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mardi, 14 avril 2009

mon blogue et moi

Mendiant, mais gouverneur d’une gamelle.

Henri Michaux
TRANCHES DE SAVOIR
Face aux verrous

dimanche, 12 avril 2009

Les Pâques à New York

à FV, dans la violence de l'Absence,
mais qui sans doute ne viendra pas lire ce blogue.


Un soir d'avril, après avoir erré dans les rues d'un New-York sous la neige, un gars affamé se met à sa table et écrit " jusqu'au petit jour..., d'un trait avec trois ratures et c'est tout" ce qui va suivre.
Dans cette langue française-là, deux types l'ont précédé, quelques quarante ans avant, Rimbaud et Lautréamont.


Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa viscera
Et rigor lentescat ille quem dedit nativitas
Ut superni membra Regis miti tendas stipite...

Fortunat, Pange lingua.

Fléchis tes branches, arbre géant, relâche un peu la tension des viscères,
Et que ta rigueur naturelle s'alentisse,
N'écartèle pas si rudement les membres du Roi supérieur...

Rémy de Gourmont, Le Latin Mystique.


Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom,
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion

Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans un livre, doucement monotones.

Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d'or

Dans un missel, posé sur ses genoux,
Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.

À l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.

Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.

À vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c'était son amour

Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère.


Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet

Attend derrière la porte, attend que je l'appelle !
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, - c'est l'Éternel.



Je ne Vous ai pas connu alors, - ni maintenant.
Je n'ai jamais prié quand j'étais un petit enfant.

Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.
Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;

Mon âme est une veuve en noir, - c'est votre Mère
Sans larme et sans espoir, comme l'a peinte Carrière.

Je connais tous les Christs qui pensent dans les musées ;
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.


Je descends à grands pas vers le bas de la ville,
Le dos voûté, le coeur ridé, l'esprit fébrile.

Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
Et vos mains tout autour palpitent d'étincelles.

Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,

D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,
Calices renversés ouverts sous vos trois plaies.

Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu.
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.

....................................................................
....................................................................

Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice
Est ici, parquée tassée, comme du bétail, dans les hospices.

D'immenses bateaux noirs viennent des horizons
Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.

Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.

Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.

C'est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.

..................................................................
..................................................................

Seigneur, l'aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

Déjà un bruit immense retenti sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.

Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.

Une foule enfiévrée par les sueurs de l'or
Se bouscule et s'engouffre dans de longs corridors.

Trouble, dans le fouillis empanaché de toits,
Le soleil, c'est votre Face souillée par les crachats.


Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne ...
Ma chambre est nue comme un tombeau ...

Seigneur, je suis tout seul et j'ai la fièvre ...
Mon lit est froid comme un cercueil ...

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents ...
Je suis trop seul. J'ai froid. Je vous appelle ...

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux ...
Non, cent mille femmes ... Non, cent mille violoncelles ...

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses ...
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées ...

Je ne pense plus à Vous. Je ne pense plus à Vous.


Salut CENDRARS
!

cendrars1001.jpg




Pour lire le poème en son entier. Et il le faut ! Dommage que soient oubliés les exergues de Fortunat et de Rémy de Gourmont. Ce diable de Blaise crevait peut-être de faim, mais il fréquentait les salles des bibliothèques newyorkaises.

samedi, 11 avril 2009

s'appliquer des "Tranches de savoir"

À la suite de mes deux notes précédentes, je m'appliquerais bien volontiers ces trois petites "Tranches de savoir" du Compagnon Michaux.

Celui-là, avec sa vertu, il branle ses vices.

Qui a rejeté son démon nous importune avec ses anges.

Se plaire sur le toit, c’est peut-être à cause de la cave.


dimanche, 05 avril 2009

un outil pour jardiner les lectures, chez Michaux

Dans la série des "Je Lis" et non des "J'ai lu", Michaux est un des tout premiers sur mes étagères. Quoique ça faisait bien longtemps que je ne l'avais lu avec la constance de ces derniers jours, motivée par la quête des anaphores. À côté de ces dernières et de ses sentences, j'ai déniché un excellent outil de jardin pour désherber les lectures qui me grattent, — ces jours-ci, Sollers avec son Un vrai roman, Mémoires dont la suffisance de certaines pages parvient à des profondeurs d'un nombrilisme, rarement avoué avec autant de cynisme.
Le sarclage, quand ce n'est pas plus radicalement un arrachage, proposé par Michaux tient donc en ceci :

