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samedi, 07 novembre 2009

« vertige de la liste » V, la pénultième

 

à AH, le copain d'adolescence

 

Où l'on revient à la litanie ! Elle peut s'écouter a-religieusement.

Elle me revient de très loin, de la fin de l'adolescence.


podcast


 

 

vendredi, 06 novembre 2009

« vertige de la liste » IV

à FB qui, à défaut des vertigineuses listes de son Rabelais quotidien,

mérite bien de se glisser dans le Cortège de Prévert.

 

Eh bien ! Oui ! un cortège peut bien s'énumérer.

Il doit bien en exister des centaines, de ces listes qui gèrent le protocole d'invités à un mariage, d'une première Communion ou d'une Confirmation, d'unités militaires participant au défilé du 14-juillet, des entrées dans la salle de l'Académie française, dans l'enceinte du Parlement, des inscriptions dans les Ordres de la Légion d'honneur ou  du Mérite agricole et cætera.

 

Voici la liste d'un cortège qui remet à leur place tous ces gens avides d'être sur ces listes. Et l'homme qui énumère était un coutumier du fait. Relire la Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France.

Il savait aussi lister dans la plus grande gravité — je pense  à Étranges étrangers. Suivons le Cortège !


Un vieillard en or avec une montre en deuil
Une reine de peine avec un homme d’ Angleterre
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort
Un serpent à café avec un moulin à lunettes
Un chasseur de cordes avec un danseur de têtes
Un maréchal d’écume avec une pipe en retraite
Un chiard en habit noir avec un gentleman au maillot
Un compositeur de potence avec un gibier de musique
Un ramasseur de conscience avec un directeur de mégots
Un repasseur de Coligny avec un amiral de ciseaux
Une petite sœur du Bengale avec un tigre de Saint-Vincent-de-Paul
Un professeur de porcelaine avec un raccommodeur de philosophie
Un contrôleur  de la Table Ronde avec des chevaliers de la Compagnie du Gaz de Paris
Un canard à Sainte-Hélène avec un Napoléon à l’orange
Un conservateur de Samothrace avec une victoire de cimetière
Un remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute mer
Un membre de la prostate avec une hypertrophie de l'Académie Française
Un gros cheval in partibus avec un grand évêque de cirque
Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d’autobus
Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste
Et le général des huîtres avec un ouvreur de Jésuites


Jacques Prévert

Cortège
Paroles, 1949


 

J'aurai bien lu ce cortège sur la tombe de Claude Lévy-Strauss qui s'est enfui de ces deux siècles qu'il disait n'aimer guère, ce vendredi de la semaine dernière. Il y a un ou deux versets qui eussent pu lui convenir.

jeudi, 05 novembre 2009

« Vertige de la liste » III

à Er Klasker, Augustinien qui disait ne comprendre goutte à Michaux,

l'homme de la "liste" précédente

 

C'est une lettre, une lettre comme en écrivaient ces humains du V° siècle de notre ère qui n'avaient ni Mac, ni PC, ni iPhone ou autre Blackberry, ni messagerie éléctronique. Plus de trente feuillets d'un parchemin qu'un cavalier va porter d'Hippone à Carthage.


Augustin écrit à son ami  le diacre carthaginois, le bien nommé  Quodvultdeux, "Ce que Dieu veut" :


Bien des fois, cher et saint Quodvultdeus, tu m'as instamment prié d'écrire, sur les hérésies, un livre propre à intéresser ceux qui veulent ne point tomber dans les erreurs opposées à la foi chrétienne et capables de séduire les âmes par leur faux air de christianisme. Sois-en sûr, je n'avais pas attendu jusqu'à ce jour pour y penser : depuis longtemps j'aurais entrepris cette tâche, si, après mûr examen, la difficulté et la grandeur d'un tel ouvrage ne m'avaient paru dépasser mes forces ; mais comme tu m'as, plus que personne, pressé de m'en charger, j'ai pris en considération ton nom aussi bien que tes instances, et je me suis dit : Je me mettrai à l'oeuvre...

Lorsque le Seigneur fut monté au ciel, on vit paraître :


1. Les Simoniens. 
2. Les Ménandriens. 
3. Les Saturniens. 
4. Les Basilidiens. 
5. Les Nicolaïtes. 
6. Les Gnostiques. 
7. Les Carpocratiens. 
8. Les Cérinthiens, ou Mérinthiens. 
9. Les Nazaréens. 
10. Les Ebioniens. 
11. Les Valentiniens. 
12. Les Sécondiens. 
13. Les Ptoléméens. 
14. Les Marciens. 
15. Les Colorbasiens. 
16. Les Héracléonites. 
17. Les Ophites. 
18. Les Caïanites. 
19. Les Séthianiens. 
20. Les Archontices. 
21. Les Cerdoniens. 
22. Les Marcionites. 
23. Les Apellites. 
24. Les Sévériens. 
25. Les Tatiens, ou Encratites. 
26. Les Cataphryges. 
27. Les Pépuziens, ou Quintiliens. 
28. Les Artotyrites. 
28. Les Tessarescédécatites. 
30. Les Alogiens. 
31. Les Adamiens. 
32. Les Elcéséens et les Sampséens. 
33. Les Théodotiens. 
34. Les Melchisédéciens. 
35. Les Bardésanites. 
36. Les Noétiens. 
37. Les Valésiens. 
38. Les Cathares, ou Novatiens. 
39. Les Angéliciens. 
40. Les Apostoliciens. 
41. Les Sabelliens, ou Patripassiens. 
42. Les Origéniens. 
43. Les seconds Origéniens. 
44. Les Pauliniens. 
45. Les Photiniens. 
46. Les Manichéens. 
47. Les Hiéracites. 
48. Les Méléciens. 
49. Les Ariens. 
50. Les Vadiens, ou Anthropomorphites. 
51. Les Semi-Ariens. 
52. Les Macédoniens. 
53. Les Aériens. 
54. Les Aétiens, ou Eunomiens. 
55. Les Apollinaristes. 
56. Les Antidicomarites. 
57. Les Massaliens, ou Euthites. 
58. Les Métangismonites. 
59. Les Séleuciens, ou Hermiens. 
60. Les Proclianites. 
61. Les Patriciens. 
62. Les Ascites. 
63. Les Passalorynchites. 
64. Les Aquariens. 
65. Les Coluthiens. 
66. Les Floriniens. 
67. Les dissidents sur l’état du monde. 
68. Les va nu-pieds. 
69. Les Donatistes, ou Donatiens. 
70. Les Priscillianites. 
71. Ceux ne mangeant point avec les hommes. 
72. Les Rhétoriens. 
73. Ceux prétendant que la divinité est passible. 
74. Les hérétiques pensant que dieu est triforme. 
75. Les hérétiques disant l’eau coéternelle à Dieu. 
76. Les hérétiques niant que l’âme soit à l’image de Dieu. 
77. Les hérétiques pensant que les mondes sont innombrables. 
78. Les hérétiques croyant que les âmes se changent en démons et en animaux de toute sorte. 
79. Ceux croyant que tous les habitants de l’enfer ont été délivrés par la descente du Christ en ce lieu. 
80. Ceux qui soutiennent que la génération divine du Christ a eu lieu dans le temps. 
81. Les Lucifériens. 
82. Les Jovinianites. 
83. Les Arabiques. 
84. Les Helvidiens. 
85. Les Paterniens, ou Vénustiens. 
86. Les Tertullianites. 
87. Les Abéloïtes. 
88. Les Pélagiens, ou Célestiens.


