samedi, 22 juin 2013
retour de mer
« J'avais, j'avais ce goût de vivre sans douceur, et voici que les Pluies... » (La vie monte aux orages sur l'aile du refus.)
Saint-John Perse
Pluies, VI
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mercredi, 22 mai 2013
Récapitulons : le sonnet, c'est quoi ?
« Sonne-moy ces beaux sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne, conforme de nom à l'ode, et différente d'elle seulement, pour ce que le sonnet a certains vers réglés et limités ; et l'ode peut courir par toutes manières de vers librement, voire en inventer à plaisir... Pour le sonnet doncques tu as Pétrarque et quelques modernes Italiens. Chante moy d'une musette bien résonnante et d'une flûte bien jointe ces plaisantes églogues rustiques, à l'exemple de Théocrite et Virgile, marines à l'exemple de Sennazar gentil homme Néapolitain.»
Joachim Du Bellay
Défense et IIlustration de la Langue Française
Livre I, IV
Selon le Trésor de la langue française informatisé
SONNET, subst. masc.
VERSIF. Poème de 14 vers, composé de 2 quatrains aux rimes embrassées, suivis de 2 tercets dont les 2 premières rimes sont identiques tandis que les 4 dernières sont embrassées (sonnet italien) ou croisées (sonnet français).
REM. Sonnettiste, subst. masc. Poète qui écrit des sonnets. De Heredia, ce sonnettiste inférieur à Soulary, lui fait des crasses (RENARD, Journal, 1899, p. 549).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1536 (Cl. MAROT, Sonnet à Madame de Ferrare [titre; comp. en Italie] ds Œuvres, éd. C. A. Mayer, t. 4, p. 267). Empr. à l'ital. sonetto, att. dep. le XIIIe s. (GUITTONE D'AREZZO; le genre a été inventé par G. da LENTINI dans la 1re moit. du XIIIe s.; v. DEI et U. RENDA, P. OPERTI, Dizionario storico della letteratura italiana, s.v. Lentini et Sonetto), lui-même empr. à l'a. prov. sonet « chanson, mélodie chantée » (2e moit. XIIe s., GUIRAUT DE BORNELH ds LEVY Prov.); cf. a. m. fr. sonet « id. », att. dep. ca 1200 (Aliscans, éd. E. Wienbeck, W. Hartnacke, P. Rasch, 8306), encore att. en 1570 (J. DORAT, Novem cantica de pace [...] Neuf Cantiques ou Sonetz de la paix [titre]), dér. de son « air de musique » (son2*). Le genre du sonnet a cependant été introd. en France sous l'infl. de Pétrarque, très à la mode à l'époque de la Renaissance.
Le sonnet, dans l'une des dispositions les plus classiques, se compose de deux quatrains aux rimes embrassées et répétées, et de 2 tercets sur 2 ou 3 rimes à disposition variable que l'on trouve parfois en un seul sizain ; les formes les plus courantes en français sont :
ABBA ABBA CCD EED
ou
ABBA ABBA CCD EDE
Cela s'écrit en octosyllabes, décasyllabes, alexandrins. Et plus tard en toute liberté d'une syllabe à plus de douze
La mise en valeur du dernier vers est appelé la chute du sonnet.
Jacques Roubaud dans son incontournable Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe reconnaît à la forme sonnet:
six caractères qui lui donnent une position exceptionnelle parmi les formes poétiques attestées.
1. Il s'agit d'une forme savante, écrite et récente.
2. Sa durée de vie est très grande. Les premiers sonnets datent du premier quart du XIIIe siècle. Il s'en compose encore aujourd'hui. C'est une forme poétique contemporaine.
3. Le sonnet est présent dans la tradition poétique d'un nombre considérable de langues. La forme sonnet n'est pas universelle, mais quasi universelle... *
4. Le sonnet a une qualité spectaculaire (par « qualité » je n'entends pas donner un jugement de valeur), qui apparaît pratiquement : une immense productivité. On peut désigner ce trait comme un pouvoir multiplicateur. Il s'est écrit beaucoup, énormément de sonnets... Et ce pouvoir de multiplication semble récurrent, presque indépendant des époques et des lieux.
5. Le sonnet a ceci de remarquable qu'il a été composé dans cette forme certains des poèmes considérés comme les plus beaux de la poésie universelle. Il n'est pas possible de ne pas tenir compte du fait esthétique dans une discussion de la forme. La forme sonnet est une forme poétique de valeur exceptionnelle. Dans leurs langues respectives, certains sonnets comptent parmi les monuments les plus élevés de l'art de poésie. Ce trait est un trait de reconnaissance...
