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dimanche, 12 novembre 2006

valse et hésitation

Pour un temps, mais un temps seulement, comme me l'intiment amicalement F et Berlol, refermer le dossier de la Lecture Ouvrière.
Revenir aux Poètes d'Aujourd'hui de chez Seghers et à cette fameuse livraison de mars 1961, à Rhardous, piton solitaire dressé entre Djebel Bou-Maad et Forêt-Affaïne, dans l'Ouest algérien.
Rilke, Jouve, Pessoa, Reverdy ! À l'époque, Rilke mis à part, ils sont rares, confidentiels. Le jeune autodidacte n'en est guère impressionné, il s'est lancé avec appétit dans la quête.
Aujourd'hui, le lecteur qui avance en âge éprouve une plus grande humilité devant ces géants.

Je sors, au lendemain du colloque Lecture/Monde du travail, d'une belle fin de semaine sur les Rencontres Littéraires Portugaises, à l'Espace LU, là où Quignard n'est point venu. Les poètes portugais présents, Nuno JÚDICE entre autres, ont évoqué l'ombre immense — les ombres, devrais-je écrire, celles des soixante-douze (?) hétéronymes - de Pessoa. En 1960, l'édition française ne croulait point sous l'avalanche de titres. L'auteur de l'essai, Armand Guibert, était un pionnier.
Aujourd'hui, Bourgois, La Différence, Corti, Rivages alimentent le lecteur — pourtant, ce serait bien, des œuvres complètes dans des collections comme "Bouquins" ou "Quarto".

Mais, il y a Pierre Jean Jouve et ces jours si sombres de novembre qui s'annoncent, chaque année, depuis quarante-deux années, cette proximité de la mort que Jouve m'a tant aidé, non à apprivoiser, non à oublier, mais à côtoyer le plus sereinement dans cette "lumière de cendres" qui peut être acceptable pour un modeste vivant.
Pessoa ? Jouve ? Pessoa ? Jouve ?
Ce sera sans doute Jouve.

Mais parce qu'il faut survivre et dès ce soir, de Nuno Judice, l'homme de "la lumière de cendres" dans Simulation de la mort :

...Alors allonge-moi près de toi, endors-moi ;
et donne-moi l'étonnement de ceux qui ont osé ta nudité.

traduit par Michel Chandeigne

samedi, 11 novembre 2006

"la vie enseigne, le livre précise"

L'horizon est gris, pour les bibliothèques d'entreprise.
À Saint-Nazaire, lors du colloque sur Lecture et Monde du travail, hier, nous avons beaucoup parlé de délocalisation, de sous-traitance, de précarité de l'emploi, d'intérimaires, de "boites" qui ferment. Et une "boite" qui ferme, c'est une bibliothèque qui disparaît ! Certes le développement des bibliothèques de lecture publiques enfle. Mais, mais ...!
Mais tes sept ou huit heures de boulot dans les bras ne t'encouragent guère à pousser une porte qui va d'ailleurs bientôt se fermer. D'ailleurs pour un lieu où prendre la parole dans l'espoir d' échanger est loin d'être encore un acte "légitime".
Je ne suis intervenu que dans la dernière heure, quand déjà les horaires des trains font les rangées de chaises vides. J'ai parlé des utopies de mon métier, glanées à travers l'éducation ouvrière — Pelloutier, Martinet, mon père quand, à la maison, il nous parlait de ses apprentis des Chantiers — l'éducation populaire — Peuple & Culture, Cacérès, Dumazedier, Georges Jean — l'éducation de base — Paolo Freire, Germaine Tillion.
De la nécessaire et permanente formation des lectrices et des lecteurs que les carences d'une école républicaine et bourgeoise n'ont fait qu'alphabétiser. Ce qui ne vous mène pas encore dans une proximité suffisante avec la maîtrise des écrits et l'émancipation intellectuelle.
J'y suis allé, avec ferveur, en guise d'au-revoir, de mon couplet, sur la Toile, les blogues, les sites, de cette étonnante et possible ouverture de la prise de parole quand la travailleuse et le travailleur s'estimeront enfin "légitimé(e)s" pour s'en saisir.

« ... les mots seuls ne construisent pas, il faut des outils, — et des humains farouchement décidés à s'en servir !

Marcel Hasfeld.

mercredi, 08 novembre 2006

ce n'est pas grave

Quignard n'est pas venu.
Fallait-il en avoir dépit ?

L'écrivain, le lecteur sont des solitaires. Le rêve d'un contact par solitude.

Liber, XVIIe traité, tome III, p. 415, en Folio



Plus tard dans l'insomnie des nuits....

Qu'étaient-ils, ces deux humains quand ils précédaient le langage ?
Comme une participation fortuite au dialogue de ma note de dimanche entre Caroline, Berlol et FB.

mercredi, 01 novembre 2006

« Sauvons-nous ! Nous-mêmes ! » ou la lecture et le monde du travail

Je suis invité à intervenir dans un Colloque sur Lecture/ Monde du Travail, les 9 et 10 novembre 2006, au Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire.
Je trouve que l'idée de ce colloque est plutôt bonne, dans un temps où tout ce qui concerne livres et lectures me parait se niveler, se dissoudre dans les béates consommations de papier et d'écran ou, à l'autre extrême, dans les sempiternelles déplorations sur la lecture qui baisse et l'illettrisme qui progresse....