« Quant aux livres, ils me harassent par-dessus tout. Je ne laisse pas un mot dans son sens ni même dans sa forme.
Je l’attrape et, après quelques efforts, je le déracine et le détourne définitivement du troupeau de l'auteur.
Dans un chapitre vous avez tout de suite des milliers de phrases et il faut que je les sabote toutes. Cela m'est nécessaire.
Parfois, certains mots restent comme des tours. Je dois m'y prendre à plusieurs reprises et, déjà bien avant dans mes dévastations, tout à coup au détour d'une idée, je revois cette tour. Je ne l’avais donc pas assez abattue, je dois revenir en arrière et lui trouver son poison et je passe ainsi un temps interminable.
»


Seul le pessimisme du lecteur est indéracinable :
« Et le livre lu en entier, je me lamente, car je n'ai rien compris... naturellement. N'ai pu me grossir de rien. Je reste maigre et sec.
Je pensais, n'est-ce pas, que quand j'aurais tout détruit, j'aurais de l'équilibre. Possible. Mais cela tarde, cela tarde bien*
».


Je dois avouer que le bonhomme Sollers résiste fort bien quand il justifie son maoïsme des années soixante-dix et célèbre ses ouvres antérieures. Indéracinable, lui aussi. Comme du chiendent ! Même avec l'outillage de Michaux.

Je file la métaphore jardinière parce que le lundi-philo de Gilles Clément n'est pas encore très éloigné et qu'hier après-midi, il y avait un forum des citoyen(ne)s pour penser le Développement durable dans notre petite cité et que ce n'est pas un vain mot, ici. Il nous fallait identifier de nouvelles actions possibles pour 2010. Du "Zéro pesticides" à l'entretien des fossés et à l'amélioration des friches, l'agenda sera bien plein. Mais nous y parviendrons :
Qui sait raser le rasoir saura effacer la gomme.
me dit Michaux.

* Une vie de chien, in Mes Propriétés, 1929,

vendredi, 03 avril 2009

anaphores et sentences

À la demande Mj, j'étais à la recherche d'anaphores dans les textes de Michaux :

Dans le noir, dans le soir sera sa mémoire
dans ce qui souffre, dans ce qui suinte
dans ce qui cherche et ne trouve pas
dans le chaland de débarquement qui crève sur la grève
dans le départ sifflant de la balle traceuse
dans l'île de souffre sera sa mémoire

À relire dans la note de décembre 2006.

Je me suis retrouvé à glaner ce que je ne sais trop nommer : des sentences, des dictons, des aphorismes ?
Il ne faut point abuser de leur lecture à haute dose. À raison quatre ou cinq par note, le blogue sera donc alimenté pendant quelques jours.
« Aidons les vaches à ruminer » dit le bienveillant, posant sa fouchette un instant.

Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage.

Faites pondre le coq, la poule parlera.

Les pieds n’approuvent pas le visage, ils approuvent la plage.

Taciturne en montagne, bavard en plaine.*


Ruminons paisiblement, ayant non seulement poser la fourchette, mais aussi ranger l'assiette !
Mais rien n'empêche d'aller à la recherche d'autres textes utilisant l'anaphore. Par exemple L'Avenir repris dans la note Michaux publiée en février 2005 et où les seules répétitions sont une conjonction "quand" et un article "les" :
Quand les mah,
Quand les mah,
Les marécages,
Les malédictions,
Quand les mahahahahas,
Les mahahaborras,
Les mahahamaladihahas,
Les matratrimatratrihahas,
Les hondregordegarderies,
Les honcucarachoncus,
Les hordanoplopais de puru paru puru,
Les immoncéphales glossés,
Les poids, les pestes, les putréfactions,
Les nécroses, les carnages, les engloutissements,
Les visqueux, les éteints, les infects,
Quand le miel devenu pierreux...


* extraits de Tranches de savoir in Face aux verrous, 1954.

mercredi, 24 décembre 2008

à la manière de Cadou, une espèce de Noël

à toutes et tous ami(e)s qui viendront
cette nuit ou ce lendemain lire ce blogue,
pour cette lumière au-dessus d'eux.