J'épargne à mes lectrices et lecteurs, les quatre-vingt-huit réfutations qui suivent cette "vraie" liste. La lettre est lisible sur le site de ces bons moines bénédictins de l'Abbaye de Saint-Benoît de Port-Valais.*

En voilà qui n'ont point attendu l'offre de Google pour scanner leur bibliothéque.


Un vrai travail de Bénédictin !


* À moins que vous ne la consultiez dans la bibliothèque de mon vieux compagnon Er Klasker, "le fouineur" en breton qui possède les œuvres complètes de Augustin d'Hippone, dans la même édition que celle de nos précieux Bénédictins..


mercredi, 04 novembre 2009

« vertige de la liste » II

à MJ, pour nos ateliers de naguère

 

Quand l'invective s'éructant dans des onomatopées qui dans la désespérance vont glisser dans la langue — on aurait pu attendre l'inverse — est-on encore dans la "liste" ?

Oui, si la liste est énumération, et quelle énumération !

Dans l'énumération révoltée d'un monde qui révulse jusqu'à effacer celui qui pousse jusqu'à l'exténuation un tel cri.

 

Quand les mah,
Quand les mah,
Les marécages,
Les malédictions,
Quand les mahahahahas,
Les mahahaborras,
Les mahahamaladihahas,
Les matratrimatratrihahas,
Les hondregordegarderies,
Les honcucarachoncus,
Les hordanoplopais de puru paru puru,
Les immoncéphales glossés,
Les poids, les pestes, les putréfactions,
Les nécroses, les carnages, les engloutissements,
Les visqueux, les éteints, les infects,
Quand le miel devenu pierreux,
Les banquises perdant du sang,
Les Juifs affolés rachetant le Christ précipitamment,,
L'Acropole, les casernes changées en choux,
Les regards en chauves-souris, ou bien barbelés, en boîte à clous,
De nouvelles mains en raz de marée,
D'autres vertèbres faites de moulins à vent,
Le jus de la joie se changeant en brûlure,
Les caresses en ravages lancinants, les organes du corps les mieux unis en duels au sabre,
Le sable à la caresse rousse se retournant en plomb sur tous les amateurs de plage,
Les langues tièdes, promeneuses passionnées, se changeant soit en couteaux,soit en durs cailloux,
Le bruit exquis des rivières qui coulent se changeant en forêts de perroquets et de marteaux-pilons,
Quand l'Épouvantable-Implacable se débondant enfin,
Assoira ses mille fesses infectes sur ce Monde fermé, centré, et comme pendu au clou,
Tournant, tournant sur lui-même sans jamais arriver à s'échapper,
Quand, dernier rameau de l'Être, la souffrance, pointe atroce, survivra seule,croissant en délicatesse,
De plus en plus aiguë et intolérable... et le Néant têtu tout autour qui recule comme la panique...
Oh! Malheur! Malheur!
Oh! Dernier souvenir, petite vie de chaque homme, petite vie de chaque animal, petites vies punctiformes ;
Plus jamais.
Oh! Vide!
Oh! Espace! Espace non stratifié... Oh! Espace, Espace!

Henri Michaux

L’Avenir in Mes Propriétés, 1929

 

Note-bene : cette "liste" fut déjà publiée en février 2005 dans une note sur le livre de René Bertelé" Henri Michaux",  paru chez Seghers, dans la collection "Poètes d'aujourd'hui".

mardi, 03 novembre 2009

« Vertige de la liste » ? Voici mon premier vertige

à Nicléane, pour la soirée du 4 août 1971

 

Éveil relativement matinal : dans les écouteurs, c'est Antoine Compagnon qui tente de désemmêler les transcendances alambiquées de la littérature selon Maurice Blanchot ! Demain, il abordera Montaigne et Stendhal. Ça ira sans doute mieux. Décidément Blanchot me sera un impénétrable.

 

L'heure qui suit pourrait être de la même eau s'il ne s'agissait que de feuilletter L'œuvre ouverte, Lector in fabula ou Les limites de l'interprétation ; car il n'est pas triste non plus le bonhomme Umberto Eco quand il théorise sur le Texte.

Quoique quelques chapitres de ces trois bouquins évoqués sont fort éclairants sur mes modestes comportements de lecteur : Le lecteur modèle, par exemple. Et puis, il a fort bien vulgarisé le tout dans les quatre-vingt-dix pages de sa mince mais savoureuse Apostille au nom de la Rose.

Ce matin, il est donc, après Compagnon et Blanchot,  le suivant. Invité sur France Cul pour ses « listes », ou plutôt son Vertige de la liste et ce qu'il met en listes au Louvre. Pourquoi, diable, s'est-il rasé la barbe ?

À chacun ses « listes » donc !

 

Il m'est difficile de larguer une enfance religieuse et mes premières listes furent les litanies :



Litanies de tous les saints
Litanies de la Vierge
Litanies du Sacré-Cœur



et leurs lancinants répons, inlassablement répétés par la foule des fidèles, soit, dans l'ordre et selon la contrée, en français, en latin et en breton :

 

Priez pour nous
Ora pro nobis
Pedet aveit-omb.