Mais je ne tiens pas à faire d'exposé, plutôt l'apport d'un témoignage d'un modeste praticien..., fils d'un ouvrier métallurgiste des Chantiers de la Loire, devenu lettré — grâce à des "bons Pères" qui n'ont point laissé de son enfance, "un cadavre décomposé" (cf. Onfray sur France Cul, hier) — et au-delà, conseiller d'Éducation populaire !

J'ai toujours deux utopies qui m'animent :
• la bibliothèque comme lieu de formation de la lectrice et du lecteur
• la bibliothèque comme lieu de la prise de parole et comme lieu d'écriture de la lectrice et du lecteur.
Tout cela prenant racine dans l'histoire toujours en tension Éducation ouvrière><Éducation populaire.
Je crois (!) encore que cette confrontation n'est pas ringarde.
Peut-être simplement (!) me faudrait-il une mise à jour de la notion de classe ouvrière en 2006 ? Peut-être faut-il, désormais parler de la classe des "invisibles" sur laquelle écrit Stéphane Beaud*, un sociologue nantais qui est interviewé dans le dernier numéro du Nouvel Obs ?

Ce colloque devrait servir à rappeler

. les histoires de la culture ouvrière et les ouvertures que laisse entrevoir la Toile,
. qu'il existe toujours un réseau lettré et un réseau de masse,
. que la Bibliothèque véhicule prioritairement la culture lettrée (alors que je pense aussi par mes humbles observations que la culture de masse s'insinue avec une habileté mercantile dans ses catalogues et rayons),
. que les cultures minoritaires — et l'ouvrière — sont tout autant, sinon plus renvoyées à l'obscurité du "troisième rayon" (comme on dit le "second rayon"),
. qu’il serait intéressant de faire, à nouveau, le point sur les représentations de la lecture en milieu populaire,
. qu'il importe de mettre en valeur les deux ou trois vrais écrivains de ces jours : entre autres, Gérard Mordillat, l’ami François Bon, qui font entendre dans leurs écrits les trop rares échos du monde du travail— sont-ils des "post-modernes", ces deux-là ?

Bref, c'est ce que j'aimerais parfois entendre dans ce colloque et ce dont je causerai puisque "on" me tend une perche.
Je ne suis pas dupe — je ne pense pas l'avoir jamais été — des aliénations culturelles des syndicats qui ont toujours redouté les questionnements que posaient certains de leurs intellectuels — je pense aux courants de syndicalisme d'action directe avec Fernand Pelloutier et Marcel Martinet. La devise de la Librairie du Travail de Marcel Hasfeld était :
Sauvons-nous, nous mêmes !


Post-scriptum :
Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d'action directe par Jacques Julliard, au Seuil, 1971.
La culture prolétarienne par Marcel Martinet, aux Éditions Agone .
La librairie du Travail par Marie-Christine Bardouillet, Maspéro, 1977.
La France invisible, *ouvrage collectif, La Découverte, 2006
Daewo, François Bon, Fayard, 2004, en Livre de poche, 2006.
Les Vivants et les Morts, Gérard Mordillat, Calmann-Lévy, 2005.
Sans oublier, de Michel Ragon,
Histoire de la littérature ouvrière, aux Éditions Ouvrières, 1953, devenues récemment éditions de l'Atelier,
réécrite sous un titre nouveau, plus soixante-huitard,
Histoire de la littérature prolétarienne de langue française, chez Albin-Michel, 1974, puis au Livre de Poche, 2006.

lundi, 30 octobre 2006

je n'aime guère...

Je n’aime guère ces grandes “araignées d’eau” qui font route sur la Guadeloupe. J’ai un penchant pour les monocoques, les gros et les moins gros.
Cependant la plus grande estime pour tous ces marins : les fous de vitesse et les amateurs de lenteur.
La Route du Rhum 2002 a trop vite été rangée aux profits et pertes. Cette fois, ils sont partis dans un temps de demoiselle.
Que cette météo les accompagne jusqu’aux alizés !

Je suivrai, malgré tout, parmi les “araignées d’eau”, celle de Thomas Coville, parce qu’il a dit avoir emporté à son bord, comme lecture, Saint-John Perse.
Mêler les grandes houles et les vastes versets procurent en bouche une ivresse aussi certaine que les accélérations dans les surfs.

Lecture d’Albucius, pour la rencontre du 8 novembre avec Pascal Quignard . Mais comme une déception, après Carus et les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia,, l'ouvrage sent un peu trop le procédé d’érudit et il est loin d’avoir la minceur incisive des Tablettes et de certains des premiers Petits traités.
Je n’ose parler de ma énième tentative de lecture de l’étude qu'il propose de l’œuvre de Michel Deguy en 1975, chez Seghers. Les yeux m’en tombent. Entre Tel Quel et Critique, les proses critiques de cette décennie oscillaient entre jargon et ésotérisme structural...
J'échappe au naufrage par la vertu d'un long chapitre d’Actes que cite Quignard sur Sappho et sa “sonorité éolienne”.