Ma mère aux longs cheveux tu figures la Vierge
La Vierge un soir d’hiver en une salle d'auberge

II est des gens nombreux et comme au Moyen âge
On touche la servante et l'on brise les tasses

Ce tableau d'autrefois n'est dans aucun musée
Mais tu as les yeux bleus des riches épousées

Dans les faïences du vaisselier de noces tu te mires
Parmi les coqs tu mets les fleurs de ton sourire

Tu es toute tristesse pour les buveurs qui battent
Leurs chiens maigres à grands coups de savate

Et tu me montres à tous en t'excusant un peu
De promener cette lumière au-dessus d'eux

Les nuits d’hiver sont comme lampes à pétrole
Fumeuses et chargées d'un détestable alcool

Si bien qu'on ne voit plus les poils ni les rousseurs
D'un braconnier qui joue dans l'ombre au Donateur

Et qui mêle des doigts les valets et les reines
En balançant l'atout comme on lance la graine

Un soir de lents corbeaux dans un ciel plein de vent
Qu'elle vive à jamais dans le cœur de l'enfant !



René Guy Cadou

La femme à l'enfant
Le Cœur définitif

vendredi, 19 décembre 2008

il ne fait pas bon avoir la tête épique

... en France. Du moins !

Et la récente biographie parue sur Alexis Léger dit Saint-John Perse* semble bien confirmer l'adage littéraire. Aux dires des critiques, Jacque Julliard dans le Nouvel Obs de la semaine dernière et Philippe Lançon dans le LibéLivres d'hier, la stèle érigée par le diplomate-poète lui-même commencerait de se lézarder.
Ce ne sont que critiques de critique.

Julliard appuye là où sans doute le jeune universitaire auteur de la biographie fait déjà mal — ce serait surtout le diplomate qui serait visé, ouf !, affabulateur... problème d'identité... don de réécriture de l'histoire... pseudomanie galopante... ondoyant et divers... dissimulé, calculateur, opportuniste. Julliard clôt son article assez bêtement : « Il y aura toujours des unhappy few pour préférer Éluard, Char et Saint-John Perse à Apollinaire, Aragon et Desnos. » Mais non, mais non ! monsieur Julliard, qui n'aimez point Saint-John Perse, le lecteur peut préférer (!) les six à la fois.

Lançon écrit plus mesurément sur le diplomate, mais sans l'épargner : « Craignant d'être tué sous les bombes, il rejoint aussitôt les États-Unis. Il y nuit avec efficacité à l'image gaullienne. » Et la chute de l'article qui ébranle le "monument" Pléiade, après les allusions aux manœuvres diplomatiques pour obtenir le Nobel : « Le mausolée de la Pléiade roule la pierre sur cette destinée accomplie entre élévations et reniements. Quelques vers splendides, de beaux hommages, cette extraordinaire cadence verbale statufiée, continuent de s'en échapper. Et cette question sans réponse, posée dès l'âge de 20 ans : "sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ?..." Rien. »

Critique de critiques ! Certes. Faudra-t-il lire le livre de Renault Meltz ? Sinon la curiosité. Quand les statues sont ébranlées, la lecture n'en peut être que libérée.
Mais, que m'ont apporté récemmment, les biographies de Greisalmer sur Char, de Martin sur Michaux, passé un certain premier malaise dans le dévoilement de "l'humain, trop humain" de ces hommes ?
Des années de lecture furent dans l'ignorance des petitesses et des grandeurs ; le retour aux textes estompent très vite, sinon effacent, les gênes biographiques tant qu'il n'est en question que les trivialités des vies quotidiennes et que les valeurs de la common decency** ne sont point lézardées.

Demeure la grande vendange de la langue et du rythme. Scribes dépassés par leur propre labeur : ils seraient demeurés anonymes, le lecteur n'en serait pas moins comblé.

Un des ultimes textes de Perse me parait être à la fois un aveu, un plaidoyer et une réponse au biographe et à ses critiques.


LES voici mûrs, ces fruits d’un ombrageux destin. De notre songe issus, de notre sang nourris, et qui hantaient la pourpre de nos nuits, ils sont les fruits du long souci, ils sont les fruits du long désir, ils furent nos plus secrets complices et, souvent proches de l’aveu, nous tiraient à leurs fins hors de l’abîme de nos nuits... Au feu du jour toute faveur ! les voici mûrs et sous la pourpre, ces fruits d'un impérieux destin — Nous n’y trouvons point notre gré




Soleil de l’être, trahison ! Où fut la fraude, où fut l’offense ? où fut la faute et fut la tare, et l'erreur quelle est-elle ? Reprendrons- nous le thème à sa naissance ? revivrons-nous la fièvre et le tourment ?... Majesté de la rose, nous ne sommes point de tes fervents : à plus amer va notre sang, à plus sévère vont nos soins, nos routes sont peu sûres, et la nuit est profonde où s'arrachent nos dieux. Roses canines et ronces noires peuplent pour nous les rives du naufrage.