6. Dernier caractère : un mystère formel. Le sonnet est presque toujours présenté comme une forme fixe, étroitement contrainte. Cela est vrai à tout moment de son histoire et de ses migrations. Ce caractère est tantôt mis à son crédit, fait partie de son prestige, tantôt au contraire lui est reproché, le discrédite. Il est indéniable que, de siècle en siècle, et de langue à langue, les sonnets conservent un air de parenté (et la même désignation).
Pour clore, de celui qui est à l'ouverture de cette note, un sonnet à la forme rigoureuse et ajoutant la beauté formelle et les vertus de et l'élégie et de la satire au "vertige de la liste".
Sans oublier que le sonnet vient de "sonare", chanter, et qu'à défaut de chanter, il est fort agréable de se le "mettre en goule"
Ceulx qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceulx qui ayment l’honneur, chanteront de la gloire
Ceulx qui sont pres du Roy, publiront sa victoire
Ceulx qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront
Ceulx qui ayment les arts, les sciences diront
Ceulx qui sont vertueux, pour tels se feront croire
Ceulx qui ayment le vin, deviseront de boire
Ceulx qui sont de loisir, de fables escriront
Ceulx qui sont mesdisans, se plairont à mesdire
Ceulx qui sont moins fascheux, diront des mots pour rire
Ceulx qui sont plus vaillans, vanteront leur valeur
Ceulx qui se plaisent trop, chanteront leur louange
Ceulx qui veulent flater, feront d’un diable un ange
Moy, qui suis malheureux, je plaindray mon malheur.
Joachim Du Bellay
Les Regrets, V
*Dans les notes précédentes, quand s'est relancé l'intérêt du blogueur pour le sonnet : Michel-Ange, Shakespeare, Lorca, Rilke.
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vendredi, 17 mai 2013
un dernier faux sonnet, celui de René Guy Cadou
Naguère — c'était à Nantes en 1999 — lors d'un colloque sur René Guy Cadou, un poète dans le siècle, Paule Plouvier, une universitaire de Montpellier III, présenta sa contribution sous le titre suivant Cadou, Char, alliances secrètes.
Belle audace !
En quarante-quatre ans de lecture de l'un et de l'autre, je n'avais jamais imaginé possibles ces alliances, tant les deux René étaient en moi, leur liseur, l'harmonie des contraires.
Paule Louvier les lient par l'enracinement dans leurs contrées natales, la terre provençale et le paysage nantais, baignées par leurs lumières singulières, habitées par leurs bestiaires et leurs propres floraisons végétales, mais contrées cependant "qui ouvrent à l'universel car ce sont (elles) qui, en modelant une sensibilité, permettent au sujet de forer au plus profond d'une recherche de la parole juste, susceptible de témoigner de la vérité de l'homme.."
J'y ajouterai les liens de l'amitié qui enlacent les recueils de l'un et l'autre et c'est ainsi que je parviens à l'un des rares textes de Cadou qui rejoint la forme de Remise, quand, en quatorze vers, Cadou, l'élégiaque au bord des larmes, évoque une soirée de solitude.
LA SOIRÉE DE DÉCEMBRE
Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté?
Oh! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
D'une journée, le long des rives du destin!
Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes ?
Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
De vous perdre sans cesse dans la foule
O crieurs de journaux intimes, seuls prophètes
Seuls amis en ce monde et ailleurs!
René Guy CADOU
Hélène ou le Règne végétal (1950)
Ces trois notes sont à l'adresse de certain(e)s
qui hantent les parages de ce blogue
et cheminent depuis longtemps parfois
en forant à la recherche de la juste parole,
dans les textes de Michaux, de Char, de Cadou.
« ...seuls prophètes, Seuls amis...»
Je pense à l'un d'entre eux qui, l'hiver 2008,
m'adressa en commentaire cette Soirée de Décembre.
Mais dieux, c'est quoi un Sonnet ?
18:56 | Lien permanent | Commentaires (1)
mercredi, 15 mai 2013
le faux sonnet de René Char
Ce n'est toujours pas un sonnet, mais les quatorze vers y sont, leur métrique est, pour la plupart d'entre eux, proche de l'alexandrin : douze pieds, — syllabes, disent désormais certains puristes. C'est un texte encore dans la quincaillerie surréaliste,— Char s'est récemmment séparé du mouvement, mais ne renie point son appartenance passée — avec des images superbes et un hermétisme certain, cette obscurité héraclitéenne, souvent revendiquée.
