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mardi, 27 mai 2008

illisible ?

Je n’ai lu que des pans de Tombeau pour cinq cent mille soldats, je viens d’ouvrir seulement ces jours-ci Coma, c’est dire que je ne suis pas un lecteur assidu de Pierre Guyotat.
Ce n’est pas seulement parce que cette année, le Lieu Unique l’a inscrit dans son cours de littérature contemporaine que j’ai repris le Tombeau et acquis Coma: depuis les premières pages ouvertes et lues du Tombeau, alentour de 1967, cette écriture ne m’est pas sortie de la mémoire ; j’y suis revenu souvent par bribes.

Je me demande si mon intérêt pour Pierre Guyotat que j’ai un mal — littéralement — fou à lire, ne vient pas de la même curiosité que celle pour l’œuvre de Picasso dont je n’aime pas non plus les tableaux, qui est ma passion pour les “travaux en cours”, les “works in progress”, et que trop peu d’écrivains livrent au lecteur.
Quand Guyotat parle de son pétrin langagier, de “ses” musiques, de “ses” peintures, il me passionne.
Quand il lit ses textes, je retiens la scansion et la gravité du grain de sa voix. Mais je demeure hors de son sens, de ses sens.

Pour revenir sur cette difficulté à le lire — je n’avance pas, je n’avance plus, la notion d’illisibilité, mais sans doute suis-je un barbare indigne qui "n’ose point penser" — il y a la résistance de mes codes moraux, mais aussi, sincèrement, de ma sensualité : les logiques du maître et de l’esclave, de la prostitution, de la violence du blasphème, de la cruauté liée à la jouissance m’ont toujours questionné, sinon rejeté hors de leur penser même. Du moins m'en suis-je rejeté moi-même !
Je ne suis entré dans Tombeau pour cinq cent mille soldats que parce que et lui et moi avions en partage une sale guerre, que lui et moi, nous nous en sommes sortis par des voies autres, mais loin d’être opposées.

Mais, feuilletant Tombeau j’en pris plein la gueule.
Fin des années Soixante, vraiment non, ce n’était pas facile de tenter de telles lectures. J’en prends d’ailleurs toujours plein la gueule, mais l’âge, et chez l’auteur et chez le lecteur, doit atténuer les échardes mentales, les éraflures langagières. et les coups de cutter sexuels
Et puis, le discours universitaire, Guyotat lui-même, offrent désormais des chemins d’accès pour commenter, expliciter, élucider.
L’illisible de la langue française s’apprivoiserait-il ?

Toute mon empathie pour l’homme Guyotat se rassemble dans sa réponse au journaliste de Libé avec qui il s’entretenait en mai 2005 :
« J’ai fait si peu.»
Guyotat citait l'une des dernières paroles de Vincent-de-Paul interprété par Pierre Fresnay dans le film de Maurice Cloche, Monsieur Vincent.
Pierre Guyotat sera à Nantes demain soir. Oserai-je une adresse ?

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Post-scriptum :
Un bon, très bon dossier sur remue net et une vidéo de Guyotat à Paris VIII

samedi, 24 mai 2008

« Je vais t'apprendre à me lire. »

J'avoue, que dans la minute où, cette nuit, j'ai entendu, lors de l'émission de Veinstein, Du jour au lendemain, cette affirmation de Claro, j'ai failli m'arracher les écouteurs de mon MP3 des oreilles et bondir hors du lit, mon mental de lecteur libertaire profondément choqué par cette objurgation.
Cet homme que j'avais rencontré quinze jours auparavant au Lieu Unique et qui m'avait diablement séduit par sa conception de la traduction, avec qui j'avais échangé chaleureusement trop rapidement après son entretien avec une certaine Isabelle Rabineau aux belles cuisses d'albâtre — je partais en mer, le soir même, et "la marée n'attend pas le Roi "— cet Claro, donc, osait donc prétendre à la suprématie de l'Auteur sur l'absolue liberté du Lecteur.
C'était trop vite oublier que cet homme aux œuvres étranges est aussi sur son établi de traducteur un lecteur et la sentence — ce que j'avais entendu comme sentence — était précédée et... suivie de nuances qui rétablissaient le dialogue.
C'était à propos de Madman Bovary, objet de l'émission :


« Madman Bovary, c'est un livre sur l'expérience de la lecture... c'est un jeu perpétuel avec le lecteur,...un pacte...qui dit "Là, n'oublie jamais ; tu es en train de faire une lecture et je te le rappelerai en tant qu'auteur" parce que, à ce moment-là, mon écriture agit comme une lecture. Ce que je demande à un lecteur, c'est ce que j'aime bien qu'un auteur ME demande : "Si tu lis mon livre, je voudrais que tu apprennes à lire ma langue Claro, comme tu as aimé apprendre d'autres langues, parce que c'est moi qui vais te donner mes règles syntaxiques, mes règles grammaticales, mon rythme, mes sonorités."
C'est une forme d'apprentissage, une forme de confiance, une forme aussi de cécité, d'abandon...
J'ai une écriture qui essaie de cogner comme une porte contre le lecteur.
»


Ayant entendu cela et l'ayant, je crois, ressenti compris, j'ai pensé à Jean-Louis Godard, à cette séquence d'À bout de souffle, Belmondo au volant de sa voiture, détourne son regard de la route et nous regarde, nous, spectateurs interpellés, Godard, à l'instar de Claro, nous disant : « Je fais du cinéma, vous êtes au cinéma ! ».*

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Ce que Claro auteur, traducteur, dit et écrit de notre rapport à la Langue, à nos "langues" m'a préparé à la confrontation prochaine avec l'homme du Tombeau pour cinq cent mille soldats, cette épopée infernale que j'ai vécue, en ses fins sans doute de manière autre que celle de Pierre Guyotat, que d'aucuns disent homme d'une impensable douceur.
Comme Claro d'ailleurs et sa si jolie compagne, la cinéaste Marion Laine dont le film "Un cœur simple" aurait mérité de demeurer quelques semaines de plus sur les écrans nantais.
Un Flaubert filmé aux antipodes de son "voyou langagier" de compagnon ! Mais l'harmonie des contraires, c'est aussi ce qui fait le bonheur de rencontrer certains couples et leurs œuvres.