Maison toujours en rénovation ; “librairie” quasi inaccessible, malgré l'échelle de meunier.
Sans doute serait-il bon d’être en mer ?
Noémie et Célia sont agitation bruissante et souriante quand, au jardin, les dahlias jouent au “dernier dahlia dans un jardin perdu” de Cadou.

mercredi, 25 octobre 2006

sur la Kahéna

Ce qui fait défaut dans La Kahina de Gisèle Halimi*, c'est l'art de muscler les paysages et de revêtir les héros de leurs lumières, leurs ciels, leur roches, terres et sables.
Mon vieux compagnon Er Klasker fut très abrupt : « Bof ! Elle ne parle même pas des Aurès ! »
Il ne suffit point d'énumérer une toponymie, une nomenclature géologique, climatique et végétale pour écrire un "ieu".

C'est la force des chroniques de Giono, cette imprégnation des pays sur les personnages.

Il faudra donc, à cet extraordinaire mythe de la Kahéna, la venue d'un(e) "Giono" maghrébin(e) !
Kateb Yacine** s'était sans doute mis en chemin :

Cueillie ou respirée
Elle vidait sur nous
Son cœur de rose noire inhabitée
Et nous étions cloués à son orgueil candide
Tandis qu'elle s'envolait par pétale,
Neige flétrie et volcanique,
Centre modeste accumulant l'outrage,
Exposée de soi-même à toutes les rechutes
Dilapidée aux quatre vents.
...............................................................
Nous ne sommes pas de ceux
Qui adoraient la Pierre Noire.
Notre idole est cette femme sauvage.
Elle a quitté le sanctuaire,
Déchiré le rideau
Et dispersé les prêtres.


* Gisèle HALIMI, La Kahina, Plon, 2006.
** Kateb Yacine, Parce que c'est une femme, des femmes, Antoinette Fouque, 2004.

dimanche, 22 octobre 2006

« le livre, »

sur la RadioWeb de France Cul, Les chemins de la connaissance, Pascal Quignard et Michel Melot

sur cet "objet sans essence" (Quignard)

sur nous, lectrices et lecteurs : "On peut séparer les représentations des lecteurs en deux : les lecteurs vertueux et les lecteurs pervertis."(Melot).


À écouter avec nos livres tout alentour.
La voix que j’avais entendue venant du ciel
medium_2915543100.4.jpgme parle de nouveau derrière moi et dit:
« Va-t’en, prends le volume ouvert dans la main du messager debout sur la mer et sur la terre. »
Je m’en vais vers le messager. Je lui dis de me donner le petit volume.
Il me dit: « Prends et dévore ceci. Il rendra ton ventre amer,
mais dans ta bouche, il sera doux comme du miel. »
Je prends le petit volume de la main du messager et je le dévore.
Il est dans ma bouche comme du miel, doux.
Mais quand je l’ai mangé, mon ventre devient amer
.

Découvrement de Iohanân, X, 8-10
(l'Apocalypse de Jean)
traduit par Chouraqui

vendredi, 20 octobre 2006

à propos de "La Frontière"

Avant-hier soir, au Lieu Unique, à propos de La Frontière, au cours d’un très clair exposé de Laurent Demanze, professeur de littérature contemporaine au collège Bayard de de Denain, il fut beaucoup question de la discontinuité du temps — mais déjà le Nouveau Roman, il y a cinquante ans ! —, des aspérités que Quignard insère dans son apparent classicisme, de son érudition — qui tant me fascine, c’est peut-être par sa faute si j’ai repris le Grec ancien — de son érudition, donc, qui autorise le retour de l’archaïque et du sordide dans une dialectique de la beauté et de l’avilissement.

Bref, la soirée fut plaisante, instructive et pour moi d’autant plus gratifiante que Laurent Demanze a rapproché en conclusion les deux moments de voyeurisme involontare que j’évoquais dans ma note du 2 octobre : celle qui urine - la scène du Roi du bois, de Pierre Michon — et celle qui excrète, dans La Frontière.

Un question demeure : la vision des azulejos du palais de la Fronteira sont-ils la cause de la fiction écrite par Quignard ? ou un drame bien réel fut-il illustré par les céramistes lusitaniens ?
J’aurais souhaité que soit abordé plus profondément — il ne fut que nommé — le fait éditorial qui lèverait sans doute le voile : l’édition originale de l’œuvre fut publiée par les Éditions Quetzal dans une traduction portugaise, “à Lisbonne au cours d’une grande fête donnée au Palais par la marquise et le marquis de la Fronteira, Mafalda et Fernando de Mascarenhas, le 19 mai 1992”.
Le bouquin parut en France un mois plus tard, en juin, publié par Chandeigne.
Alors simple mais brillante flagornerie d’écrivain, creusement de déchirures intimes, balançoire d’esthète entre images/texte ou texte/images ?

