noté dans l'exergue manuscrit qui marque la page de titre de toutes mes livresques acquisitions (ma manière d'ex libris) : « Bouvier ne me serait-il point assez évident ? »—.

 

Le mesquin du quotidien ébranlerait-il l'Usage du Monde ?

 Deux mésaventures précédentes, — un René Char par Laurent Greilsamer, Un Henri Michaux par Jean-Pierre Martin — ont paru ainsi dans la mémoire du lecteur ébranler la lecture de L'effroi, la Joie et d'Écuador.

"Paru ébranler" : un retour à l'œuvre atténue vite la lézarde.

 

Il n'en demeure pas moins que vive est la lecture vierge de tout commentaire, de toute recension, de toute critique, de toute notice biographique.

C'est le premier poème de Cadou lu sur un banc du Jardin des Plantes au sortir d'un oral catastrophique du bac 1e partie, c'est le premier aphorisme des Feuillets d'Hypnos, planqués derrière le Bailly, c'est le premier combat souterrain de Qui je fus, dissimulé dans le casier à chaussures...

 

 

Post-scriptum bibliographique :

• François LAUT, Nicolas Bouvier, L'œil qui écrit, Petites Bibliothèque Payot, 2010.

• Laurent GREILSAMER, L'éclair au front, la vie de René Char, Fayard, 2004.

• Jean-Pierre MARTIN, Henri Michaux, NRF Biographies, Gallimard 2003.

 

Second post-scriptum :

Aucune donnée biographique, ni bribe d'histoire littéraire ne m'ont soutenu dans la lecture de De l'Amour, les avatars amoureux de Henri Beyle, dit Stendhal : je me suis fait profondément chier. Et je pensais pallier mes manques ?

L'Amour fou des surréalistes était passé bien avant. Trop tard pour apprécier les "cristallisations" de monsieur le Consul.

 

 

Je retiendrai de François Laut ce précepte d'Asie centrale qui m'est une lueur dans ces pérégrinations littéraires :

 

« Garde-toi de demander le chemin à qui le connaît, tu risquerais de ne pas t'égarer. »

mercredi, 07 juillet 2010

long et paisible bord de près, babord amures

 

Dans l'anticyclone, les vents thermiques de noroît ont atténué leur agressivité qui bloquait Dac'hlmat dans la quiétude de la baie de Quiberon.

 

ce qui pourrait être extrait du livre de bord :


La Teignouse fut passée contre deux heures de flot, de manière chaotique. La navigation du jour s'est achevée sur un long bord de près, babord amures, dans une mer belle, à peine ridée, un temps de demoiselle. Un sentiment d'effleurer le monde.

 

Si vivre est tel, qu'on s'en saisisse ! Ah ! qu'on en pousse à sa limite,
D'une seule et même traite dans le vent, d'une seule et même vague sur sa course,

Le mouvement !...

 

Saint-John Perse,

Vents


Beau déboulé dans le goulet de la rade de Lorient entre la haute tour rouge de la Petite Jument et la tourelle verte de la Citadelle : Dac'hlmat, grand'largue, à plus de cinq nœuds contre deux heures de jusant !

 

Accueil à l'espagnol avec "marinero" qui vous prend les aussières, à Port-Louis, tout neuf de son port de plaisance.

 

Et dans le calme des escales quelques bouquins qui seront parfois ouverts, le regard se levant des pages pour accueillir les ciels.

 

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© Nicléane

 

Les bouquins ont été rangés dans le petit équipet qui fait usage de bibliothèque. Les uns pour combler les carences littéraires  — la censure était rude chez les Bons Pères — : Stendhal et son "De l'amour", Flaubert et son "Éducation sentimentale".

 

Les autres pour creuser et la philosophie avec "Le miel et l'absinthe " de Comte-Sponville sur Lucrèce, et le voyage lié au poème avec une biographie sur Nicolas Bouvier, sous-titrée L'œil qui écrit.

Bouvier, sur un chantier archéologique en Bactriane où se métissent des écritures grecques, karoshti indienne et chinoise, note : « Moi qui pensais être ici au bout du monde, j'étais en son centre. »

 

Moi, sur mon Dac'hlmat, glissant sur des eaux paisibles, quand s'effacent les rivages de Bretagne Sud, je pense être nulle part.