 

Litanies, répertoires, dénombrements, énumérations, classements, inventaires, catalogues. L'ivresse de leur profération fut sans doute d'abord dans l'ordre de l'oralité. Homère le donne à entendre.


οὐδ᾽ εἴ μοι δέκα μὲν γλῶσσαι, δέκα δὲ στόματ᾽ εἶεν,

φωνὴ δ᾽ ἄρρηκτος, χάλκεον δέ μοι ἦτορ ἐνείη

 

aurais-je et dix langues, et dix bouches,

et une infatigable voix, et des poumons d'airain.


Listes closes, listes ouvertes qui faussement s'achèvent sur des points de suspension ou mieux sur un « et cætera », mais alors sans les points de suspension qui seraient une erreur typographique.

 

Une note de blogue pourra difficilement rendre lisibles les six pages de l'Iliade en son Chant II, 490, célébrant la flotte grecque qui mouilla sous Illion. Entendons les  vaisseaux noirs, les vaisseaux creux, les vaisseaux aux joues fardées de rouge.

 

Laissons aussi les cent jeux de Gargantua et ses cinquante façons de se torcher le cul.

 

Il est vrai que je n'ai lu intégralement que les quatre-vingt dernières pages de l'Ulysse de Joyce. J'aurai donc raté jusqu'à ce jour les inventaires et autres énumration qui meublent les cent pages précédentes.

 

Et encore Prévert et Borgès dans les chaos et les ruptures.

 

Ce soir, je livre ma première « liste ». Blason du corps plus que nu, elle est litanique, elle est amoureuse, elle est incantatoire, elle vibre de toutes les sensualités minérales, végétales, animales.

Ce sont mille langues, mille bouches au cœur de mille nuits qui seules peuvent la proférer, la murmurer.

 

Ma femme à la chevelure de feu de bois

Aux pensées d'éclairs de chaleur

A la taille de sablier

Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre

Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de
 dernière grandeur

Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche

A la langue d'ambre et de verre frottés

Ma femme à la langue d'hostie poignardée

A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux

A la langue de pierre incroyable

Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant

Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle

Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre

Et de buée aux vitres

Ma femme aux épaules de champagne

Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace

Ma femme aux poignets d'allumettes

Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur

Aux doigts de foin coupé

Ma femme aux aisselles de martre et de fênes

De nuit de la Saint-Jean

De troène et de nid de scalares

Aux bras d'écume de mer et d'écluse

Et de mélange du blé et du moulin

Ma femme aux jambes de fusée

Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir

Ma femme aux mollets de moelle de sureau

Ma femme aux pieds d'initiales

Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent

Ma femme au cou d'orge imperlé

Ma femme à la gorge de Val d'or

De rendez-vous dans le lit même du torrent

Aux seins de nuit

Ma femme aux seins de taupinière marine

Ma femme aux seins de creuset du rubis

Aux seins de spectre de la rose sous la rosée

Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours

Au ventre de griffe géante

Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical

Au dos de vif-argent

Au dos de lumière

A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée

Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire

Ma femme aux hanches de nacelle

Aux hanches de lustre et de pennes de flèche

Et de tiges de plumes de paon blanc

De balance insensible

Ma femme aux fesses de grès et d'amiante

Ma femme aux fesses de dos de cygne

Ma femme aux fesses de printemps

Au sexe de glaïeul

Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque

Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens

Ma femme au sexe de miroir

Ma femme aux yeux pleins de larmes

Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée

Ma femme aux yeux de savane

Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison

Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache

Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu.


André Breton

L'union libre

Clair de terre (1931)

 

lundi, 28 septembre 2009

Youenn a viré de bord

Dach'lmat à peine quai, une voix bien aimée m'a appris que  Youenn avait largué ses aussières pour jamais.

Il a dû virer. Cap à l'ouest. Il savait si bien les vents.

Certains, sur notre rive, ont vu sa voile s'effacer à l'horizon.

Déjà, de l'autre côté de la mer, des inconnus disent reconnaître cette voile.

 

Ainsi, dans le poème de William Blake, il est écrit :

 

Je suis debout au bord de la plage
un voilier passe dans la brise du matin
et part vers l'océan
il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu'à ce qu'il disparaisse de l'horizon.

Quelqu'un à mon côté dit : "il est parti"
parti vers où ? Parti de mon regard, c'est tout !

Son mât est toujours aussi haut
la coque a toujours la force de porter sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue
est en moi, pas en lui.

Et juste au moment où quelqu'un près de moi dit "il est parti",
il y en d'autres qui le voyant poindre à l'horizon et venir vers eux
s'exclament avec joie : "le voilà "

C'est çà la mort


De Youenn, je garde ce conseil :


« Vire de bord du côté où le vent va venir ! »


Pourquoi, lui, Youenn, a-t-il viré si tôt ?

jeudi, 09 juillet 2009

« notre besoin de Rimbaud » 1

Au ponton de Foleux.

Ceci n'est pas une critique.

juste une note d'un lecteur lisant un autre lecteur.



Notre besoin de Rimbaud

Yves Bonnefoy

La Librairie du XXIe siècle, Seuil, 2009*

 

 

Un gros bouquin de quatre cent cinquante pages écrit par un homme que je connaissais comme poète — Du mouvement et de l’immobilité de Douve — et qui est aussi professeur honoraire du Collège de France. Un gros bouquin qui rassemble onze textes qui s’échelonnent entre 1961 et 2008. L’auteur les a réunis  sans tenter de les unifier ou même de les coordonner. Il reconnaît ce livre comme une sorte de journal de (son) affection pour le poète.

Le possessif "notre" : est-il de majesté ou de modestie ? L'ensemble des textes me ferait pencher pour la modestie. Et ne fut-ce cette affirmation que l'heure présente lit peu, ou mal Rimbaud, Yves Bonnefoy prouve sa grande humilité de lecteur.

Dont acte.