• Aller lire le Clavier cannibale. Dommage la "Femme au perroquet" de Gustave Courbet n'y est plus !

*Plus trivialement, Godard fait dire à son héros : « Si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la campagne, allez vous faire foutre ! »

dimanche, 04 mai 2008

Ganzo ? des mots qui inaugurent

Hier matin en lisant nonchalammment le programme des "ÉTONNANTS VOYAGEURS" pour la fin de semaine prochaine, à Saint-Malo, un nom qui surgit à propos d'un prix de poésie, Robert Ganzo... des textes qui remontent à la gorge, de lourde sensualité... les nuits sous les Tropiques...la Première femme... mots comme sculptures vivantes, polis comme des laves qui gardent brûlure des origines.
Je songe à un maraé marquisien envahi de fougères et de lianes, aux caféiers en fleur du Moronou, à l'irruption brutale et salvatrice des premières tornades qui ferment les saisons sèches.

..Et chante aussi que tu m'es due
comme mes yeux, mes désarrois,
et tes cinq doigts d'ocre aux parois
de la roche où ta voix s'est tue.
Le silence t'a dévêtue
— chemin d'un seul geste frayé —
et mon orgueil émerveillé
tourne autour d'une femme nue.

Première et fauve quiétude
où je bois tes frissons secrets
pour connaître la saveur rude
des océans et des forêts
qui font faite, toi, provisoire,
île de chair, caresse d'aile,
toi, ma compagne, que je mêle
au jour continu de l'ivoire.

Ton torse lentement se cambre
et ton destin s'est accompli.
Tu seras aux veilleuses d'ambre
de notre asile enseveli,
vivante après nos corps épars,
comme une présence enfermée,
quand nous aurons rendu nos parts
de brise, d’onde et de fumée.


Oui, vraiment, la femme Première
lors de mon premier et naïf matin du monde !

Le jour. Regarde. Une colline
répand jusqu'à nous des oiseaux,
des arbres en fleurs et des eaux
dans l'herbe verte qui s'incline.
Toi, femme enfin — chair embrasée
comme moi tendue, arc d'extase,
tu révèles soudain ta grâce
et tes mains saoules de rosée.
Tes yeux appris au paysage
je les apprends en ce matin
immuable à travers les âges
et, sans doute, jamais atteint.
Déjà les mots faits de lumière
se préparent au fond de nous;

et je sépare tes genoux,
tremblant de tendresse première...

Lespugue

jeudi, 17 avril 2008

batouque de la mort

Plus que tant d'autres, il avait foutu un feu de grand Nègre à notre langue.

Nous mourons d'une mort blanche fleurissant de mosquées son poitrail d'absence splendide où l'araignée de perles salive son ardente mélancolie de monère convulsive

dans l'inénarrable conversion de la Fin.

Merveilleuse mort de rien.

Une écluse alimentée aux sources les plus secrètes de l'arbre du voyageur
s'évase en croupe de gazelle inattentive

Merveilleuse mort de rien
.......................................

jaillir

dans une gloire de trompettes libres à l’écorce écarlate cœur non crémeux, dérobant à la voix large des précipices d’incendiaires et capiteux tumultes de cavalcade.

Conquête de l'aube,
Les armes miraculeuses.


Salut, Césaire !

ce 17 avril 2008

dimanche, 06 avril 2008

les pois chiches de Sapphô

Les pois chiches dorés croissaient aux bords des eaux
Sapphô

Je ne sais si c’est le printemps qui m’a entraîné à planter camomille, céleri, estragon et oseille au parterre des aromatiques, fuschias sur les rocailles et fraisiers grimpants à palisser sur les clôtures, mais ces occupations jardinières m’ont faire parcourir, semble-t-il, avec plus d’acuité le rayon des Poésies/Gallimard chez mon libraire de la Fosse : je cherchais selon les conseils amis un titre ou deux de Faulkner en Folio, et je me suis arrêté sur... Sapphô, découvrant à mon grand dam de lecteur, que, depuis trois ans, ELLE existait en édition bilingue*. Et je l’ignorais.
Bonheur !
Voilà pour la citation jardinière des pois chiches
Quel dommage que Hautetfort — et quelle autre plateforme de blogue d’ailleurs — n’offre point de fonte grecque ! Car calligraphier en écriture romane ne rend point graphiquement la belle sonorité héllène du pois chiche doré.

Chruseioi d’érébinthoi ep’ aionôn éphuovto.


Post-scriptum :
Interrogation en maniant le plantoir et l'arrosoir : le jardin du lecteur, entre juin et septembre, ne va-t-il point souffrir des navigations du lecteur marin ? Durant de longues années, le jardin fut "pauvre" pour cette incompatibilité entre ces postures de lecteur.

* SAPPHÔ, Odes et fragments, traduction et présentation d'Yves Battistini, Poésies/Gallimard, 2005.

samedi, 16 février 2008

ce n'est plus le centenaire, mais ce n'est pas une raison...

...pour ne pas ouvrir un bouquin de René Char qui fleure bon les mimosas. Depuis une dizaine de jours, ils trouent de lumière les ramures décharnées des arbres voisins et les brassées odorantes parfument nos maisons d'ouest.


5afc523a3935587ac07498c095830802.jpgÀ flancs de coteau du village bivouaquent des champs fournis de mimosas. A l'époque de la cueillette, il arrive que, loin de leur endroit, on fasse la rencontre extrêmement odorante d'une fille dont les bras se sont occupés durant la journée aux fragiles branches. Pareille à une lampe dont l'auréole de clarté serait de parfum, elle s'en va, le dos tourné au soleil couchant.
Il serait sacrilège de lui adresser la parole. L'espadrille foulant l'herbe, cédez-lui le pas du chemin. Peut-être aurez-vous la chance de distinguer sur ses lèvres la chimère de l'humidité de la Nuit ?