Serait, sans doute intéressant de questionner Quignard à ce sujet.
Mais qu’y gagnerait l’imaginaire du lecteur ?

Un dernier aphorisme du jeune professeur, qui commence de m’éclairer sur la notion du “post-moderne” :

À l’aède succède le scoliaste.


Depuis plus d’une semaine je me m’ébats — me débats — dans les concepts d’impureté, de réalisme lyrique, de spectralité, de minimalisme... (peinant sur un petit livre Le roman français aujourd'hui - transformations, perceptions, mythologies, chez Prétexte éditeur)

Le lecteur creuse ses venelles dans l’obscurité critique, avec son bon goût et, tout autant, ses mauvais goûts ; il y reconnaît parfois des traces anciennes qui resurgissent en bribes, en éclats, dans ces écrits nouveaux.
Les jeunes universitaires ont quelque brillance dans leur parler nouveau ; ça me ramène curieusement — avec un intérêt empreint de doute mais certain — à mes premières lectures du père Barthes ou du bonhomme Éco ; je n’y comprenais que dalle, mais “ça” finirait bien par se clarifier un jour...

Allons ! Aborder le “Jadis”, c’est manière de “poser un regard dessillé” sur le présent.

dimanche, 15 octobre 2006

« le moi littéraire »

Il eût fallu parler de Harkis, le téléfilm, de Indigènes, le film, du bouquin de Virginie Despentes, King Kong Théorie - cinquante minutes très claires et sans concession dans Du grain à moudre, que j'avais podcastée ; on y reviendra.
Ce matin, c'est la mort de Jacques Sternberg qui me renvoie à mes étagères encore accessibles sous leurs draps protecteurs — Univers Zéro, l'étrange, Le Navigateur, l'océan et le cul, Sophie, la mer et la nuit, l'océan encore et le grand amour.
J'ai retrouvé dans une des cantines cabossées qui demeurent de mes voyages, le numéro 106 du Magazine littéraire de novembre 1975 ; il y tient — depuis combien de temps ? — une chronique : le moi littéraire, sans forfanterie, amer, peu amène.

« Je m'appelle Jacques Sternberg. ceci pourrait s'appeler un petit bilan... qui prouvera à certains qu'il est encore plus difficile de réussir en littérature que dans la conserve, le nautisme et la politique.
..............................................
Dans le patelin où je me suis perdu, anonyme, on m'aime bien. Parce que j'aime la mer par tous les temps et que je sais comment tenir mon bateau. On me considére comme un professionnel de la voile. Mais ce n'est pas vrai : je ne suis qu'un professionnel de l'écriture. C'est là où le mât blesse.
»


Ce n°106 était sur Saint-John Perse, autre homme d'océan. Une proximité fortuite et totalement "décalée" !
La gravité un tantinet pompeuse et solennelle de l'un, l'humour noir et aicde de l'autre. Et pourtant, chez l'un et l'autre, il s'agit bien du même océan.

Il avait un tel souci de ne pas causer de dérangement qu'il referma la fenêtre derrière lui, après s'être jeté dans le vide du haut du sixième étage.

La timidité,
Univers Zéro et autres nouvelles
chez Éric Losfeld, Paris 1970

lundi, 02 octobre 2006

l'une pisse, l'autre chie... et c'est beau !

Plus poliment :
« L'une urine, l'autre défèque », mais c'est moins beau !

En me préparant à suivre un atelier de quatre soirées autour de Pascal Quignard, au Lieu Unique* — un peu pour apprendre et beaucoup pour échanger —, j'ai rouvert La Frontière. Il me fut aisé de faire remonter à ma mémoire un autre auteur, deux peintres et une photographe.
Je ne commente point. Cependant, cet moment trivial dans l'un et l'autre récit est un événement fondateur qui détermine le parcours à venir du héros, sinon de l'héroïne !


Le hasard voulut qu’il vit une jeune femme qui s’approchait en hâte dans l’obscurité. Monsieur de Jaume se cacha aussitôt derrière un grand camélia.
La femme s’approcha des feuillages d’un laurier et s’accroupit soudain dans un grand bruit de jupes froissées. Elle tourna un visage anxieux vers la façade intérieure du palais et Monsieur de Jaume reconnut aussitôt que c'était Mademoiselle d'Alcobaça qui s'était accroupie.
medium_chierem.jpg
Elle releva davantage ses jupes en poussant un soupir.
Le visage de Mademoiselle d'Alcobaça rayonnait. Les seins et le front rond étaient dorés. Les cheveux noirs se répandaient sur ses épaules et se relevaient ensuite vers le cercle de perles blanches qui les retenaient. Ses lèvres étaient deux taches de rouge et formaient elles-mêmes un arc de cercle tandis qu'elle poussait une part d'elle qui retombait sur la terre.
Monsieur de Jaume resta dans l'ombre du camélia alors que Mademoiselle d'Alcobaça se redressait et rajustait l'apparence de sa robe. Son esprit ne put plus se défaire de ce spectacle qu'il avait surpris. Il prit conscience que la petite enfant qu'il avait connue était devenue une femme, que ses fesses étaient très belles et robustes et qu'il la désirait.