 

L’épaisseur des textes va du plus épais, les 190 pages du Rimbaud par lui-même, paru en 1961 au Seuil dans la collection Écrivains de toujours, repris ici sans les illustrations, mais avec cette singularité typographique très intéressante présentant en italique et sans guillemets les citations de Rimbaud incorporées au texte et en romain les poèmes et autres textes détachés de celui-ci, au plus mince, La brièveté de l’essentiel — sic ! — à peine 3 pages. Journal d’affection certes, mais patchwork qui ajuste entre eux l’essai, la préface, l’introduction, la réponse à enquête, la communication dans un colloque, pour un catalogue d’exposition, pour une revue.

 

Quant à la méthode, c’est une démarche tout aussi singulière que le choix typographique du premier essai, hors des courants critiques habituels influencés par la linguistique, la psychologie ou l’histoire littéraire ; encore en 2003, achevant de préfacer Une saison en enfer, il affirme passionnément que les écrits rimbaldiens ont été dès après sa mort la proie d'idéologies aussi autoritaires que réductrices. Il y a eu tour à tour, ou plutôt simultanément, et parmi bien d'autres, un Rimbaud catholique, un ésotériste, un marxiste, un autre « voyou », un autre encore, plus récemment, qui serait l'ami sinon le complice de ceux qui prônent qu'écrire, c'est travailler la langue, sans souci d'une réalité qu'ils disent simplement le décor de la mise en scène qu'est la langue.

S'y ressent bien une acrimonie envers les tendances de l'approche structuraliste et linguistique qui sévirent entre 1960 et 1980. Ici, un poète écrit sur sa relation quasi permanente à un autre poète, sur sa lecture qui est, non élaboration d’un cénotaphe, mais demande d’aide. Un modeste lecteur pourrait donc mettre ses pas dans ceux de l’auteur. J’y ai mis les miens. Le chemin fut parfois ardu : la prose du Bonnefoy poète est parfois alambiquée.

 

À l’instar de beaucoup de ses confrères en poésie, il rôde autour du concept "poésie" avec des accents qui se rapprochent plus du religieux que du linguistique :

Que fut Rimbaud, cet esprit bouleversé dès l’adolescence par l’intuition poétique — laquelle ne s’apprend pas, étant quelque chose comme une grâce..?


Ce que je reprocherai à Bonnefoy, c’est d’être plus souvent dans le spirituel que dans le mental. Sans doute est-il un parmi les lecteurs à oser tenir compte de ce que Vitalie Cuif, la mère de Rimbaud, s'entend répondre quand elle demandeà son fils le sens d'une Saison en enfer :

J'ai voulu dire ce que ça dit littéralement et dans tous les sens.


Ce que montre bien Bonnefoy c'est l'effort, la lutte jusqu'à la folie et certainement jusqu'au désespoir pour un autre Bien, un nouvel Amour.


(à suivre)

 

* Remerciements à Babélio pour son service de presse.

vendredi, 19 juin 2009

où l'on apprend que Viviane est fille de Diane la Grecque 5

« Elle est la fille de Diane la Grecque et c'est pourquoi tu vois i i âne dans son nom. Elle vivra dans un château sous un lac, que je lui bâtirai, et c'est pourquoi il y a dans son nom ces vagues : v, v écrivent les vagues qui viennent, n, n écrivent les vagues qui s'en vont. »

Quelques jours avant de disparaître, Merlin vint faire ses adieux à Blaise. Ayant réglé quelques affaires en suspens avec le pape, il quitta Rome pour la Nortombrelande qu'il atteignit en moins d'une journée. Il dit alors à Blaise qu'il le voyait pour la dernière fois, qu'il s'en allait séjourner auprès de son amie et qu'il ne serait plus jamais en son pouvoir de la quitter et de se déplacer à son aise. « S'il en doit être ainsi, pourquoi y vas-tu donc ? » dit Blaise douloureusement. Mais si Merlin ajouta quelque chose, nous ne sommes pas près de le savoir.

Merlin vint à Viviane et ils séjournèrent longtemps ensemble. Un jour enfin ils allaient main à main, causant dans la forêt de Brocéliande, quand ils rencontrèrent un buisson beau, vert et haut, une aubépine toute chargée de fleurs. Ils s'arrêtèrent à son ombre et Merlin mit sa tête sur le ventre de la demoiselle. Et elle aussitôt commença à le caresser, tant qu'il s'endormit. Quand la demoiselle sentit qu'il dormait, elle se leva vivement et fit un cercle de son jupon tout autour du buisson et de Merlin. Puis elle commença son enchantement, tenant encore la tête de Merlin serrée contre son ventre. Ensuite elle attendit qu'il se réveille. Lui, s'éveillant, regarda autour de lui, et il lui sembla qu'il se trouvait dans la plus belle tour du monde, couché dans le plus beau des lits : « Ah, demoiselle, dit-il, ne resterez-vous pas avec moi ? jamais je ne pourrai m'évader de cette tour », et elle : « Beau doux ami, j'y viendrai souvent. Vous m'y tiendrez entre vos bras et moi vous. Je ferai désormais tou
t à votre plaisir. » Alors elle lui montra comment et Merlin ne sortit plus de la forteresse. Mais elle y pénétrait et en sortait comme elle voulait.

 

"Fille de Diane la Grecque" ? Jacques Roubaud commence bien sa réécriture sur Viviane et Merlin ! Jongleur de mythologies, il attribue  adroitement à Artémis la Grecque le nom de Diane la Latine ; car le mathématicien oulipien si rigoureux n'aurait pu s'offrir, à propos de Viviane,  le jeu de lettre sur le "I",  les "V" et le "N". Et puis après moult copistes gallois latinisés et moines français ignares ou emberlificotés dans les mythologies celtes, grecques et latines, il y a bien de quoi perdre son Grec !

 

Qu'un auteur d'origine provençale et l'assumant, se confronte à la geste arthurienne ce ne peut être que décalé et plein d'humour. Roubaud ne consacrera qu'une section, intitulée CONTE, en deux chapitres à Merlin; il s'appuie certainement sur le Huth-Merlin, une adaptation du récit primitif, la « vita merlini ». L'on y voit surgir un certain Blaise dont Roubaud fait le scribe de Merlin, Roubaud se faisant lui-même tout au long de ce Graal Fiction* le lecteur et le scribe de Blaise :

 

Nous lisons dans le conte que Merlin aima Viviane et fut par elle endormi et enfermé; que nul homme ensuite ne le revit jamais, pas même Blaise son maître. Et, comme Blaise est le scribe du conte, comme le conte rapporte toutes les choses prédites par Merlin et par Merlin à Blaise rapportées, nous devons penser que Merlin sut à l'avance son amour pour Viviane, qu'il en connut la fin et en fit écrire les circonstances avant de se soumettre à sa destinée.

