jeudi, 17 août 2006
« L'arc crie »
« L'arc crie. »
aurait écrit Camus.
Vains dieux ! Que ces émissions sur la pensée de midi sont belles et revigorantes. Raphael Enthoven est un Passeur.
Peut-être, les deuxièmes heures avec des invités ayant connu Camus ont-elles quelques faiblesses anecdotiques ?
Je n'ai jamais eu honte de n'être qu'un pratiquant de ce "philosophe pour classes terminales" ; d'ailleurs je ne suis pas allé plus avant. Ma mère m'avait dit : « Tu as le bac ! Va gagner ton pain ! »
J'ai souvent mis au propre et au figuré, en chair et en penser, mis mes pas dans les pas de Camus.
Les voisinages d'Héraclite et de René Char n'y furent point étrangers.
J'ai trop de jeunesse en moi pour pouvoir parler de la mort. Mais il me semble que si je le devais, c'est ici (à Djémila) que je trouverais le mot exact qui dirait, entre l'horreur et le silence, la certitude consciente d'une mort sans espoir.
Le vent à Djémila.
Post-scriptum : France Cul annonce les émissions comme pouvant être "podcastées" ; je n'ai pu charger que celle de ce 17 août.
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lundi, 14 août 2006
veuve abusive/sexualité peinarde/virée estivale en Aquitaine
veuve abusive
et...sexualité peinarde
virée d’été en Aquitaine
Ce pourrait être un haïku à la Bashô, ce n’est qu’un bref raccourci de deux lectures dans la presse de la semaine dernière au cours de laquelle nous passâmes — bonheur des lieux-dits —
à Guillemont aux confins de l’Albret et de l’Armagnac,
à Pilar Baïta entre mer et montagne Basques,
à La Hume, aux bords du Bassin d’Arcachon,
à Clos-Favols, dans les banlieux nord de Bordeaux
à Seurin dans le si paisible Entre-Deux-Mers,
pour une dernière halte au Haut-Plantier, quand le Périgord Vert s’ébroue dans de beaux arrondis de collines ; chaque halte fut d’amicale tendresse, de savoureuses nourritures et de vins chaleureux.
Je pourrais écrire aussi : du Lycosthène à Er Klasker en passant par le Cœur de Ptah.
Car n'en déplaise aux grincheux, la Toile ne tient que renforcés les liens du blogueur.
C’est à la Hume que surgit “la veuve abusive” . Nous parlons de Borgès ; Em me dit que j’aurai du mal à me procurer le tome II des œuvres complètes en Pléiade — ça fait quelques mois que mon libraire prend un air dubitatif quand je lui demande si l’on peut espérer la réédition de Borgès en Pléiade, j’ai le tome I, mais en 1999, je devais être désargenté quand parut le 2 — en ouvrant le Nouvel Obs, je comprends tout, et la remarque de Em et la moue du libraire.
La garce ! Marie Kodama aurait déclaré qu’elle fera ce qu’elle veut de l’œuvre de Borgès. Je sais bien que l’immense Aveugle a écrit que “la publication n’est pas la partie essentielle du destin d’un écrivain”, je sais bien que j’ai quasi tous ses bouquins en broché et en poche, que j’ai — déboutée, la veuve ! — les trois “Dialogues” d’Osvaldo Ferrari. Mais il va s’ennuyer mon tome 1, tout seul entre l’unique Char et les deux Gracq où le hasard de mon ordre intérieur l’avait glissé.
Veuves abusives, sœurs abusives ?
Ne connait-on point de veufs de même acabit ?
Le glissement de la belle - mais garce, elle demeure - Kodama au gorille n’est dû qu’au fortuit - qui paraît fortuit, aurait écrit Borgès - ; c’est en lisant à Clos-Favols les numéros du Monde de la semaine dernière, et plus particulièrement, celui du 9 août dans un article de Catherine Vincent, que j’ai appris que nos compagnons anthropoïdes avaient des relations amoureuses, parfois identiques aux nôtres, parfois autres, vraiment autres :
Prenons le gorille et son cortège d'idées reçues. Un être hypersexuel qui kidnappe et viole les femmes ? Le monstre n'existe que dans les chansons de Brassens, les contes africains et l'imaginaire colonial. Et si le héros du film King Kong* (de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933) apparaît à l'écran dépourvu de ses attributs virils, ce n'était peut-être pas dans le seul but de masquer toute sexualité explicite comme l'exigeait à l'époque Hollywood. C'était peut-être aussi - fût-ce de manière inconsciente - pour cacher la vérité peu spectaculaire de leur dimension.