Le titre est, comme souvent chez Char en rapport subtil avec le texte, et même avec le recueil, Dehors la nuit est gouvernée. Il est le pénultième d'une mince brochure, parue en 1938, imprimée et rééditée bellement en 1949 par Guy Lévis Mano, augmentée d'un Placard pour un chemin des écoliers, dédié aux enfants d'Espagne.
Naguère, le lecteur était nu devant un tel écrit. C'était peut-être aussi bien pour la saisie émotionnelle. Désormais, les biographes se sont emparé du quotidien, jusqu'au plus trivial.
Entre 1936 et 1938, c'est la la guerre d'Espagne, c'est le bond social et ambivalent du Front Populaire, c'est dans l'intime du poète une maladie grave et des soucis avec l'artisanat familial, c'est le pressentiment de ces annnées si sombres qui adviennent.
Les textes, hors Une Italienne de Corot et les casseurs de cailloux de Courbet, sont amers, tourmentés. Dans l'introduction qu'il écrit en 1948, Char le reconnaît :« J'étais parvenu à cette époque, avec mon tourment, sur ces crêtes où hauteur et profondeur n'échangent plus leur différence, sont inexorablement étales. »
Remise est donc bien le lieu écrit où, après un long et tortueux périple, on "laisse filer les guides" dans l'apaisement de la plaine et le lecteur crée le lien avec le premier vers.
La sérénité et la chaleur du compagnonnage sont retrouvées quoique demeurent les images menaçantes de dangers qui exigent vigilance et attention. D'un vers à son suivant, on mesure cette nécessité de l'alliance des contraires d'où surgit la beauté du texte.
REMISE
Laissez filer les guides maintenant c'est la plaine
Il gèle à la frontière chaque branche l'indique
Un tournant va surgir prompt comme une fumée
Où flottera bonjour arqué comme une écharde
L'angoisse de faiblir sous l'écorce respire
Le couvert sera mis autour de la margelle
Des êtres bienveillants se porteront vers nous
La main à votre front sera froide d'étoiles
Et pas un souvenir de couteau sur les herbes
Non le bruit de l'oubli là serait tel
Qu'il corromprait la vertu du sang et de la cendre
Ligués à mon chevet contre la pauvreté
Qui n'entend que son pas n'admire que sa vue
Dans l'eau morte de son ombre.
René CHAR
Dehors la nuit est gouvernée, 1938
Les cinq derniers vers me sont indéchiffrables. Je n'ai comme seul recours à une amorce de compréhension que ce dicton Halpulaar que je tiens d'un sage très âgé du village de Sébou sur les rives du fleuve Sénégal :
Les yeux voient ce qu'ils ne veulent pas voir, mais les pieds ne vont que là où ils veulent aller.
Mais là, ne se rapproche-t-on pas plus de Michaux ?
Et Remise n'était donc point un sonnet. Par contre, dans Placard pour un chemin des écoliers, Char se rapproche de François Villon et d'un genre très ancien de notre langue, il écrit une très belle ballade, Compagnie de l'écolière.
* Remise (in Trésor de la langue française informatisé)
1. Vieilli. Local couvert destiné à abriter des véhicules. Synon. entrepôt, garage, hangar. Les remises à voitures sont toujours rectangulaires; les remises à machines sont, ou rectangulaires, ou en forme de secteur de cercle, ou entièrement circulaires (BRICKA, Cours ch. de fer, t. 1, 1894, pp. 253-254). J'avais une chambre à moi; elle donnait sur la cour, face au bûcher, à la buanderie, à la remise qui enfermait, périmées comme d'anciens carrosses, une victoria et une berline (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 82).
2. Dépendance, local où sont rangés des instruments, des objets. Remise aux outils. L'atelier de Labanne était si rempli de livres qu'on eût dit une remise de bouquiniste (A. FRANCE, Chat maigre, 1879, p. 217).
12:30 | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 13 mai 2013
...ne furent point "sonnettiers"
Je le regrette. Les trois hommes, René Guy Cadou, René Char, Henri Michaux, qui m'ouvrirent, dans les années cinquante, à la poésie contemporaine d'alors n'écrivirent pas un sonnet, ce poème en 14 vers —de la monosyllabe à l'alexandrin, répartis en 2 quatrains et et 2 tercets aux rimes alternées ou embrassées
J'ai tenté avec le seul critère des quatorze vers de lire — élire — quelques rares textes de ces trois poètes qui, en vers libres et sans rimes, approchaient au plus près ce qu'est le sonnet.