Pascal Quignard, La Frontière, 1992

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J'entendis venir de loin une voiture lourde, à petit train ; je me cachai et me tins coi : le plein soleil frappait la route et j'étais là dans l'ombre à regarder cette route au soleil, pas plus haut que la terre, invisible. A dix pas de moi et de mes porcs dans la lumière de l'été un carrosse s'arrêta, peint, chiffré, avec des bandes d'azur ; de cette caisse armoriée jaillit une fille très parée qui riait, elle courut comme vers moi ; elle m’offrit ses dents blanches, la fougue de ses yeux ; toujours riant elle se suspendit à la limite de l'ombre, résolument me tourna le dos, un interminable instant elle se campa dans ce soleil marbré de feuilles où flambèrent ses cheveux, ses jupes d'azur énorme, le blanc de ses mains et l'or de ses poignets, et quand dans un rêve ces mains se portèrent à ses jupes et les levèrent, les cuisses et les fesses prodigieuses me furent données, comme si c'était du jour, mais un jour plus épais ; brutalement tout cela s'accroupit et pissa. medium_pisspic.jpgJe tremblais. Le jet d'or au soleil sombrement tombait, faisait un trou dans la mousse. La fille ne riait plus, tout occupée à serrer haut ses jupes et sentir d'elle s'évader cette lumière brusque ; la tête un peu penchée, inerte, elle considérait le trou que cela fait dans l'herbe. La défroque d'azur lui bouffait à la nuque, craquante, gonflée, avec extravagance offrant les reins. Dans le carrosse, dont la porte peinte battait encore un peu tant la pisseuse l'avait allègrement poussée, il y avait un homme accoudé, en pourpoint de soie défait, qui la regardait. Il avait autant de dentelles à son col qu'elle en avait aux fesses...

Pierre Michon, Le Roi du bois, 1996


Le premier tableau est de Rembrandt,
la photographie de Sophy Rickett — elle fut exposée, il y a quelques années, au Musée des Beaux-Arts de Nantes —, (je la pose là, comme un contre-point ),
le second tableau est de Picasso.


* Les cours de l'Université Pop'littérature seront diffusés sur la radio web de France Cul, dans "Les sentiers de la création".
Les ateliers autour de Quignard auront lieu les 11,18, 25 octobre et 8 novembre 2006.

lundi, 11 septembre 2006

gravats et... miroirs

Le bruit du marteau-piqueur, l’âcre poussière qui sort du vieux mur, la petite pelleteuse au fond du jardin qui ouvre une nouvelle rampe d’accès, les travées d’étagères de la “librairie” recouvertes d’autant de suaires (!) protecteurs n’engagent guère le lecteur à l’écriture.
Ma “voisine”, celle de l'autre côté du mur, me l’a souligné ce matin : « Tu n’écris pas ! Tu n’es “plus” chez toi ! »
C’est réel, ce sentiment d’expulsion quand on n’est point le faiseur de ces travaux ! Voilà ce que c’est que d’avoir trop bien intégré, jusqu’à la revendiquer parfois avec certaine fierté, la sentence familiale : “Tu ne sauras jamais rien faire de tes dix doigts “.

Je m’en vais en mer jusqu’à la fin de la semaine.
Il me faut revenir, samedi, pour suivre une formation à SPIP, cinq jours durant, sept heures par jour ! Il y a bien longtemps que la “bête” n’aura pas été astreinte à un tel programme ; c’est assuré par la Formation continue de l’Université et c’est aux Ateliers et Chantiers de la Loire.

Une formation SPIP ? On y court depuis trois ans pour la création d’un site sur notre coopération décentralisée : le rêve de faire se rencontrer à tout moment dans une agora, des forums, les citoyennes et citoyens de Ginsheim-Gustavsburg (Allemagne), de la Communauté rurale de Baalu (Sénégal), de Siria (Roumanie), de El Tuma La Dalia (Nicaragua) et ceux qui viennent nous rendre visite cette semaine pour nouer le lien, les élus d’Anapta (Palestine).

Le lecteur dans son jardin, même déstructuré, a cependant entendu hier “Une vie, une œuvre” de Florence Marguier, à propos de Maurice Scève : Prince des Poètes au cœur impénétrable.
J’aime beaucoup ces lointains Lyonnais, imprimeurs, éditeurs, poètes et poétesses ; ils nous raccordent, nous gens des solitudes humides d’ouest aux ensoleillements italiens et grecs, et nous en rapprochent depuis cinq siècles.

J’ai rouvert la Délie, Objet de plus haute vertu, effleuré quelques dizains, ces poèmes de dix vers de dix pieds qui sont un quasi parfait carré imprimé et me suis attaché aux quelques-uns qui évoquent le Miroir en tous ses états métaphoriques, à la trompeuse altérité qui ne renvoie qu’au Même : on en est blessé, on en brûle, on en meurt.
Le deux-cent trente-cinquième me parait, lui pourtant, renvoyer, non à l’avenir maléfique qui efface, mais à l’espoir d’une pérennité de l’image aimée. Scève comme rêveur de l’image numérique (le Vinci ingénieur n’est sans doute pas très loin !)