Cinq centimètres tout compris en érection, c'est peu pour un géant agressif et violeur... Mais c'est ainsi : le plus grand, le plus noir, le plus craintif des anthropoïdes possède un sexe minuscule. Et la libido d'un eunuque - libido que les femelles, il faut dire, ne stimulent guère. Elles ne se laissent conter fleurette qu'une fois tous les quatre ou cinq ans, lorsqu'elles estiment avoir fini d'élever leur petit dernier. Mais il leur faut alors, parfois, insister lourdement pour réveiller les ardeurs de leur mâle, qui s'acquittera laborieusement de ses devoirs conjugaux : trois cents mouvements de bassin répartis en trois chevauchées par heure, pendant trois heures, pour obtenir une éjaculation.
La contrepartie ? Un harem harmonieux, composé d'une dizaine d'individus : des femelles et leurs petits sur lesquels un mâle adulte "à dos argenté" règne en parfait pater familias. Sans volupté, mais dans la sérénité.
Il va m’arriver de penser qu’il m’eût peut-être été parfois salutaire de jouir de la sexualité peinarde du gorille.
Façon d’esquiver quelques complexités qui surgirent naguère et... jadis !
Je me rappelle que Macédonio a dit un jour que l’enlacement de deux corps n’est rien d’autre qu’un appel lancé par une âme à d’autres âmes...
Jorge Luis Borgès
Ernesto Sabato
CONVERSATIONS À BUENOS AIRES
* Borgès éreinte le film dans une notice brève (tome I de la Pléiade, p. 974).
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jeudi, 10 août 2006
Lettre à Anne
J’aime bien ces justes décades qui ponctuent nos âges. Depuis quarante ans liés par une coutume qui avait la sagesse de ne pas restreindre la co-éducation de l’enfant et de l’adulte au seul cercle familial, à la demande de ta mère et de ton père, je te tins donc sur des “fonts” où tu reçus l’eau, l’huile, le sel et la lumière.
J’étais dans les plus bas-fonds de ma vie, depuis deux ans dans les parages de la camarde, corps déserté, ne sachant même entre deux belles - peut-être même trois - laquelle élire.
L’été fut sombre, très sombre !
Mais voilà que surgissait cet enfant.
Toi, « Infante » !
Je me suis senti cet après-midi-là réorienté grâce à cette palpitation vagissante que je tenais dans mes bras.
Quarante après, tu es dans ton apogée de FEMME. C’est ce que nous fêtons aujourd’hui.
Après l’apogée, ce n’est point régression, c’est une orbite vitale qui peut s’inscrire dans des épanouissements autres. Quand tu seras, comme ta mère, ton père et moi, le sommes, dans “cette enfance du Grand Âge”, tu sauras qu’il y a de belles joies à encore vivre.
Je t’offre trois jalons simples* - d’humbles bouquins de poche - mais dont le sens va pour moi bien au-delà du support papier.
Tu es, seule, celle qui, grâce à ton compagnon et tes enfants, me relie encore par chair, sang et mental à un pays dont le passé fut, à beaucoup d’entre nous, fastueux.
Je te devais bien de poursuivre par ces petits livres - le décousu des rencontres n’est qu’anecdote - notre mutuelle tâche de coéducation que nous inaugurâmes, toi et moi, il y a quarante ans.
Nous nous rencontrerons encore ; j’ai même l’audace de me réinviter à célébrer dans trente ans, tes soixante-dix ans, l’âge que j’ai atteint cet an.
Je te prends dans mes bras de parrain et t’embrasse fort.
* SAPPHO, L’égal des dieux,
KATEB Yacine, Nedjma,
DJEBAR Assia, La disparition de la langue française.
La calligraphie arabe est le nom de Nedjma.(en couverture du poche "Seuil")
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samedi, 05 août 2006
pour nuancer la note antérieure
« Il n'y a que vous qui sache si vous êtes lâche et cruel, ou loyal et dévotieux ; les autres ne vous voient point, ils vous devinent par conjectures incertaines. »
Montaigne
Je m'en vas, une semaine, en Aquitaine visiter quelques ami(e)s. Je n'irai pas à Malagar ; j'y suis déjà passer : le point de vue est magnifique, mais que la maison est tristement froide !
