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jeudi, 12 janvier 2006

Aléas de projets

Il y a un an, à quelques jours près, j’avais décidé de tenir une rubrique sur la poésie de naguère, que présentait une collection “Poètes d’aujourd’hui”. Le chantier de Poézibao, ouvert par Florence Trocmé, m’avait donné cette idée.
J’ai cinquante-deux livres de ces éditions Seghers qui, entre 1944 et 1990, donnèrent le goût du poème à travers plus de 300 titres, à de nombreux lecteurs.

La collection vacilla au gré des reprises éditoriales et des responsables de la collection entre 1990 et ce jour. Le dernier que je possède est de janvier 2005, consacré à Jean Grosjean, présenté par Jean-Luc Maxence dans un nouveau format plus traditionnel, mais il s’inscrit dans le projet éditorial de Pierre Seghers : un texte de présentation proposé à un autre poète ou écrivain ou critique ou professeur (peu, très peu !), un choix de textes et une iconographie. Peut-être cette dernière s’est-elle quelque peu rétrécie ! Dommage ! Grosjean est mon cinquante-troisième titre, mais je n’en suis pas encore à lui.

Car mon projet de présentation hebdomadaire, respectant l’ordre d’acquisition des bouquins, chaque mardi, s’est très vite étiré en une parution mensuelle. J’ai dû décevoir quelques lectrices et lecteurs. Ce fut une première année chaotique, au gré des croisières, des lectures autres et... de l’intérêt soutenu ou pas, tout au long de ces cinquante années, pour tel ou tel poète. Surtout de l’intérêt ou du désintérêt.

Car autant les notes à propos de Cadou, Char, Michaux, Rimbaud, Du Bellay, fréquentations quasi constantes, furent rédigées en joyeux labeur, autant Villon, Éssénine, Supervielle, et même Jammes ne s’en laissèrent point conter dans l'écriture de leur note. Non seulement, il me fallut reprendre, sinon lire pour la première fois, l’essai de présentation, mais prolonger ma lecture des poèmes et les souvent re et relire ; tel est l’anarchique comportement du lecteur.

Les Seghers furent d’abord achetés parce qu’ils me donnaient l’accès au texte d'un poète, accès que je ne savais emprunter à travers les arcanes de l’édition française. Jusqu’aux années 60, j’étais si ignare de son fonctionnement que jamais je n’aurais oser entrer chez un librairie et de lui demander : « Je veux de Robert Ganzo, son recueil de poèmes, Lespugue, qui a paru en 1947, à la NRF. »
Pourquoi Ganzo, allez-vous demander ? Eh bien, parce que je ne l’ai jamais encore demandé, que cela fait cinquante ans que je marche avec ce texte qui me tord et le cœur et les reins :
.

..Et chante aussi que tu m’es due
comme mes yeux, mes désarrois,
et tes cinq doigts d’ocre aux parois
de la roche où ta voix s’est tue.
Le silence t’a dévêtu
— chemin d’un seul geste frayé —
et mon orgueil émerveillé
tourne autour d’une femme nue.

Première et fauve quiétude
où je bois tes frissons secrets
pour connaître la saveur rude
des océans et des forêts
qui t’ont faite, toi, provisoire,
île de chair, caresse d’aile,
toi, ma compagne, que je mêle
au jour continu de l’ivoire.

Ton torse lentement se cambre
et ton destin s’est accompli.
Tu seras aux veilleuses d’ambre
de notre asile enseveli,
vivante après nos corps épars,
comme une présence enfermée,
quand nous aurons rendu nos parts
de brise, d’onde et de fumée.
Lespugue


Ainsi, il existe encore des poètes jamais lus ou si peu comme Ganzo, et il y a ceux que Seghers permit d’approcher mais dont la lecture ne se prolongea guère, hors quelques circonstances professionnelles.
Je ne me souviens plus qui a écrit que la fréquentation trop quotidienne de certains poètes vous empêchent l’accès à d’autres ; car nous sommes là dans l’alchimie émotionnelle des mots, de “nos” mots, dans l’épaisseur affective de la langue, de “notre” langue.

Quand, ici, il y a la résonance et la cadence, pourquoi là, le silence et le vide ?

Je n’ai pas refusé, même si furent privilégiés le ressenti et l’émotion, l’accès par la compréhension, par la connaissance, par l’approche linguistique, poèmes ou romans d’ailleurs ; et ainsi il y eut de belles et heureuses découvertes, je pense à Ponge, à Robbe-Grillet. Il n’en demeure pas moins que le texte vital, celui qui nourrit la vie, fut découvert et élu par éclair.

Voilà que je m’égare !
Mais est-ce si sûr ?
L’errance m’est bonne en ce journal : quand j’ouvre l’écran de ce blogue, j’ai projet d’écrire ceci et me voilà écrivant cela....

Aujourd’hui, je souhaitais ouvrir le dossier “Jean Rousselot”, parce que c’est bien à l’instar de Supervielle ou Essénine, un poète dont, première lecture faite, je n’ai plus rouvert les livres. Son appartenance - notion à nuancer - à l’École de Rochefort, qui dans un premier mouvement, me l’avait fait choisir, m’a certainement écarté de ses textes, parce que, de cette École, c’est Cadou d’abord, puis Bérimont plus tard, qui me fascineront ; Manoll, Béalu, Bouhier, Rousselot me seront toujours dans un en-deça du poème.

Paradoxalement, c’est à l’œuvre de vulgarisation de cet homme que je dois et mes découvertes postérieures à Cadou, Char et Michaux, et mes bonheurs futurs encore à ouvrir - Ganzo par exemple - parce qu’il publia, j’en ai déjà parlé - mais deux fois répétées, les choses plaisent - ce Panorama critique des nouveaux Poètes Français en 1952.

Rousselot arrive dans les notes de ce blogues ; il peut être encore entendu, aujourd’hui :
On n’a pas le droit de crier,
De cracher rouge, de saigner :
Tout est trop propre et, dans les chambres,
On cache les agonisants
Qui pourraient salir le pavé :
Pas de balayeur pour les gens
Mais une trappe dérobée
Dans un coin de la conscience...

(Il n’y a pas d’exil)

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