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lundi, 20 février 2006

petits bonheurs et grand vent

Je suis entré dans la lecture et la recherche autour d’Antonin Artaud, pour une note à venir sur le bouquin "Poètes d'aujourd'hui". Quête grave au delà - en decà - de toute littérature.
Hier, l’annonce d’une semaine “Duras” m’a ramené à ce qu’on appelait “le nouveau roman”. J’ai avoué mes ennuis aux longues lectures d’endurance dans Claude Simon ; j’ai omis de nommer certains plaisirs chez Robbe-Grillet ; mais faut-il encore que le feuilletage s’inscrive dans la brièveté - le mince “Instantanés” fut ainsi longtemps mon livre d’élection.
Pour dégourdir mes sensualités littéraires - les miennes, j’insiste - j’ai toujours en sous main, depuis la récente projection du film tiré du Hussard sur le toit, mes “giono” ignorés.
Le Bonheur fou me comble.
À preuve : un certain Bondino dit Brutus-à-la-rose qui en dix-sept pages, les premières du roman, a galopé et navigué de Novare et Gênes à Marseille, La Rochelle, dans le Marais poitevin et Royan pour se retrouver à Londres : le lecteur cavale de litote en litote pour “s’évâiller”* dans une hyperbole bien gouleyante :

Il forcissait. Il avait toujours été très gourmand de viandes. Le gigot de mouton, quoique bouilli à l'anglaise, faisait ses délices, avec le bœuf saignant. « Je suis de grosse vie », disait-il. Il s'étonnait d'avoir pu subsister jadis d'anchois écrasés dans l'huile et de pain frotté d'ail.
La polenta même n'était dans son souvenir que comme une chose vaporeuse et légère et qui ne tenait pas au corps. Son corps bourré de viandes était désormais tenu. Il éprouvait des joies surhumaines à voir les tranches de bœuf cru sur les grils, à en humer l'odeur; il en buvait les jus à la cuillère. Il mastiquait solidement, tournait sept fois sa langue dans sa bouche et sept fois sept fois...
...Il fit également connaissance avec l'eau glacée. C'était une jouissance suprême. Il finissait tous ses repas par une grande consommation de biscuits dits « Champagne » trempés dans de l'eau glacée.

Le bonheur fou


Pour prolonger le bonheur, je n’ai plus qu’à réouvrir la chronique de la belle et monstrueuse :
Ennemonde prenait sa deuxième écuelle de bœuf en daube, buvait son litre, mais ne mangeait pas tout son pain. EIle aimait par-dessus tout cette sauce lourde, mordorée, de lard fondu et d'huile vierge. Elle prenait chaque fois la précaution d'emporter de chez elle une cuillère à soupe cachée dans son corsage, et à table elle la sortait pour boire la sauce comme du bouillon. Ses gencives dures comme du fer mâchaient très bien la viande archicuite. Enfin c'était bombance ! Doublement : le ventre plein..., elle s'abandonnait à un vertige semblable à celui qui l'enivrait sur la route. Elle se voyait en train de scandaliser cette bourgade cafarde. Elle n'allait plus se frotter à des ciels, à des hauteurs, à des couchants, à des aurores, mais à des hommes sentant le bouc.

Ennemonde et autres caractères


Deux ou trois jours d’écran silencieux, le temps d’aller humer dans l’amitié le coup de vent à la pointe de Trévignon, au pays de Xavier Grall, l’homme qui écrivait :
Je ferai l’éloge de la pluie sur mes toits, dans les abers... Je ferai l’éloge de la pluie, de sa liberté, de son opiniâtreté. Pluies féales, pluies bretonnes, pluies libertines.

*S’évâiller : se répandre, s’étaler en dialecte gallo du pays nantais

dimanche, 19 février 2006

De tout et de rien

La belle dépression atlantique est toujours là, même bien centrée sur notre pointe bretonne et elle nous déverse une bonne eau dans les grains et la douceur.

il y a quelques absents sur les blogues fréquentés : Bourdaily a quitté la Toile, le temps de déménager et de réemménager, je l’espère ; ses chroniques sont toujours consultables.
Berlol voyage, il ne devrait point tarder à être sur les bords de Loire. Plus haut en amont de François Bon, lui-même en amont de votre serviteur.
J’espère que ce dernier ne s’est point offusqué d’être renvoyé, dans ma note de vendredi, au rang des modernes, tels Giono et Cadou, qu’il faut bien de temps à autre délaisser pour relire les ancêtres anonymes.

Al s’est enfin décidé à bloguer ; je vais osciller entre ses “pixiphotos “ et les manipulations alchimiques de Cœur de Ptah.

M’en allant commenter chez Er-Klasker, je me suis fais prendre en faute par un certain “all-zebest” : j’en suis toujours à mes regrettables confusions entre infinitifs et participes passés. Mais la faute fut bonne occasion de rencontre !
Et “all-zebest” va sans doute s’ajouter aux journaux fréquentés.

Ainsi, il y a quinze jours, ma vivacité pour le livre d’Alain Frontier que présentait Florence Trocmé dans Poézibao fut suivie d’un échange de chaleureux courriels avec cet auteur, poète, helléniste et grammairien - il est tout cela avec grande simplicité. Il ne blogue point, mais gère quelques sites.

Voilà la Toile et ses lacs qui se tissent.

Les “durassien(e)s” de la sphère “berlolienne” seront à la fête ces quinze jours à venir. France Cul honore la dame entre le 26 février et le 5 mars pour le dixième anniversaire de sa mort. J’écouterai ; sans trop d’espoir d’y glaner un ticket d’entrée.

La semaine passé, c’était Claude Simon ! Il est vrai qu’il y a de beaux... paragraphes. Il est vrai que La route de Flandres me fut une belle aventure après quelques échecs qui ne furent résolus qu’après avoir trouvé la stratégie de contournement de l’ennui : je lus les 50 premières pages, les 50 pages du milieu du livre et les 50 dernières pages.
Je repris à la première ligne et allai d’un long trait jusqu’à la dernière. En une nuit et un jour.
Il est vrai que, depuis, je n’ai pu rééditer la performance ; à La bataille de Pharsale, mes yeux s'enfuirent ; je suis allé à “sauts et gambades” au Jardin des Plantes et, malgré les Divertissements proposés, La leçon de choses me fit bâiller. La charge de Reichshoffen restera une comptine pour faire sauter mes arrières petits-enfants sur mes genoux !