 

 

* François Laut, Nicolas Bouvier, l'œil qui écrit, Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, 2010.

dimanche, 20 juin 2010

chant contre-chant III, ou mieux, kan an diskan III

S'achève ici la publication parallèle et antithétique du texte absolument misogyne extrait du Moravagine de Blaise Cendrars, roman halluciné, d'un déjanté total — je pense que cette lecture a dû m'épargner la lecture de... Sade et autre Bataille — et du lyrisme échevelé, à la fois saharien et océanique, de la Clef sarrazine, le texte de Jacques Lacomblez, poète et peintre surréaliste plus (trop ?) ignoré.

 

Cendrars donc

 

La femme est maléfique. L'histoire des civilisations nous montre les moyens mis en œuvre par les hommes pour se défendre contre l'avachissement et l'effémination. Arts, religions, doctrines, lois, immortalité ne sont que des armes inventées par les mâles pour résister au prestige universel de la femme. Hélas! cette vaine tentative est et sera toujours sans résultat aucun, car la femme triomphe de toutes les abstractions.
Au cours des âges, et avec plus ou moins de retard, on voit toutes les civilisations péricliter, disparaître, s'enfoncer, s'abîmer en rendant hommage à la femme. Rares sont les formes de sociétés qui ont pu résister à cet entraînement durant un certain nombre de siècles, ainsi que le collège contemplatif des brahmanes ou la communauté catégorique des Aztèques; les autres, comme celles des Chinois, n'ont pu qu'inventer des modes compliqués de masturbation et de prières pour calmer la frénésie féminine, ou, comme les chrétiennes et les bouddhiques, ont eu recours à la castration, aux pénitences corporelles, aux jeûnes, aux cloîtres, à l'introspection, à l'analyse psychologique pour donner un nouveau dérivatif à l'homme.
Aucune civilisation n'a jamais échappé à l'apologétique de la femme, à part quelques rares sociétés de jeunes mâles guerriers et ardents, dont l'apothéose et le déclin ont été aussi rapides que brets, telles que les civilisations pédérastiques des Ninivites et des Babyloniens, plutôt consommatrices que créatrices, qui ne connaissaient nul frein à leur activité fiévreuse, nulle limite à leur appétit énorme, nulle borne à leurs besoins, et qui se sont pour ainsi dire dévorées elles-mêmes en disparaissant sans laisser de traces, ainsi que meurent toutes les civilisations parasitaires en entraînant tout un monde derrière elles. Il n'y a pas un homme sur dix millions qui échappe à cette hantise de la femme et qui, en l'assassinant, lui porterait un coup direct ; et l'assassinat est encore le seul moyen efficace que cent milliards de générations de mâles et mille et mille siècles de civilisation humaine ont trouvé pour ne pas subir l'empire de la femme. C'est dire que la nature ne connaît pas le sadisme et que la grande loi de l'univers, création et destruction, est le masochisme.



Blaise Cendrars

Moravagine, pp.61-64

Le Livre de Poche, n° 275, Paris, 1960

©Bernard Grasset, 1926


Lacomblez, pour clore —  mais cet affrontement entre la plus belle haine et le plus fol amour est-il jamais clos ?


 

Toi
sableuse du désert des étoiles
où la mer fait la mer
pour elle seule
sans l'ombre d'une vague
tant le jour meurt en elle
comme la pierre tendre dort
sous ton front vêtu d'oiseau
de brume
et de dégel
Belle incendiée du porphyre
à minuit
quand la flamme hésite
mains tendues
au miroir de tes seins levés
par la brise
Incendiée sous l'eau par la planète
en exil de ton épaule marquée
au cœur rouge
Statue de sel d'horizon
de peine perdue
de mille sourcils
dans le temple qui brûle
Au bord de l'amour
je t'appelle Antilope
pour le vent que tu chasses
pour la part du ciel que tu gardes
sous tes jambes
Je rêve et c'est l'éveil des eaux
c'est la fonte noire des neiges
ton regard de novembre

Scellé ton corps dérobe

à l'océan
la clef du galion.


La distance la plus courte de la fleur à l'étoile est couverte par tes cheveux noués en demeure paisible, en demeure ouverte pour y faire l'amour au lever du vent si tu veux que le vent te regarde nue, si tu veux que le vent se fasse plus salin que mon corps, plus floral que ma langue dans ta voix.