Mais déjà, le premier d'entre les trois s'écartait de la règle des quatorze vers. La parole à Michaux.
EMPORTEZ-MOI
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Henri MICHAUX
Mes Propriétés, 1929
L'ouverture au premier quatrain est une poignante élégie océane. Supplique adressée à ces divinités que par défaut nous nous inventons pour pallier les cieux désertiques.
Le quatrain suivant, Michaux revient à la terre invoquant en lieux de perte le minéral, l'animal et le végétal.
Faut-il pressentir l'amour — d'aucuns l'avancent — dans le dernier, comme une infinie douceur, précédant la dureté et le glissement rugueux dans les "lointains intérieurs" et ce que j'entends comme un cri exigeant l'ultime délivrance :
ou plutôt enfouissez-moi.
Ce presque sonnet rejoint ou annonce le lyrisme désespéré de Nausée ou c'est la mort qui vient, d'Amours, du Repos dans le malheur, de Sur le chemin de la mort, Dans la nuit et de Ma vie.
La révolte et ses contres, l'humour et ses rires ravageurs sont proches. Que se méfient les dieux et le Roi ! Dans Face aux verrous, sans implorer, sans supplier, il écrira :
Assez. J'ai passeport pour aller demain de par les mondes.
Adieux d'Anhimaharua.
Henri Michaux s'immobilisera enfin, le 19 octobre 1984. Incinéré avec quelque retard* : le crématorium du Père-Lachaise était en panne ! Même sans sonnet, Monsieur PLUME sera donc toujours parmi nous. Et sur ma table de lecture.
*Lu dans l'épaisse et très bonne biographie Henri MICHAUX, par Jean-Pierre Martin, Biographies, nrf, Gallimard, octobre 2003.
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mercredi, 24 avril 2013
bâter un âne sur le flanc nord du Mundarrain
Dans le quartier de BasseBourg*, à Itxassou, devant un verre d'Irouléguy 2008, accompagné d'un fromage de brebis de Kukululuia et d'un soupçon de confiture de cerises noires, lire un des rares sonnets de ce paisible et sensuel Françis Jammes, "mon" voisin d'Hasparren — tout cela fait plutôt folklore basque à touristes, mais c'est bon.
De ce pays, à venir encore deux sonnets d'Edmond Rostand et Paul-Jean Toulet. Et même un parmi les vingt-neuf de La Boétie, que, neuf années durant, l'ami Montaigne édita au chapitre XXI de ses Essais en les dédiant à la belle Corisande d'Andoins, riveraine de la Bidache proche. Le parcours de lecture inspiré par le parcours géographique autorise la traversée des siècles littéraires.
Bâte un âne qui porte une outre d'eau de roche,
à son flanc, car dans le pays des améthystes
qu'il te faut longuement traverser l'eau n'existe
pas, ni le pain que tu clôras en ta sacoche.
Or c'est à Bassora, dans la boutique, à gauche
de chez Aboul Hassan Ebn Taher le droguiste.
Devant le souk un dromadaire laisse triste-
ment pendre de sa lèvre une espèce de poche.
C'est là que Tristan Klingsor, l'enchanteur, compose
de doux lieds auprès d'un bassin. Et les roses
l'approuvent en penchant la tête, et son rebec
se plaint comme un vent doux et précieux avec
l'inflexion d'une jeune fille qui pose
sa main dessus son coeur pour un salamalec.
De l'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir
(édition de 1913)
Francis Jammes prend ici de belles libertés avec les règles du sonnet et de l'alexandrin, mais je tiens à souligner ce que j'apprécie dans le second quatrain, ce rejet du "-ment" du "triste-ment" au vers suivant pour obtenir la rime avec "le droguiste". Je ne pense point que les mânes de Joachim Du Bellay en frémissent. Il doit sourire, notre Angevin, de cette anarchie littéraire — licence, dirait le lettré.
L'âne bâté annonçait le Basque ou le Béarnais et voila que le poète nous emmène dans le chromo d'un orientalisme auquel rien ne manque, ni le souk et son droguiste, ni le dromadaire, ni le bassin et ses roses, ni la plainte du rebec. Le salamec nous ramène notre panthéiste barbu à ses songeries habitées de jeunes filles légères dans les brises adoucies.