Que faire du “Clémenceau” ? Faut-il se poser la question ? Il n’a pas encore passé le canal de Mozambique, ni arrondi le Cap Bonne-Espérance.
On peut même se poser la question fatidique : franchira-t-il l’Équateur ?
Il y a longtemps que le ridicule ne tue plus !

vendredi, 17 février 2006

@nonym@t, auteur et justice

Entre deux épopées - l’Anabase et la Chanson de Roland - trois heures de vacance sur les quais et dans les rues de ma ville.

Il y a longtemps que je n’étais pas entré dans une salle d’Assises. Vieille habitude prise depuis le temps quand je passais enfant devant l’ancien palais de justice et que j’étais révolté- je le suis encore - quand je voyais passer un homme menotté entre deux gendarmes. Dès que mon statut de citoyen - avoir vingt-et-un ans - m’a autorisé à entrer dans un prétoire, j’ai usé de ce droit pour aller voir et entendre comment siègeait la Justice, souvent aveugle et surtout hautaine et si sûre de son droit.
Je n’ai aucune indulgence pour les salauds, j’aurais même quelque conviction intime, non avouée à ce jour, pour le talion...
Mais cette morgue justicière me fait dresser le poil.

Hier jeudi, on y jugeait un pauvre mec, violeur “assoiffé de tendresse”, plaidera son avocat - ce qui est fort plausible. Cependant, deux jeunes femmes violentées aux aurores : il devait y avoir des pulsions de prédateur, chez ce tendre ! Douze ans, c’est toujours trop ou trop peu !
Je suis resté assis quand la “Cour” est sortie du prétoire. Ça m’emmerde cette révérence pour les gens de Robe.
Je me sens toujours blessé quand il est ordonné au prévenu, même coupable avéré, de se lever pour qu’il parle ou entende, ultime humiliation du pécheur qu’on ne met plus à genoux, certes.
Donc je laisse mon cul rivé au banc inconfortable dont Jean Nouvelle a doté son “juste” et noir palais de justice. La vision du “menotté” de mon enfance, sans doute.
Dans les temples, je demeure désormais assis aussi pour la proclamation de la parole de dieu.
Je ne hausse mon cul que pour les dames et l’amitié !

Chez Hebken, repas de galettes, un vrai avec deux paires au beurre et une grande bolée de lait ribot.

Entre deux grains - dans le front froid d’une belle et bien large dépression atlantique, c’est si rare en cet hiver - retour aux Chantiers pour “Les grands textes du Moyen-Âge”.
C’est moins pour la gymnastique des mots et du dictionnaire - le grec ancien amplement me suffit - que pour éclairer et des connaissances confuses sur cette ère et le comment du glissement de l’anonymat des scripteurs et autres copistes à la naissance de l’AUTEUR - j’eusse préféré une fausse couche - que je me suis inscrit à cet atelier.
Le retour à l’@nonym@t sur la Toile me semble se dessiner à l’horizon de nos écrans et ça me plaît.
« Nous ne faisons que nous entregloser. », écrit l’ami Montaigne dont il est indirectement fait mention dans le Libé d’hier et le Nouvel Obs d’aujourd’hui, à propos du dernier bouquin de Marcel Conche, “Avec des « si ». Journal étrange”*.
Des nuances certaines entre Garcin, laudateur, et Lançon, plus acerbe sur les non-engagements du vieux philosophe.
Conche que j’avais découvert par Comte-Sponville m’a ouvert de beaux sentiers dans Héraclite et chez Montaigne. Il rejoint Giono dans le pacifisme, dit garder quelque sympathie pour l’union soviétique et refuse le nazisme de Heidegger. Comme Char, qui lui, par contre,
m’assure sur le parfois nécessaire engagement politique et violent.

* Marcel CONCHE, Avec des « si ». Journal étrange, PUF, 342 p.

mercredi, 15 février 2006

si vous ne connaissez pas la belle Cilicienne

Récit épique ?

Vait s'en Brandan vers le grant mer
U sout par Deu que dout entrer.
Une ne turnat vers sun parent:
En plus cher leur aler entent.
Alat tant quant terre dure;
Del sujurner ne prist cure.
Vint al roceit que li vilain
Or apelent le Sait Brandan.
Ici! s'estent durement luin
Sur l'occean si cume un gruign.
E suz le gruign aveit un port
Par unt la mer receit un gort,
Mais petiz ert e mult estreits;
Del derube veneit tut dreiz.
Altres, ço crei, avant cestui
Ne descendit aval cel pui.


Brandan se dirigea vers l'océan où Dieu lui
avait révélé qu'il devait s'embarquer.
Il ne se laissa pas détourner pour aller voir sa famille :
il s'était fixé un but plus précieux.
Il alla jusqu'au bord de la mer sans souci de repos.
Il arriva au rocher que les gens de la région
appellent encore le Saut de Brandan.
Il s'agit d'un roc qui s'avance très loin dans
l'océan tout comme un promontoire. Au pied
de ce promontoire se trouve un port à l'endroit
où un cours d'eau se jette dans la mer.
Ce cours d'eau, petit et très étroit,
débouchait directement de la paroi de la falaise.
Personne avant Brandan n'avait, je pense, fait cette descente.
Benedeit
Le voyage de Saint-Brandan


Ou plainte lyrique, davantage de saison :

J'aim mieux languir en estrange contrée
Et ma dolour complaindre et dolouser
Que près de vous, douée dame honnourée
Entre les liez, triste vie mener;

Car se loing souspir et plour,
On ne sara la cause de mon plour,
Mais on puet ci veoir legierement
Que je langui pour amer loyaument.

Guillaume de Machaut,
Ballade


Voilà donc la nouvelle aventure où je m’engage demain.
Jadis que lisait-on en notre trop sage jeunesse ?
Une vague chanson de Roland, revue et corrigée à la mode Hugo, des bribes trop assagies du Roman de Renart, un fabliau, une farce, une plainte de Rutebœuf et les pleurs de Charles d’Orléans.

Que de béances dans la formation du jeune lecteur !
La “barbe blanche” comble dans l’allégresse ! Il n’y a pas que Giono, Cadou ou François Bon ! Vains dieux !