Aux deux châteaux fragiles, beaux chevaliers d'ombre et de peur, je fais un chemin de bois mort quand tes larmes donnent aux caresses la saveur des pierres lointaines, un chemin de bois mort impérissable comme l'arc-en-ciel qui porte de l'orage à la mer le signe de ton ventre.


Tu t'avances au fond de ton regard même vers un colombier d'estuaire où je tiens la vie recluse pour les oiseaux de ton retour, ces oiseaux à perte d'oiseau tant l'horizon s'emplit de plumages.


II reste un sentier de gel où le soleil d'attente fixe l'ombre comme une épée nue, un sentier qui nous sépare encore de la foule des regards, il reste une heure de presqu'île au-delà du remous de tes épaules. Mais vêtue seulement du vent de la plaine, tu poses ies doigts sur une pierre de montagne où j'écrivis jadis que la femme est un désir fait citadelle au bord de la mer. Le peu de la mer retenue dans les paumes jointes parce que c'est la mer entière qui bat dans nos mains.


Comme nous l'avons désiré, le bois peint aux couleurs de l'arbre laisse couler le sable de fourmis tendres et de rosés géantes. Nous revenons au château que nous fûmes dans la jeune royauté de ton corps, surpris de nous rencontrer sommeillant à même notre amour.



Tu dis : J'ai longtemps voyagé.

— Et pourtant l'étoffe est encore chaude sous la voûte des Maures.

Tu dis : II fait si loin, là-bas.

— Et pourtant c'est moi le milan qui vole dans tes,yeux.

Tu dis : Je t'aime.

— Et c'est ma voix que j'entends.





Jacques Lacomblez

La Clef sarrazine

in Poètes singuliers du surréalisme at autres lieux,

A.V Aelberts & J.J. Auquier, UGE 10/18/, 1971.

lundi, 14 juin 2010

chant contre-chant II

En inversant le "kan an diskan" I

 

Lacomblez et sa Clé Sarrazine

 

Nous irons ensemble à la chute de tes reins où les raies sablières aux plumes de volcan accomplissent le premier raid immobile de mémoire maritime. Tu m'as donné la croix du Sud qui fleurit sur tes jambes un jour de grand partage des ombres.

Une heure est née pour la vénération des envols. C'est l'échelle des nuages sur ta poitrine de gazelle coursée, c'est ton sexe éveillé par l'étoile de la fin du monde, c'est ce qui tremble encore du soir dans tes yeux fermés.




Mon voyage soudain suit une courbe de morsure. Je donne au feu la terre cultivée, tes cheveux partout brisent le mouvement  des armées. On parle dans la pierre, on parle de toi dans nos étreintes, on parle de nous à même l'impossible.


Tu viens nue parmi les meutes de ronces comme une île où l'on vit les épaules lourdes de paradisiers et le regard perdu pour les vaisseaux de transhumance. Totale et nue, tu renverses sur leur faîte les conifères de la brume pour une prière de racines élevée vers le fond des lacs. Tu retiens entre tes jambes de vase à braises et de selle de chameau l'Andalousie de mon dernier regard.


Mille mains blanches comme la soif et précises comme l'absence se glissent entre nous avec des ruses de voilier traquant le seul récif gouverné par l'oiseau-tempête, que l'on nommera peut-être l'Amour dans une langue de Jamais et d’Ailleurs.


Je meurs avec lenteur dans les bas-quartiers de la ville invisible, une lenteur morne de blessure privée du glaive. Une lenteur de bijou nomade sur le plein champ de ta gorge, à la lueur des grêles amassées par la caravane qui t'emporte.


Je meurs cette fois vêtu d'une poussière de montagne.

 



Blaise Cendrars et Moravagine

 

Mulier tota in utero, disait Paracelse ; c'est pourquoi toutes les femmes sont masochistes. L'amour, chez elles, commence par la crevaison d'une membrane pour aboutir au déchirement entier de l'être au moment de l'accouchement. Toute leur vie n'est que souffrance; mensuellement elles en sont ensanglantées. La femme est sous le signe de la lune, ce reflet, cet astre mort, et c'est pourquoi plus la femme enfante, plus elle engendre la mort. Plutôt que de la génération, la mère est le symbole de la destruction, et quelle est celle qui ne préférerait tuer et dévorer ses enfants, si elle était sûre par là de s'attacher le mâle, de le garder, de s'en compénétrer, de l'absorber par en bas, de le digérer, de le faire macérer en elle, réduit à l'état de fœtus et de le porter ainsi toute sa vie dans son sein ? Car c'est à ça qu'aboutit cette immense machinerie de l'amour, à l'absorption, à la résorption du mâle.