Mais pourquoi Jammes a-t-il tenu à ajouter à la réédition de 1913 ce sonnet qui dénote un orientalisme dont il est peu coutumier ? Un tableau ? Un rêve ? une lecture ?
* Traduction française édulcorée du Quartier "Basa Burru", selon mon logeur Basque, "Gueules de Sauvages".
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samedi, 30 mars 2013
twitter et le sonnet
À propos de la Toile, interrogé sur les pratiques littéraires possibles, Michel Butor* répond :
« Naturellement ! Il n'y a que les poètes pour nous guider à l'intérieur de ces nouveaux territoires. Prenez Twitter. Cent-quarante caractères, c'est une contrainte prosodique respectable, comme on a inventé celle du Sonnet au XVIe siècle. Évidemment très peu de gens sont capables d'entirer des choses intéressantes, de même que très peu ont été capables de créer des sonnets intéressants, sur les millions qui ont été écrits dans l'histoire de la littérature. »
Pessimiste, Butor. Et puis n'y auraient été créés que ceux de Du Bellay, Ronsard, Louise Labé, Marc Papillon de Lasphrise, Jean de Sponde, Abraham de Vermeil, Antoine Magne de Fiefmelin et d'autres et d'autres encore, et le sonnet d'Arvers, et le cher Gérard de Nerval, et Verlaine, et Rimbaud, sa Bohême, son Val et ses Voyelles, ces "très peu" sont encore fort nombreux : soixante-huit dénombrés dans Soleil du soleil, cette anthologie du sonnet français** de Marot à Malherbe, entre 1536 et 1630. Ajoutons toute l'effervescence du XVIIème et la renaissance du XIXème, après l'assoupissement du XVIIIème et les prolongements contemporains, de Francis Jammes à Roubaud en passant par Apollinaire, Valéry, Aragon ou Pérec.
Twitter avec ses cent-quarante signes, n'autorisant l'écriture que d'un tercet de notre bien-aimé sonnet, serait plus dans la contrainte prosodique du haïku —bien que souvent très bref,
Fraîcheur
Au mur la plante de mes pieds nus
Sieste
Basho
ou du tanka, cet autre poème japonais***,
Pour toi je suis sorti
Dans la lande printanière
Cueillir de jeunes fleurs
J'ai trempé mes manches
La neige tombait sans cesse
Kôkô Tennô
Touittons donc et poètisons plus encore. Dès demain, relisons nos milliers de sonnets, le haïkou et le tenka touittés ou non !
*in L'invité, Télérama n°3296, du 16 au 21 mars 2013.
** en Poésie/Gallimard, édition de Jacques Roubaud.
*** Les tanka — ou brèves chansons — ont le rythme suivant : 5-7-5-7-7. Lire de Maurice Coyaud, TANKA HAIKU RENGA, Le triangle magique, architecture du verbe, aux Belles Lettres, 1996.
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samedi, 22 décembre 2012
quand va remonter la lumière
©Nicléane
Le solstice d'hiver approchait.
Nous sortions de l'estuaire de la Vilaine, la mer était déserte, la houle atténuée, le vent quasi nul, nous arrondissions le plateau des Mâts, cap au 270 sur la pointe de Grand'Mont. Surgi de la brume laiteuse et froide, le Roi Gradlon, le navire-baliseur de la baie, venait pour entretien relever la bouée cardinale Sud qui pare le plateau.
Il est passé en vitesse lente sur notre arrière. Nous avons salué ces hommes de dur labeur qui veillent en tout temps sur les rives et les chenaux de mer. Ils ont répondu à notre salut.
Ils ouvrent l'horizon de nos courses et nous sommes assurés de retours sereins.
Celui qui peint l'amer au front des plus hauts caps, celui qui marque d'une croix blanche la face des récifs ; celui qui lave d'un lait pauvre les grandes casemates d'ombre au pied des sémaphores, et c'est un lieu de cinéraires et de gravats pour la délectation du sage; celui qui prend logement, pour la saison des pluies, avec les gens de pilotage et de bornage — chez le gardien d'un temple mort à bout de péninsule (et c'est sur un éperon de pierre gris-bleu, ou sur la haute table de grès rouge); celui qu'enchaîne, sur les cartes, la course close des cyclones; pour qui s'éclairent, aux nuits d'hiver, les grandes pistes sidérales; ou qui démêle en songe bien d'autres lois de transhumance et de dérivation; celui qui quête, à bout de sonde, l'argile rouge des grands fonds pour modeler la face de son rêve; celui qui s'offre, dans les ports, à compenser les boussoles pour la marine de plaisance...