Après le cours de Grec, où nous en apprenons de belles - savez-vous que Epyaxa, femme de Syennesis, roi de Cilicie a cocufié* son roi de mari avec Cyrus et, qui plus est, après avoir soustrait au trésor du pauvre cocu des sommes considérables pour que le roi des Perses payât quatre mois de solde à son armée où traînaient quelques mercenaires grecs dont un certain Xénophon, l’homme qui relate l’infortune royale et ne peut s’empêcher de rallonger l’histoire de cette passion entre la belle Cilicienne et le grand Perse en ajoutant une longue épopée appelée Anabase qui s’achève en une vaste et célèbre clameur : Thalassa ! Thalassa ! - donc, après le Grec, j’enchaîne pour douze fois deux heures avec la découverte des grands textes du Moyen-Âge. Ce devrait être un peu court
Il y aura, à l’instar du Grec, de fréquents feuilletages de dictionnaire : à chacun sa gymnastique mnésique, je préfère ce labeur au scrabble...!

Ah, si ! Epyaxa devait être très belle !

* Cette infortune arrive encore de nos jours à certains “vizirs” qui veulent être sultans à la place du sultan.

dimanche, 05 février 2006

Dans les parages

Quand les prophètes se sont éloignés, quand les croyances ne sont plus que des belles effiloches de chants et de musiques - le chant des Laudes, ce matin, venant d’une abbaye cistercienne - quand aux tables de l’amitié certaines places se tiennent désertées, quand on s’avance vers le terme, il est bon d’entendre, à voix chuchotée, la philosophie.
Hier matin, en dépit de mes rognes et décisions précédentes, j’ai haussé le potentiomètre de France Cul : Finkielkraut avait invité deux philosophes pour tenter d’éclairer la question « Est-il encore possible d'apprendre à mourir ? », Françoise Dastur et Fabrice Hadjadj.

Au mitan de l’émission, voilà que surgit Giono à travers Mort d’un personnage que j’ai récemment ouvert. Finkielkraut de lire :


“Ce qui m’aida aussi, ce fut ce squelette sous parchemin : ces deux cotylédons d’os iliaques, ces cavités pelviennes dans lesquelles la peau s’enfonçait et dont il fallait que je nettoie le fond avec de petites houppes de coton, ce pubis rocheux, ce sexe ruiné sous des herbes blanches.“


Je prolongerai par quelques lignes :

“Je songeais aussi qu’il s’agissait d’un être d’une très grande qualité et qu’il n’y avait jamais eu de mensonge en elle. Sa longue ruée patiente vers celui qu’elle avait perdu était aussi naturelle et aussi inéluctable que sa violente ruée précipitée vers les matières de la terre au dernier moment. Sa passion se mettait en place dans la condition humaine.”


Je n’avais pas encore lu Mort d’un personnage ; je n’ai pas encore lu Le bonheur fou. Eh, oui ! il est des béances dans un parcours de lecteur.
Je ne regrette point cette approche tardive. Plus tôt, étais-je mûr pour une telle lecture ?

Quand Sarabande de Bergman nous atteint, on ne peut que regretter ce que le cinéaste eût fait de la geste du Hussard sur le toit.

mercredi, 01 février 2006

Pour ne point refermer "Le Hussard" (5)

C'est le bon film de Rappeneau qui m'a fait réouvrir le Hussard. Il n'est pas fidèle au livre en son commencement, moins encore en sa fin. Il lit à sa manière. Pourquoi pas ? Elle est belle. À la manière d'un Tristan, d'une Yseult et d'un roi Mark indulgent ! Giono n'eût peut-être pas désavoué cette trahison à la mode de... Bretagne.
Nous sommes loin des banalités d'un Marquand adaptant les Grands chemins ou d'un Marcel Camus avec le Chant du monde - étonnant Michel Vitold ; j'ignore Pagnol et ses "pagnolades", j'oublie Raul Ruiz et des Âmes fortes inhabitées. Pourquoi Giono n'a-t-il tourné que Crésus ?
Quel film aurait écrit Bunuel, sollicité par Giono ? Je rêve de ce que pourrait encore nous donner à lire Bergman qui songea...

C'est Bachelard qui surgit à la ènième lecture des pages de ce Hussard, le vieux lecteur qui écrit la Poétique de la rêverie :

« ...il faut lire un grand livre deux fois : une fois en pensant... une fois en rêvant dans une compagnie de rêverie avec le rêveur qui l'a écrit...
Comment être objectif devant un livre qu'on aime, qu'on a aimé, qu'on a lu dans plusieurs âges de la vie ? Un tel livre a un passé de lecture...
»

Combien de fois, de la première à la dernière page ? Parfois au hasard des pages, d'autres fois dans la recherche précise de tel ou tel passage, pages sages, pas sages ! Au gré du rêve et du bonheur des mots, des parfums, des images.

Un maquignon de Remollon vint présenter au bas des terrasses quatre ou cinq chevaux parmi lesquels se trouvait, une bête très fière qu'Angélo acheta d'enthousiasme.
Ce cheval lui donna une joie sans égale pendant trois jours. Il y pensait. Il se voyait au galop.
Chaque soir, Pauline mit une robe longue. Son petit visage que la maladie avait rendu plus aigu encore, était lisse et pointu comme un fer de lance et, sous la poudre et les fards, légèrement bleuté.
« Comment me trouves-tu ? dit-elle.
- Très belle. »
Le matin du départ, Angélo rendit tout de suite la main au cheval qu'il avait lui-même, chaque jour, nourri d'avoine. Il pouvait être fier de cette allure. Il voyait venir vers lui au galop les montagnes roses, si proches qu'il distinguait sur leurs flancs bas la montée des mélèzes et des sapins.
« L'Italie est là derrière », se disait-il.
Il était au comble du bonheur.



Post-scriptum :
un site bien achalandé : Giono, le voyageur immobile.
• Tout Giono est en poche et en Pléïade !
• Aux "amant(e)s" de La Binoche !

mardi, 31 janvier 2006

Une lettre au "Hussard" (4)

Voilà où nous entraîne la pratique des blogues. Je n'envisageai qu'une note de lecture aux trois temps d'une valse. L'ouverture, l'apogée, le final - pour demain, celui-là ! Elle sera donc à cinq temps, "le temps de faire un tour du côté de l'amour".
Au quatrième temps, c'est d'amour maternel qu'il s'agit. Le Hussard est un beau bâtard et sa mère une sacrée gaillarde, duchesse et intrigante.
Aussi madrée que le conteur de l'histoire qui nous agence là un truculent "flash-back" - nous savons la passion que Giono eut pour le cinéma.
Je n'en livre qu'un paragraphe dédié à un lecteur attentif de ce blogue et qui fut, bien malgré lui, à l'origine de ma vocation de "pronetaire" : un "parrain"* dont le premier commentaire fut d'aimablement me faire remarquer une méchante coquille sur le nom d'Emmanuel Lévinas.