Les voici mûrissants, ces fruits d’une autre rive. « Soleil de l’être, couvre-moi ! » — parole du transfuge. Et ceux qui l’auront vu passer diront : qui fut cet homme, et quelle, sa demeure ? Allait-il seul au feu du jour montrer la pourpre de ses nuits ?... Soleil de l’être, Prince et Maître ! nos œuvres sont éparses, nos tâches sans honneur et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir. — Les voici teints de notre sang, ces fruits d’un orageux destin.

À son pas de lieuse de gerbes s'en va la vie sans haine ni rançon.

Nocturne
1972.


* Alexis Léger dit Saint-John Perse, par Renault Meltz, Flammarion.
** ma note du 5 décembre : j'ai fait l'école buissonnière.

mardi, 16 décembre 2008

Lisant Mallarmé 2

Rien, cette écume, vierge vers
À ne désigner que la coupe ;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l'envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l'avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et d'hivers;

Une ivresse belle m'engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut

Solitude, récif, étoile
À n'importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

Salut
Le sonnet qui ouvre le recueil Poésies.

Mallarmé, c'était depuis la fin de l'adolescence un "trou noir". J'avais gaîment sauté de Verlaine et Rimbaud à Claudel.
L'Azur, le Tombeau d'Edgar Poe, Le Vierge, le Vivace et le Bel demeureraient des obscurités très belles à murmurer et qui le sont encore cette nuit. Mais obscurités cependant.
L'atelier animé par Stanguennec se propose d'exposer Mallarmé sous les lumières de ...Kant. De l'un à l'autre, les schèmes et les symboles procèderaient, à un siècle d'écart, d'un cheminement identique. Me faudra-t-il me glisser dans les raisons kantiennes autre "trou noir".

L'analogie marine du Salut, déjà effleurée dans ma lecture de Au seul souci de voyager me guidera peut-être jusqu'à Mes Bouquins refermés qui clôt le recueil en évoquant Paphos le village ceint d'écume qui vit naître Aphrodite.
D'écume en écume !
Le poète ose donner une forme sensible aux Idées de la raison... en les élevant au-delà des bornes de l'expérience, grâce à une imagination qui s'efforce de rivaliser avec la raison.
Emmanuel Kant,
Critique de la faculté de juger, 1798.
... la patience de la lecture du poème par la philosophie !

Et par la chanson : me revient un air populaire que ne désavouerait point
Mallarmé, quand aux vers 5 et 6, il souligne d'un rejet fortement marqué ses amitiés :
Nous naviguons, ô mes divers
Amis...
Cet air ? Les copains d'abord.
Kant et Brassens en lisant Mallarmé, ça me va !
Prenons le temps. Nous l'avons.
Et soyons hilares.
Ses fluctuat nec mergitur
C'était pas d'la littérature
N'en déplaise aux jeteurs de sort
Aux jeteurs de sort
Son capitaine et ses mat'lots
N'étaient pas des enfants d'salauds
Mais des amis franco de port
Des copains d'abord

lundi, 15 décembre 2008

lisant Mallarmé...

La mer dont mieux vaudrait se taire que de l'inscrire dans une parenthèse si, avec, n'y entre le firmament — de même se disjoint, proprement, de la nature. Quelque drame d'exception, entre eux, sévit qui a sa raison sans personne.
Grands faits divers,
Divagations

Poésie/Gallimard, p. 316.
brume2.jpg

Brume d'automne au large de Penerf.
...qui a sa raison sans personne ? Peut-être Mallarmé a-t-il oublié les oiseaux ?

vendredi, 12 décembre 2008

Héraclite "nobélisé"

Le dernier homme que cite Le Clézio, lors de son discours de réception* du Nobel 2008, est Héraclite.
Héraclite dit :

hérac001.jpg
Le temps est un enfant qui joue en déplaçant les pions : la royauté d'un enfant.**

Le Clézio ne dissout-il point la tension polémique de l'aphorisme dans l'innocence d'un futur que susciterait une enfantine royauté ?
La grande bonté est naïve : faut-il pour autant l'en amoindrir ?


