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mercredi, 10 juin 2009

la "vita Merlini" 2

Puisque je suis parti dans la geste de Merlin, j'y vas !

 

Il y a deux ou trois siècles d'écrits qui dévoilent, ajoutent, recréent, brodent, glosent, commentent une histoire dont la source semble être un écrit de langue brittonne, fixant des traditions orales datant du VIe siècle, puis traduit en latin par Geoffroy de Monmouth, érudit gallois latinisant — s'inspirant lui-même d'un certain Nennius scribe du IXe siècle — qui fut dans la mouvance des ducs de Normandie, puis des Plantagenêts devenus rois d'Angleterre. L'ouvrage, la Vita Merlini, daterait de 1132. Le même érudit gallois écrira une Historia regum Britanniæ (qui développe l'histoire de Merlin en fondant ce qui allait devenir l'histoire du roi Arthur, de la Table Ronde, du Saint-Graal, francisée par Robert Wace en 1155, réécrite, par l'inévitable Chrétien de Troyes — lequel ignore et c'est aussi bien — la geste de Merlin qui sera amplifiée par Robert de Boron vers 1200.

 

Vers 1230, Le Lancelot-Graal — l'Estoire Saint Graal, l'Estoire de Merlin, le Lancelot propre, la Queste del Saint Graal, la Mort le Roi Artus — achève la vaste épopée arthurienne, laquelle s'est considérablement enrichie — ou appauvrie ! — des lectures très chrétiennes de scribes anonymes ou pas, moines des scriptoria ou écrivains de cour. Ce dernier ensemble semble assez cohérent et original pour laisser supposer l'existence d'un auteur, ou tout au moins d'un petit atelier unique de scripteurs.

 

Je n'ai pas parlé du Tristan de Béroul, de celui de Thomas, vers 1170/1190, le dernier plus conforme à l'idéologie amoureuse dominante de l'époque, ni du Peerlevaus (Perceval)



Donc, Merlin — ou  en gallois « Myrddin » ou « Myrdhin », en breton « Merzhin », en cornique « Marzhin », en latin Merlinus : un homme, barde, devin ou prophète, sans doute ayant été roi — le casqué d'Excalibur, le film de Boorman me paraît juste —, né d'un homme-fée (un diable, diront les chrétiens) et d'une pucelle, fille de roi et druidesse ou nonne, selon, avec toutes interrogations et interprétations.

 

Donc naît Merlin. Alla de grande Bretagne en petite Bretagne, conseilla, prophétisa, tomba amoureux de Viviane et vit encore— cet an 2009, encore, si,si ! — en lieu ignoré de la forêt de Brocéliande — en pays Gallo, nous disons plus prosaïquement  "forêt de Paimpont". D'où, suivant le conseil de Du Bellay, des récits qui suivront celui de Geoffroy de Bornemouth. Que voici, rédigé par un certain médiéviste, Jacques Boulenger*  :

 

Et, ayant ainsi travaillé, il se rendit en la forêt de Brocéliande auprès de Viviane, sa mie.
Quand elle le vit, elle fit paraître une grande joie, et lui, il l'aimait si durement que pour un peu il serait devenu fou.
— Beau doux ami, lui dit-elle, ne m'enseignerez-vous pas quelques nouveaux jeux, et comment, par exemple, je pourrais faire dormir un homme aussi longtemps que je voudrais sans qu’il s’éveillât ?
Il lui demanda pourquoi elle voulait avoir cette science, et elle ne lui confessa point la raison véritable, mais,hélas! il connaissait bien toute sa pensée.
— Parce que, dit-elle, toutes les fois que vous viendrez, je pourrai endormir mon père Doynas et ma mère: ils me tueraient s'ils s'apercevaient jamais de nos affaires. Et, de la sorte, je vous ferai entrer dans ma chambre.



Bien souvent, durant les sept jours qu'il passa avec elle, la pucelle lui renouvela cette demande. Une fois qu'ils se trouvaient tous deux dans le verger nommé
Repaire de liesse, auprès de la fontaine, elle lui prit la tête en son giron et, quand elle le vit plus amoureux que jamais:
— Au moins, dit-elle, apprenez-moi à endormir une dame.

Il savait bien son arrière-pensée; pourtant il lui enseigna ce qu'elle désirait, car ainsi le voulait Notre Sire. Et beaucoup d'autres choses encore: trois mots, par exemple, qu'elle prit en écrit, et qui avaient cette vertu que nul homme ne la pouvait posséder charnellement lorsqu'elle les portait sur elle; par là se munissait-elle contre Merlin lui-même, car la femme est plus rusée que diable. Et il ne pouvait s'empêcher de lui céder toujours.

Enfin, après une semaine, il la quitta tristement pour aller où il devait être, et ce fut dans la forêt de l'Epinaie aux environs de Logres.

Là, il prit l'apparence d'un vieillard tout croulant d'âge, monté sur un palefroi blanc, vêtu d'une robe noire et coiffé d'une couronne de fleurs, dont la barbe était si longue qu'elle faisait trois fois le tour de sa ceinture et, ainsi fait...
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Rêvant ainsi, Gauvain était entré dans la forêt de Brocéliande. Tout à coup il s'entendit appeler par une voix lointaine et il aperçut devant lui une sorte de vapeur qui, pour aérienne et translucide qu'elle fût, empêchait son cheval de passer. 

— Comment! disait-elle, ne me reconnaissezvous plus? Bien vrai est le proverbe du sage : qui laisse la cour, la cour l'oublie!
— Ha! Merlin, est-ce vous? s'écria messire Gauvain. Je vous supplie de m'apparaître, et que je vous puisse voir.
— Las! Gauvain, reprit la voix, vous ne me verrez plus jamais, et après vous je ne parlerai plus qu'à ma mie. Le monde n'a pas de tour si forte que la prison d'air où elle m'a enserré.
— Quoi! beau doux ami, êtes-vous si bien retenu que vous ne puissiez vous montrer à moi? Vous, le plus sage des hommes!

— Non pas, mais le plus fol, repartit Merlin, car je savais bien ce qui m'adviendrait. Un jour que j'errais avec ma mie par la forêt, je m'endormis au pied d'un buisson d'épines, la tête dans son giron; lors elle se leva bellement et fit un cercle de son voile autour du buisson; et quand je m'éveillai, je me trouvai sur un lit magnifique, dans la plus belle et la plus close chambre qui ait jamais été.
« Ha! dame, lui dis-« je, vous m'avez trompé! Maintenant que deviendrai-je si vous ne restez céans avec moi?
— Beau doux ami, j'y serai souvent et vous me tiendrez dans vos bras, car vous m'aurez désormais prête à votre plaisir. » Et il n'est guère de jour ni de nuit que je n'aie sa compagnie, en effet. Et je suis plus fol que jamais, car je l'aime plus que ma liberté.

 

Mes sources

pour cette note

• Merlin l'enchanteur, Jean Markale, Retz, 1981.

• Les romans de la Table Ronde, tome 1, Jacques Boulenger, préface de Joseph Bédier, UGE, 10/18, 1971

reprise d'une édition Plon, 1941.

• Histoire littéraire de la France, I. Des origines à 1600, sous la direction de Pierre Abraham & Roland Desne,  Les Éditions Sociales, 1971.

à feuilleter l'estoire de Merlin.


 

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