Je ne rencontrerai pas monsieur Joyaux, mais la lecture nocturne de Montaigne me conseille certaine humilité dans mes propos d'auditeur, quant à la mollesse civique du dit monsieur.
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vendredi, 04 août 2006
Mauriac, suite et fin
Fin de la semaine "Mauriac, vous comprenez ?" sur France Cul. Voilà de bien bonnes émissions ; cinq fois trois heures et demie sur un écrivain. Un "Camus est annoncé pour la semaine du 14 au 18 août.
Quel dommage que l'avant-dernière heure sur Mauriac ait été polluée par l'infatuation de monsieur Philippe Joyaux dit "Sollers". Impossible de morgue, ce mec !
Je ne déteste point ses romans que je lis à la "polar", j'ai apprécié souvent même ses chroniques qu'il rassembla dans la Guerre du goût et Éloge de l'infini ; mais ce matin, ajoutant à son ton de donneur de leçons, il a franchi les bornes de l'esquive.
Par exemple, quand il parle du courage de Mauriac et des risques encourus par ce dernier, j'aurais aimé qu'il en dise un peu plus quand, retors, il se glisse dans l'évocation de cette période : ……la guerre d'Algérie qui m'a affectée personnellement...»
Évoquerait-il l'hopital militaire de Belfort en 1962 et sa schizophrénie simulée (!) ? L'intervention de Malraux pour une réforme définitive* ? Comment justifierait-il six ans de sursis - il est né en 1936 - pour une incorporation qui ne se fait donc qu'en 1962 ? Par la poursuite de ses études (?) ou grâce à sa toute fraîche renommée de jeune écrivain talentueux ?
Et les deux millions de jeunes citoyens de son âge, "affectés" eux aussi par cette sale besogne ?
J'aime pas, j'aime pas !
M'sieu Joyaux, faut pas immiscer sa mollesse civique de petit bourgeois lettré dans le courage des autres !
* Faits mentionnés dans Philippe SOLLERS, Philippe Forest, Les contemporains, le Seuil, 1992
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mercredi, 02 août 2006
un alexandrin seul
Fils du ciel qui cuvais le vin bleu dans les granges
Il est des jours qui n'ont besoin que la luminosité d'un seul vers. C'est François Mauriac interpellant Rimbaud dans un poème d'Orages
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mardi, 01 août 2006
pas mauriacien, mais...
C’est mieux que bien, l’été sur France Culture.
Cette semaine par exemple, trois heures sur "Mauriac, vous comprenez", rediffusion de la biographie des Rolling Stones écrite et lue par François Bon, Les ultras des Lumières avec Michel Onfray...
Littérature, musique, philosophie ! Le bonheur de penser, quoi !
Paresseusement acagnardé, quand à la canicule succèdent les fraîcheurs venteuses de noroît, dans la “librairie” à simplement écouter.
C’est ainsi qu’hier matin en conduisant les “The Nana’s” au Club hippique, j'entends un texte de style néo-symboliste qui me rappelle une ambiance adolescente, où s’évasent, dans la songerie, des images surannées et cruelles quand la sensualité grecque rejoint la culpabilité chrétienne, effleurées par le sentiment troublé d’amours indifférenciées. C’est lu avec un rien d’emphase, mais ça me ramène à un vers de Mauriac : “cette main où ne luit pas d’anneau” — je suis toujours à la recherche de ce poème.
Je ne suis guère “mauriacien”. Peu de lectures, mais attentives et denses.
Ces poèmes d’adolescence, retrouvés au printemps 93 quand la beauté des jeunes filles et du dieu se mêle indéfinie à l’émoi des amitiés amoureuses - mais c’est autre chose que les amitiés particulières du sieur Peyreffitte ; c’est tout aussi lourd, charnel, coupable mais... chaste ! Si, si !
Marsyas ou la Grâce
Dans cette après-midi mortelle où le feu règne,
Marsyas, — ô doux corps qu'un Dieu jaloux torture, —
Je te confonds avec ce jeune pin qui saigne :
Ton sang a le parfum de sa résine pure.
Un papillon de nuit s'englue à ta blessure.