CCXXXV


Au moins toi, claire et heureuse fontaine,
Et vous, ô eaux fraîches et argentines,
Quand celle en vous, de tout vice lointaine,
Se vient laver ses deux mains ivoirines,
Ses deux Soleils, ses lèvres corallines,
De Dieu créés pour ce Monde honorer,
Devriez garder, pour plus vous décorer,
L’image d’elle en vos liqueurs profondes.
Car plus souvent je viendrais adorer
Le saint miroir de vos sacrées ondes.


Post-scriptum
:
• Réécouter (et podcaster dans quelques jours) l’émission sur France Cul, avec bibliographie et liens, très riches.
• À voir de belles images portuaires de l'ami JJ — qui se refuse toujours au moindre texte !!! —, sur Nantes et Saint-Nazaire.

mercredi, 06 septembre 2006

en allant chez le libraire et en en (!) revenant

Hier, virée en ville... Nantes en chantier...
À l’ombre de la Cathédrale, je croise Daniel Biga, l’homme des Déambulations poétiques autour du lac de Grand’Lieu.
Beaucoup de chaleur entre nous ; nous parlons de notre été, du sien qu’il passe dans une belle harmonie des contraires entre sa montagne solaire d’Amirat et l‘humide horizontalité du marais de Grande Brière.
Je lui sais toujours gré d’être arrivé un matin de printemps avec le “Rimbaud”, grandeur nature peint par son copain Ernest-Pignon Ernest, de l’avoir déroulé sans rien dire. J’ai écrit ce matin-là ce que j’estime être un de mes plus forts textes sur l’homme Rimbaud.

Certaines sérigraphies d’Ernest Pignon sont toujours de navrante actualité. Je m’autorise le “scan” de l’une d’entre elles* tirée de “sur la page chaque jour”, livre d’entretiens entre Daniel et Jean-Luc Pouliquen.

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J’ai poursuivi mon chemin jusque chez Coiffard. J’avais différé d’une semaine l’acquistion de Tumulte et je dois préparer une intervention sur le Vieil homme et la mer en prélude à un film d’animation. Seulement, le Vieil homme et... la mer étaient introuvables sur mes étagères...
J’ai vu qu’un DVD en hommage à Nicolas Bouvier était publié autour de sa douloureuse mésaventure du Poisson-Scorpion au Shri-Lanka... Je crois bien que le passage de Théo Lésoualc’h n’y fut point de grande alacrité non plus.
J’ai reporté l’achat du DVD ; la lecture du Poisson-Scorpion est un souvenir brûlant et j’ai vécu — mais lors d’une période beaucoup plus brève — une mésaventure sanitaire qui se rapproche de l’expérience de Bouvier ; ce fut ma “liquéfaction de Yaféra”. Je souhaite encore demeurer dans la tension de ma lecture première.

Aussitôt le Tumulte acquis, je me suis empressé d’ôter le bandeau** (jaquette.., bande..., liseuse, d’un bleu outré qui renvoie peut-être à certains délires urbains de François, mais qui, pour moi, nuit à la superbe et blanche austérité de cette première de couverture.
medium_tumulte.3.jpg
Le lecteur va être confronté à sa double lecture et déjà apparaissent les failles d’une lecture d’écran qui échappe difficilement à la démarche sélective et aux défaillances de la mémorisation.
J’ai avalé goulûment la séquence 110, Portrait de moi en perdu — page 230, quasi au cœur du Tumulte — quand l’auteur décide de l’avenir de son labeur. Et aussi la 139, Souvenirs de Jean Audeau qui me ramène à mon tout premier texte lu de Bon, Sacré Bon Rabelais, un titre en clin d’œil.
Deux-cent vingt quatre séquences en piquant au hasard intéressé des quatre index proposés. Tumulte va demeurer de longs jours sur la table...pour une lecture intégrale mais errante !

Ah ! Si ! La Basse Bouguinière est aussi en chantier... On anticipe sur des handicaps lointains. L'accès à la librairie ne se fait que de nuit avec une très longue rallonge électrique. Quelques publications chaotiques à en attendre !

* Les expulsés
** Gérard Genette, Seuils, coll. Poétique, Seuil, 1987 : les pages 30 à 32, savoureux commentaires des “éléments amovibles” d’une première de couverture.

samedi, 02 septembre 2006

lire Théo Lésoualc'h

En lisant la Vie vite

Libéré ou pas. Va savoir ! J'ai toujours cru,
moi, que je venais de me libérer de quelque chose...
De libération en libération ! Et chaque fois ça
recommençait en mieux ! Libéré de voyager. Tiens !
Ça fait plus de dix ans que je traîne et aujourd'hui
j'en suis encore à me demander si je ne passerai pas par le Mexique,
les îles du Pacifique.
Je repense à la Turquie, les rues du vieux Stamboul, à Ceylan, aux Indes
(comme ils disent), à la Suède, au Maroc.
Libéré, je t'en fous. Jamais peut-être !