René CHAR
Congé au vent

Seuls demeurent.


Ce n'est point le seul privilège de l'espace méditérranéen. La cueilleuse à l'auréole de parfum est aussi femme des finisterres atlantiques. Et nous demeurons silencieux, subjugués par le bonheur d'un printemps encore assez lointain !

RIEN n'aurait-il changé ?

lundi, 21 janvier 2008

Les mots de l’un pour saluer le retour de l’autre

Il a achevé un périple, devenu commun, mais qu’il a rendu par sa ténacité, sa modestie, son intelligence des éléments, pour une fois encore hors du commun.
Il ne me déplaît point d’apprendre qu’après avoir franchi la “Ligne” entre les Fillettes et le Petit-Minou, Francis Joyon a choisi de passer sa dernière nuit au mouillage de Roscanvel, seul.
Après cinquante-sept jours de bonheurs et d’enfers, de bruits et de fureurs, ce nécessaire face-à-face enfin silencieux avec soi-même dans ce drôle d’engin qu’est un voilier devenu son corps second, ses mains, ses bras, ses jambes, son ventre, son cul !

De passage ici, cette fin de semaine, ÉL m’a offert le livre d’un homme que je ne connaissais pas : un bénédictin de Ligugé* qui va en mer. Il a écrit Pélagiques :

La mer existe depuis toujours, et ce toujours de la mer existe toujours dans les hommes ; dans la tête des hommes ; dans le cœur des hommes ; dans les yeux des hommes ; dans les mains des hommes. Dans les couilles des hommes...........................................................
................ la mer tout à l’entour certifie le regard. Mer paupière elle-même, mer pupille. Étant là tout exprès pour s’ouvrir, pour s’offrir à la plus respectueuse rapacité de l’homme —celle du regard —, la mer magistrale apprend à l’homme, non pas seulement à se servir de ses yeux, mais à les servir. Car, amariné, l’œil est roi.


Je sais aussi d’autres êtres humains qui n’ont pas de couilles, mais qui ont un ventre autrement fécond : les Femmes de mer !

* François Cassingena-Trévedy, PÉLAGIQUES, éditions du Gerfaut, 2007

mercredi, 09 janvier 2008

les heureuses juxtaposition de la "librairie" : Jouve encore

Les bouquins de Pierre Jean Jouve jouxtent sur la même étagère ceux de Victor Segalen. Pour moi, c'était fortuit, mais en relisant l'essai de René Micha, je tombe sur une brève notule qui m'avait échappée jusqu'à ce jour :

« C'est d'ailleurs vers ce moment qu'il (Jouve) connaissait l'œuvre de Victor Segalen, et par un mouvement assez généreux contribuait, plus que tout autre, à "sauver" cette œuvre de l'oubli à quoi elle semblait condamnée. »

Est-ce pour cette fréquentation et ce "sauvetage" que l'on retrouve chez Jouve, dans Ode ou Langue des versets qui paraissent si proches du rythme de l'Ode segalienne , de Thibet ou de Stèles.

Étrangère, vaste beauté, plus familière que ma larme
Ce n'est pas d'aujourd'hui que je vois ton visage aux plus anciens cils
C'est d'années de siècles de temps ;
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'abîme où souriante tu vas fuir
Referme sa porte en mon cœur, un bruit de vantail discordant !
Ce n'est pas d'ici que tu plonges, ce n'est pas d'ici mais d'avant, que douce et aimée jouissante
Tu enfonces l'ongle rouge dans l'immense durée de jour qui jamais ne sera présente.

Ma bien aimée Étrangère
Chaque figure douce de Toi occupant la scène tour à tour
Toutes sont ce buisson de vieil or d'amour, toi l'Étrangère,
Et toutes sont aimées sans vêtements dans un unique voyage au fond des terres de l'étranger.

La page blanche, in ODE


Post-scriptum :
• Avant-hier, ma bibliographie était une biblio du "pauvre", des "poches" pour maigres bourses et nous savons depuis hier soir... que le "pouvoir d'achat" est un élément négligeable.
Me faut-il alors conseiller les deux tomes de l'œuvre complet, établi par Jean Starobinski, au Mercure de France, en 1987, année du centenaire de Jouve ? Hors les écrits critiques, le lecteur y retrouve toutes les proses, les poèmes, les traductions, les ouvrages reniés d'avant 1925, jusqu'aux inédits Beaux Masques, feuillets sulfureux, obscènes et délicieux !
Et faudrait-il citer encore ce qui est peut-être la première biographie de Jouve, — mais je n'ai pas encore lu — le Pierre Jean JOUVE de Béatrice Bonhomme aux éditions ADEN.
• Ce soir, mais c'est de la faute à Jouve, je sèche le premier cour de littérature contemporaine au Lieu Unique sur Linda LÊ ; j'irai la semaine prochaine, la dame y sera et il y aura le "regard" de Chloé Delaume !!! Ça m'ira !

lundi, 07 janvier 2008

Pierre Jean JOUVE

À l’ouverture, l’anthologie de Cadou

Jouve ! c’est mieux que Monsieur Nietzsche
Une effraie étudiant la niche

"A", l’amoureuse du temps de guerre, plus tard délaissée, me parle de ce poète qui côtoie les parages de la psychanalyse... J’ai longtemps été ignorant de cette démarche. Aujourd’hui encore, je n’en saisis pas clairement les entrelacs.
Mais le ton unique, étrange, de Jouve va d’emblée me séduire : le sang, la chevelure, le sexe s’affirment aux premières lectures.
La mort surgira, trop réelle, plus tard.
La couverture est de sang et Cadou n’a point tort : le crâne chauve les grandes lunettes rondes donnent au visage de Jouve un caractère d’oiseau nocturne.