La lande qu'aucune eau du ciel ne désaltère
Crie indéfiniment de toutes ses cigales,
Et le soleil arrache à celte morne terre
L'odeur de miel brûlé qu'ont les bruyères pâles.
Mais ce qui te consume, ô jeune plante humaine,
C'est l'amour de ton Dieu. plus cruel que la haine.
Il aime tant les corps qui souffrent, ce dur maître,
Qu'à des baisers de feu son choix se fait connaître.
Il change l'eau en vin et la douleur en joie ;
Le grain choisi bénit la meule qui le broie,
Et Marsyas, chair baptisée en proie aux mouches,
Sourit au ciel d'airain avec sa blême bouche.
Orages, 1925
dans Le Feu secret, Orphée/La Différence, 1993
Plus tard, le Bloc-notes qui, dix ans durant, va soutenir la réflexion des années “algériennes” et au-delà.
Quel roman plus poignant que celui-là ?
Quelle histoire inventer remporterait en intérêt sur celle que je raconte ici et qui ne s’invente pas ? « Mais la première aventure venue ! » aurais-je répondu autrefois. C'est qu'à l'âge des passions nous ne sommes attentifs qu'à la littérature romanesque, leur écho et leur reflet, jusqu'au jour où, la jeunesse finie, à l'approche du dernier tournant, notre propre rumeur ne couvre plus le clapotis quotidien de la politique, car tout en nous devient silence, désormais, et solitude. Alors nous professons que la lecture des romans nous ennuie et qu'aux plus belles histoires imaginées, il faut préférer l'inimaginable Histoire. C'est pourtant la mienne qui continue à travers le Bloc-notes — non pas celle du monde, mais celle d'un homme.
J’aurai donc lu Mauriac à contre-courant puisque c’est Thérèse Desqueyroux qui est bien l’unique roman de Mauriac que je lirais et relirais, fasciné – amoureux ? – de cette révoltée.
Mais aussi pour cause de ce sentiment “géographique” qui m’agite toujours quand j’arpente des paysages qui me conduisent à feuilleter des pages de roman. Ainsi de quelques mois d’été et d’hiver passés dans la belle clairière de Pesquit, à quelques kilomètres de Saint Symphorien.
La dernière nuit d'octobre, un vent furieux, venu de l'Atlantique, tourmenta longuement les cimes, et Thérèse, dans un demi-sommeil, demeurait attentive à ce bruit de l'Océan. Mais au petit jour, ce ne fut pas la même plainte qui l'éveilla. Elle poussa les volets, et la chambre demeura sombre; une pluie menue, serrée, ruisselait sur les tuiles des communs... Le premier jour de mauvais temps... Combien devrait-elle en vivre au coin de cette cheminée où le feu mourait ?
J’avoue que le film de Franju, athée et sans recours à une céleste grâce, exhausse et libère Thérèse avec tout autant de force que le roman de Mauriac son créateur croyant, n’en déplaise à Claude, le fils de ce dernier (postface à l’édition du Livre de Poche).
Voici donc comment pour cause de radio, j’ai, ces jours-ci glissé de Pierre Jean Jouve à François Mauriac, retrouvant la même pesanteur de la Grâce et une identique allégresse du péché, “le feu de la chair et la blancheur du ciel” : allant de Catherine Crachat à Thérèse Desqueyroux : visages de femmes - belles ? peut-être point, mais femmes solaires et nocturnes “dont on subit le charme”.
Femmes créées, "vivantes", au-delà de la puissance de leurs créateurs ; je ne pense point que Jouve et Mauriac s’offusqueraient de ce dépassement
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vendredi, 07 juillet 2006
bouquins auteurs libraires grandes surfaces = grogne
Je revenais, hier, de plus en plus sceptique, fortement sceptique, - depuis lontemps, déjà, depuis toujours, d'ailleurs - sur la diffusion du livre par les magasins Leclerc et leurs espaces de vente pompeusement dénommés "Centres culturels". Pour l'été, c'est outrageusement la grosse cavalerie des lectures de plage.
Habituellement, et sur le long terme, j'ai un mince indicateur : l'évolution du rayon Poésie/Gallimard ; au fil des ans, il est repoussé dans les fonds et dans les bas. Eh, oui ! il faut avoir échine souple et point d'arthrose aux genoux. Un beau jour, pfuitt !!! Plus de poètes, à moins que les demandes scolaires ne soient à nouveau pressantes. Dans les Fnac ? Ce n'est guère mieux.