* Merci à FB pour avoir mis en ligne une version propre et nette .
** La traduction proposée est celle de Marcel Conche ; dix autres pourraient être offertes : les pions — "pesseuône"— sont objet de variations. Les hellénistes sont de vieux grands enfants qui n'achèveront jamais leur jeu de ...gloses.

Post-scriptum :
J'aime beaucoup dans la signature du bas de dernière page la notation du lieu : J.M.G. Le Clézio, Bretagne, 8 novembre 2008.

samedi, 06 décembre 2008

pour saluer Théo Lésoualc'h

Il est des "commentaires" que parfois on ne souhaiterait pas recevoir si tôt et qui dans le moment même vous convainquent de l'intérêt de cette Toile et de son tissage de vie et de mort.

J'ai très bien connu Théo... Ma famille de coeur.
Théo a été incinéré mercredi 03/12/2008.
Beaucoup de peine et la perte d'un GRAND homme
Écrit par : POMPIDOU | vendredi, 05 décembre 2008

Le mime vagabond est mort.

Lesoualc'h.jpg

Je l'avais rencontré à l'automne 72, grâce à l'amitié de Marcel Dortort, le musicien. La vie vite, son premier livre, avait zébré l'année littéraire de son écriture toute en fulgurances, en percussions.
Avec Kérouac, il partageait la celtitude et la route. Il importait dans la langue française les cadences syncopées, surgies des cu-up, de la Beat Generation.
Ses Phosphènes, parus la même année, m'avaient un peu aveuglé et Marayat, dans sa fête charnelle, transcendait hautement l'érotique post-soixante-huitarde du film à succès "Emmanuelle" dont Emmanuelle Arsan, qui inspira le scénario, n'était autre que celle qui avait été, quelques années plus tôt, le sexe-femme flamboyant au creux de Marayat.

Je perdis la trace et de l'auteur et de l'homme. La banalité d'une rentrée littéraire, en 2006, me fit réouvrir La Vie Vite et je publiai à cette occasion deux notes sur ce blogue.
Des textes pouvaient être retrouvés en manipulant les "ascenceurs" dans la revue Blockhaus.
Je découvre cet aujourd'hui que dans les années 80, il publia encore deux livres :
La Porte de papier qui semble creuser la thématique de Marayat et L'Homme clandestin qui marquerait un retour à une Bretagne fantastique de l'enfance.

Je m'en vais lire L'homme clandestin et me remémorer la longue soirée d'échange, dans mon petit appartement angoumoisin, sur l'écriture et la nécessité d'une absolue solitude en l'attente du train qui ramènerait Théo à la quasi ruine de son mâs ardéchois.

Salut, l'Artiste !



mardi, 18 novembre 2008

retour à Mallarmé

Dans ma note de mercredi passé, j’évoquais mon inscription à l’atelier “Poésie et philosophie selon Mallarmé”, proposé dans le cadre de mallarmé.jpgl’Université permanente par André Stanguennec. Le vide-grenier gracquien et de fréquents allers et retours sur le VendéeGlobe— passionnant Pot-au-noir — ont pertubé l’approche de mon petit chantier 2008/2009.
Petit ? Peut-être est-il trop énorme pour ma petite comprenoire...

Je me suis trouvé un bon passeur : Claudel, dans ses Mémoires improvisés !

« ...il y a une parole de lui (Mallarmé), qui, au contraire, a profondément marqué mon intelligence, et qui est à peu près le seul enseignement que je reçus de lui, et c'est un enseignement capital : je me rappelle toujours un certain soir où Mallarmé, à propos des naturalistes, de Loti ou de Zola, ou de Goncourt, disait :
« Tous ces gens-là, après tout, qu'est-ce qu'ils font ? Des devoirs de français, des narrations françaises. Ils décrivent le Trocadéro, les Halles, le Japon, enfin tout ce que vous voudrez. Tout ça, ce sont des narrations, ce sont des devoirs. »
Je crois que c'est intéressant de voir cette remarque dans la bouche d'un homme qui était lui-même professeur. Il était professeur d'anglais. Et alors, c'est là où la remarque est importante. Moi, il m'a dit : « Ce que j'apporte dans la littérature, c'est que je ne me place pas devant un spectacle en disant : "Quel est ce spectacle ? Qu'est-ce que c'est ?", en essayant de le décrire autant que. je peux, mais en disant : "Qu'est-ce que ça veut dire ?" »
Cette remarque m'a profondément influé et depuis, dans la vie, je me suis toujours placé devant une chose non pas en essayant de la décrire telle quelle, par l'impression qu'elle faisait sur mes sens ou sur mes dispositions momentanées, mes dispositions sentimentales, mais en essayant de comprendre, de la comprendre, de savoir ce qu'elle veut dire. Ce mot de “veut dire” est extrêmement frappant en français, parce que “veut dire”, ça exprime une certaine volonté. »