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La présentation est de René Micha ; il n’est pas très facile de situer la qualité du rédacteur, la collection Seghers n’ayant pas pour usage de livrer les compétences de l’auteur qui légitimerait son autorité près du lecteur.
Micha a rencontré Jouve dans les années 1940 ; ils ont passé quelques semaines ensemble à Dieulefit, entre Dauphiné et Provence, où réside alors le poète. L’étude est publiée en 1956, Jouve meurt en 1976.
René Micha participera avec Jean Starobinski et Catherine Jouve à l’édition de l’Œuvre complet de Jouve en 1987. L’on peut être assuré que cette proximité avec l’homme et ses écrits est garante de la connaissance. Que Jouve ait confié son manuscrit des Beaux Masques à Micha y ajoute encore.

Dans la partie VII qui clôt l’étude, Micha précise bien sa démarche critique :
« Sans sacrifier tout à fait à la chronologie des œuvres ou à la courbe personnelle d’une vie, je me suis efforcé de fixer l’ouvrage de Jouve par les nœuds d’une existence en quelque sorte idéale : convaincu que le visage poétique coïncide avec l’être essentiel, le témoignage avec le temps. »

Nous voici conviés à la traversée oppressante de chambres aux tentures de sang, aux féminines odeurs, que hantent des jeunes femmes exsangues et demi nues, au regard halluciné et qui portent trop souvent leur main à la fourche velue de leur entre-cuisses. Elles ont hanches larges et seins menus.
Les paysages sont aigus, arides et bleus. Le soleil a des éclats brutaux qui lacèrent l’âme. Il est des nuages rouges qui passent dans l’esprit des hommes

Je cherche un homme-tombeau. Je ne lui dirai d’ailleurs qu’un petit morceau de l’histoire. Voulez-vous être cet homme-là ?


C’est Paulina, c’est Baladine, c’est Catherine, longtemps Catherine, le temps de quatre romans, c’est brièvement Marie, c’est Dorothée qui devient Gravida, c’est enfin Hélène, Hélène de Sannis, « Hélène chevelue, Hélène tremblante, Hélène panique ».

Elle me dit à la tombée de la nuit :
« Viens ce soir, et je me donnerai à toi cette fois. »
Tout était préparé, comme la première nuit, dans une atmopshère de fête éclatante. C’était elle qui m’attendait lorsque j’entrai sous la lumière des bougies. Les bougies étaient nombreuses.
Le costume d’Hélène était autre. Elle portait une grande robe de soie à manches de couleur claire qui s’ouvrait par devant sur son corps; La robe légère tombait comme un péplum. Mais aux pieds elle avait toujours les souliers dorés. J’étais confus de ne pas la retrouver pareille. De la sentit plus grandiose. Je m’agenoullai contre elle et je posais ma tête à la hauteur de son ventre.
Quand je pense à ce mouvement et à la durée qu’il eut.
Notre fureur commençait.


Micha ne s’attardera pas à la période post-symboliste et unanimiste de Jouve — avant 1925 — qui d’ailleurs rejettera tous les écrits datant de ces années. Ceux-ci ne seront à nouveau publiés dans l’Œuvre qu’en 1986, Jouve étant mort depuis dix ans.

La lumière pluvieuse déflore
le silence beau de ta chair bleue
plus qu’emplie des innombrables yeux
sur le ventre des crotales d’or.

Il monte en nos étoffes nubiles
un verre terreux de son désir
pâle d’ogive translucide.
L’Avril


C’est très symboliste et ça sent son Vielé-Griffin, son René Ghil, son Francis Jammes. Il y aurait même, s’ajoutant à celle de Romain Roland, une influence de Walt Whitman.

Je suis né à proximité de ces canaux et de ces nuages,
De ces bourgs au rues parfaitement peintes ;
Je porte dans mon cœur rues, blés mouvants et dunes.

J’ai l’esprit conforme à ces plaines sans défaut ;
— Rien que des toits éclatants çà et là, un vent fort,
Une pensée raisonneuse pour la terre infinie.—

J’éprouve le désir des arbres vers la mer,
J’ai le doute et le scrupule des canaux,
Mon affection n’a de repos que sur le clair horizon.
Vous êtes des hommes


Micha évoque brièvement la crise intellectuelle et religieuse, entre 1922 et 1925, qui porte Jouve à renier ses écrits antérieurs et jusqu’à ses relations littéraires. Dans “En miroir, journal sans date”, celui-ci écrit :
« Il fallait tout changer, sentais-je, il fallait tout recommencer. Tout devait être refondu, comme la vie même reprenait, dans un rigoureux isolement ; avec un seul principe directeur : inventer sa propre vérité... J’étais orienté vers deux objectifs fixes : d’abord obtenir une langue de poésie qui se justifiât entièrement comme chant..., et trouver dans l’acte poétique une perspective religieuse — seule réponse au néant du temps


Il revient à ses premiers initiateurs : Baudelaire, Nerval : il lit François d’Assise, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, plus tard Jean de la Croix. Il rencontre la psychanalyse. Les Alpes italo-suises sont en toile de fond : Carona, le lac de Lugano.

Micha articule les quarante pages qui vont suivre (sur un total de quatre-vingt quatorze) sur ce qu’il appelle les cycles romanesques que Jouve va entreprendre , dix ans durant, de 1925 à 1935, cycles soutendus par autant de recueils poétiques.

« Lorsque j’abordais le genre roman, je ne voulais rien moins que le roman “poétique”


Le cycle de Paulina : avec les romans Paulina 1880, Le Monde Désert, et les recueils poétiques Les Noces, Le Paradis perdu.
Paulina Pandolfini , femme dans Paulina 1880:
J’avais les cheveux d’un noir bleu, la taille souple, mes seins étaient déjà formés à douze ans , mais j’étais pure comme l’eau.

Jacques de Todi, homme dans le Monde Désert :
Départ splendide de Jacques de Todi, santé absolue, pour la Bella Tola à 6 heures du matin en hiver, sur ses skis, presque nu... Je suis jeune. Je suis glorieux. Je pars.


