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lundi, 20 février 2006

petits bonheurs et grand vent

Je suis entré dans la lecture et la recherche autour d’Antonin Artaud, pour une note à venir sur le bouquin "Poètes d'aujourd'hui". Quête grave au delà - en decà - de toute littérature.
Hier, l’annonce d’une semaine “Duras” m’a ramené à ce qu’on appelait “le nouveau roman”. J’ai avoué mes ennuis aux longues lectures d’endurance dans Claude Simon ; j’ai omis de nommer certains plaisirs chez Robbe-Grillet ; mais faut-il encore que le feuilletage s’inscrive dans la brièveté - le mince “Instantanés” fut ainsi longtemps mon livre d’élection.
Pour dégourdir mes sensualités littéraires - les miennes, j’insiste - j’ai toujours en sous main, depuis la récente projection du film tiré du Hussard sur le toit, mes “giono” ignorés.
Le Bonheur fou me comble.
À preuve : un certain Bondino dit Brutus-à-la-rose qui en dix-sept pages, les premières du roman, a galopé et navigué de Novare et Gênes à Marseille, La Rochelle, dans le Marais poitevin et Royan pour se retrouver à Londres : le lecteur cavale de litote en litote pour “s’évâiller”* dans une hyperbole bien gouleyante :

Il forcissait. Il avait toujours été très gourmand de viandes. Le gigot de mouton, quoique bouilli à l'anglaise, faisait ses délices, avec le bœuf saignant. « Je suis de grosse vie », disait-il. Il s'étonnait d'avoir pu subsister jadis d'anchois écrasés dans l'huile et de pain frotté d'ail.
La polenta même n'était dans son souvenir que comme une chose vaporeuse et légère et qui ne tenait pas au corps. Son corps bourré de viandes était désormais tenu. Il éprouvait des joies surhumaines à voir les tranches de bœuf cru sur les grils, à en humer l'odeur; il en buvait les jus à la cuillère. Il mastiquait solidement, tournait sept fois sa langue dans sa bouche et sept fois sept fois...
...Il fit également connaissance avec l'eau glacée. C'était une jouissance suprême. Il finissait tous ses repas par une grande consommation de biscuits dits « Champagne » trempés dans de l'eau glacée.

Le bonheur fou


Pour prolonger le bonheur, je n’ai plus qu’à réouvrir la chronique de la belle et monstrueuse :
Ennemonde prenait sa deuxième écuelle de bœuf en daube, buvait son litre, mais ne mangeait pas tout son pain. EIle aimait par-dessus tout cette sauce lourde, mordorée, de lard fondu et d'huile vierge. Elle prenait chaque fois la précaution d'emporter de chez elle une cuillère à soupe cachée dans son corsage, et à table elle la sortait pour boire la sauce comme du bouillon. Ses gencives dures comme du fer mâchaient très bien la viande archicuite. Enfin c'était bombance ! Doublement : le ventre plein..., elle s'abandonnait à un vertige semblable à celui qui l'enivrait sur la route. Elle se voyait en train de scandaliser cette bourgade cafarde. Elle n'allait plus se frotter à des ciels, à des hauteurs, à des couchants, à des aurores, mais à des hommes sentant le bouc.

Ennemonde et autres caractères


Deux ou trois jours d’écran silencieux, le temps d’aller humer dans l’amitié le coup de vent à la pointe de Trévignon, au pays de Xavier Grall, l’homme qui écrivait :
Je ferai l’éloge de la pluie sur mes toits, dans les abers... Je ferai l’éloge de la pluie, de sa liberté, de son opiniâtreté. Pluies féales, pluies bretonnes, pluies libertines.

*S’évâiller : se répandre, s’étaler en dialecte gallo du pays nantais

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