Mais rien dans le conte n'est si simple; ce que Merlin dicte à Blaise dans le livre du Graal, ce que Blaise ensuite rédige lui-même une fois Merlin disparu, n'est que ce qui arrive, se passe : le passé. Le futur ne paraît que dans les prédictions faites par Merlin exprès pour être placées dans le livre; mais jamais elles n'effleurent le futur du conte, jamais elles ne sont autres que rejointes, achevées quand le conte est écrit. C'est pourquoi l'avenir dans le conte est par essence variable, le futur y est antérieur. Puisque Blaise ne nous dit que ce qu'il peut dire, qui est ce que Merlin lui dit de dire et, quand Merlin n'est plus là, ce qu'on raconte. Blaise, sans doute, sait toujours ce qui sera, ce qui a été quand est venu le moment d'être, mais il ne peut pas tout dire : ni ce que Merlin n'a pas voulu dire, ni ce qu'il n'est plus là pour dire. Le sort de Merlin demeure ainsi pour nous dans quelque incertitude.

Avec malignité, Roubaud va ainsi tout au long de son ouvrage entremêler sa paraphrase du texte arthurien, centré surtout sur Gauvain, personnage certes non secondaire, mais non plus central de la Geste, de ses commentaires, explications et gloses sur le contenu et les structures du récit.

 

Il clôt son œuvre par une section six nommée Quincaillerie dont le seul mot entre parenthèses est

(Retardée).

Au lecteur de s'attarder donc dans un magasin à meubler soi-même qui doit retentir des bruits de ferraille des heaumes, hauberts et autres chausses de maille.

 

* Jacques ROUBAUD, Graal fiction, Gallimard, 1978.


 

lundi, 15 juin 2009

Viviane et son Enchanté au tombeau 4

merlin002.jpg.... Merlin s'en alla dans les forêts profondes, obscures et anciennes. Il fut de la nature de son père, car il était décevant et déloyal et sut autant qu'un cœur pourrait savoir de perversité.


Il y avait dans la contrée une demoiselle de très grande beauté qui s'appelait Viviane ou Éviène. Merlin commença à l'aimer, et très souvent il venait là où elle était, et par jour et par nuit. La demoiselle, qui était sage et courtoise, se défendit longtemps et un jour elle le conjura de lui dire qui il était et il dit la vérité. La demoiselle lui promit de faire tout ce qu'il lui plairait, s'il lui enseignait auparavant une partie de son sens et de sa science. Et lui, qui tant l'aimait que mortel cœur ainsi ne pourrait plus aimer, promit de lui apprendre tout ce qu'elle demanderait : « Je veux, fait-elle, que vous m'enseigniez comment, en quelle manière et par quelles fortes paroles je pourrais fermer un lieu et enserrer qui je voudrais sans que nul ne pût entrer dans ce lieu ni en sortir. Et je veux aussi que vous m'enseigniez comment je pourrais faire dormir qui je voudrais.

Merlin lui enseigne ce qu'elle demande et la demoiselle écrit les paroles qu'elle entend, dont elle se servait toutes les fois qu'il venait à elle. Et il s'endormait incontinent. De cette manière, elle le mena très longtemps et quand il la quittait, il pensait toujours avoir couché avec elle. Elle le décevait ainsi parce qu'il était mortel; mais s'il eût été en tout un diable elle ne l'eût pu décevoir, car un diable ne peut dormir. A la fin, elle sut par lui tant de merveilles qu'elle le fit entrer au tombeau, dans la forêt profonde, obscure et périlleuse.
Et celle qui endormit si bien Merlin était la dame du lac où elle vivait. Elle en sortait quand elle voulait et y rentrait librement, joignant les pieds et se lançant dedans.

 

Voici donc la seconde version de la rencontre de Viviane et de Merlin ; c'est écrit par un jeune homme de dix-huit ans, fils naturel d'une jeune femme, fille d'un camérier du Pape — sait-on encore aujourd'hui ce qu'est un camérier du Pape ?

Inspiré directement du Lancelot-Graal, les premières pages en sont une transcription et elles peuvent paraître pleines de noirceur. Merlin est vraiment le fils de son père, un diable donc décevant et déloyal et (qui sait) autant qu'un cœur (peut) savoir de perversité.

Viviane, sous ses atours sages et courtois, une belle garce, qui dupe un Enchanteur subjugué et si peu lucide.  Le château de verre (ou la bulle d'air) n'est qu'un sombre tombeau.

Bref, le commencement est plus un pastiche où un lycéen, meurtri peut-être par de premières amours un peu vachardes, règle sa misogynie adolescente qu'une recréation du mythe Merlin.

 

Mais à quelle source, dans quelle bibliothèque ce lycéen a-t-il puisé ce savoir ? On saura Apollinaire, grand lecteur pour survivre, de la Bibliothèque Nationale, à l'instar de l'autre grand adolescent des lettres en ce début du XXe siècle, son cadet, Frédéric Sauser dit Blaise Cendrars. Ils s'y rencontreront d'ailleurs. Mais, à dix-huit ans par la grâce de quelle boulimie de lectures, pétries dans quel imaginaire ?

 

L'écrit, publié en 1904 en revue, sera repris, amplifié pour être édité en 1908 avec des gravures sur bois d'André Derain. Les ajouts au mythe de Merlin sont un délicieux délire érudit d'où surgissent un premier druide, un second druide, Morgane, — la dame qui aime les jeunes gens pour leur braguette, hélas ! trop souvent rembourrée, des sphinx, un hibou, des guivres, des grenouilles, Lilith, trois faux Rois Mages, des elfes, Médée, Dalila, Hélène, l'archange Michel, un rossignolet, un ichtyosaure, Léviathan et Béhémoth, Saint Siméon Stylite, et comme l'Enchanteur n'en finit point de pourrir — il est éternellement pourrissant — auront le temps de surgir des siècles passés, d'autres encore et Énoch, Élie, le Juif errant, Empédocle, Apollonius de Tyane, Salomon et... Socrate !

