vendredi, 24 avril 2009
Boualem Sansal ou l'écriture du courage
J'ai rencontré Boualem Sansal, hier au soir, au Lieu Unique, dans le cadre des EuroMéditerranéennes.
Je n'ai pu empêcher l'émotion de me nouer la gorge et les larmes d'inonder les yeux. Ses écrits depuis 1999 percent les pénombres sanglantes et le borné du fanatisme. L'espoir épuisé reprend racines en entendant cet homme qui avoue modestement, paisiblement que la violence qui le menace chaque jour est « encore gérable ».
Cinquante ans après Kateb Yacine, il se lève pour affirmer le passé, le présent et le futur du Berbère, homme aux carrefours des cultures, des races, des envahisseurs, des occupants, des métissages, en ce pays appelé jadis Numidie et qui est le Maghreb.
Sur l'autre rive, soyons heureux d'avoir de tels manieurs de langue française : Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Nabile Farès, Rachid Mimouni. Et je n'oublie point les aïeux : Feraoun, Dib, Mammeri, Sénac.
Il y a longtemps, trop longtemps on va dire, que nous ne nous sommes pas parlé. Comment mesurer le temps écoulé si personne ne bouge, si rien ne vient, si rien ne va ? Constater l'arrêt est un progrès, cela implique cette chose banale et fantastique que quelque part, quelqu'un, un jour, vous, moi, un autre, a dû s'entendre dire : « Dieu, où en sommes-nous après tant d'années livrées au silence ? » ou simplement : « Que se passe-t-il en ces lieux ? » Terribles questions. Des hommes sont morts sans savoir, et d'innombrables enfants arrachés à la vie avant d'apprendre à marcher, et des villes entières, qui furent belles et enivrantes, ont été atrocement défigurées. Le nom même de notre pays, Algérie, est devenu, par le fait de notre silence, synonyme de terreur et de dérision et nos enfants le fuient comme on quitte un bateau en détresse. Et combien de touristes l'évitent à toutes jambes ! La beauté de nos paysages et notre hospitalité légendaire ne font pas le poids devant les mises en garde des chancelleries et les alarmes insoutenables des médias et des ONG.
Nous voilà seuls, à tourner en rond, ressassant d'antiques lamentations.
Mais peut-être aussi avons-nous cessé de nous parler parce que personne n'écoutait l'autre. La rumeur galopante, l'ivresse du vide, le bourdonnement lancinant de nos rues, l'imposante étroitesse de nos grands esprits, les flonflons, les prêches, les harangues, les crises, les terrorismes, les détournements et les famines qui ont décimé plus que l'économie ne l'autorisait, les pénuries qui ont occupé nos vies si courtes, les corvées d'eau, les deuils, les queues devant les juges, le regard hypnotisant des surveillants ont leur part d'explication dans notre aphonie, c'est vrai. Combien excusables sommes-nous de ne pas savoir parler et courir à la fois ! Pense-t-on à tirer des plans sur la comète lorsqu'on est assailli par le malheur au quotidien et que la grande affaire, la véritable urgence, la ruse de chaque instant,consiste à échapper à la mort, à tromper le bourreau, à se garder des catastrophes, à contourner les plantons, à gagner du temps tout simplement.
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Une autre fois, nous parlerons des héros qui ont conduit notre résistance séculaire contre les envahisseurs : les rois Juba et Jugurtha tués par les Romains, la reine Kahena tuée par les Arabes, l'émir Abd el Kader chassé par les Français, mort en exil, Ben M'Hidi exécuté par le général français Aussaresses, Abane Ramdane, le chef de la révolution algérienne, assassiné par les patrons du FLN, etc
Poste restante : Alger
Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes.
Je n'ai lu que Le serment des Barbares, Harraga et son Petit éloge de la mémoire.
Il est publié en Folio, il habite Boumerdès, l'ancien Rocher-Noir, refuge de l'administration gaulliste dans les dernières années de l'Algérie "française", puis du Gouvernement provisoire entre mars et juin 1962. Les derniers livres de Boualem Sansal sont interdits, ils circulent sous le manteau.
A-t-on encore besoin du bon vieux samizdat des années soviétiques pour répandre son œuvre ?
La Toile ? Elle peut servir ! Non ?
Nous allons en parler ce soir. Avec lui.
16:02 Publié dans les civiques, les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
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