À Berlol, donc :


« Et maintenant, parlons de choses sérieuses. J'ai peur que tu ne fasses pas de folies. Cela n'empêche ni la gravité, ni la mélancolie, ni la solitude : ces trois gourmandises de ton caractère. Tu peux être grave et fou, qui empêche ? Tu peux être tout ce que tu veux et fou en surplus, mais il faut être fou, mon enfant.
Regarde autour de toi le monde sans cesse grandissant de gens qui se prennent au sérieux. Outre qu'ils se donnent un ridicule irrémédiable devant les esprits semblables au mien, ils se font une vie dangereusement constipée. Ils sont exactement comme si, à la fois, ils se bourraient de tripes qui relâchent et de nèfles du Japon qui resserrent. Ils gonflent, gonflent, puis ils éclatent et çà sent mauvais pour tout le monde. Je n'ai pas trouvé d'image meilleure que celle-là. D'ailleurs, elle me plaît beaucoup. Il faudrait même y employer trois ou quatre mots de dialecte de façon à la rendre plus ordurière que ce qu'elle est en piémontais. Toi qui connais mon éloignement naturel pour tout ce qui est grossier, cette recherche te montre bien tout le danger que courent les gens qui se prennent au sérieux devant le jugement des esprits originaux. Ne sois jamais une mauvaise odeur pour tout un royaume, mon enfant. Promène-toi comme un jasmin au milieu de tous.
« Et, à ce sujet, Dieu est-il ton ami ? Fais-tu l'amour ? Je le demande chaque soir dans mes prières.



*À parrain, marraine : une des premières blogueuses de France qui a parfois un parfum d'ardente duchesse, promise au bûcher. Je pense que Giono l'eût mise dans ses notes de personnages. Pour adultes éclairés : Aurora. Je ne renie point mes généalogies !
J'avoue un "autre parrain", surgi, lui, dans mon jardin d'écran, pour une histoire de "galets du Lot". Il est bien connu du premier. Dieux, que de liens dans ce "pronetariat" !
Il ne me déplaît point de reprendre pour toutes mes lectrices et tous mes lecteurs les "prières" de la Duchesse ; je ne puis m'empêcher de joindre un "X" au nom de dieu, sachant que ce n'est que la règle de ponctuation qui m'y fit mettre une majuscule.

lundi, 30 janvier 2006

continuant le “Hussard sur le toit” (3)

Pour fêter la naissance de Mozart, j’aurais pu me référer à Giono, qui dans les années soixante avoue à Claudine Chonez que “tous les soirs, sur son pick-up, il met quelque disque de Mozart qui, depuis sa quinzième année continue de le bouleverser”.

Il n’y a nulle provocation à avoir, hier, mentionné René Char. Les deux écrivains eurent longtemps des relations peu amènes : quand dans les années 30, l’un, Giono, l’aîné, refusait un texte pour une revue que Char, le cadet, sollicitait, ce dernier n’hésitait pas à placer une “bombinette” en janvier 43 devant le Paraïs, la maison du “pacifiste” qui exaspérait le maquisard*.
Char et beaucoup parmi nous, avons-nous jamais mesuré ce que le Giono de vingt ans vécut en 14/18 : les cadavres et la cruauté du Hussard renvoient à celle et ceux du Grand Troupeau. - Je n’oublie pas, pour ma part, au petit matin d’un jour de mars 60 la découverte des dix cadavres piégés sur les pentes du Zaccar.
Giono signera en 1966 la protestation de René Char contre la base de fusées nucléaires du plateau d’Albion.
Pour le lecteur et son entière liberté de choix, demeure l'intérêt pour deux des grands “inventeurs” de la langue française : l’un et l’autre ont souvent fait « recule(r) la frontière de ce qui peut être dit et communiqué, c’est-à-dire partagé, c’est-à-dire socialisé. » (Georges Mounin)

Il pensa à cette jeune femme qui se desséchait dans l’entrebâille d’une porte, à une dizaine de mètres au-dessous de lui. Dommage qu’elle ait été précisément parmi ces plus malades. La mort avait taillé une déesse en pierre bleue dans une belle jeune femme, qui avait été apparemment opulente et laiteuse, à en juger par son extraordinaire chevelure. Il se demanda ce que les plus roués cagots de la liberté auraient fait à sa place quand il avait eu besoin, lui, de tout son romanesque pour ne pas crier quand les reflets de la bougie s’étaient mis à haleter dans cette chevelure d’or ?


Les lecteurs savants rapprochent souvent Giono de Stendhal ; n’ayant guère lu ce dernier, je ne saurai donc confirmer, mais il est clair que l’Homère de l’Iliade est plus proche encore. Cruauté des combats singuliers et des corps cloués par les lances et traînés dans les poussières ensanglantées.

Angélo, encore à moitié endormi, essayait instinctivement d'apaiser sa faim en avalant une salive épaisse, quand il fut tout à fait réveillé par un cri si aigu qu'il laissa comme une trace blonde devant ses yeux. Le cri se répéta. Il venait manifestement d'un endroit sur la droite, à dix mètres environ où le rebord du toit s'arrêtait en bordure de ce qui devait être une place.
Angélo sauta le rebord de la galerie et s'avança sur les toits. Il était difficile et dangereux de marcher là-dessus avec des bottes, mais, en embrassant une cheminée, Angélo put se pencher sur le vide.
Il ne vit d'abord que des gens en tas. Ils semblaient piller quelque chose à la façon des poules sur du grain. Ils piétinaient et sautaient quand le cri jaillit encore plus aigu et plus blond de dessous leurs pieds. C'était un homme qu'on tuait en lui écrasant la tête à coups de talons. Il y avait beaucoup de femmes parmi les gens qui frappaient. Elles rugissaient une sorte de grondement sourd qui venait de la gorge et avait beaucoup de rapport avec la volupté. Elles ne se souciaient ni de leurs jupons qui volaient ni des cheveux qui leur coulaient sur la figure.
Enfin la chose sembla finie et on s'écarta de la victime. Elle ne bougeait plus, était étendue, les bras en croix, mais, par l'angle que ses cuisses et ses bras faisaient avec le corps, on pouvait voir qu'elle avait les membres rompus. Une jeune femme, assez bien vêtue, et même qui semblait sortir de quelque messe, car elle tenait un livre à la main, mais dépeignée, revint au cadavre et, d'un coup de pied, planta son talon pointu dans la tête du malheureux. Le talon resta coincé dans des os, elle perdit l'équilibre et tomba en appelant au secours. On la releva. Elle pleurait. On insulta le cadavre avec beaucoup de ridicule.