 

Une Onirocritique fermera l'ouvrage dans une tonalité rimbaldienne ; le Surréalisme peut naître.

 

Des vaisseaux d'or, sans matelots, passaient à l'horizon. Des ombres gigantesques se profilaient sur les voiles lointaines. Plusieurs siècles me séparaient de ces ombres. Je me désespérai. Mais, j'avais la conscience des éternités différentes de l'homme et de la femme. Des ombres dissemblables assombrissaient de leur amour l'écarlate des voilures, tandis que mes yeux se multipliaient dans les fleuves, dans les villes et dans la neige des montagnes.


Apollinaire a échoué, pour notre heur, dans son exercice de pourrissement : Merlin peut aujourd'hui encore resurgir et faire entendre son cri en forêt de Paimpont, du côté de la Fontaine de Barenton.

 

À propos, à Houat, le vallon de Lenn Her Hoad était désert ce samedi 13 juin : Gweltas et Taliésin étaient sans doute partis, fuyant la foule des randonneurs, des plaisanciers et des baigneuses du week-end, s'entretenir dans les landes du Tréac'h Béniguet.

J'ai embouqué hier soir l'estuaire de Vilaine, avec un désespoir léger de ne les avoir point rencontrés. Mais d'autres très douces nouvelles m'attendaient à quai.

 

 


mercredi, 10 juin 2009

la "vita Merlini" 2

Puisque je suis parti dans la geste de Merlin, j'y vas !

 

Il y a deux ou trois siècles d'écrits qui dévoilent, ajoutent, recréent, brodent, glosent, commentent une histoire dont la source semble être un écrit de langue brittonne, fixant des traditions orales datant du VIe siècle, puis traduit en latin par Geoffroy de Monmouth, érudit gallois latinisant — s'inspirant lui-même d'un certain Nennius scribe du IXe siècle — qui fut dans la mouvance des ducs de Normandie, puis des Plantagenêts devenus rois d'Angleterre. L'ouvrage, la Vita Merlini, daterait de 1132. Le même érudit gallois écrira une Historia regum Britanniæ (qui développe l'histoire de Merlin en fondant ce qui allait devenir l'histoire du roi Arthur, de la Table Ronde, du Saint-Graal, francisée par Robert Wace en 1155, réécrite, par l'inévitable Chrétien de Troyes — lequel ignore et c'est aussi bien — la geste de Merlin qui sera amplifiée par Robert de Boron vers 1200.

 

Vers 1230, Le Lancelot-Graal — l'Estoire Saint Graal, l'Estoire de Merlin, le Lancelot propre, la Queste del Saint Graal, la Mort le Roi Artus — achève la vaste épopée arthurienne, laquelle s'est considérablement enrichie — ou appauvrie ! — des lectures très chrétiennes de scribes anonymes ou pas, moines des scriptoria ou écrivains de cour. Ce dernier ensemble semble assez cohérent et original pour laisser supposer l'existence d'un auteur, ou tout au moins d'un petit atelier unique de scripteurs.

 

Je n'ai pas parlé du Tristan de Béroul, de celui de Thomas, vers 1170/1190, le dernier plus conforme à l'idéologie amoureuse dominante de l'époque, ni du Peerlevaus (Perceval)



Donc, Merlin — ou  en gallois « Myrddin » ou « Myrdhin », en breton « Merzhin », en cornique « Marzhin », en latin Merlinus : un homme, barde, devin ou prophète, sans doute ayant été roi — le casqué d'Excalibur, le film de Boorman me paraît juste —, né d'un homme-fée (un diable, diront les chrétiens) et d'une pucelle, fille de roi et druidesse ou nonne, selon, avec toutes interrogations et interprétations.

 

Donc naît Merlin. Alla de grande Bretagne en petite Bretagne, conseilla, prophétisa, tomba amoureux de Viviane et vit encore— cet an 2009, encore, si,si ! — en lieu ignoré de la forêt de Brocéliande — en pays Gallo, nous disons plus prosaïquement  "forêt de Paimpont". D'où, suivant le conseil de Du Bellay, des récits qui suivront celui de Geoffroy de Bornemouth. Que voici, rédigé par un certain médiéviste, Jacques Boulenger*  :

 

Et, ayant ainsi travaillé, il se rendit en la forêt de Brocéliande auprès de Viviane, sa mie.
Quand elle le vit, elle fit paraître une grande joie, et lui, il l'aimait si durement que pour un peu il serait devenu fou.
— Beau doux ami, lui dit-elle, ne m'enseignerez-vous pas quelques nouveaux jeux, et comment, par exemple, je pourrais faire dormir un homme aussi longtemps que je voudrais sans qu’il s’éveillât ?
Il lui demanda pourquoi elle voulait avoir cette science, et elle ne lui confessa point la raison véritable, mais,hélas! il connaissait bien toute sa pensée.
— Parce que, dit-elle, toutes les fois que vous viendrez, je pourrai endormir mon père Doynas et ma mère: ils me tueraient s'ils s'apercevaient jamais de nos affaires. Et, de la sorte, je vous ferai entrer dans ma chambre.



Bien souvent, durant les sept jours qu'il passa avec elle, la pucelle lui renouvela cette demande. Une fois qu'ils se trouvaient tous deux dans le verger nommé
Repaire de liesse, auprès de la fontaine, elle lui prit la tête en son giron et, quand elle le vit plus amoureux que jamais:
— Au moins, dit-elle, apprenez-moi à endormir une dame.

Il savait bien son arrière-pensée; pourtant il lui enseigna ce qu'elle désirait, car ainsi le voulait Notre Sire. Et beaucoup d'autres choses encore: trois mots, par exemple, qu'elle prit en écrit, et qui avaient cette vertu que nul homme ne la pouvait posséder charnellement lorsqu'elle les portait sur elle; par là se munissait-elle contre Merlin lui-même, car la femme est plus rusée que diable. Et il ne pouvait s'empêcher de lui céder toujours.

Enfin, après une semaine, il la quitta tristement pour aller où il devait être, et ce fut dans la forêt de l'Epinaie aux environs de Logres.