Me souviens des Drugstores dans le début des années 70 : tu trouvais par exemple les Libertés de chez J.J. Pauvert, avec Péret, Darien, Léon Bloy, Gracq...
Ça durait un an, peut-être deux ; après, tu ne trouvais plus que Serge et Anne Golon, tous les Des Cars, les De Villiers.
Un peu plus tard, tu ne trouvais même plus de livres...
Certain(e)s diront : « Oui, mais ces lieux... le livre à la portée de tous... la culture dans les caddies... etc. » Certes, certes ! Le grand intérêt de ces commerces, c'est d'offrir à des jeunes sans doute épris de la chose livresque et souvent compétents un "job". Ils vous aident, entre autres choses, à consulter gratuitement "Électre".
Je reviens donc de mon Leclerc voisin, coffre plein pour le départ en mer, mais sans livres - par principe, je n'achète jamais, je consulte, feuillette.
Dans ma boite à lettres, le Nouvel Obs de cette semaine (du 6 au 12 juillet), j'ouvre et voici ce qu'écrit François Raynaert, dans sa chronique :
Est-ce ainsi que les tomes vivent ?
Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire un cours sur le drame de l'overdose culturelle dans l'Occident contemporain, il doit déjà y avoir 10 000 thèses publiées sur la question. Vous me direz, on ne va pas se plaindre de l'abondance. Ça, c’est à voir. L'autre jour, sur une radio dont j'ai oublié le sigle, j'ai entendu un type dont j'ai oublié le nom, analyser cette profusion comme une forme de censure très habile inventée par le système pour étouffer toute parole contestataire.
La thèse est moins parano qu'on ne croirait. L’énergie qu'il fallait au XVIIIe siècle pour faire taire un fâcheux : lancer des lettres de cachet, embastiller l’auteur, faire brûler le livre, un tintouin épuisant.
Aujourd’hui, les « Lettres philosophiques » seraient sorties sans problème, seulement elles auraient été discrètement noyées dans les 500 autres titres de l'office du moment. et elles auraient eu droit, pour solde de toute presse, à une brève dans ”Livres-Hebdo” tandis que les devantures des librairies seraient trustées par l’ouvrage bouleversant de Kevina Pompadour, la célèbre fille de, racontant son anorexie. Et voilà le boulot,Voltaire aurait fini sa carrière inconnu de tous, à ne pas signer son pauvre “Candide” dans un des 42 000 salons du livre comme on en voit de nos jours, tellement emplis d'auteurs qu'on n'a plus de place pour faire entrer le public.
Je sais, il est désolant de penser que la culture souffre aujourd’hui du mal dont souffrit l'agriculture hier, la surproduction, surtout quand on réalise ce à quoi ce désastre va nous conduire. Comment y échapper ? Un de ces quatre, on va y passer. Bruxelles va se mettre à donner aux éditeurs des primes à l’arrachage des auteurs et pour les surplus on va faire comme pour le beurre de Noël , on va devoir stocker les écrivains en surnombre dans d’immenses entrepôts avant de les distribuer en masse aux populations nécessiteuses au moment des fêtes.
J'ai bien aimé. Sauf que le Nouvel Obs, chaque semaine, joue, avec Ipsos et Livres-Hebdo, ses "Livres Stars", ses têtes de gondole à la manière Leclerc ou Fnac, et donc doit aider à étouffer de nouvelles "Lettres philosophiques".
Garcin, Drillon, Ézine, Reynaert et consorts, ne sauriez-vous point ce que publie votre rédaction en regard de vos critiques ?
Je ne pense pas avoir, à un quelconque moment, été dupe de ces doubles jeux, oxymores et compromis ; aujourd'hui, j'avais ma grogne à écrire !
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lundi, 03 juillet 2006
nostalgie du désert
Mag, accompagnée de Gil et Syl, a enfin accepté de prendre à droite après avoir franchi la Loire. Hier, la chaleur était celle qui nous baignait, il y a plus de quarante ans, dans les alentours de Biskra. Elle m’avait demandé de lui retrouver le texte de Gide sur Chetma ; elle se souvenait de l'Enfida et de ses abeilles. C’était dans le Septième livre des Nourritures terrestres. En scannant les pages de ma vieille édition de poche (1964), la nostalgie m’a saisi ; je crois que des larmes m’ont troublé les yeux.
