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mardi, 30 juillet 2013

la lecture estivale du vieillard

à Pierre C.
pour son entrée dans les Octantes
(et ce n'est pas un cadeau !)

 

Ailleurs, dans mon magazine actuel, c'est écrit  "Sur la plage, les pavés", "La liste noire de l'été". Et invariablement depuis, chaque été, ces références à des pavés, des plages et des paresses estivales. Sans doute y a-t-il de bons crus ? Je suis peu sensible à ces appâts éditoriaux.
J'ai plutôt mes "piles" de l'année. La première de 2013 fut celle de Camus (Albert !), elle est toujours en service. Mais, depuis au moins dix ans, j'ai une pile "Vieillesse" qui demeure sur la platine pas encore tout à fait obsolète de mes vinyles, et le plus consulté de la pile, c'est, de John Cooper Powys, L'art de vieillir. Powys, ce Gallois baroque, sensuel et délirant qui m'enchanta, dans les années 80, avec Le Déluge, le tome IV des Enchantements de Glastonbury.


La Vieillesse...recherche "l'oisiveté afin de retrouver son âme". Elle veut discourir, ruminer et réfléchir. Elle veut s'adonner à d'heureuses divagations.
Elle lit avec sa philosophie, elle lit avec ses réactions esthétiques, elle lit avec le bagage obscur, amorphe, inconstant de son expérience complexe, elle lit avec son être stupide, végétatif, avec sa passivité animale, avec la solitude de son égoïsme, avec l'humilité impersonnelle de son indifférente curiosité.
Elle déchiffre le monde sous le faisceau lumineux qui vient de la sphère extérieure de l'âme. Elle a surtout grand besoin d'une sensation très particulière qu'il exige de ses lectures, la sensation de la continuité de la vie.
... la Vieillesse, en revoyant les années passées, ne veut pas s'arrêter quand ses propres souvenirs commencent à s'estomper. D'instinct, elle fait appel à ceux de ses ancêtres, à ceux des hommes du temps jadis !
Ainsi donc, les livres qui font le mieux l'affaire sont ceux-là même que l'on ne saurait lire rapidement ou feuilleter. Ces ouvrages charrient les courants superficiels et profonds du fleuve de la vie tandis qu'il glisse entre les brumes d'un passé populeux et celles d'un avenir inhabité.
Ces livres ne seront pour ainsi dire jamais du genre à vous ensorceler, à vous hanter, à vous captiver ou vous galvaniser. Au diable, ces drogues envoûtantes n'offrant aucune difficulté que l'on ne puisse surmonter sans gros effort, aucune de ces pages vides à la banalité reposante, aucun plagiat académique plaisant autant que facile, aucune platitude humaine sans valeur artistique, aucun radotage désuet, aucun paysage herbeux et monotone, aucune dune stérile entre la mer et la terre, aucun promontoire dénudé d'où observer la marche ennuyeuse des Constellations ! Au diable, ces livres qui vous donnent la fièvre, qui vous titillent, ces livres à vous faire dresser les cheveux sur la tête, ces livres sans aucune répétition, sans aucune défaillance, sans aucune digression, sans aucune divagation rhétorique, sans aucune description méticuleuse, sans aucun horizon d'une fastidieuse uniformité !
Bref, les livres qui conviennent le mieux aux personnes âgées sont, de toute évidence, ces ouvrages peu passionnants, peu actuels, interminables que nous en sommes venus à appeler les Classiques. Que les Classiques ne soient pas lecture facile, que les Classiques soient parfois obscurs et souvent très ennuyeux, qu'ils requièrent invariablement des tâches aussi mécaniques que chercher des mots dans le dictionnaire ou dans le lexique, est d'autant mieux pour les personnes âgées.

 

Ajouterai-je que si Powys n'écrit dans les lignes précédentes qu'à propos du vieux lecteur mâle, il nuance dans les pages suivantes le comportement de nos compagnes lectrices :

Dans sa sensibilité littéraire, la femme se montrera beaucoup plus éclectique et ouverte que son contemporain et aussi beaucoup moins pédante.
J'aurais tendance à penser que les vies réalistes et passionnantes d'êtres qui ont marqué la société seront, après les romans, sa lecture préférée.


* John Cooper Powys, L'art de vieillir, traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, Coll. "en lisant en écrivant", Librairie José Corti, 1999.
pp. 235-244.

Du même,  Le Déluge, tome IV, Les enchantements de Glastonbury, Coll. Du monde entier, Gallimard 1976

Commentaires

Je réalise que toujours j'ai été vieux...

Écrit par : Sel&Soufre | mardi, 13 août 2013

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