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Voyager, c'est ça aussi... rencontrer partout, partout
ces marchands de tapis obscènes, vils, purulents,
sirupeux, mielleux, veules, infects, rétrécis, sordides, puants...

Voyager c'est, malgré soi, prendre tout ça dans
son propre sillage.

Les hommes, on les regarde. On passe. On continue
à marcher. On fait des kilomètres. On mange
du KILOMÈTRE, des bornes à la surface concave du
monde. Ma traversée de Hambourg à pied, sac au
dos. Hambourg qui n'en finit jamais, et Gênes, toute
sa banlieue sans fin, la mer bleue à ma droite. Ma
sortie de Barcelone, les voitures qui me croisent, qui
me doublent, des gens qui rentrent chez eux,
reviennent du cinéma, joyeux. Marcher toujours, user des pistes inusables.
Voyager, disparaître. Ombre.
Se torturer aux ornières des routes défoncées par le poids humain...
terres fraîches, terres brûlantes, terres arides.
Entrer dans de nouveaux paysages, regarder, l'œil fou.

A pleins yeux.

Déchirer dans son dos les paysages d'hier.

Passer des portes, découvrir de nouvelles aubes,
chaque jour, des aubes neuves, s'imbiber de tout ça,
seconde par seconde, s'en meurtrir, du sable, des
sels, des lunes. De viol en viol, déchiffrer les insolites.
Partout. Et tous les espaces griffés d'hiéroglyphes.
S'allonger sur les ponts des bateaux, respirer
des rythmes de machines, des tam-tams de rails de
fer. N'être jamais au terme. S'offrir. Rester debout,
la poitrine ouverte, vulnérable, suicidé-amoureux.
Le contraire d'un ascète. Vouloir de tout, plus. Avoir
soif toujours.

Voyager : l'anti-ascèse.

Tout prendre, être avide. Gagner, perdre, s'en
foutre, tricher, voler, jouer, ne pas jouer, mordre,
ruer. Ne pas croire au hasard. N'y plus croire. Y
croire pourtant. S'y livrer.

Voyager, restituer à l'homme son titre de vagabond.


Malgré tout. Malgré lui. Malgré les marchands
de souvenirs !

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J'écris maintenant de mon village de Nagasawa,
près de Kurihama, à une heure et demie de Tokyo.
C'est là que je me suis réfugié pour fuir Tokyo qui
me pompe. Il pleut. Ça coule dans les bambous
autour de ma maison de bois. Et il y a le roulis de la
plage. C'est bon. Demain je dois pourtant aller à
Tokyo, passer dans des bureaux, mendier, grenouiller.
J'ai pas envie. Seulement rester sous mon toit de
pluie.

Ne plus bouger.

Un livre, n'importe lequel, sur mon matelas, par
terre. Je sors sous les gouttes. Je tire de l'eau au
puits. J'allume mon feu dans la cuisine improvisée.
La maison sent les feuilles mortes. C'est Yuriko qui
m'a accroché du liseron en revenant un jour d'une
promenade à travers les rizières.
Qui s'est lentement desséché.

Elle arrive. Elle reste un jour ou deux. Trois jours.
S'empare de la maison. Ramasse des fleurs, les organise
dans un vieux pot de confiture. Méticuleusement.
Elle me regarde écrire sans dire un mot. Me caresse
sans un mot. Pose sa tête sur mon épaule. Je laisse
ma machine, une phrase en route... une phrase qui...



(Retour possible à la note ci-dessous)

vous dites : « Rentrée littéraire ? »

Contre-rentrée littéraire ? C’était un tantinet pompeux.
Rétro-rentrée, j’aime mieux. Je ne pose plus de questions sur mon ennui de rentrée littéraire. Je pense toujours aux maigres 10 % que retiendrait la mémoire culturelle de ce que l’appareil littéraire publie.
L’an dernier, c’était Houellmachinchose, cette année c’est Angot.
Houellmacinchose m’emmerde tout autant que le Da Vinci Code.
Angot me pose question, mais j’aime son écriture à vitesse rapide.
Berlol en parlait — comme on écrit — dans son blogue du 7 juillet ; j’en ai repris la lecture des “Autres”. Pour aller vérifier la filiation avec Cendrars.
C’est en lisant donc Angot que “La vie vite” s’est “détachée” de mes étagères.
La vie vite ?
Mais oui, Théo Lésoualc’h.
Denoël, les Lettres nouvelles, Maurice Nadeau, 1971 ! Il y eut même deux pages de critique dans la Quinzaine littéraire à la mi-octobre de cette année-là.