Tant de douceur, d’amitié et d’espoir dans ces premières années de l’Indépendance !
Lenteur des heures. — Encore une grenade
sèche de l'an passé pend à la branche ; elle est
complètement éclatée, racornie ; à cette même
branche déjà des boutons de fleurs nouvelles se
gonflent. Des tourterelles passent entre les palmes.
Les abeilles s'activent dans la prairie.
(Je me souviens, près de l'Enfida, d'un puits
où descendaient de belles femmes ; non loin, un
immense rocher gris et rosé ; sa cime, m'a-t-on dit,
est hantée des abeilles ; oui, des peuples d'abeilles
y bourdonnent ; leurs ruches sont dans le rocher.
Quand vient l'été, les ruches, crevées de chaleur,
abandonnent le miel qui, le long du rocher,
s'épanche; les hommes de l'Enfida viennent et le
recueillent.)
...............................................................
Été ! coulure d'or ; profusion ; splendeur de
la lumière accrue; immense débordement de
l'amour ! Qui veut goûter du miel ? Les cellules
de cire ont fondu.
...............................................................
Oasis ! Elles flottaient sur le désert comme des
îles ; de loin, la verdeur des palmiers promettait
la source où leurs racines s'abreuvaient, parfois
elle était abondante et des lauriers-roses s'y pen-
chaient. — Ce jour-là, vers dix heures, lorsque
nous y arrivâmes, je refusai d'abord d'aller plus
loin; le charme des fleurs de ces jardins était tel
que je ne voulais plus les quitter. — Oasis ! (Ahmet
me dit que la suivante était beaucoup plus belle.)
*
Oasis. La suivante était beaucoup plus belle,
plus pleine de fleurs et de bruissements. Des arbres
plus grands se penchaient sur de plus abondantes
eaux. C'était midi. Nous nous baignâmes. — Puis
il nous fallut aussi la quitter.
Oasis. De la suivante que dirai-je? Elle était
encore plus belle et nous y attendîmes le soir.
Jardins ! je redirai pourtant quelles étaient avant
le soir vos accalmies délicieuses. Jardins ! Il y en
eut où l'on aurait cru se laver ; il y en eut qui
n'étaient plus que comme un verger monotone où
mûrissaient des abricots ; d'autres pleins de fleurs
et d'abeilles, où des parfums rôdaient, si forts
qu'ils eussent tenu lieu de mangeaille et nous
grisaient autant que des liqueurs.
Le lendemain je n'aimai plus que le désert.
Le désert ?
C’est une autre amie plus jeune, Be* - de celles et ceux que je nomme dans mon carnet d’adresses “les très proches jeunes” - qui a parcouru, avec sa fille, au printemps, l’espace mauritanien. Par procuration, elle m’a permis d'achever un vieux rêve commencé en 1958, quand au sortir de l'école d'Application du Train de Tours - promotion René Caillé -, un méchant petit camarade m’a fauché une affectation pour le poste d’Atar : il était le dernier sous-lieutenant de réserve, je n’étais que le premier des aspirants. À l'adolescence, déjà, avec la lecture de Méharées de Théodore Monod, il y avait eu le mythe de la bibliothèque de Chinguetti. Quand dans les années 90, je repris langue avec l'Afrique, sous les neems du fleuve Sénégal, du côté de Baalu, s’insinuait dans la demi-conscience d'une aimable torpeur de sieste le projet de prendre un 4x4 et de monter droit vers le Nord jusqu’à la porte de cette bibliothèque du désert.
Mj a raison. Dans la mélancolie du vieillissement se glissent la nostalgie, l’irréversible. Même quand continuent de se dessiner de minces projets d’aventure “aventureuse”. Telle méditée par Jankélévitch**
Il est vrai que, parées les digues du port, la vie aventureuse commence !
* Son journal et quelques photos de Nina sur leur site.
** Vladimir Jankélévitch, L'Aventure, l'Ennui, le Sérieux, in Philosophie morale, coll. Mille & Une Pages, Flammarion, 1998.
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samedi, 01 juillet 2006
orthographe ou ortograf
Note dédiée à Th, ma correctrice préférée et beau-fraternellement aimée, à Ya son fils cadet,
à Hél, aux deux Er - et l'ami, et le fils - qui se sont débattus et se débattent parfois encore contre ces vieilles règles.