Un petit brin de laine venant du gros grand Claudel !
Qui éclaire cette brève de Mallarmé :

Narrer, enseigner, même décrire, cela va et encore
qu'à chacun suffirait peut-être pour échanger la pensée
humaine, de prendre ou de mettre dans la main d’autrui
en silence une pièce de monnaie, l'emploi élémentaire
du discours dessert l'universel reportage dont, la littérature
exceptée, participe tout entre les genres d'écrits
contemporains.

À quoi bon la merveille de transposer un fait de
nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu
de la parole, cependant; si ce n'est pour qu'en émane,
sans la gêne d'un proche ou concret rappel, la notion
pure.

Je dis : une fleur ! et, hors de l'oubli où ma voix relègue
aucun contour, en tant que quelque chose d'autre que
les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave,
l'absente de tous bouquets.

Crise de vers, p. 259
Divagations, Poésie/Gallimard


Ce sera quand même ardu !

mercredi, 12 novembre 2008

enfin Mallarmé vint

Je suis parti lundi matin, avec en bandoulière, Selon Mallarmé de Paul Bénichou, un peu défraîchi, les derniers feuillets froissés par une vague sournoise qui avait pénétré par le hublot ouvert, il y a bientôt près de dix ans.
Durant les cinquante-six jours de la traversée du Pacifique, j’avais tenté d’ouvrir un “chantier” Mallarmé pour dépasser les souvenirs lycéens des Classiques Larousse qui le cantonnaient dans le Symbolisme à la suite de Verlaine, de Rimbaud, de Henri de Régnier, de Samain en me donnant à lire L’Azur, Le Vierge le Vivace et le Bel... et le Tombeau d’Edgar Poe.
Demeurait en moi de ces années bachelières, l’émerveillement pour sa syntaxe dont j’appréciais le rythme rompu, déhanché, qui me laissait entrevoir une nouvelle langue. La mise en bouche d’un texte mallarméen m’a souvent laissé pantois de plaisir.
Insatisfaction cependant : cet homme laissait pressentir un horizon trop incompréhensible encore et les cinquante années de lecture de textes contemporains — pas mal d'entre eux avouant une influence mallarméenne — ont encore laissé vierge l’appréhension de cette œuvre.
L’approche de Bénichou fut une avancée dans un pas à pas, poème après poème. Je m’acclimatais au poète, je me questionnais sur l’homme de théorie et de méthode.
Lundi matin, dans le tramway m’emmenant aux Chantiers, pour suivre un atelier autour de Poésie et Philosophie selon Mallarmé, c’était donc l’Océan qui me rattrapait. Encore et toujours une histoire de mer :

Au seul souci de voyager
Outre une Inde splendide et trouble
— Ce salut va, le messager
Du temps, cap que ta poupe double

Comme sur quelque vergue bas
Plongeante avec la caravelle
Écumait toujours en ébats
Un oiseau d'ivresse nouvelle

Qui criait monotonement
Sans que la barre ne varie
Un inutile gisement
Nuit, désespoir et pierrerie

Par son chant reflété jusqu'au
Sourire du pâle Vasco.


Poésies — édition Deman

Il n'est pas sûr que le navigateur portuguais fut si désintéressé que le laisse entendre Mallarmé, célébrant en Vasco la passion sans limite de la découverte. Belle, cependant, l'utopie.