L'amour n'a pas d'autre but, et comme l'amour est le seul mobile de la nature, l'unique loi de l'univers est le masochisme. Destruction, néant, que cet écoulement intarissable des êtres ; souffrances, cruautés inutiles que cette diversité des formes, cette adaptation lente, pénible, illogique, absurde de révolution des êtres. Un être vivant ne s'adapte jamais à son milieu ou alors, en s'adaptant, il meurt. La lutte pour la vie est la lutte pour la non-adaptation. Vivre c'est être différent. C'est pourquoi toutes les grandes espèces végétales et zoologiques sont monstrueuses. Et il en est de même au moral. L'homme et la femme ne sont pas faits pour s'entendre, s'aimer, se fondre et se confondre. Au contraire, ils se détestent et s'entre-déchirent; et si, dans cette lutte qui a nom l'amour, la femme passe pour être l'éternelle victime, en réalité c'est l'homme qu'on tue et qu'on retue. Car le mâle c'est l'ennemi, un ennemi maladroit, gauche, par trop spécialisé. La femme est toute puissante, elle est mieux assise dans la vie, elle a plusieurs centres érotogènes, "elle sait donc mieux souffrir, elle a plus de résistance, sa libido lui donne du poids, elle est la plus forte. L'homme est son esclave, il se rend, se vautre à ses pieds, abdique passivement. Il subit. La femme est masochiste. Le seul principe de vie est le masochisme et le masochisme est un principe de mort. C'est pourquoi l'existence est idiote, imbécile, vaine, n'a aucune raison d'être et que la vie est inutile.




samedi, 05 juin 2010

entre quelques rosiers

 

Ce matin à ma fenêtre
Quatre roses endormies
Evidence et loyauté
Dans leur corolle éblouie.
A midi à ma fenêtre
Quatre roses de grand ciel
Découvrent que le soleil
D'amour souffre violence.

Rose de la beauté noire
Songe rouge de mes nuits
Roses montant de la terre
À proximité du ciel.
Semaisons, soleil et vie
Cheminements de la pluie
Enigmes et parabole
De la rose sans parole.


Henry Bauchau




Loin du tohu bohu d'un Calaferte pornographe, des monstruosités érudites de Quignard.

Lire Bauchau : un apaisement qui n'efface aucune question.

 

J'attends l'ouverture des lys.

samedi, 29 mai 2010

nommer et ne pas citer ?

Jeudi, suite à la une du LibéLivre sur Calaferte, je nomme un de ses bouquins, Satori, publié en 1968, repris en Folio en 1997. Et je ne cite point. Je nomme La Mécanique des femmes *. Et je ne cite toujours pas.

Absorbé sans doute pas des parcours incessants depuis quelques jours dans les "petits traités" de Pascal Quignard, — des vrais Petits Traités à Zétès —dont les concisions me fascinent toujours autant. Malgré quelques impatiences, irritations, sinon répulsions.

 

Ce matin, je "répare".

 

Le paragraphe 34 :


Ô, mes vénales ! Huppes renardes, lippe engrossée, siphonnez-moi ! Des dents ! Des yeux ! Des fronts ! Des nuques ! Des langues coulomelles ! Pas de nuit sans vos vulves muscates. Tel —, je me hampe sur vos sveltes fumiers. Je fouine, foutre, mange, bâfre et broie, ronge. Mes sordides nourrices ! Tous vos corps ! Tous vos corps ! Tous vos membres ! Les orties de la peau ! Vos salives qui bêlent. Vos mousses alcalines. Vulgaires ! Vos abois ! Je vous hume à la chienne. Je vous constate. Vous octroie. Couvrez, harcelez-moi de vos mamelles floches. Dans le sang ! Dans l'onguent ! Ce sirop ! Ce gluten ! Je gobe vos oursins. Bêtes crottées. Boales.J'entorse vos cheveux. Griffures ! L'acide amer sous vos aisselles. Lèche. Lape. Liche. Râpe. Grumeaux. Sorcières ! Crapulez-moi ! Mon Mal est diabolique. Ruses ! La claque des hanches. Aux lèvres charnelantes je tranche des baisers de boue. Saintes souilleuses ! Abrégez-moi ! Vos grandes bouches disloquées de félicité silencieuse sont mes Rosaires à moi. Je roule. Rauque. Courroucé. Je râle dans vos culs pluvieux. Goules !

