mercredi, 07 juin 2006
"Étonnants Voyageurs" ? Exténués ?
Michel Le Bris a beau dire : quand il lança ce beau festival, il y a seize ans, erraient encore quelques voyageurs étonnants. Dans les années qui suivirent, j’ai toujours regretté de n’y avoir point traîner mes “botalos”. De celui de 98, “on” me fit cadeau d’un beau livre d’images d’un de ces voyageurs, Nicolas Bouvier.
Déjà, le “salon” commençait à prendre de l’âge.
Le Bris défend son festival en le déclarant LITTÉRATURE MONDE. Soit !
Et c'est vrai, c’est si bien que s’inversent les sens du voyage : l’Autre me visite.
Mais aujourd’hui, ce ne sont point les étonnants qui s’exténuent, ce sont les destinations qui se rétrécissent.
À ce jour, la rondeur terrestre n’est qu’une balle de Roland-Garros, au mieux une sphère de cuir pour un “mondial” de fric putassier. Les camping-cars et les mobil-homes s’incrustent à toutes fins de terre.
Un ancien conseiller culturel de président - l’inévitable Orsenna - et une navigatrice, Isabelle Autissier - peuvent bien annoncer qu’ils s’aventurent dans le Grand Sud, avec un peu d’argent et beaucoup d’entregent, le risque devient moindre et, absent l’étonnement.
Quoiqu’entre la pointe du Raz et Sein ( et non pas au large de Sein, comme le clamaient les journalistes qui ne sont point marins !)... ce n’est qu'un naufrage d'avant-hier.
Pressentiment ? J’emportai dans mon sac “Voyage en Italie” de Giono. Bien m’en prit !
Une méchante tendinite - Ha ! encore la vieuzerie ! - me cloua à Saint-Servan chez MT et de A, hôtes très attentionnés dont la villa rococo ressemble si fort à ces maisons de Cadix rehaussées d'une tour de guet pour veiller les retours des grands voiliers. Chaque pièce y a ses étagères de livres et dans ma chambre, je retrouvai Les derniers Grands Voiliers du capitaine Louis Lacroix *, rédigés en 1935, publiés en 1950 dans une édition de chez Amiot-Dumont, qui présente les pavillons d’armement des compagnies de Voiliers de Nantes. Mon exemplaire de 1974, édité par les ENOM, ne les mentionne plus.
Nicléane, accompagnée de nos amis Da, Ja et Pi, alla saluer le Grand Bé et me ramena, pieds mouillés, une image du sobre tombeau de Chateaubriand.
Et m’est alors revenu souvenir du Voyage en Italie de notre grand romantique. D’écrit en écrit, “mon” Italie s’est retrouvée chez l’ami Montaigne, chez la belle De Staël, chez Stendhal.
De Montaigne,
Nous partimes le samedi bien matin et par une très belle levée le long de la rivière, ayant à nos côtés des plaines très fertiles de blé et fort ombragées d’arbres, entre-semés par ordre dans les champs où se tiennent leurs vignes, et le chemin fourni de tout plein de belles maisons de plaisance.
De Chateaubriand,
Vous voyez d'abord un pays fort riche dans l'ensemble et vous dites : «C'est bien»; mais quand vous venez à détailler les objets, l'enchantement arrive. Des prairies dont la verdure surpasse la fraîcheur et la finesse des gazons anglais se mêlent à des champs de maïs, de riz et de froment ; ceux-ci sont surmontés de vignes qui passent d'un échalas à l'autre, formant des guirlandes au-dessus des moissons; le tout est semé de mûriers, de noyers, d'ormeaux, de saules, de peupliers, et arrosé de rivières et de canaux. Dispersés sur ces terrains, des paysans et des paysannes, les pieds nus, un grand chapeau de paille sur la télé, fauchent les prairies, coupent les céréales, chantent, conduisent des attelages de bœufs, ou font remonter et descendre des barques sur des courants d'eau.
De madame de Staël (plus Romaine)
Il y a dans les jardins de Rome un grand nombre d'arbres toujours verts qui ajoutent encore à l'illusion que fait déjà la douceur du climat pendant l’hiver. Des pins d'une élégance particulière, larges et touffus vers le sommet et rapprochés l'un de l'autre, forment, comme une espèce de plaine dans les airs dont l’effet est charmant, quand on monte assez haut pour l'apercevoir. Les arbres inférieurs sont placés à l'abri de cette voûte de verdure... Oswald et Corinne terminèrent leur voyage de Rome par la villa Borghèse, celui de tous les jardins et de tous les palais romains où les splendeurs de la nature et des arts sont rassemblées avec le plus de goût et d'éclat. On y voit des arbres de toutes les espèces et des eaux magnifiques. Une réunion incroyable de statues, de vases, de sarcophages antiques, se mêlent avec la fraîcheur de la jeune nature du sud.
De Giono,
En approchant de Lonato, il semble que le pays devienne familier. La route circule dans une terre velue, couverte de canniers d'un vert acide. Ils s’entrouvrent sur des champs de terre rose. Par les chemins de traverse arrivent des chars traînés par des bœufs à grandes cornes. Les vergers de pommiers sont touffus comme des bosquets de plaisance. Les raies de haricots, de petits pois, de fèves, de salades, de choux s'alignent contre des prairies et des chaumes pas plus grands que des mouchoirs mais infiniment répétés côte à côte comme les carrés d'un damier. Les fermes sont à usage de trois ou quatre personnes, pas plus : cela se voit. Un mûrier fait de l'ombre. Une treille. Des aubergines, des potirons à soupe sèchent sur une murette ; cinq à six tomates sur une assiette. Un melon jaune. Les bouteilles de vin rafraîchissent dans la canalisation d'arrosage. C'est le paysage des Géorgiques.
Je suis cependant allé au Palais des Congrès voir une exposition à propos d’Hugo Pratt avec de belles photographies de Marco d’Anna déjà admiré à Gijon en juin 2005 ; toujours clopinant, j’ai arpenté sur le quai Duguay Trouin les allées de l’immense librairie - ce que sont devenus les salons et autres festivals du livre - avec de drôles d’êtres humains, femelles et mâles, à demi-dissimulés derrière des piles de livres et griffonnant des signes en interpellant du regard d’autres drôles d’êtres humains debout, penchés admirativement vers les assis(e) !
Si peu d’étonnement possible !
J’ai achevé, poussé sans doute par les rêveries vénitiennes de Giono, ma soirée de festival en feuilletant, tiré des rayons de chez MT et A, un bouquin d’art sur Véronèse, et j’y ai retrouvé une belle et païenne lactation, Vénus et Mars unis par l’amour - mais le regard baissé de Mars n'attend point une future giclée masculine !
À envoyer à Bourdaily pour merci !
Ah, si !...Nicléane voulait voir Jersey, nous avons vu Jersey... un petit voyage exténué !
* Encore une note comme Blaise Cendrars en avait le génie : dans Bourlinguer, Gênes, note 12, p. 268, Le livre de poche, (1960 ?).
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