Là, il prit l'apparence d'un vieillard tout croulant d'âge, monté sur un palefroi blanc, vêtu d'une robe noire et coiffé d'une couronne de fleurs, dont la barbe était si longue qu'elle faisait trois fois le tour de sa ceinture et, ainsi fait...
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Rêvant ainsi, Gauvain était entré dans la forêt de Brocéliande. Tout à coup il s'entendit appeler par une voix lointaine et il aperçut devant lui une sorte de vapeur qui, pour aérienne et translucide qu'elle fût, empêchait son cheval de passer. 

— Comment! disait-elle, ne me reconnaissezvous plus? Bien vrai est le proverbe du sage : qui laisse la cour, la cour l'oublie!
— Ha! Merlin, est-ce vous? s'écria messire Gauvain. Je vous supplie de m'apparaître, et que je vous puisse voir.
— Las! Gauvain, reprit la voix, vous ne me verrez plus jamais, et après vous je ne parlerai plus qu'à ma mie. Le monde n'a pas de tour si forte que la prison d'air où elle m'a enserré.
— Quoi! beau doux ami, êtes-vous si bien retenu que vous ne puissiez vous montrer à moi? Vous, le plus sage des hommes!

— Non pas, mais le plus fol, repartit Merlin, car je savais bien ce qui m'adviendrait. Un jour que j'errais avec ma mie par la forêt, je m'endormis au pied d'un buisson d'épines, la tête dans son giron; lors elle se leva bellement et fit un cercle de son voile autour du buisson; et quand je m'éveillai, je me trouvai sur un lit magnifique, dans la plus belle et la plus close chambre qui ait jamais été.
« Ha! dame, lui dis-« je, vous m'avez trompé! Maintenant que deviendrai-je si vous ne restez céans avec moi?
— Beau doux ami, j'y serai souvent et vous me tiendrez dans vos bras, car vous m'aurez désormais prête à votre plaisir. » Et il n'est guère de jour ni de nuit que je n'aie sa compagnie, en effet. Et je suis plus fol que jamais, car je l'aime plus que ma liberté.

 

Mes sources

pour cette note

• Merlin l'enchanteur, Jean Markale, Retz, 1981.

• Les romans de la Table Ronde, tome 1, Jacques Boulenger, préface de Joseph Bédier, UGE, 10/18, 1971

reprise d'une édition Plon, 1941.

• Histoire littéraire de la France, I. Des origines à 1600, sous la direction de Pierre Abraham & Roland Desne,  Les Éditions Sociales, 1971.

à feuilleter l'estoire de Merlin.


 

dimanche, 07 juin 2009

au hasard d'une étagère

Jeudi, belle fête du compagnonnage en Éducation Populaire. Maria, après trente-cinq années de services loyaux, rigoureux, militants même, s'en allait vers sa liberté, quittant un service public qui s'affaisse de plus en plus dans un néant convenant fort bien aux tenants de ce néo-libéralisme qui prétend nous imposer ses régles et dites réformes.

Avec celles et ceux qui sont encore, administratives, conseillers, inspecteurs, dans l'institution, la résistance s'est organisée pour s'opposer, sinon tenter d'endiguer la connerie !

 

Le lendemain, vendredi, Robert Solé, dans Le Monde des Livres publiait un article sur Adonis à propos de la parution d'un livre d'entretiens de ce dernier ; j'ai réouvert Mémoire du vent qui fut mon entrée première dans la langue  et les Chants de Mihyar le Damascène, préfacé par des petits galets de Guillevic. Dans sa conception de l'écriture, il me ramène avec tant d'acuité aux mots qui vont surgir de René Char :

 

Le poète n'écrit pas ce qu'il connait. L'écriture embrasse l'inconnu.

Sinon elle n'est pas l'écriture.


Mais en replaçant les deux bouquins sur l'étagère — ils sont rangés par ordre alphabétique —je me suis aperçu que c'était un Apollinaire, L'enchanteur pourrissant,  qui introduisait les "A" alors que ce devait être Adonis. Une réminiscence remontée d'un lointain passé m'a fait penser qu'il y avait autre chose que la lettre "A" pour accoter mes deux poètes et qu'un mot rapprochait — de ces mots fascinants, et on ne sait trop pourquoi, qui courent tout au long de vos lectures rêveuses —qu'un mot rapprochait donc l'austère du désert et l'effervescent prédécesseur du Surréalisme : c'est Damascène !


Sachant que l'un et l'autre décidèrent d'opter pour des pseudonymes d'origine grecque, — Apollinaire pour Guillaume de Kostrowitzky, Adonis pour Ali Ahmad Esber — il n'y a pourtant qu'un mince voisinage entre le romano-monégasque et le syro-libanais. Si Damascène est noble et masculin chez Adonis, il est féminin et trivial avec délice chez Apollinaire

Damascène donc que je retrouve dans la Chanson du Mal-Aimé,


Et moi j'ai le cœur aussi gros

Qu'un cul de dame damascène

O mon amour je t'aimais trop

Et maintenant j'ai trop de peine

Les sept épées hors du fourreau


J'ai replacé dans l'ordre Adonis, Apollinaire, puis Aragon, Artaud, Audiberti, etc.

Pas tout à fait d'ailleurs, car j'ai gardé sur la table L'enchanteur pourrissant qui est autre façon de lire Merlin et Viviane. Mais, c'est encore une autre histoire ! N'est-ce pas ?

C'est un peu comme les cinq premiers vers de l'Odyssée par cinq, dix ou vingt traducteurs. J'ai, avec Apollinaire, une troisième version de l'Enchantement Merlin. Donc trois notes à venir sur Myrddin enserré dans la bulle d'air par trop belle Viviane.

 

Post-scriptum qui n'a pas grand'chose à voir avec ce qui précède :

60% des citoyens absents aux urnes.

Si ce n'est pas là, la dilution d'un suffrage universel exsangue... ?






 

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vendredi, 15 mai 2009

vous avez dit « Floralies » ?