Le cycle de Catherine : avec les romans Hécate et Vagadu.
Catherine Crachat, femme-garçon, sainte et démone :
Je crois que je vous la raconterai mon histoire. Mais d’abord — j’ai dit que j’étais très belle. Je sais que c'est vrai. Je suis belle par profession. Vous ne me le répétez pas car j'en ai les oreilles cassées. La beauté c'est une autre misère que l'on porte. Quand on l'a avec un certain esprit, on est malheureuse. Je voudrais devoir ma vie et ma position à autre chose. La phrase qui me déclare que je suis belle m'offense vraiment. « J'ai les yeux noirs très sensibles, l'ovale plein et régulier, une bouche merveilleuse, des cheveux sombres avec des reflets d'acier, ils peuvent être mousseux, ils peuvent prendre des écailles, ou coller à la tête; je suis la nouvelle beauté entre femme et homme, par excellence photogénique... etc. » On vend mes portraits en cartes-postales. Et je porte aussi mon nom, que je n'ai pas voulu changer, que j'ai seulement effacé derrière le prénom, pour l'écran. Catharina. C'est mauvais goût, romantique. J'ai une égale horreur pour mon nom et pour mon portrait. Il faut supporter les deux.
Je cherche un homme-tombeau. Je ne lui dirai d'ailleurs qu'un petit morceau de l'histoire. Voulez-
vous être cet homme-là ?


Le cycle d’Hélène : avec les proses d’Histoires Sanglantes et de la Scène Capitale et les poèmes de Sueur de Sang et de Matière Céleste.
Hélène, mère-amante, Léonide, amant-fils.
La chambre était bleue et vide. Elle resplendissait de la lumière particulière des bougies.
L'état d'attente dans lequel je me trouvais, je le comparerai volontiers à l'état d'une matinée d'été. Tout ce qui fait la force de l'homme arrivait à moi mais c'était la fraîcheur avec l'espérance. Mon désir si longtemps travaillé et éprouvé, je ne le sentais plus qu'à peine, tant la joie, véritablement pubère, de l'attendre, occupait mon esprit, me couvrait de ses ailes. Le plus beau ce fut lorsque je pus penser « je suis à toi » et me dédier à cette femme, qui allait apparaître par la petite porte du boudoir. Je fixais cette porte, je la voyais trembler avant de s'ouvrir. Un rai de lumière se voyait en dessous. Dans la chambre le grand lit bleu sombre n'était pas préparé pour la nuit, il était toujours bleu sombre et couleur de profonde
volupté. Les lumières contrariées les unes par les autres faisaient une clarté sans ombre et je me souvenais qu'il n'est rien de si doux à la peau que la clarté des bougies. Rapidement, je me déshabillais.
Hélène ouvrit la porte...


Les romans de Jouve aux chapitres brefs s’écartent des romans de son époque ; aujourd’hui encore, ils paraissent uniques, sous haute tension ; le matériau corporel, célébré dans les poèmes, est repris comme emblème dans les proses : l’Œil, la Bouche, la Chevelure.
Dans les uns et les autres : l’érotique et la mort. Et le sacré qui rôde !

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Dans un quatrième cycle “Catastrophe et Liberté”, les grandes proses romanesques sont achevées, place aux poèmes, aux essais et aux traductions.
C’est la Seconde guerre mondiale. Jouve se réfugie à Dieulefit, souhaite passer en Angleterre, mais il manque de “tous les moyens d’habileté, d’hardiesse et d’argent " ; il s’exile, quatre ans durant à Genève.

Il y écrira La Vierge de Paris :
« La lutte de la Poésie contre la catastrophe qu’elle incarne, dont elle fait son profit, c’est une lutte pour les valeurs immuables : en premier lieu l’être, la durée de la nation et de la langue ; en second lieu, l’idée de la nation, qui est pour nous Français : la Liberté. »


René Micha est assez peu disert sur l’engagement politique de Jouve et sur ses liens avec De Gaulle. Jouve, à l’instar de ce dernier, aurait souhaité concilier
ce qu’il pensait être l’essence française : l’esprit des Croisades et l’esprit des Révolutions (des volontaires de l’An II aux morts de la Commune). C’est à mille lieues de Déroulède, même quand il célèbre la soie du bleu/blanc/rouge ; éloigné aussi du lyrisme patriotique de la Diane française d’un Aragon :

L'esprit du cœur de division
A soufflé sur les opéras et les cathédrales
Sur les hautes rues dans les vieilles masures
Les monts déserts les plus sinistres marécages ;

L'esprit de misère a terrassé l'enfant
A vidé l'homme et fait pleurer l'épouse
L'esprit de honte a tordu le cœur des amants
Qui cherchent dans l'ombre des armes

Mais l'esprit de chagrin les a soudés ensemble
Comme les bois sous le vent pauvre
L'espoir leur a rendu la chair, nouvelles mains
Pour se tenir s'unir écorchés mais humains

Nouvelles mains pour chérir la guerre
Ne plus faire une économie de la mort
Et tous ressuscites par le martyre
Ecorcher comme il le faut la terre !
Le bois des pauvres


Les derniers recueils, Diadème, Mélodrame, Moires reprendront dans l’apaisement les thèmes familiers : le Christ, le sang, le nada, la mort, l’aimée, les aimées.
Dans la tension raffinée entre sexe et sacré, Jouve continue son histoire d'amour et de mort.

Grande et nue un instant après
Avoir dégagé les deux cuisses
Du petit pantalon serré

Un tour sur ses bas de rose
La hanche au centuron brodé
Provocante elle attende la chose

Deux seins belles poires belles et bistres
Épaules à porter des bras
Superbes mais surtout le bas

Ventre avançant l’énorme touffe
Forte et noire comme un péché
Que l’adoration étouffe.

Lulu II, in Moires


Toutes vous êtes je vous revois
Toutes chargées de moi et moi
Des sexes, des rires, des ombres
Des cheveux des dents et des lombes

La parole de salive et le nuage des beaux yeux
Le passage odorant du beau navire
La larme des enfants
Le gouffre de la chair rose et la prière

La pensée et le bout des doigts et les seins
Et la fautive crétaure ou genre humain
Toutes je vous ai dans un rêve
.......................................................................