 

Le paragraphe 35  — la phrase qui ouvre et qui laisse pressentir les années ultimes:



J'assiste à une représentation qui, déjà, n'est plus la mienne.


 

Citerai-je La Mécanique des femmes ? Brefs appels du désir et cris longs de la jouissance...

Vous ! Allez lire.


 

Et puis à la dernière page de Rag-time, un dernier poème ébouillanté, pour apaiser des tumultes, des orgasmes, des révoltes. Méfiez-vous, on y rencontre la mélancolie et la mort.

 

 

Les arbres sont jolis dans la matinée blonde
et les femmes aussi
les rues et leurs maisons qu'une vapeur inonde
qu'il ferait bon ici

Tout quitter me peine
j'en ai le cœur gros

Les promeneurs sont neufs dans d'élégants costumes
accompagnés d'enfants
on croise des cheveux légers et que parfument
quelques poivres troublants

Tout quitter me peine
j'en ai le cœur gros

Quand je serai parti que d'autres à ma place
passeront par ici
qu'ils aient en souriant pour ma vieille carcasse
une pensée merci

Tout quitter me peine
j'en ai le cœur gros


 

 

* Faut-il signaler l'adaptation réalisée par un certain Jérôme de Missolz ? Mais Christine Boisson y est si luxurieusement belle !

jeudi, 27 mai 2010

lassitude s'éloignant

 

« Seule une grande ferveur intellectuelle triomphe de la fatigue et des flétrissures du corps. »


C'est de Gide cité par Calaferte, cité dans le LibéLivres de ce jour, à propos du Jardin fermé, l'ultime journal de ce dernier.

 

Ça me va bien, quand je commence de remonter la pente en lente hâte. Mais le courage n'est guère pour l'écriture.

 

Je feuillette quelques pages de Satori. Cent pages d'un maelstrom douloureux.

Mais où donc ai-je rangé La Mécanique des Femmes — le bouquin, bien sûr ?

 

 

vendredi, 21 mai 2010

deux ou trois jours à Foleux

Flageolantes, les jambes et le souffle, court..

Nous n'irons point en mer belle ; plus calmes encore seront les rives de Vilaine.

 

Je n'emporte qu'une "grosse" lecture : La Guerre d'Algérie sous la direction de Mohammed Harbi et Benjamin Stora*, manière de relancer l'écriture d'Algériennes.

 

Quand de vieux nostalgiques protestent contre Hors-la-loi, le film de Rachid Bouchareb, il est bon de réajuster ses pensers en lisant "Rétablir et maintenir l'ordre colonial", pp. 107-112, dans le bouquin ci-desssus cité.

 

Extrait :

 

La loi était suspendue. La nécessité - c'est-à-dire faire face à la menace à Guelma - fit loi, selon la formule. Entre la loi et la nécessité, il y a un rapport ambigu qui justement fonde l'état d'exception.

Jean-Jacques Rousseau considérait que « l'inflexibilité des lois, qui les empêche de se plier aux événements, peut en certains cas les rendre pernicieuses et causer par elles la perte de l'État dans sa crise ».
En affirmant «
la répresson sur mon ordre a été brutale et rapide », en appelant « comité de salut public » ce tribunal expéditif chargé d'envoyer à la mort souvent des innocents, Achiary encouragea l'exception pour conserver l'ordre.



Guelma 1945 n'était pas 1793-1794.
Achiary pensait se placer du côté de la violence comme «
conservatrice du droit » pour reprendre ici l'expression de Walter Benjamin, quitte à se mettre en dehors de la loi en n'exigeant plus par exemple de levée d'écrou écrite à la prison. En réalité, il instaurait comme norme le désordre.
Guelma se trouvait donc bien au paroxisme d'un état d'exception colonial, qui était dans les faits permanent, où la nécessité fondait la loi, en mai-juin 1945 avec encore plus de gravité qu'en temps normal. À Guelma, le droit de la police indiquait «
le point où l'État, soit par impuissance, soit en vertu de tout ordre juridique — colonial — ne peut plus garantir par les moyens de cet ordre les fins empiriques qu'il désire obtenir à tout prix » : la paix dans l'ordre colonial.