dimanche, 19 octobre 2008

retour à à la Possonière, terre de Ronsard

Ce matin un commentaire d'Alain B. et voilà mon projet de note autour de Montaigne et de l'émission de jeudi dernier, Une vie, une Œuvre, repoussé à un autre jour, parce qu'Alain cite un voyage en Vendômois, à la Possonière, manoir de Ronsard.
J'ai, à la suite de mes lectures de Michel Chaillou le "sentiment géographique" très développé qui m'est un puissant excitant à l'ouverture d'une œuvre.
Je ne quitterai donc point ce cher XVIe siècle, j'ouvre les Amours de Marie, cette brune Fleur angevine, paysanne pucelle de quinze ans. Alain soutient que Ronsard est le poète le moins superficiel de la langue française ; ça me chiffonne un peu pour mon Du Bellay préféré.
J'ai passé un après-midi enchanteur et ensoleillé dans les allitérations, les pétraquismes, les yeux, les poils, les roses, les herbages, les tétins, les aporismes et l'élégie la plus ivre : je suis revenu avec ce geste désespéré que j'adresse à Alain, mon compagnon de bord de mer qui a le mal de mer, mais célèbre si bien dans ses images et la mer, et les roses, et la femme.


Je veux, me souvenant de ma gentille Amie,
Boire ce soir d'autant, et pource, Corydon,
Fais remplir mes flacons, et verse à l'abandon
Du vin pour réjouir toute la compagnie.

Soit que m'amie ait nom ou Cassandre ou Marie,
Neuf fois je m'en vais boire aux lettres de son nom,
...........................................................
..........................................................
Gagnons ce jour ici, trompons notre trépas :
Peut-être que demain nous ne reboirons pas.
S'attendre au lendemain n'est pas chose trop prête.



et trois sonnets plus loin, cette épitaphe désespérée


Celui qui gît ici sans cœur était vivant,
Et trépassa sans cœur, et sans cœur il repose
.



Le moins superficiel ? Ne sais. L'un des plus graves, souventes fois.

mercredi, 18 juin 2008

retour à Essénine

Ces temps-ci, il y a quelque activité dans les commentaires autour de ma note sur Sergueï Essénine, le 17 octobre 2005 ; il est vrai que Google répertorie grapheus tis en première page entre Wikipédia et Poézibao.
Je ne me fais aucune illusion sur la notoriété de mon blogue ; cette fréquentation, assidue — quand je consulte les mots-clés utilisés par mes visiteurs — et souvent chaleureuse, n’est due qu’à la rareté des écrits en langue française sur le poète russe. Et puis je ne faisais en cette note que rendre compte de ma fréquentation régulière d’un vieux bouquin (1959) de chez Seghers.

Je ne suis guère, ces jours, constant dans l’écriture du blogue. Les Rencontres du Fleuve et la préparation des petites errances marines de l’été, les expositions qui bouclent les activités annuelles des ateliers fréquentés par Nicléane et les soins exigés par un jardin qui jusqu’alors n’avait guère été aussi “cultivé” accaparent en le fatiguant légèrement le bonhomme qui rechigne au clavier du soir.

Mais ces deux ou trois commentaires sur la note d’Essénine m’incitent à remercier ces visiteurs en rendant doublement hommage et à René Guy Cadou qui m’amena au poète russe et à Essénine lui-même, en publiant l’intégrale de l’Ode à Serge Essénine que l’instituteur et poète nantais écrivit en 1949.

L’Ode est sans doute un peu longue pour une lecture sur blogue, bien au-delà des deux “écrans” que j’estime être le possible de lisibilité.
À dérouler le “volumen” vertical, donc, lentement au rythme nostalgique des quatrains.
Il y a tant d’affinités entre ces deux-là dans la sensualité des campagnes, le goût des boissons fortes et l’amitié des bêtes.


Ode à Serge Essénine

Qui se souvient des journaux de 1925 ?
Une feuille égarée fait rage dans la cour
Et l'automne l'automne démantelle les tours
Le poète Essénine s'est tué

À cinq ans j'appris à lire
Avec maman dans le journal
Oh sûrement j'ai lu mon Serge
L'annonce de ta mort brutale

Un soir de lampes à pétrole
Et de tableaux mal effacés
Là-bas dans la petite école
A la limite du passé !

Mon fils sera — noblesse oblige !
Instituteur dans un hameau
Qui reconnaît pas dans la neige
Saura dénouer liens du cerveau !

Ainsi parlait Père Essénine
Dans la Russie de Nicolas
Ignorant certes que Pouchkine
Sur son cheval menait son gars

À travers nuit gel et villages
Et dans le temps cerclé de fer
Vers un château de sept étages
Sous les mélèzes de l'enfer !