Et celle-là la Morte avec de très grands yeux
De très grands cœurs et de plus longs cheveux
Poussés depuis qu'elle est allongée à son ombre
De très hautes douceurs ô divin du temps sombre

La Morte dit : animal des amours
Messager de l’humeur ah je comprends le cours
De mon voyage enfin de fantômes en formes
Et de chair en azur, faute en miséricorde ;

Messager d'un Amour que j'ai rêvé de voir
(Criminelle douceur et pauvreté jolie)
Je reconnais ton œil ineffable du soir

Je joins les impossibles de toute ma vie
Tu es le Christ : ô bien-aimé sur les collines
C'était toi déguisé en eux pour ma survie

Aurora, in Génie


Dans le dernier chapitre, est évoqué le traducteur de Shakespeare, ; ne sont que mentionnés : Hölderlin et Gongora.
L'essai s'achève sur les rapports de Jouve avec l'opéra. Avant et après guerre, il fut un spectateur assidu de Salzbourg et Aix-en-Provence. Au Wozzeck de Berg et surtout au Don Juan de Mozart, Jouve consacrera deux essais.
...De la polyphonie de Mozart, il apparaît que la substance soit en acier. Quelque chose d'extrêmement dur, et ployant, dans une douceur parfaite. Tristes, cruelles, souriantes, ce sont les explosions d'une matière dure ; on ne saurait trop insister sur ce point. La rupture est la loi de cet art d'harmonie suprême. Que manifeste une musique si essentiellement Musique ? La lutte de l'âme contre l'âme, de l'affect contre l'affect, la division déchirante, la blessure, la déchirante unité, puis la divine unité. L'unité ne s'obtient qu'en recouvrant la rupture incessante.
Le Don Juan de Mozart

Et puisque nous sommes parvenus à Mozart, revenons aux poèmes du recommencement de Jouve, à
Noces et ce dernier texte, l'Ave Verum, ce motet si bref que Mozart mis en musique qui clôt de manière poignante et pourtant pacifiée cette approche de Jouve.

Lorsque couchés sur le lit tiède de la mort
Tous les bijoux ôtés avec les œuvres
Tous les paysages décomposés
Tous les ciels noirs et tous les livres brûlés
Enfin nous approcherons avec majesté de nous-mêmes
Quand nous rejetterons les fleurs finales
Et les étoiles seront expliquées parmi notre âme,
Souris alors et donne un sourire de ton corps
Permets que nous te goûtions d'abord le jour de la mort
Qui est un grand jour de calme d'épousés,
Le monde heureux, les fils réconciliés.
Ave verum


Post-scriptum :
Pierre Jean Jouve en “ poche”

Romans
* Paulina 1880, livre de poche, 1964, Folio, 1974.
* Le Monde désert, livre de poche, 1968, L'Imaginaire, Gallimard, 1992.
* Aventure de Catherine Crachat I, Hécate, Folio, 1972.
* Aventure de Catherine Crachat II, Vagadu, Folio, 1989.
* La Scène capitale, L'Imaginaire, Gallimard,1982

Poésies
*Les Noces, suivi de Sueur de Sang, Préface de Jean Starobinski, poésie/Gallimard, 1966.
* Diadème, suivi de Mélodrame, Poésie/Gallimard,1970; nouvelle éd. 2006.
* Dans les Années profondes - Matière céleste - Proses, Présentation de Jerôme Thélot, Poésie/Gallimard, 1995.

Essais
* En miroir, 10/18, 1972.

pour prolonger René Micha
Pierre Jean JOUVE, l'homme grave, de Franck Venaille, JeanMichel Place/Poésie, 2004.

Sur la Toile
• Sur le site Wikipédia, une fiche Jouve très complète.
• Un site Pierre Jean JOUVE, par Béatrice Bonhomme qui coordonne le colloque ci-dessous.
• Une annonce d'un colloque Jouve qui s'est déroulé en août 2077, à Cerisy. (Bibliographie très complète). Il nous faut attendre les actes du colloque.
• Sur Paulina 1880, le site Terres de Femmes, d'Angèle Paoli.

jeudi, 27 décembre 2007

Char lecteur de Gracq

Centenaire René CHAR

Je pensais clore ces notes sur le centenaire de René CHAR, par des textes de Michaux et Char sur la lumière des bougies. Ce sera pour le premier jour de l'an 2008.
La mort de Gracq me fait reporter cette conclusion “lumineuse” au centenaire.
Il n’est pas si fréquent qu’un lecteur puisse trouver dans ses horizons des auteurs qu’il puisse “joindre” sans avoir le cœur fendu des disharmonies entre les uns et les autres.
Par exemple, Char appréciait le poète Michaux, mais Michaux faisait tout — ou presque — pour éviter Char.
Dans les chemins creux de mes lectures, ce manque d’accord me fend, parfois, le mental. Mais, bonheur paradoxal, les livres se côtoient sur les étagères !

En 1950, Empédocle, la revue (dans le n°1 ou 7 ?) fondée par Camus, Char et Grenier, avait publié La littérature à l’estomac, ce texte qu’on nomme pamphlet dans lequel Gracq, ulcéré par l’éreintement de la critique à propos du Roi pêcheur, se fendit d’une belle volée de bois vert. L’écrit fut, la même année, éditée par Corti.