J’avais achevé la partie première de mon périple africain et je travaillais dans une bizarre institution qui préparait, entre autres, de jeunes appelés à animer les bibliothèques de leur caserne. J’avais dévoré “La vie vite”, pénétré allègrement dans le dégingandement fou et foutrement libre de la langue de Lésoualc'h ; j’en parlai à Marcel Dortort, l’un de mes compagnons d’Éduc pop, qui était musicien ; il connaissait Théo qu'il avait rencontré dans l’entourage de Marceau le mime ; nous avons invité Théo dans notre institution bizarre pour parler littérature, voyage, poème amour et...drogue.
À l'époque, il n'était pas encore question d'écrivains-voyageurs, ni d'autobiographie, encore moins d'autofiction.
Il était de retour en France, mais fuyait déjà Paris pour un ermitage en ruine, quelque part en Ardèche. J’ai passé quelques heures ensoleillées près de cette grande carcasse noueuse et vagabonde, qui ne reniait point son héritage de la Beat Generation.

medium_Lesoualc_h.jpg


Donc relire Lésoualc’h qui traça, un jour, au crayon un rêve de parcours de Casablanca à Tokyo, en s’égarant à Stockholm, Barcelone, Hambourg et Delphes.
Ça sent l’oignon frit et le poisson cru, le parfum des hôtels de luxe et la promiscuité des caravansérails, l’aridité poussièreuse et la boue glacée. C’est lumières et ombres du voyage, l’allégresse et le sordide, la puanteur calcinée des bûchers indiens et les odeurs suaves de la fente des femmes aimées.

La vie, vite ! Au long d’un lent voyage.
Où est-il, désormais, Théo ?

Pour le lecteur vagabond - que je fus - et immobile - que je suis -, avant, il y eut Blaise Cendrars, Henri Michaux ; après, il y aura Kenneth White, Nicolas Bouvier.
Mais jamais, je n’aurai franchi les frontières vers l’est. Je me suis arrêté sur les grèves orientales de Crête, du côté de Katos-Zakros et de Xérocampos où j’ai bu le raki chez “Zeus”.

Mais où est-il, désormais, Théo Lésoualc'h, Breton, staffeur, sculpteur, mime, voyageur, amant et poète ? Où est-il ?

Post-scriptum :
Trois romans chez Denoël, dans la collection dirigée par Maurice Nadeau
La vie vite, 1971,
Phosphènes, 1972,
Marayat, 1973.
Chez Pauvert :
L’érotique du Japon, 1968.
Aux Éditions Rencontres :
La peinture japonaise - dans Histoire générale de la peinture n°25 - Éditions Rencontre, Lausanne, 1967

Quelques traces sur la Toile dans une revue des marges, Blockhaus :

(Rendez-vous à la note ci-dessus.)

dimanche, 27 août 2006

Houat ou l'Angélus* du matin

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Er Ryoc'h dans l'Est.

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La grève de Tréac'h Gouret dans l'Ouest — y débouche Lann er Hoet, petit val de l'île, où se retira en ermitage Gweltas (Gildas), le moine gallois qui avait fondé l'abbaye de Rhuys où, six siècles plus tard, Abélard vint cacher son émasculation. —

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Quasi déserte !

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Qui paraît quasi déserte.

Henri Thomas** y vécut, dit-on, entre 1982 et 1986. Je l'ai peut-être croisé, ces années-là, vers le Béniguet. Vint-il, lui enfant de paysans vosgiens, y vivre les ultimes nostalgies de ses pérégrinations maritimes ?

Je cherche et j'ai trouvé des poèmes au bord de la mer, comme on cherche des fragments de bois ou de pierre étonnamment travaillés et polis par les flots.


Ces poèmes résultent eux aussi du long travail, du long séjour de quelque chose dont l'origine, la nature première m'échappent (comme je ne saurais dire d'où viennent ce galet, ce poisson de bois lourd), dans un milieu laborieux qui est moi-même - conscience ou inconscient continuellement en mouvement.

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La longue forme confondue
Avec l'eau bleue qui la remue
Et le soleil multiplié;

Crinière humide sur le sable,
Jambes ouvertes au ciel pur,
Grande, enfantine, insaisissable,

Combien de jours aux blancs nuages,
Combien de nuits auront passé,
Et dans ses yeux quelles images?

Vais-je garder, inépuisé,
Le goût de sel de ces baisers
Sur tout son corps, après la nage ?


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Ainsi le nageur, la mer le soulève,
Et l’offre au soleil, et le resssaisit,
Il voit l’avenir, une immense grève,
Où se coucher nu dans l’après-midi.

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La mer est belle, mais le jeu des muscles lisses
Est plus beau, qui s'achève en sursaut de délice

Dans la noirceur mouvante où je suis le nageur
Jamais las de renaître et mourir sur ton cœur

Et fouler de baisers le golfe de tes cuisses

Comme après le naufrage on chérit son sauveur.



* Pour celles et ceux qui ignoreraient le rite catholique de l'Angélus, le site "Serviam". Très allergiques aux "choses pieuses" (!), s'abstenir. Les cloches tintent trois fois trois coups suivis d’une volée.
Ne retenons peut-être que la beauté certaine de ce rite dans le paysage sonore !

**Henri Thomas, Poésies, Poésie/Gallimard, 1970
• Deux sites :
- Esprits nomades
- Calou, l'Ivre de lecture