J'ai vécu comme toi parmi les hordes villageoises
Ô Serge et j'ai bien écouté
Les chiens qui boivent dans l'écuelle de la lune
À l'odeur d'églantine et de menthe coupée

Je t’apporte un printemps tout neuf ô mon Poète
Et tel que n'en connut la ferme de Riazan
Alors que ceint de cuir tu promenais tes bêtes
Le long d'un abreuvoir de lumière et de sang

Ah ! dis bonjour à cousin Serge cheval triste
Par ton amour au moins qu'il soit récompensé
D'avoir osé prétendre à la flamme des lys
Quand le jour s'est éteint sur des poissons séchés !

L'Impératrice a beau sourire il faut qu'il chante
L'étable de famille et le monde écrasé
Sa tristesse d'enfant ses cheveux pleins de lentes
Alors que la nature est si belle à côté

Essénine Augustin ! le Serge du Grand Meaulnes
Lorsqu'il eut parcouru mille lieues avec toi
La bride sur le cou de son cheval fantôme
Se retrouva plus seul et plus pauvre à la fois

Mais là-bas quelque part en la Russie du rêve
Dans les salles du temps préparées pour un bal
Tu te dresses soudain et tu brises les verres
Comme un voyou d'enfant jette en passant des pierres
Un soir de nostalgie dans les vitraux du lac

Et tu ris sans cesser de pleurer sur toi-même
Voleur d'un astre d'or par le brouillard volé
Qui traînes tout au long des nuits et des semaines
Le regret d'un pays et d'un cœur embaumé

Maints crapauds chantent sous la lune
On dirait un piano cassé
Un morceau de songe qui flotte
Au bord d'un ciel tout rapiécé

Père Essénine pense à Serge
Quand il était encor gamin
Entortillé de bonne serge
Que mère tailla de sa main

Où est-il ce pauvret bizarre
Qui délaissant bœuf et cheval
S'agenouillait au bord des mares
Comme un atteint du cérébral ?

Les uns disent qu'il se promène
Dans la grand'ville en chapeau rond
Avec des femmes pas honnêtes
Qui lui auront tripe et rognons !

Mais Serge a mal de vivre ainsi Le grand poète
Se souvient de la ferme adorée et du prêtre
Qui officiait tous les dimanches au hameau
Où son passé est frais comme un cœur de bouleau

II est ivre il a pris un fiacre sans un sou
II se sent l'âme négligée et dans la chambre
Titubant de douleur il se jette à genoux
Devant l'icône pâle et le bougeoir à branches

« Mon Dieu ! Mon bon copain ! Petit Père ! Ô mon Dieu !
Quelle nuit ! Quelle nuit ! Je meurs si je m'accuse
Ferme sur mon présent l'herbe bleue de tes yeux
Je suis damné ! Mais si tu crois que je m'amuse !

Rengagé du destin dans la gare du doute
Sur la banquette étroite et glacée du matin
J'attends de voir paraître au détour de la route
Comme un ballon de rhum la lanterne du train

J'arrive dans le jeu de quilles du village
Ah ! pauvre pauvre chien ! Tel qui songe à des os
Trouve un croûton de lune amère qui surnage
Sur la coupe d'un ciel immanquablement beau

II a neigé durant trois ans
Sur le visage de ma mère
Et ses cheveux sont aussi blancs
Que les cailloux du cimetière

Ayez pitié d'un faux aveugle
Qui délaissant mère et maison
S'en est allé veule et tout seul
Frapper à l'huis des horizons

J'ai connu Moscou la cruelle
Et les matins en troïka
Lampe à gaz ne vaut point chandelle
Quand elle brûle tout là-bas

Au bord du monde entre deux saules
Et que dans l'aube pour mourir
Elle se penche sur l'épaule
D'un enfant en mal de dormir !

Adieu charmante Isadora
Qui dansait comme on tord un linge
Serge mort tu le danseras
Devant un parterre de singes

Tu diras à l'Américain
Pourvoyeur de destins illustres
Que j'ai soufflé un beau matin
Les vingt-neuf bougies de mon lustre

Que je suis mort d'avoir aimé
La beauté mon pays natal
Pauvre homme d'ange fourvoyé
Parmi les enfants de la balle ! »

 

VIII, 1949
in Hélène ou le règne végétal (1960)



Post-scriptum :
Le lundi 26 mai de cette année, ARTE a diffusé un documentaire sur le dernier (?) grand amour de Essénine : Isadora Duncan : je n'ai fait que danser ma vie. En fin d'émission, une trop brève allusion à la passion de la chorégraphe et et du poète.