La relation entre Char et Gracq remontait à la parution des Feuillets d’Hypnos.
L’un et l’autre avaient vécu la “drôle de guerre”. Le second écrira plus tard Un balcon en forêt.
Char, dès 1945, publiera, refaçonnés, ses carnets de maquis et Gracq fut sensible à ce “non-récit de guerre” :
« Il est étrange que votre livre, écrit dans de telles circonstances, me donne une impression aussi absolument contemplative. J’aimerais parler de cela avec vous. »


Voici donc dans cette avant dernière-note, un Char lecteur de Gracq* :
À propos des Eaux étroites :
« Ces quelques dizaines de pages pèsent et pèseront plus lourd que les tonnes de littérature vide qu’on trouve actuellement à profusion et dont l’épaisseur est à la mode. Julien Gracq ne se manifeste que par son œuvre, comme Henri Michaux. C’est un rebelle et un discret. »


À propos de En lisant, en écrivant :
« Mes goûts ne sont pas forcément les mêmes que les siens, mais j’ai pour Julien Gracq une estime qui n’est pas seulement littéraire : elle est aussi morale, au sens le plus complet de ce mot dont nous avons tant besoin aujourd’hui. »


À propos du Rivage des Syrtes :
« J’avais cru lire Le Rivages des Syrtes, mais il est possible que je ne l’aie pas lu. Si vous avez raison, ce serait dans ce cas l’ouvrage politique le plus profond qu’on ait écrit en France pour les temps obscurs où nous sommes. »


* J’ai recueilli ces propos dans le livre de Jean Pénard, rencontres avec rené char, Corti, 1991

dimanche, 23 décembre 2007

«... pareil au verrou tiré sur la journée finie. »

Bonsoir, monsieur Gracq.

... il sembla d'abord que ce fût le silence. Puis le froissement faible des roseaux passa avec une bouffée de vent ; des cris d'enfants montèrent de l'autre bout du pâtis, aussi suraigus que des cris de martinets. Puis des voix d'hommes toutes proches, à l'abri derrière un appentis de charrettes : voix du soir qui parlent pour parler, plus égales et moins hautes, déjà au bord du silence, avec de longs intervalles, comme si à travers elles la trame de la journée se défaisait. Puis le gong lointain d'une casserole heurtée, passant par une porte ouverte — l'épais froissement de roseaux d'une toue invisible, le râclement mou, étouffé, de la proue plate glissant pour l'accostage sur la vase de la berge, et le bruit final de bois heurté de la gaffe reposée sur les planches, pareil au verrou tiré sur la journée finie...


Voilà la page que je m'étais promis de lire à voix basse, le soir où j'apprendrai que Julien Gracq a "descendu le Fleuve". Je n'ai rien à dire, rien à écrire que redonner à lire ces quelques lignes de la Presqu'île, sur un soir briéron, en ce pays d'Ouest qui fut le sien, qui est le mien.

jeudi, 15 novembre 2007

premières gelées

Comme chaque automne avec les premières gelées, ce n'est pas René Char, c'est René Guy Cadou qui revient à mes lèvres avec son Chant de solitude. Parce qu'il y a ce vers qui évoque le dahlia dont les tiges s'inclinent alourdies des pétales brutalement fanées par cette première nuit de gel.


.................................................
Les fumures du Temps sur le ciel répandues
Et le dernier dahlia dans un jardin perdu !
Dédaignez ce parent bénin et maudissez son Lied !
.................................................



C'est à cause de ce vers que chaque printemps, je plante un parterre de dahlias et que chaque automne, je maintiens le plus tard en novembre un "dernier dahlia" comme témoin nostalgique de l'été...

dimanche, 11 novembre 2007

dans un matin toujours gris

Prolongeant le réveil en lisant sous la couette — "la musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas", nous sommes le 11 novembre ; pour commémorer, mieux valait regarder sur Arte, Les sentiers de la gloire — lisant donc des poètes bédouins de la période anté-islamique, je m'enfuis de l'automne brumeux vers les jours passés— naguère ? jadis ? — dans l'aridité du grand Erg oriental.
Sans doute fallait-il cette extrême aridité des pierres et des sables pour atteindre à une telle concision du désir. La sexualité est peut-être le domaine où la langue résiste le plus à l'effet du temps.
D'emblée, ces hommes des déserts atteignent la beauté ; ils sont dans l'avant de Bagdad, de l'Andalousie, des Troubadours, des Renaissants, des Romantiques, de nos textes contemporains.
J'ai souvenir que Ricœur dans un numéro d'Esprit— en 1960 ? — avait écrit de fortes intuitions sur sexualité et langue. À retrouver pour creuser ces "poèmes- étendards" dont certains seraient "poèmes suspendus" sur les murailles cachées de la la Ka'aba*.

Oui, demain, aujourd'hui, ainsi qu'après-demain,
Sont autant de gages de ce que tu ne sais pas.

Elle te laisse voir, quand tu la surprends, seule
Et qu'elle est à l'abri des yeux des gens haineux,

Lee deux bras d’une blanche chamelonne au long col
À la robe racée, qui n’a jamais porté,

Un sein comme un ciboire, taillé dans l'ivoire, tendre
Et que jamais aucune paume n'a touché,

Les deux versants d’un dos doux, doux, svelte et allongé,
À 1a croupe charnue, et parties contiguës,

Un haut de hanches tel qu'étroite en est la porte
Un flanc, dont possédé je fus, à la folie

Deux colonnes, [pour jambes], d'albâtre ou bien de marbre
Où les bijoux cliquètent: sonore cliquetis !


‘Amr ben Khultûm al Taghlib (?-vers 600)

extrait des Mu’allaqat,
(poèmes-étendards ou poèmes suspendus de la période anté-islamique)

traduction de Pierre Larcher


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*Abdallahh AKAR, Les poèmes suspendus, peintures et calligraphies, Collection Grand pollen Éditions Alternatives, 2007

dimanche, 21 octobre 2007

Lire en fête ?

"Lire en fête" un peu tristounet sur l'île de Versailles. un atelier d'écriture par ci, une bibliothèque des prisons par là, quelques liseuses pour enfants et beaucoup de "bouquinistes". Était-ce bien des bouquinistes ? Certaines et certains ressemblaient plutôt à des enfants ingrats qui venaient brader la bibliothèque de leurs vieux parents décédés. Ça sentait l'entre-deux-guerres avec des Paul Bourget, Maurice Dékobra, Paul Morand, Jacques Chardonne, pas mal de René Bazin — ô "La terre qui meurt", ô Les Oberlé — directement issus de bien-pensantes étagères vendéennes.
Quelques Péguy, Gide et Koestler réédités chez Gallimard, en collection Blanche, fin des années quarante et les innombrables Fleuve Noir, Masque Noir, défraîchis, écornés. Et encore des Bibliothèque Nelson — à onze ans, dans mon grenier de la rue Rosière d'Artois, au n°9, j'y dévorai La reine Margot et Vingt ans après.

