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mercredi, 13 mai 2009

une remontée fluviale et Pierre Michon


La flemme d'aller en mer dans les successions des grains !

On remonte la Vilaine de Foleux jusqu'à Redon, en lisant Pierre Michon.

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Et au retour dans le petit "jardin de curé de devant, la soie sensuelle offerte d'une énorme pivoine.
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Et Michon, et ses Onze, dans tout cela.
Relisant mes notes de remontée de Vilaine :
Acagnardé dans ma couchette de navigateur, je lis dans les sinuosités de Michon, dans ses invariables et ses adverbes, dans l'afflux de ses particules conjonctives, — ainsi, mes vieux" Grecs — je m'égare dans ses écarts.
J'ai musardé entre les quarante premières pages, si peu pressé de rencontrer les Onze. Il y a si longtemps que le liseur n'a point été interpellé si poliment « Puisque vous m'en priez, Monsieur...» à la page 17 jusqu'à cette dernère adresse « C'est Lascaux, Monsieur. Les forces. Les puissances. Les Commissaires. » à l'avant-dernier paragraphe de la dernière page.
Merci, monsieur Pierre, de tant d'égards.
Je continuais de lire et le plus grand des petits fleuves était paisible. Les grains point trop menaçants. La musique était de printemps : célébré dans les poèmes de Guardini sur des airs de Luzzasco Luzzaschi et de Claudio Monteverdi.

J'ai enfin rencontré les Onze à la page 43. Mais les effluves d'herbes fraîchement coupées dans les prairies d'amont m'ont troublé quand ceci était lu :

Voyez là-haut à deux pas la robe d'or, et au-dessus de la robe un regard posé sur vous. Et sous la robe d'or, avec plus de fulgurance, voyez le corps nu de la belle dame. Vous sentez dans vos braies l'émotion immédiate, la divine, l'intense, la seule ?
Imaginez ceci encore : quoique limousin vous avez vingt ans et la beauté d'un dieu, et dans les bras la vigueur qui vous a permis de respirer jour après jour dans des nuées de moustiques la carpe mûre et n'en pas mourir, comme sont morts la moitié de vos congénères, tombés d'une échelle, étouffés dans la boue, secoués par les fièvres, pas plus que vous n'êtes mort petit, à trois ans dans le puits, à huit ans sous la charrette, à quinze d'un couteau, comme sont morts vos dix frères et sœurs.
Sentez votre vigueur, votre beauté, votre chance d'une certaine façon.
Car ceci se passe : la belle dame privée d'homme longtemps vous regarde avec, dans le regard, l'aveu qu'elle a dans ses jupes l'émotion que vous avez dans vos braies. Mais soudain elle regarde ailleurs et ne vous regardera plus, parce que la loi est de fer et que le Père universel veille, et parce que Dieu est un chien.

Comme un rêve de toison odorante de fenaison à venir, quand fleuriront les châtaigniers au long des rives !

Cette note sera trop longue, mes Dames, mais Michon m'a presque réconcilié avec une profession — un métier, plutôt, non ? —

Il était, François Corentin, du nombre de ces écrivains qui commençaient à dire, et sûrement à penser, que l'écrivain servait à quelque chose, qu'il n'était pas ce que jusque-là on avait cru ; qu'il n'était pas cette exquise superfluité à l'usage des Grands, cette frivolité sonnante, galante, épique, à sortir de la manche d'un roi et à produire devant des jeunes filles plus ou moins vêtues dans Saint-Cyr ou dans le Parc-aux-Cerfs ; pas un castrat ni un jongleur; pas un bel objet plein d'éclat enchâssé dans la couronne des princes ; pas une maquerelle, pas un chambellan du verbe, pas un commis aux jouissances ; rien de tout cela mais un esprit - un fort conglomérat de sensibilité et de raison à jeter dans la pâte humaine universelle pour la faire lever, un multiplicateur de l'homme, -une puissance d'accroissement de l'homme comme les cornues le sont de l'or et les alambics du vin, une puissante machine à augmenter le bonheur des hommes. On appelle ce coup de pouce les écrivains des Lumières, vous l'avez dit. Monsieur. Et réellement ils étaient du côté de la lumière, même et surtout s'ils avaient la pénible certitude d'être une taupe sortant le nez d'une cour de cave : car quels que soient l'illusion ou l'imposture fondatrice, le truquage pour mettre Dieu dans le nid que lui préparaient leurs pages, l'appétit limousin qui les tenait debout, ils furent le sel de la terre à leur façon. À leur façon ils furent ce levain qu'ils voulaient être: parce que l'appétit limousin, ils avaient réussi à le transmuer au fond d'eux-mêmes, comme magiquement, mais très véridiquement, en générosité.

Vous l'avez dit, Monsieur Michon. Et bien dit.
Comme sont si bien écrits :

" Géricault l'a peint quand il avait la mort sur l'épaule. "

"Aussi soyons bas un instant : parlons politique."

"...tremblant de vin, de joie et de terreur..."

terrible phrase répétée en deux pages pour le plumet de Carrier à Nantes sur les rives de Loire et pour le plumet de Collot d'Herbois dans la plaine des Brotteaux à Lyon.

Mais ce Michon, est-ce un conteur ? Ou un peintre ?
Ne serait-il point ce Corentin, peintre sollicité pour ce tableau des Onze qui confond la grande table de chêne autour de laquelle se négocia l'œuvre des Onze en l'église Saint-Nicolas et la grande table de chêne et la lanterne de corne sur la table qui est celle de la cène où officient figés, les Onze. Je crois entendre toujours les chevaux dans leurs stalles de souffre, d'or et des basalte, pourtant je n'entends plus les cloches.
Est-ce Corentin de la Marche qui n'exista point ? Est-ce Jules Michelet qui certainement exista ? N'est-ce pas Pierre Michon qui existe sûrement ?

L'autre soir à la brune, rue de la Fosse, j'ai entrevu un homme qui s'éloignait vers la Loire, un homme au manteau couleur de fumée d'enfer.
Je vous l'écrit ainsi, Mes Dames, Messieurs et Pierre Michon grommellerait que Dieu est un chien.








Commentaires

et voilà que j'ai plus encore envie de voir quelle colloration lui donneront les conditions dans lesquelles je serais (qui pour mon malheur ne seront pas celles d'une navigation paresseuse et peu contraignante, mais on prend ce qui vient) et à quel point il y résistera et prendra toute la place

Écrit par : brigetoun | mercredi, 13 mai 2009

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