Je pourrais même me l'autodédicacer pour célébrer les quelques difficultés que je rencontre encore parfois avec les infinitifs et les participes passés.
Je lis rarement avec attention la chronique hebdomadaire de Bernard Frank, qui est certes un monsieur très lettré, vieux "professeur" un soupçon suranné, mais cette fois passionnant comme il a d'ailleurs titré sa chronique que je lui copie quasi intégralement, lui-même ayant cité à longueur d'italiques un entretien de Pierre Encrevé, linguiste, et de Michel Braudeau, rédacteur, dans la « NRF ».
Pierre Encrevé souhaiterait « voir figurer en tête de tout manuel de grammaire cette phrase : "Cet homme plein de scepticisme a des certitudes grammaticales. Hélas, Madame Straus [amie de Proust], il n'y a pas de certitudes, même grammaticales" ».
L'usage l'emporte sur le correcteur
La langue, ose dire Pierre Encrevé, « appartient à ses usagers, elle n'appartient pas à l'Etat ni à ses correcteurs. En revanche, l'Etat a des responsabilités à l'égard de la langue ».
« Si je comprends bien, dit Michel Braudeau ébahi, tu es obligé d'accorder le participe passé avec avoir jusqu'au bachot ou au doctorat, et après tu peux très bien ne plus l'accorder. »
Et Pierre Encrevé d'opiner :
« Exactement. En tant qu'écrivain, par exemple, tu es absolument libre de laisser le participe passé invariable. Comme tu le sais, mais comme, hélas, la plupart des professeurs d'école oublient d'en informer leurs élèves, c'est une règle qui a été explicitement proposée par Marot [1496-1544], en imitation de l'italien, qui lui paraissait la langue modèle ; qui n'avait, en principe, aucune raison d'être suivie par tout le monde. Toutes les enquêtes démontrent qu'elle n'est qu'exceptionnellement appliquée à l’oral, d'ailleurs elle n'a de trace audible que dans très peu de verbes. Mais à l'écrit, l'école républicaine a fini par l'imposer à tous, trois siècles après que cet espiègle et génial poète l'eut exposée dans une strophe de ses "Epigrammes", la proposant par jeu savant aux lettrés de son temps dans l'entourage "évangélique" de Marguerite d'Angoulême, sans pouvoir imaginer qu'on s'en servirait un jour pour discipliner tout un peuple... Marot, auteur avec Tory d'un petit traité d'orthographe qui a jeté les bases de l'accentuation moderne, "la Briefue Doctrine", en serait probablement assez contrit, ayant eu l'esprit plutôt libertaire. »
On comprend que Mitterrand se soit si longtemps méfié de Michel Rocard. Et surtout de son conseiller grammatical Pierre Encrevé, qui bouleversa en quelque sorte la langue française par son accord « marotique », qu'il juge « complètement artificiel, extérieur à notre langue, rejeté par Ronsard
"Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe..",
et non pas "déclos" comme on l'imposerait aujourd'hui », cet accord qui est devenu au cours des siècles « la vache sacrée par excellence de notre orthographe grammaticale... ».
Enfin, on en apprend, des choses, dans la « NRF »... Et ainsi que « Proust, toujours lui, écrit deux fois de suite, dans "Un amour de Swann" :"As-tu vu la tête qu'il a fait ?"0u encore '."Voyez la facture qu'il a fait" dans "A l'ombre des jeunes filles en fleurs" ». Mais si Proust avait eu le temps de se relire...
Bernard Frank
Passionnant
in "Le Nouvel Observateur"du 29 juin au 5 juillet 2006
Merci, Messieurs Encrevé et Frank, et bel été à vous !
Post-scriptum : (qui a peu à voir, quoique !...)
Dans le même hebdomadaire, il est question de la « Bibliothèque Rose » : je n'ai jamais, mais jamais, lu un livre de la « Bibliothèque Rose »; par contre j'en dévorai dans la « Verte » : Jules Verne, Jack London, James-Olivier Curwood, Fenimore Cooper, Alexandre Dumas. D'autres...
Ils sont toujours sur mes étagères. En l'état !