à F instigatrice sans doute de l'incongruité postcitée

à A vieux copain d'adolescence qui m'accompagnait

 

Après avoir visité pour la première fois de ma vie de né Nantais, un lieu devenu une espèce de mondialisation de l'ikabéna, pratique florale certes honorable mais devenue logique universelle jardinière qui vous fait contempler comme une incongruité une modeste colline du val de Loire et quelques ceps de vigne, égarés sur une "planète" artificielle.

 

Toi dont la jambe traîne un peu comme une brume
D'été et comme si la douleur te tirait
Lentement vers la terre ô compagnon que j'ai
Choisi pour les yeux, enfin voici que s'allume

Toute ma vie et que je vois l’éternité
Pareille à ce pays mouvant où tu t'enfonces
Avec ta jambe un peu trop lasse dans l'été
Sous les sourcils trop bleus de la nuit qui se froncent

Ils marchent près de nous les amis de haut bord,
Grands couturiers de la saison, veneurs des villes
Eteintes, des couchants désolés, vers le port
Au pavillon de clair soleil inaccessible

Entre nous deux celle que j'aime et que tu prends
Pour un pommier sauvage, et toujours aussi belle
La poésie comme une graine dans le vent
Qui s'ouvre et se referme aux battements des ailes

Des maisons sont couchées sur des enfances basses
Pleines de géraniums et de bouquets chanteurs
Au creux de la vallée ce sont des trains qui passent
Et le convoi des solitudes sans chaleur

Mais près d'ici la bonne auberge, la tonnelle
Où volètent les mains fluviales les prénoms
Aimés ; et sur la table ronde qui chancelle
Un verre vide avec des larmes dans le fond.

 

René Guy CADOU

La Haie-Longue : 1 km

 

Le modeste jardinier et vieux matelot pour une quinzaine de jours,  s'en va vers le Sud. Ce n'est pas sûr qu'il y trouve la chaleur. Ce qui, d'ailleurs, n'a aucune importance.

vendredi, 01 mai 2009

un premier mai, du muguet et pourquoi pas Lorca

J'étais bien décidé à rejoindre, ce matin, les cortèges de manifestants. Tout en ignorant sous quelle bannière — souvent entre deux bannières ! — j'allais défiler. Et puis ma bonne vieille fainéantise des 1er Mais de naguère m'a fait me lever pour cueillir du muguet — il a plus de cinquante ans et il me fut donné par la mère Guérin, ma si gentille voisine qui s'en est allée.
Et puis donc, je me suis recouché, ayant toujours pensé qu'il me fallait pratiquer la paresse pour fêter le Travail.

Mais j'ai eu l'heur d'aller visiter le blogue de celui que je nomme discrètement "mon infréquentable" — désormais, la discrétion n'est plus de mise — et j'y ai lu une fort belle charge sur les lecteurs ; mais allusion était faite d'un désaccord qu'il aurait eu avec un autre blogueur à propos de Lorca.

Et me voilà, repartant sous la couette avec mon tome II des Poésies de Lorca, moi qui pensais attaquer la page 16 des Onze de Pierre Michon.

J'y ai lu — relu à voix basse  — le Divan du Tamarit, songeant mélancolique


Te voir nue, c'est se rappeler la Terre,
la Terre lisse et vierge de chevaux,
la Terre sans aucun jonc, forme pure,
fermée à l'avenir : confins d'argent.

Te voir nue, c'est comprendre l'anxiété
de la pluie cherchant la fragile tige,
la fièvre de la mer au visage immense
sans trouver l'éclat de sa joue.

Le sang sonnera à travers les lits
et viendra tenant son fer fulgurant,
mais toi tu ne sauras pas où se cachent
le cœur de crapaud ou la violette.

Ton ventre est une lutte de racines,
tes lèvres sont une aube sans contour.
Sous les roses tièdes de ton lit
gémissent les morts, attendant leur tour.


Casida de la Femme couchée

Le Divan du Tamarit


Je suis un indéracinable adepte du "nostos" grec. Manière de me confronter à l'aporie "célébrer le travail sous la couette".

Le "petit Nicolas", ses gouvernants, ses banquiers et la grippe porcine sont à la fois trop proches et si lointains !

Revenons aux Casidas de Federico et laissons avec sympathie les Travailleurs défiler.


À quelques dames donc et à Constantin C.

lundi, 27 avril 2009

"coma", page au hasard

« Je ne suis bien que lorsque je ne suis que ce qui est nécessaire pour être l'autre. »

Pierre Guyotat
Coma, 2006.


En écoutant Patrice Chéreau sur France Cul.
Celui-ci lira Coma, mercredi à venir, sur la même antenne.

jeudi, 16 avril 2009

demain, en mer ?

M'en vas en mer.
Demain, l'estuaire du petit fleuve de mes aïeux et vers les Iles. L'aventure (!) commence entre Kervoyal et Pénestin. Sans souci de piraterie.
Mais quelle aventure ? Est-ce un mot que nos générations ont pu vivre ?
Je ne le pense point. Que nous nous imposions des défis, prenions des risques, que nous nous levions pour affronter d'autres horizons, soit ! Mais l'aventure ?

Il y a dix ans, nous étions dans les délices d'Acapulco après 50 jours de Pacifique. Le lendemain, nous levions l'ancre pour caboter le long des côtes d'Amérique Centrale jusqu'au canal de Panama. Mes deux coéquipiers parlaient entre eux deux de "challenge" ; moi, je me contentai d'avoir été heureux, cinquante matins, cinquante journées, cinquante nuits dans cette immensité. Ce fut beau, c'était bon ! Aucune aventure !

J'avoue ne pas avoir bien saisi le sens de la question que FB posait dans son billet du 11 de ce mois :
« En quoi cela doit-il nous alerter dans notre usage au quotidien de l’écriture blog, ce qu’elle reconstruit intérieurement du monde, qui la sépare du monde ? »

Une référence encore à cet homme qui écrivait sur ses lointains intérieurs. A-t-il écrit une fois le mot « aventure » ?

Avalez les rivets, le croiseur se désagrège et l’eau retrouve sa tranquillité.
Henri Michaux
TRANCHES DE SAVOIR
Face aux verrous


Les pirates n'y ont point encore songé !

Post-scriptum : Ah, si ! Je me suis offert, en poche..., le Bob Dylan de François Bon, car quoi qu'en médisent "certaines" chipies, je m'en fus parfois au-delà des Beatles