Cet État dont Guelma représente l'acmé de l'exception était bâti sur une Union sacrée de tous les Européens face au péril « indigène ». La colonisation et la défense  des intérêts coloniaux dépassaient les différences politiques.
D'où le soutien apporté après les faits à André Achiary et aux forces de l'ordre par tous, des communistes à la droite républicaine.



Jean Pierre Peyroulou, p. 112

 

 

Qui donc, en ce mai 1945, est vraiment HORS-LA-LOI ?

 

 

* La Guerre d'Algérie sous la direction de Mohammed Harbi et Benjamin Stora, aux Éditions Robert Laffont, 2004.

Manière de rendre hommage au vieil éditeur qui vient de disparaître.

Relire aussi

Massacres coloniaux, Yves Benot, préface de François Maspéro, La Découverte/poche, 2001.

et

Les Massacres de Guelma, Marcel Reggui, La Découverte, 2006.

mardi, 18 mai 2010

« Le Verfügbar aux enfers »

 

Survivre, notre ultime sabotage.

 Germaine Tillion


 J'étais sceptique sur la représentation de ces écrits de résistance de Germaine Tillion. Elle aussi sans doute puisqu'elle a retardé, jusqu'à la dernière année  de sa vie, la décision de faire chanter.cette "opérette". Première réalisation pour la scène, en juin 2007 ,au Châtelet, que nous devons grâce à la mise à jour des airs par Nelly Forget, une "ancienne" des Centres sociaux éducatifs en Algérie — elle en fut l'une des premières, j'en fus un des derniers — qui accompagna les annnées ultimes de l'ethnologue des Aurès !

 L'interprétation, à Nantes, par mes collègues de l'atelier d'interprétation vocale de l'Université permanente — vingt-huit femmes évoluant en chœur antique alentour d'un vaste bat-flanc à trois étages, tour à tour wagon de déportation et bat-flanc d'un bloc du camp  — fut d'une forte beauté, renforçant l'humour ravageur, la crudité des corps et l'imbécile cruauté du système nazi.

 

Merci à vous, Femmes.

 

Dans le hall de la salle Vasse, était affiché un texte de René Guy Cadou. L'avais-je oublié ?

 

A Ravensbruck en Allemagne
On torture on brûle les femmes

On leur a coupé les cheveux
Qui donnaient la lumière au monde

On les a couvertes de honte
Mais leur amour vaut ce qu'il veut

La nuit le gel tombent sur elles
La main qui porte son couteau

Elles voient des amis fidèles
Cachés dans les plis d'un drapeau

Elles voient Le bourreau qui veille
A peur soudain de ces regards

Eles sont loin dans le soleil
Et ont espoir en notre espoir.


Ravensbruck
Pleine poitrine

1944-1945

samedi, 15 mai 2010

palmes et murmure des "séguia"

Relisant paresseusement Le voyage en Algérie, voici, s'insinuant, la douce-amère nostagie — c'est très sain, énonce une dame dans le Monde Magazine de ce jour — je m'y "évaille" donc paisiblement :

 

Biskra, 30 novembre (1903)



Je rentre au cœur de ma jeunesse. Je remets mes pas dans mes pas. Voici les bords charmants de ce sentier que je suivais, ce premier jour où, faible encore, échappé de l'horreur de la mort, je sanglotai, ivre du simple étonnement d'être, du ravissement d'exister. Ah ! qu'à mes yeux encore fatigués l'ombre des palmes était calmante ! Douceur des ombres claires, murmures des jardins, parfums, je reconnais tout, arbres, choses... le seul méconnaissable, c'est moi.


... ce jardin que j'ai vu planter, est déjà feuillu, touffu, compliqué. Il s'assombrit d'ombrage et de mystère...


Qu'il ferait bon, s'il n'était tant de pauvres sur la terre, y deviser sans bruit, avec quelques amis, ce matin.

 

André GIDE

 

Moins de soixante ans après Gide, la palmeraie avait à peine frémi.

Mais aujourd'hui ?


Y retournerai-je jamais ?



 


samedi, 08 mai 2010

les écrits brûleront encore

 

« J'affirme que ce livre est interminable. »

 

À la page 319 de son Livres en feu*, voilà ce qu'écrit Polastron.

