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mardi, 01 août 2006

pas mauriacien, mais...

C’est mieux que bien, l’été sur France Culture.
Cette semaine par exemple, trois heures sur "Mauriac, vous comprenez", rediffusion de la biographie des Rolling Stones écrite et lue par François Bon, Les ultras des Lumières avec Michel Onfray...
Littérature, musique, philosophie ! Le bonheur de penser, quoi !
Paresseusement acagnardé, quand à la canicule succèdent les fraîcheurs venteuses de noroît, dans la “librairie” à simplement écouter.

C’est ainsi qu’hier matin en conduisant les “The Nana’s” au Club hippique, j'entends un texte de style néo-symboliste qui me rappelle une ambiance adolescente, où s’évasent, dans la songerie, des images surannées et cruelles quand la sensualité grecque rejoint la culpabilité chrétienne, effleurées par le sentiment troublé d’amours indifférenciées. C’est lu avec un rien d’emphase, mais ça me ramène à un vers de Mauriac : “cette main où ne luit pas d’anneau” — je suis toujours à la recherche de ce poème.

Je ne suis guère “mauriacien”. Peu de lectures, mais attentives et denses.
Ces poèmes d’adolescence, retrouvés au printemps 93 quand la beauté des jeunes filles et du dieu se mêle indéfinie à l’émoi des amitiés amoureuses - mais c’est autre chose que les amitiés particulières du sieur Peyreffitte ; c’est tout aussi lourd, charnel, coupable mais... chaste ! Si, si !


Marsyas ou la Grâce

Dans cette après-midi mortelle où le feu règne,
Marsyas, — ô doux corps qu'un Dieu jaloux torture, —
Je te confonds avec ce jeune pin qui saigne :
Ton sang a le parfum de sa résine pure.
Un papillon de nuit s'englue à ta blessure.
La lande qu'aucune eau du ciel ne désaltère
Crie indéfiniment de toutes ses cigales,
Et le soleil arrache à celte morne terre
L'odeur de miel brûlé qu'ont les bruyères pâles.
Mais ce qui te consume, ô jeune plante humaine,
C'est l'amour de ton Dieu. plus cruel que la haine.
Il aime tant les corps qui souffrent, ce dur maître,
Qu'à des baisers de feu son choix se fait connaître.
Il change l'eau en vin et la douleur en joie ;
Le grain choisi bénit la meule qui le broie,
Et Marsyas, chair baptisée en proie aux mouches,
Sourit au ciel d'airain avec sa blême bouche.


Orages, 1925
dans Le Feu secret, Orphée/La Différence, 1993


Plus tard, le Bloc-notes qui, dix ans durant, va soutenir la réflexion des années “algériennes” et au-delà.

Quel roman plus poignant que celui-là ?
Quelle histoire inventer remporterait en intérêt sur celle que je raconte ici et qui ne s’invente pas ? « Mais la première aventure venue ! » aurais-je répondu autrefois. C'est qu'à l'âge des passions nous ne sommes attentifs qu'à la littérature romanesque, leur écho et leur reflet, jusqu'au jour où, la jeunesse finie, à l'approche du dernier tournant, notre propre rumeur ne couvre plus le clapotis quotidien de la politique, car tout en nous devient silence, désormais, et solitude. Alors nous professons que la lecture des romans nous ennuie et qu'aux plus belles histoires imaginées, il faut préférer l'inimaginable Histoire. C'est pourtant la mienne qui continue à travers le Bloc-notes — non pas celle du monde, mais celle d'un homme.


J’aurai donc lu Mauriac à contre-courant puisque c’est Thérèse Desqueyroux qui est bien l’unique roman de Mauriac que je lirais et relirais, fasciné – amoureux ? – de cette révoltée.
Mais aussi pour cause de ce sentiment “géographique” qui m’agite toujours quand j’arpente des paysages qui me conduisent à feuilleter des pages de roman. Ainsi de quelques mois d’été et d’hiver passés dans la belle clairière de Pesquit, à quelques kilomètres de Saint Symphorien.

La dernière nuit d'octobre, un vent furieux, venu de l'Atlantique, tourmenta longuement les cimes, et Thérèse, dans un demi-sommeil, demeurait attentive à ce bruit de l'Océan. Mais au petit jour, ce ne fut pas la même plainte qui l'éveilla. Elle poussa les volets, et la chambre demeura sombre; une pluie menue, serrée, ruisselait sur les tuiles des communs... Le premier jour de mauvais temps... Combien devrait-elle en vivre au coin de cette cheminée où le feu mourait ?


J’avoue que le film de Franju, athée et sans recours à une céleste grâce, exhausse et libère Thérèse avec tout autant de force que le roman de Mauriac son créateur croyant, n’en déplaise à Claude, le fils de ce dernier (postface à l’édition du Livre de Poche).


Voici donc comment pour cause de radio, j’ai, ces jours-ci glissé de Pierre Jean Jouve à François Mauriac, retrouvant la même pesanteur de la Grâce et une identique allégresse du péché, “le feu de la chair et la blancheur du ciel” : allant de Catherine Crachat à Thérèse Desqueyroux : visages de femmes - belles ? peut-être point, mais femmes solaires et nocturnes “dont on subit le charme”.
Femmes créées, "vivantes", au-delà de la puissance de leurs créateurs ; je ne pense point que Jouve et Mauriac s’offusqueraient de ce dépassement

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