Il y avait là une vingtaine d'hommes et de femmes qui se retiraient vers la rue quand le groupe qu'ils faisaient s'égailla soudain comme une troupe d'oiseaux sous un coup de pierre. Un homme dont on s'était écarté resta seul. Il eut d'abord l'air hébété, puis il serra son ventre dans ses deux mains, puis il tomba, il se mit à s'arquer contre la terre et à la labourer de sa tête et de ses pieds.
Les autres couraient mais, avant de s'engouffrer dans la rue, une femme s'arrêta, s'appuya au mur, se mit à vomir avec une extraordinaire abondance ; enfin elle s'effondra en raclant les pierres avec son visage.
« Crève », dit Angélo les dents serrées. Il tremblait de la tête aux pieds. ses jambes se dérobaient sous lui, mais il ne perdait pas de vue cet homme et cette femme qui, à deux pas du cadavre mutilé, s'agitaient encore par soubresauts. Il ne voulait rien perdre de leur agonie abandonnée qui lui donnait un amer plaisir.
Mais il fut brusquement obligé de s'occuper de lui-même. Ses jambes avaient cessé de le porter. et même ses bras qui embrassaient toujours la cheminée commençaient à desserrer leur étreinte. Il sentait un grand froid dans sa nuque et le rebord du toit n'était qu'à trois pas de lui.



* dans "l'éclair au front, la vie de René Char" de Laurent Greilsamer, éditions Fayard, p.172.

vendredi, 27 janvier 2006

relire le Hussard (2)

« Le Hussard est une histoire qui commence au pas d'un cheval et marche ensuite au galop. » Ce sont les propres paroles de Giono présentant son œuvre radiodiffusée en 1953.
Nous sommes donc fort éloignés de la fébrilité du film de Rappeneau en son commencement, fébrilité qui se prolongera dans le personnage joué par Olivier Martinez. Alors qu’Angélo, c’est alacrité et flegme ; pourrait-on écrire légèreté et force, naïveté et dureté !
Quand il commence sa quête, il chevauche pour l’amitié, pour la révolution - mieux, pour libérer sa terre de l’oppression. Il monte dans l’horreur des collines, des bosquets, des villages ; il philosophera à propos de liberté et de pouvoir ; il parvient au comble de la terreur, de la cruauté dans les ruelles de Manosque.
Il grimpera sur les toits. Cinquante page durant, il observera l’ignoble d’une société apeurée, abandonnée à la répulsion ; il voisinera avec la beauté de la mort "dans l'explosion d'une puanteur sucrée".
Il parviendra à l’apogée de son errance - paradoxalement en descendant des escaliers, dans une demi-obscurité :

Il se réveilla. Il faisait nuit.
« En route, se dit-il. Maintenant il faut vraiment quelque chose à se mettre sous la dent. » Les profondeurs, vues du petit escalier devant la porte du grenier, étaient terriblement obscures. Angélo enflamma sa mèche d'amadou. Il souffla sur la braise, vit le haut de la rampe dans la lueur rose et il commença à descendre lentement en habituant peu à peu ses pieds au rythme des marches.
Il arriva sur un autre palier. Cela semblait être celui d'un troisième étage, à en juger par l'écho de la cage d'escalier où le moindre glissement avait son ombre. Il souffla sur sa braise. Comme il le supposait l'espace autour de lui était très vaste. Ici, trois portes mais fermées toutes les trois. Trop tard pour forcer les serrures. Il verrait demain. Il fallait descendre plus bas. Ses pieds reconnurent des marches de marbre.
Deuxième étage : trois portes également fermées; mais c'étaient incontestablement des portes de chambres :les panneaux étaient historiés de rondes bosses et de motifs
de sculpture à carquois et à rubans. Ces gens étaient sûrement partis. Les carquois et les rubans n'étaient pas les attributs de gens qui laissent leurs cadavres s'empiler
dans des tombereaux. Il y avait même de grandes chances pour qu'ils aient ratissé ou plutôt fait ratisser la cuisine jusque dans les plus petits recoins des placards. Il fallait-
lait voir plus bas. Peut-être même jusque dans la cave.
A partir d'ici il y avait un tapis dans l'escalier. Quelque chose passa entre les jambes d' Angélo. Ce devait être le chat. Il y avait vingt-trois marches entre le grenier et le troisième; vingt-trois entre le troisième et le second. Angélo était sur la vingt et unième marche, entre le second et le premier quand, en face de lui, une brusque raie d'or encadra une porte qui s'ouvrit.
medium_horsemandonal17.jpg

C'était une très jeune femme.
Elle tenait un chandelier à trois branches à la hauteur d'un petit visage en fer de lance encadré de lourds cheveux bruns.
« Je suis un gentilhomme », dit bêtement Angélo.
Il y eut un tout petit instant de silence et elle dit :
« Je crois que c'est exactement ce qu'il fallait dire. »
Elle tremblait si peu que les trois flammes de son chandelier étaient raides comme des pointes de fourche.
« C'est vrai, dit Angélo.
- Le plus curieux est qu'en effet cela semble vrai, dit-elle.


Il se tient près de la beauté, et l'amour naît.
Il sera toujours temps de reprendre le chemin de l'amitié et de la révolution !

Post-scriptum : ces quelques lignes ont été lues et écrites dans l'allégresse des Folles Journées de Nantes : Purcell, Vivaldi, Bach, Haendel, Soler, Couperin et Rameau rassemblés en l'Harmonie des Nations !

mercredi, 25 janvier 2006

Relire le Hussard sur le toit (1)

L'aube surprit Angélo béat et muet mais réveillé. La hauteur de la colline l'avait préservé du peu de rosée qui tombe dans ces pays en été. Il bouchonna son cheval avec une poignée de bruyère et roula son portemanteau.
Les oiseaux s'éveillaient dans le vallon où il descendit.
Il ne faisait pas frais même dans les profondeurs encore couvertes des ténèbres de la nuit. Le ciel était entièrement éclairé d'élancements de lumière grise. Enfin, le soleil rouge, tout écrasé dans de longues herbes de nuages sombres émergea des forêts. .
Malgré la chaleur déjà étouffante, Angélo avait très soif de quelque chose de chaud. Comme il débouchait, dans la vallée intermédiaire qui séparait les collines où il avait passé la nuit d'un massif plus haut et plus sauvage, étendu à deux ou trois lieues devant lui et sur lequel les premiers rayons du soleil faisaient luire le bronze de hautes chênaies, il vit une petite métairie au bord de la route et, dans le pré, une femme en jupon rouge qui ramassait le linge qu'elle avait étendu au serein.
Il s'approcha. Elle avait les épaules et les bras nus...