 

Il a déjà parcouru depuis 1358 avant notre ère toutes destructions et incendies des bibliothèques ; il vient d'évoquer l'invasion de l'Irak par les "Marines" en 2003 , les diverses bibliothèques de Bagdad, pillées ou incendiées, selon.

 

Il nous livre encore 224 pages pour évoquer les dommages de paix jusqu'aux embarras que sans doute suscitera "la connaissance ignifugée", en clair la numérisation des toutes les bibliothèques du Monde. Il ajoute postface, annexes (3), appendices incluant remerciements, chronologie sélective, bibliographie, notes et index.

 

Tout quoi ! de ce quoi doit être fait un livre.

Pour les liseurs, lecteurs, auteurs, écrivains, écrivants, éditeurs, libraires, bibliothécaires, instituteurs, professeurs, animateurs, acheteurs, vendeurs, tous les passionnés de ce support de nos écrits**.

 

Mon avis est qu'il aurait dû, chapeautant le colophon, répéter cette terrible phrase :

 

« J'affirme que ce livre est interminable. »

 

 

* Lucien X. POLASTRON, Livres en feu, Folio essais n°519, 2009.

** Ne pas oublier de féminiser tous ces usagers de l'objet. Peut-être sont-elles plus les nombreuses ?

 

Éventuellemnt relire les notes des 20 et 23 décembre 2009, sur des lectures dues au conseil érudit de Constantin Copronyme.

jeudi, 15 avril 2010

nul lieu

Il y a un lieu dans le monde, à la limite du monde, où un mot n'est pas. Il n'est pas visible, il n'est pas prononcé, il n'est pas inscrit mais il fait écho. Quelque chose qui appelle dans les vents, quelque chose qui appelle dans les oiseaux. Quelque chose appelle dans tous les cris qui est beaucoup plus ancien que les mots, les verbes, les lexiques, les grammaires.

 

Pascal Quignard,

Lycophron et Zétès

 

brume2.jpg

lors d'une lecture de Zétès entre silence et obscur.

 

Pasacal Quignard ! J'ai dû le croiser à Ancenis au début de l'été 1968, entre la rue Barême, où je crois, habitaient ses deux tantes et l'Église dont il fut quelques mois l'organiste.

Nous revenions d'Algérie.

Et le nom de Quignard n'était alors — sans doute — que le nom de ces deux respectables vieilles dames de la petite bourgeoisie ancenienne.

 


 


 




 

mardi, 06 avril 2010

histoires de tablettes

Je me suis précipité... un peu vite sur le dernier Quignard paru en Poésie/Gallimard,  Lycophron et Zétès*. Au hasard de ma première "pioche" dans l'obscurité des pages :

 

Fatigué, toujours malade, vieillissant, le matin, pour pouvoir se redresser et lire, il en était réduit à se tenir par les mains à une corde attachée à une poutre au-dessus de son lit sur laquelle il tirait pour se pencher sur la traduction du jour.


C'est ansi que Pascal Quignard évoque Jérôme, au désert, traduisant les Écritures depuis quarante-cinq ans. L'ermite très âgé, devenu plus tard, beaucoup plus tard, Père de l'Église, à l'instar d'Ambroise et Augustin, entretient une abondante correspondance avec les veuves et les vierges, donnant aux unes des règles pour passer chrétiennement le temps de leur viduité, aux autres des conseils de mortification pour ne point tomber dans les bonheurs de la chair (lire la Lettre à Eustochia).

 

Je ne suis pas loin de m'identifier, écrivant ce blogue, au grand ermite. Foi, génie et mortification en moins !

 

Mais il est vrai que l'arrivée de l'iPad m'évitera sans doute d'attacher une corde à la poutre qui domine ma couche. Du moins, si je m'en réfère aux lignes enthousiastes de FB, qui déroule minute après minute le dévoilement de la tablette extraordinaire à la pomme croquée.

Bienheureux retour aux tablettes du scribe mais qui devient bibliothécaire, cinéphile, vidéaste, mélomane.

 

* Une traduction de l'Alexandra de Lycophron en 1853, par F.D. Déhèque ne déchire point l'obscurité du texte, mais fournit un mince fil d'Ariane au lecteur quelque peu désemparé par les nocturnes beautés de la traduction de Quignard. Celle-ci date de 1971.

