dimanche, 26 avril 2009
butinantes algériennes
Il faut éviter les énumérations d'écrivains quand l'un d'eux vous entraîne dans l'évocation d'un pan de littérature qui s'est dispersé au fil des ans sur les rayons selon l'ordre "logique" qui présidait alors à aux passions et intérêts plus ou moins marqués du lecteur.
Ainsi, la rencontre de Boualem Sansal — nous nous nous sommes quittés dans une si chaleureuse accolade, il m'a même laissé son adresse de courriel — me fait parcourir mes horizons algériens ; je ne sais plus où retrouver Feraoun, et le cherchant, je tombe sur le mince dos de dérisions et Vertige de Sénac
Jean Grosjean Dominique Aury me sortent des textes de
James Sacré.
Dans la grisaille un poète ose péter. Comme un saint
tibétain* rote dans le poème.
Mais sa ruche — depuis Char — rien aimé de plus
vaste — fabuleuse contrée d'une syllabe à l'autre !
Abeille du néant — mais pour quel miel aussi ! —
Denis Roche.
* Le "fou" de Dug en particulier, pour qui le mot "chie" est sacré.
Jean Sénac
Miel(c)
dérison et Vertiges, Actes Sud, 1983
Encore toujours à la recherche de Feraoun, une identique couverture marron clair, mais elle est de Maspéro, c'est un autre grand secoueur de la langue française, Nabile Farès.
: IV
les arrestations furent nombreuses. Tout comme avant 1962, les gens disparaissaient, après une convocation, pendant trois quatre mois, pour ressurgir ensuite, de l'autre côté de la grande ville, au pays sud.
Et les gens se taisaient, car personne n'y comprenait plus rien, sauf ceux qui, une nouvelle fois, prenaient le chemin des émigrés.
J'eus si peur, là, au fond du rire et du désarroi.
J'eus si peur que mon âme et ma force, ce courage
d'être que l'on nomme vivre, se sont affaissées.
J'eus si peur.
Terrible lieu de notre dire : je vis contre la misère
du dire, ou sa haine, ou sa blessure. Certains disent
que le sage préfère taire la parole du jour.
Le sage ? ou, le traître : ou le jaloux, celui qui garde pour lui le silence du jour.
C'est pourquoi, j'ai enfoui le carnet. Celui écrit
en français, par l'enfant mort, de la balle au front.
Mon âme est devenue vieille, d'un coup, comme
une feuille accrochée aux branches du figuier.
Les nervures de la parole, sous les racines de
l'amandier.
Le feu brûle encore aujourd'hui, malgré les pensées incrédules.
L'incantation demeure, car le pays a soif, soif.
C'est pourquoi j'ai enfoui le carnet, et ouvert mon amour vers ceux qui accompagnent la parole d’exil et du malheur.
Nabile Farès,
L'exil et le désarroi
Voix, François Maspéro, 1976.
Nabile Farès pressent, dans des prémisses qui ne laissaient aucun doute, la catastrophe intérieure que que va dénoncer, démonter, Boualem Sansal.
J'aurais bien aimé donner à lire le chapitre VII — trop long pour une lecture de blogue — de Mémoire de l'Absent, quand le Récitant se lève pour dire le vrai sur la KAHÉNA :
Telle est la place du Récitant.
La Kahéna est insaisissable ; et la parole doit mordre
le silence pour découvrir le Récitant. Celui dont le pouvoir
ne se limite pas à ce monde. Mais qui déploie.
Mais qui brasse. Mais qui anime. Mais qui ouvre tue
manœuvre produit invente jette les paroles du monde.
C'est ainsi.
Le Récitant n'est tenu d'aucune restriction en sa
parole ; car il est le Récitant.
Œuvre. Louanges. Ou Délires.
Tel est l'espace du Récitant. Qui confond la prudence.
Le siècle. Le faux discours. Celui qui ménage les portes
gauches du désir. Le tremblement des lèvres.
Ou la course neuve du dire.
Celui qui œuvre contre les disparitions de ce monde.
Qui lève la parole Mère dans le chaud d'être ou de mort.
Qui intensifie le regard et noue les fibres des lointains
temps.
Ici le jour doit toucher l'ombre comme une herbe
par temps de vivre
dire ?
Nabile Farès,
Mémoire de l'Absent, livre II
Seuil, 1974
09:07 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
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