Mais pourquoi donc Rappeneau inaugure-t-il le film par une "jamesbonderie" oscillant entre un "de cape et d'épée" et un "espionnage et services secrets" ?

Ce sobre prélude qui nomme le héros, le paysage et la lumière ne suffit-il point à l'ouverture de l'immense opéra d'horreur et de beauté ?

Il est difficile de ne pas évoquer aussi un autre prélude pour une tragédie tout aussi violente et sombre ; il y a cinquante ans, c'eût été sacrilège d'oser tel rapprochement.
Pourtant :

À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu'une préfecture française de la côte algérienne.
La cité elle-même, on doit l'avouer, est laide. D'aspect tranquille, il faut quelque temps pour apercevoir, ce qui la rend différente de tant d'autres villes commerçantes, sous toutes les latitudes. Comment faire imaginer par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jardins, où l'on ne rencontre ni battements d'ailes, ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire ? Le changement des saisons ne s'y lit que dans le ciel. Le printemps s'annonce seulement par la qualité de l'air ou par les corbeilles de fleurs que de petits vendeurs ramènent des banlieues ; c'est un printemps qu'on vend sur les marchés. Pendant l'été, le soleil incendie les maisons trop sèches et couvre les murs d'une cendre grise; on ne peut plus vivre alors que dans l’ombre des volets clos. En automne, c’est, au contraire, un déluge de boue. Les beaux jours viennent seulement en hiver.


En 1947, Camus écrit la Peste.
En 1951, reprenant une ébauche écrite entre 1945 et 1947 - Giono avoue une première rédaction en 1934 - il publie le Hussard sur le toit.
Peste et choléra.
Les camps d'extermination nazis et le "goulag" stalinien ?

De part et d'autre d'une mer aux lumières blanches et sèches quand midi est à l'heure de la mort, dans l'immédiate après-guerre, deux hommes explorent les arcanes de la violence, du désespoir.
Y aura-t-il quelques rais de bonheur ?

jeudi, 12 janvier 2006

Aléas de projets

Il y a un an, à quelques jours près, j’avais décidé de tenir une rubrique sur la poésie de naguère, que présentait une collection “Poètes d’aujourd’hui”. Le chantier de Poézibao, ouvert par Florence Trocmé, m’avait donné cette idée.
J’ai cinquante-deux livres de ces éditions Seghers qui, entre 1944 et 1990, donnèrent le goût du poème à travers plus de 300 titres, à de nombreux lecteurs.

La collection vacilla au gré des reprises éditoriales et des responsables de la collection entre 1990 et ce jour. Le dernier que je possède est de janvier 2005, consacré à Jean Grosjean, présenté par Jean-Luc Maxence dans un nouveau format plus traditionnel, mais il s’inscrit dans le projet éditorial de Pierre Seghers : un texte de présentation proposé à un autre poète ou écrivain ou critique ou professeur (peu, très peu !), un choix de textes et une iconographie. Peut-être cette dernière s’est-elle quelque peu rétrécie ! Dommage ! Grosjean est mon cinquante-troisième titre, mais je n’en suis pas encore à lui.

Car mon projet de présentation hebdomadaire, respectant l’ordre d’acquisition des bouquins, chaque mardi, s’est très vite étiré en une parution mensuelle. J’ai dû décevoir quelques lectrices et lecteurs. Ce fut une première année chaotique, au gré des croisières, des lectures autres et... de l’intérêt soutenu ou pas, tout au long de ces cinquante années, pour tel ou tel poète. Surtout de l’intérêt ou du désintérêt.

Car autant les notes à propos de Cadou, Char, Michaux, Rimbaud, Du Bellay, fréquentations quasi constantes, furent rédigées en joyeux labeur, autant Villon, Éssénine, Supervielle, et même Jammes ne s’en laissèrent point conter dans l'écriture de leur note. Non seulement, il me fallut reprendre, sinon lire pour la première fois, l’essai de présentation, mais prolonger ma lecture des poèmes et les souvent re et relire ; tel est l’anarchique comportement du lecteur.

Les Seghers furent d’abord achetés parce qu’ils me donnaient l’accès au texte d'un poète, accès que je ne savais emprunter à travers les arcanes de l’édition française. Jusqu’aux années 60, j’étais si ignare de son fonctionnement que jamais je n’aurais oser entrer chez un librairie et de lui demander : « Je veux de Robert Ganzo, son recueil de poèmes, Lespugue, qui a paru en 1947, à la NRF. »
Pourquoi Ganzo, allez-vous demander ? Eh bien, parce que je ne l’ai jamais encore demandé, que cela fait cinquante ans que je marche avec ce texte qui me tord et le cœur et les reins :
.

..Et chante aussi que tu m’es due
comme mes yeux, mes désarrois,
et tes cinq doigts d’ocre aux parois
de la roche où ta voix s’est tue.
Le silence t’a dévêtu
— chemin d’un seul geste frayé —
et mon orgueil émerveillé
tourne autour d’une femme nue.

Première et fauve quiétude
où je bois tes frissons secrets
pour connaître la saveur rude
des océans et des forêts
qui t’ont faite, toi, provisoire,
île de chair, caresse d’aile,
toi, ma compagne, que je mêle
au jour continu de l’ivoire.

Ton torse lentement se cambre
et ton destin s’est accompli.
Tu seras aux veilleuses d’ambre
de notre asile enseveli,
vivante après nos corps épars,
comme une présence enfermée,
quand nous aurons rendu nos parts
de brise, d’onde et de fumée.
Lespugue


Ainsi, il existe encore des poètes jamais lus ou si peu comme Ganzo, et il y a ceux que Seghers permit d’approcher mais dont la lecture ne se prolongea guère, hors quelques circonstances professionnelles.
Je ne me souviens plus qui a écrit que la fréquentation trop quotidienne de certains poètes vous empêchent l’accès à d’autres ; car nous sommes là dans l’alchimie émotionnelle des mots, de “nos” mots, dans l’épaisseur affective de la langue, de “notre” langue.

Quand, ici, il y a la résonance et la cadence, pourquoi là, le silence et le vide ?

Je n’ai pas refusé, même si furent privilégiés le ressenti et l’émotion, l’accès par la compréhension, par la connaissance, par l’approche linguistique, poèmes ou romans d’ailleurs ; et ainsi il y eut de belles et heureuses découvertes, je pense à Ponge, à Robbe-Grillet. Il n’en demeure pas moins que le texte vital, celui qui nourrit la vie, fut découvert et élu par éclair.