Ça me ramène en 1975 à ma première lecture d'un texte de Quignard sur Michel Deguy, chez Seghers. Les yeux, alors,  m'en tombent.

Heureusement, Les tablettes de buis d'Apronenia Avitia seront publiées en 1984.

 

Femme qui aime le son du buis. Femme d'une tablette. Femme qui joue sur la cire. Femme qui aiguise le tranchant du stylet. Femme qui cache une vulve trop large et flasque. Femme qui se sert d'un morceau de toile usagée. Femme qui essuie des petites flaques de temps répandu.

 

Jérôme est au désert, tirant au petit matin sur sa corde pour mieux lire les versets traduits de la veille. Et je me demande si Quignard ne se souvient pas des Notes de l'oreiller que Sei-Shonagon écrira dans un lointain archipel cinq cents ans après la Vulgate de l'ermite du désert.

Acceptons donc que la traduction de Lycophron ne soit qu'une erreur mallarméenne de jeunesse.

 

 

 

mardi, 30 mars 2010

à "l'écoute intérieure" de Michel Chaillou

Dans un amphi du CHU de Nantes, j'entends Michel Chaillou parler de son écoute intérieure.

Je suis dans une attention sommeillante aux bords de la rêvasserie.

Glane de mots en pépites.

Est-ce que je fais mon choix pour tenter de définir ce qu'est pour moi la littérature.

 

L'essentiel est toujours hors sujet — l'or du sujet. La phrase évasive !...On est toujours fort de ses incertitudes...

...L'érotisme ou la pornographie polie...

...L'environnement des mots, voilà qui dit : l'entre'mots devient lisible...la phrase évasive...  J'entends parler au loin... la littérature ? là où la nuit est plus forte que le jour...

...Attentif aux points fervents de la réalité. Perdre le sens pour entendre la rumeur...Le style, c'est le dépôt du temps dans ma langue...

Écrire à rebours.

 

Me serais-je endormi ?

 

 

mardi, 09 mars 2010

féministe et gérontophile

C'est Charles Fourier, célébré par André Breton

 

...Fourier

Toi debout parmi les grands visionnaires

Qui crus avoir raison de la routine et du malheur

Ode à Charles Fourier (1947)


En thèse générale : Les progrès sociaux s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté, et les décadences d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes.  L'extension des privilèges des femmes est le principe général de tous progrès sociaux (I, 132-133).



fourier2.jpgIls s'alarment si l'on élève les femmes à la culture des sciences ou des arts ; ils ne voudraient chez les jeunes personnes d'autre goût que celui d'écumer le pot-au-feu ; telles sont leurs propres paroles, qu'ils font entendre jusque sur les théâtres. Ils ne sont occupés qu'à contrarier l'amour du plaisir ; ils n'entrevoient que des cornes dans l'avenir ; ils sont hargneux et tracassiers sur les goûts des femmes, ombrageux comme les eunuques autour des odalisques (I, 133-137).


On a lieu de s'étonner que nos philosophes aient hérité de la haine que les anciens savants portaient aux femmes et qu'ils aient continué à ravaler le sexe, au sujet de quelques astuces auxquelles la femme est forcée par l'oppression qui pèse sur elle ; car on lui fait un crime de toute parole ou pensée conforme au vœu de la nature.
Tout imbus de cet esprit tyrannique, les philosophes nous vantent quelques mégères de l'Antiquité qui répondaient avec rudesse aux paroles de courtoisie. Ils vantent les mœurs des Germains, qui envoyaient leurs épouses au supplice pour une infidélité ; enfin, ils avilissent le sexe jusque dans l'encens qu'ils lui donnent. (X, vol. 2, 173)

 

(Tiré des Œuvres complètes, réédition Anthropos, 1967 -

choix par Daniel Guérin, in Vers la liberté en amour, Idées Gallimard, 1975)

 

Les premiers textes datent de 1808.

 

Hélène Cixous, invitée sur france Cul pour la Journée du droit des Femmes et pour la réédition de son Rire de la Méduse,  évoquait, hier matin, l'existence du nouveau Continent Noir qu'est la vieillesse — par d'autres appelé Continent Gris — espace délaissé qui demeure à explorer ; à la suite de Fourier, nous faudrait-il revendiquer « le service amoureux dû aux vieillards » ?