Un petit éclat rouge : je suis tombé entre deux tomes des Oberlé sur APOLLINAIRE, dans ma chère collection Poètes d'Aujourd'hui, chez Seghers. Ce n'est pas la première édition par André Billy, n°8, mais le n°227 de mai 1975 par Daniel Oster. C'est très post-soixante-huit, entre psychanalyse et sémiotique, jeux de mots inclus, et ce, dès les premières lignes :

Au moment d'écrire sur Guillaume Apollinaire, découverte de l’apolinéarité d'Apollinaire, toujours en ligne au-dessus de lui-même. Apollinaire, le poète hors de soi, périphérique. Poésie en recherche d'apogée. Flottement, expansion, extériorisation ou évanouissement. Rarement linéaire, marginal de son propre discours. On ne peut donc parler d'Apollinaire que d'une façon apolinéaire, par-dessus, en vol, commentateur-Icare, au risque de se brûler les ailes. (Apollinaire s'écrit avec deux ailes.) Apollinaire exige que je nous tienne en respect entre terre et ciel.

Pourquoi ne m'étais-je point procuré le n°8 ?
Sans doute parce que j'ignorais encore les Seghers et qu'en 1954, déjà dans les marges de la littérature qu'on m'enseignait — et que j'aimais d'ailleurs, j'avais clandestinement dans mon pupitre de lycéen Apollinaire par lui-même de Pascal Pia, dans "Écrivains de toujours" Au Seuil (1954), glissé prudement sous le Paul Claudel de Louis Barjon aux Éditions Universitaires, maison très appréciée chez mes Bons Pères.
C'était assez éclectique, c'était mes premières démarches critiques hors des manuels scolaires et, ma foi, Apollinaire et Claudel, côte à côte, ce m'était déjà une belle harmonie des contraires. Quoique, Claudel ?
Mon achat d'hier ne fut donc que la remontée sentimentale de mes lectures adolescentes.
Il fut troublant, cet Apollinaire de Pascal Pia, ce n'était encore ni les Poèmes à Lou, ni Les onze milles verges, mais quel plus doux émoi, alors, que la prose de L'enchanteur pourrissant, soutenu par les gravures sur bois d'André Derain.

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« Je suis belle comme le jardin d'avril, comme la forêt de juin, comme le verger d'octobre, comme la plaine de janvier ». S'étant dévêtue alors la dame s'admira. Elle était comme le jardin d'avril où poussent par places les toisons de persil et de fenouil, comme la forêt de juin, chevelue et lyrique, comme le verger d'octobre, plein de fruits mûrs, ronds et appétissants, comme la plaine de janvier, blanche et froide........... .
«........J'ai laissé mon castel Sans-Retour, sur le mont Gibel. J'ai laissé les jeunes gens que j'aime et qui m'aiment de force, au castel Sans-Retour, tandis qu'ils aiment de nature les dames errant dans les vergers, et même les antiques naïades.
Je les aime pour leur braguette, hélas ! trop souvent rembourrée et j'aime aussi les antiques cyclopes malgré leur mauvais œil. Quant à Vulcain, le cocu boiteux m'effraye tant que de le voir, je pète comme bois sec dans le feu. »

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Lui ayant prêté cet Apollinaire, l'une de mes amours d'alors me l'avait rendu en rougissant. Et pourtant elle n'était point bégueule.
Donc, Apollinaire m'a enjolivé ce samedi d'un "Lire en fête" qui s'exténue — lointaine, "la Fureur"... !
Ce qu'il écrivit à vingt ans me troubla à dix-huit et m'émeut encore à....

Sur toi Hélène souvent mon rêve rêva
Tes beux seins fléchissaient quand Pâris t'enleva.

samedi, 15 septembre 2007

avec Cadou et Max Jacob

à la mémoire d'Étienne ITHURRIA
pour nos découvertes adolescentes de la poésie contemporaine d'alors.


Décidant — enfin ! — de renouer avec une pratique quasi quotidienne, le téléfilm d'hier soir, émouvant, Monsieur Max de G. Aghion m'a conduit à feuilleter l'ami Cadou.

CORNET D'ADIEU
Jésus a dit

« II n'y aura pas de printemps cette année
Parce que Max s'en est allé
Emportant les chevaux les vergers et les ailes
Parce que sur la croix le bon Saint Matorel
A lâché les oiseaux vers un pays glacé »
Et c'est vrai. Les bourgeons se taisent. Les poitrines
Voient se faner leurs seins. Tout au fond des vitrines
Une enfance à genoux se suicide et le ciel
Épuise en un regard ses réserves de miel
II fait froid maintenant que tu n'es plus
Beau masque de douleur
Maintenant que tes mains ont trouvé sous la terre
Enfin le battement initial de ton cœur
J'entends ta voix pareille aux chants du monastère
Et tandis qu'on te fait place dans la lumière
Les hommes prient pour toi à Saint-Benoît-sur-Loire
Tu étais sur tous les quais de toutes les foires
Au pain d'épice
On te trouvait dans les coulisses
Des bals champêtres
Tu discutais avec les prêtres
Souvent tu m'écrivais et c'était chaque fois
Des bavardages de bergères et de rois
Tu m’écriras encore
J’attends tes reportages sur la mort
Le Nom vernal
O Max
Et l’élixir du laboratoire central
J’attends que soit connue la décision de l’ange
Que Dieu prenne parti pour toi et qu’il t’arrange
Une vie dans le cœur de tes amis natals.


Pleine poitrine, 1944-1945

recueil dédié
 À la mémoire de mon ami
Max Jacob
assassiné

 

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Max Jacob, évoqué au moins deux autres fois, par Cadou,
dans L'Aventure n'attend pas le destin , Encore une lettre à Max,
et dans Le diable et son train, En liaison avec Max.