Voilà que je m’égare !
Mais est-ce si sûr ?
L’errance m’est bonne en ce journal : quand j’ouvre l’écran de ce blogue, j’ai projet d’écrire ceci et me voilà écrivant cela....

Aujourd’hui, je souhaitais ouvrir le dossier “Jean Rousselot”, parce que c’est bien à l’instar de Supervielle ou Essénine, un poète dont, première lecture faite, je n’ai plus rouvert les livres. Son appartenance - notion à nuancer - à l’École de Rochefort, qui dans un premier mouvement, me l’avait fait choisir, m’a certainement écarté de ses textes, parce que, de cette École, c’est Cadou d’abord, puis Bérimont plus tard, qui me fascineront ; Manoll, Béalu, Bouhier, Rousselot me seront toujours dans un en-deça du poème.

Paradoxalement, c’est à l’œuvre de vulgarisation de cet homme que je dois et mes découvertes postérieures à Cadou, Char et Michaux, et mes bonheurs futurs encore à ouvrir - Ganzo par exemple - parce qu’il publia, j’en ai déjà parlé - mais deux fois répétées, les choses plaisent - ce Panorama critique des nouveaux Poètes Français en 1952.

Rousselot arrive dans les notes de ce blogues ; il peut être encore entendu, aujourd’hui :
On n’a pas le droit de crier,
De cracher rouge, de saigner :
Tout est trop propre et, dans les chambres,
On cache les agonisants
Qui pourraient salir le pavé :
Pas de balayeur pour les gens
Mais une trappe dérobée
Dans un coin de la conscience...

(Il n’y a pas d’exil)

mardi, 10 janvier 2006

Contrelittérature ? rien que ça !

Ce matin, réveil matinal et encore embrumé.
Voix sur France Cul. Celle familière d’Abdelwahab Meddeb, qui s’entretient avec un écrivain florentin, Pietro Citati, "qui circule, fasciné à travers les clairières qu'il aménage dans les forêts d'Islam et d'Israël, pour se saisir des éclats de lumière comme des séquences de violence qui unissent et divisent les humains en quête d'absolu. Citati revisite certains textes fondateurs pour en dégager la quintessence poétique destinée à refuser la fatalité de l'histoire pour construire le mythe d'une altérité possible."
Je note :"Israël et l'Islam" de Pietro Citati, chez Fallois.
C’est vrai qu’il y a des clairières merveilleuses d’intelligence et de tolérance. En ces temps d’invectives et de sang...

Sans doute, me suis-je rendormi ?
Vers 6 h 30, la “Contrelittérature” me fait sursauter ! Un nouveau concept ? Si matinal ?
Je connaissais la “paralittérature”, notion florissante dans les années soixante-dix quand une décade de Cerizy, avec Tortel, Lacassin, Sullerot, Le Lionnais, Caradec, se pencha sur le roman populaire, le roman policier, le roman-photo. Certains parlaient même des “champs d’épandage de la littérature”, d’infralittérature ; il y avait alors beaucoup d’humour et de rires. On devisait sérieusement sans se prendre au sérieux.
La gravité, la solennité, la terreur, c’était pour “Tel quel”, “Change” et autres.

Me souviens d’avoir animé un débat avec le très âgé Albert Simonin, côté polars, et le fringant Déodat de Montbrun, côté espionnage (c’était quand même mieux que Gérard de Villiers).
Jamais l’allègre vieillard qu’était Simonin n’aurait affublé ses “séries noires” du terme de paralittérature ; il m’avait gentiment renvoyé dans les cordes avec mon gros mot, il disait écrire de la littérature populaire. Comme avant lui, Gustave Le Rouge, Gaston Leroux, Marcel Allain (Fantomas)....

Alors ce matin, cette voix posée, un rien surannée qui disserte sur la contrelittérature, ça me cause bien. Quoique m'apparaissant audacieux ! Il est question de la réconciliation des trois religions du Livre, de la tradition lyrique occidentale, d'Al-Andalous !
Je pense prolonger la réflexion de Citati et de Meddeb.

Quand s’annoncent un "manifeste pour l’esprit" et des histoires de preux chevaliers musulmans, juifs et chrétiens qui se réunissent sur une “talvera”, je commence à m’inquiéter.

Jusqu’à ce matin, la “talvera”, pour moi, c’est l’équivalent occitan de notre chaintre gallo ou poitevin - cet espace nécessaire pour tourner la charrue et son attelage, à chaque extrémité du champ labouré. C’était - ça n’existe plus avec le tracteur - un espace “perdu” mais fécond que bordait la haie. S’y développait la liberté des herbes folles ! S'y reposaient mes ancêtres laboureurs des servitudes que leur imposaient les seigneurs !
La belle langue d'Oc aurait-elle annobli cet espace boueux, bouseux, "plouc", pour les courtois échanges des preux chevaliers ?

Je ne fréquente donc point les mêmes chaintres que monsieur Santacreu, l’homme avec qui s’entretient Olivier Germain-Thomas de France Cul.
Le désintérêt pour cette chose contrelittéraire est devenu tout à fait clair quand j’ai lu après moult difficultés d’accès au site

“La Contrelittérature est ainsi, en toute humilité et dans le secret de son cœur, l’athanor artistique où se jouent les énergies spirituelles les plus puissantes.”

Rien que cela !

J’ai failli retrouver aussi les Sept Dormants d’Éphèse et Louis Massignon, mais quand j’ai tenté la visite au site recommandé par l’émission, je suis tombé sur une galette des Rois et des soldes chez “Alice": mon navigateur est farouchement anti pop-up et je l’y encourage. Massignon s'était éloigné et les Sept Dormants s'en sont ré-emmurés !
Il y a aussi, chez mon fournisseur Hautetfort, consacré au concept, un blogue plaintif ; le “Canard enchaîné” n’aurait pas été gentil avec la contrelittérature de monsieur Santacreu !
M’étonne guère !

J’ai sans doute consacré beaucoup de mots pour si peu - ou pour trop !
Dorénavant, j’aurai beaucoup de méfiance pour le “For intérieur” de Germain-Thomas ; ça longe l’ésotérique, le “Da vinci code” et les fondamentalistes.

Merci à celle qui me souhaitait la dispersion des brumes ! Elles ont encore quelque épaisseur.

mercredi, 04 janvier 2006

Au dict du livre excellent

Je reviens de Lyon.

Nous y avons rencontré les amis, celles et ceux d’Afrique et d’Algérie.