09:10 | Lien permanent | Commentaires (6)
vendredi, 30 juin 2006
fleuve blond
C'était hier ou avant-hier, lors des Rencontres du Fleuve* qui, depuis une semaine, célèbrent le passé, le présent, les paysages, les bateaux, les vins, les femmes et les hommes, un futreau et une gabarre remontaient la Loire. La vallée me semblait blonde et je croyais enfin comprendre la fascination de l'ami Joachim Du Bellay pour l'or des belles chevelures.
À moins que ce ne fût pour ce vin d'Anjou en robe d'or que secrète le cépage chenin blanc !
Au choix donc, ou le vin ou la Dame Et puis non ! Pourquoi un choix ? Et la Dame et le vin.
.....................................
Je vois le blanc et vermeil
De cette face tant claire,
Dont l'un et l'autre soleil
À mes ténèbres éclaire.
Voyant ces rayons ardents,
Dessus le cristal de l'onde,
Qui frisent par le dedans
Le fond de l'arène blonde,
Je vois les ondes encor
De ces tresses blondelettes,
Qui se crêpent dessous l'or
Des argentines perlettes.
Le cep, qui étreint si fort
De l'orme la branche neuve,
Armant l'un et l'autre bord
Du long rampart de mon fleuve,
Ressemble ces nœuds épars,
Qui sur le front de ma dame
Enlacent de toutes parts
Mon cœur, mon corps et mon âme.
Ce vent, qui rase les flancs
De la plaine colorée,
À longs soupirs doux-soufflants,
Qui rident l'onde azurée,
M'inspire un doux souvenir
De cette haleine tant douce,
Qui fait doucement venir
Et plus doucement repousse
Les deux sommets endurcis
De ces blancs coteaux d'ivoire,
Comme les flots adoucis
Qui baisent les bords de Loire
..........................................
Joachim Du Bellay
Chant de l'Amour et du Printemps
Divers Jeux rustiques
* Le site des Rencontres du Fleuve.
16:00 | Lien permanent | Commentaires (2)
dimanche, 25 juin 2006
sortie de sieste saine
Toujours dans le Bonheur fou de Giono :
Les gens qu'on voit en ouvrant les yeux après la sieste ne sont jamais beaux.
Ça pourrait s'apppliquer aussi, quand, après avoir lu certains commentaires sur les blogues de ce que je nomme mon "phalanstère", levant les yeux, je rencontrerais le visage @nomyme des rédacteurs des dits commentaires.
12:05 | Lien permanent | Commentaires (3)
mercredi, 21 juin 2006
de plus en plus succinct
Quand aux nuisances poussiéreuses et sonores des travaux de rénovation des maisons voisines *, s'ajoutent les arcanes bancaires et autres chienlies financières, ne demeurent que un ou deux aphorismes bien servis et quelques musiques de plein air pour la soirée :
Libros lege **
Denys Caton
Brèves sentences
* Pourquoi ? Mais pourquoi ma bonne vieille voisine s'en est-elle allée, l'autre été, quand j'étais en Galice ?
** Lis les livres .
15:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 20 juin 2006
succinct du blogue
Les aléas du voisinage en travaux nuisent au recueillement du penser pour écrire. Demeurent, dans le lire, de jolies bribes, telle :
Les femmes dont les cils font beaucoup d'ombre ont généralement l'âme fraîche.
C'est , chez Giono, dans les cents dernières pages du Bonheur Fou
16:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 18 juin 2006
au hasard de la chaleur
J'étais en plein océan. Nous voguions. Tout à
coup le vent tomba. Alors l'océan démasqua sa
grandeur, son interminable solitude.
Le vent tomba d'un coup, ma vie fit « toc ».
Elle était arrêtée à tout jamais.
Ce fut une après-midi de délire, ce fut une
après-midi singulière, l'après-midi de « la fiancée
se retire ».
Ce fut un moment, un éternel moment, comme
la voix de l'homme et sa santé étouffe sans effort
les gémissements des microbes affamés, ce fut un
moment, et tous les autres moments s'y enfour-
nèrent, s'y envaginèrent, l'un après l'autre, au
fur et à mesure qu'ils arrivaient, sans fin, sans
fin, et je fus roulé dedans, de plus en plus enfoui,
sans fin, sans fin.
Henri Michaux
Ma vie s’arrêta
Lointain intérieur
17:40 | Lien permanent | Commentaires (0)