J’y ai retrouvé CELLE que je fréquente à travers élégies, sonnets, livres et écrans. Elle se dresse, à demi nue émergeant des gangues de bronze où l’a coulée Ipoustéguy l’homme qui exhume sa statuaire de je ne sais quels enfers.
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Elle indique de son doigt la Croix-Rousse, la colline aux Canuts, elle esquisse comme un envol, de ses jambes lisses et longues, ses seins sont dressés et fermement modelé son cul de belle garçonne. Son double visage est d’ardeur et se voile d’infinie nostalgie.
Louïse Labé, Lionnaise !

Ce premier blogue de l’année 2006, après avoir salué l’an d’un horizon large et clair mais qu’il faut savoir tout autant assombri et clos, je le dédie à mes compagnes et compagnons de Toile qui lisent et écrivent, qui bloguent ou pas.
J’ouvre cette année sous le signe d’Étienne Dolet, imprimeur qui édita à Lyon et fut, en août 1546, brûlé en place Maubert, à Paris, pour sa liberté de croyance, d’esprit et d’éditeur.

Il écrivit ceci, qui nous est un fort beau programme pour l’an commencé :

“À ung bon vin, ne fault point d’enseigne.” L’opinion commune aussi est qu’à ung bon livre ne fault aucune recommandation que de soy mesmes.
Quant à moy, je ne répugne, ni au proverbe du vin, ni au dict du livre excellent.



à la dame du Flotoir,
à Berlol,
à François Bon,
à Bourdaily,
à Constantin C.,
à Er Klasker,
au Cœur de Ptah !


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Permets m'Amour penser quelque folie...

mercredi, 28 décembre 2005

« Le soleil noir de la mélancolie »

Pat m'a rapporté "mon" Nerval édité en Pléiade.
J'y retrouve, enserrés dans les pages, trois feuillets qui m'inclinent tout autant que ma récente lecture d'Aurélia à une douce mélancolie.

Une amie, plus que très chère à qui j’avais prêté ce livre, acheté à Ancenis en août 1961, a laissé deux notes manuscrites dont j’ignore l’ordre, je commencerai donc par la plus brève :


Et mon regard
errant sur les filles du feu
qui naguère, m’enchantèrent
balaie un Pompéi italique

Angélique, Sylvie, Isis, Émilie...
les filles du feu s’égrènent
leur i est la constante
du feu qui anime,celui qui s’embrase et les embrase.
Trouble ancien des étoffes froissées,
de l’effeuillage chaste et sensuel
de la “fée des légendes éternellement jeune !...”


Le troisième feuillet est tapé à la machine ; je reconnais les caractères de ma vieille Olympia que je trimbalai de Côte d'Ivoire en Algérie ; elle me fut volée rue Ben M'hidi, un samedi après-midi de mars 1967 alors qu'à la Cinémathèque, je devais suivre un cycle "Kurosawa". Alger était alors la capitale africaine du cinéma !
Six ans auparavant, sur les conseils de JC, mon cousin quasiment frère, j'avais plongé dans Cendrars ; je sortais du merdier de la guerre et j'allais cependant retourner en Algérie pour y vivre l'amour. Cet été 61, je louai un gîte dans les gorges du Tarn et tout un juillet, entre deux randonnées sur le Causse Méjean pour me rincer des djebels, je me suis enivré du formidable Blaise : Moravagine, Bourlinguer, L'homme foudroyé, L'or, à goulées, à nuits blanches !

Dans Gênes, sous-titré L’épine d’Ispahan, le plus long récit (170 p.) de BOURLINGUER, Cendrars vient de citer en son entier la sixième Chimère, Artémis, illustrant son deuxième péché capital, la Luxure (fornicatio) ; il renvoie par un astérique à la note 9.

« 09. Cher Gérard de Nerval, homme des foules, noctambule, argotier, rêveur impénitent, amant neurasthénique des petits théâtres de la capitale et des grandes nécropoles d’Orient, architecte du temple de Salomon, traducteur du Faust, secrétaire intime de la reine de Saba, druide et eubage, tendre vagabond de l’Ile-de-France, dernier des Valois, enfant de Paris, bouche d’or, tu t’es pendu dans une bouche d’égout après avoir projeté au ciel de la poésie, devant lequel ton ombre se balance et ne cesse de grandir entre Notre-Dame et Saint-Merry, les Chimères de feu qui parcourent ce carré du ciel en tous sens comme six comètes échevelées et consternantes. En faisant appel à l’Esprit nouveau, tu as troublé pour toujours la sensibilité moderne : l’homme d’aujourd’hui ne pourra plus vivre sans cette angoisse :

L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle...
(Horus, str. III, v. 9.)


Qu’il me soit permis de citer encore une strophe qui, avec d’autres vers épars dans les Chimères, est une des clefs secrètes du présent récit :

Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.

(El Desdichado, str. II, v. 5 à 8.)

Bourlinguer
Gênes

(Notes pour le lecteur inconnu, pp. 267-268.) »


Cendrars me renvoya à mes lectures adolescentes de Nerval.
J'ignorais que, dans les années qui allaient suivre, les Chimères me seraient incantations pour tenter de lire l'indéchiffrable énigme de l'Aimée morte !

Ce soir, j'ai bien envie de reprendre mes "Cendrars" !
Et pour de longues et lentes, très lentes relectures !

vendredi, 23 décembre 2005

à demi rêvé...

Tout m'était expliqué par ce souvenir à demi rêvé. Cet amour vague et sans espoir, conçu pour une femme de théâtre, qui tous les soirs me prenait à l'heure du spectacle, pour ne me quitter qu'à l'heure du sommeil, avait son germe dans le souvenir d'Adrienne, fleur de la nuit éclose à la pâle clarté de la lune, fantôme rose et blond glissant sur l'herbe verte à demi baignée de blanches vapeurs. - La ressemblance d'une figure oubliée depuis des années se dessinait désormais avec une netteté singulière; c'était un crayon estompé par le temps qui se faisait peinture, comme ces vieux croquis de maîtres admirés dans un musée, dont on retrouve ailleurs l'original éblouissant.
Gérard de Nerval
Sylvie, III, Résolution


ßelle et forte évocation de Gérard, la semaine durant sur France Cul :
La nuit sera noire et blanche ou Le dernier voyage de Gérard de Nerval par Caroline Gutman

En cette veille de Noël, un penchant nostalgique à réouvrir les Filles du feu. Il demeure pour moi, dans ses audaces aux marges de la folie, le plus actuel de nos Romantiques.

...Un air très vieux, languissant et funèbre...