Saint-John Perse
Exil, VI.
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samedi, 15 décembre 2012
en quête d'une citation
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mercredi, 12 décembre 2012
l'intime, le lyrique et l'élégiaque
Il est dit que le lyrique, c'est un cri devenu chant.
Peut-on dire que l'élégie, c'est une plainte devenue chant ?
L'un et l'autre émergeant de l'intime.
Écoutant un andante de Mozart, lisant un poème de Cadou, je retourne aux profondeurs de l'intime.
... le lyrisme se conçoit parfaitement la tête froide. Je veux dire qu'il ne s'échauffe point au récit ou à la vision des reliefs de la fête, mais porte en lui une fête — ou bien une défaite bien autrement exaltante et surtout bien autrement contagieuse.
On pourrait épiloguer longtemps sur le lyrisme contemporain qui peut paraître au prime abord un contre-lyrisme. C'est qu'il fait fi justement des grandes périodes, de toute rhétorique comme de tout développement. On peut le confondre avec le style en ce sens qu'il est une respiration adéquate de l'âme et pour cela propre à chaque individu. Bien plus qu'un contre-lyrisme je vois dans notre époqueles signes d'un lyrisme à rebours, éminemment cruel certes, mais tellement plus vrai, tellement plus circonscrit à l'objet même de la poésie.
René Guy Cadou,
12 décembre 1948.
Notes inédites.
Œuvres poétiques complètes, p. 433.
Et l'élégie ?
...La parole m'a été accordée par sucroît, afin de retransmettre quelques-unes de ces étonnantes vibrations, quelques-unes de ces mystérieuses palabres qu'il nous est donné d'intercepter, parfois, dans les couloirs de la détresse...
...Je ne cèle point que ces poèmes m’arrivent de bien plus loin que moi-même et que, vous autres, je vous entretiens d’un monde fugace, inaccessible comme un feu d’herbes et tout environné de maléfice...
du même
Préface à Hélène ou le règne végétal.
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jeudi, 06 décembre 2012
interligne à poème
Seuil de son corps murmurant
ce livre
à la lampe je le dédie
à la lampe c'est-à-dire à la nuit
même dôme et même clarté
même indifférence et même
intimité vindicative
lampe et nuit insondables et proches
de la question que le calme infini
de dehors chuchote en l'étouffant
comme on se détourne d'un crime
ce livre je le casse en vous regardant
choses nues
malgré l'amarre souterraine
malgré le pas mortel
inaccoutumé
L'embrasure.
Jacques Dupin
Voilà qui satisfait l'œil du lecteur.
Merci à C.C.
23:47 | Lien permanent | Commentaires (0)
une nouvelle note ? pas sûr
tant que ce foutu problème d'interligne qui n'autorise que cette publication de poèmes avec un interlignage de paragraphe, je ne l'aurai point résolu, je ne publie pas.... topographiquement, ça m'est hideux.
Saluer, même avec plus d'un mois de retard, la disparition de Jacques Dupin en publiant de cette façon un de ses textes, ainsi :
Seuil de son corps murmurant
ce livre
à la lampe je le dédie
à la lampe c'est-à-dire à la nuit
même dôme et même clarté
même indifférence et même
intimité vindicative
lampe et nuit insondables et proches
de la question que le calme infini
de dehors chuchote en l'étouffant
comme on se détourne d'un crime
ce livre je le casse en vous regardant
choses nues
malgré l'amarre souterraine
malgré le pas mortel
inaccoutumé
L'embrasure.
C'est laid, non ?, pour la beauté du poème.
Et ma chère plate-forme Hautetfort n'a pas daigné répondre encore à mon courriel d'assistance technique.
10:10 | Lien permanent | Commentaires (4)
lire Aragon
Ça commence par une chanson : "Il n'y a pas d'amour heureux". C'est donc avec Brassens que tout commence entre Aragon et le lecteur. En 54 ou 55. Le poème d'Aragon est chanté sur le même air que la Prière de Jammes. Ou l'inverse si j'en crois l'ordre de parution de mes "45 tours" : Aragon est sur le n° 1, Jammes sur le n°3. Il y a trois ans quasi jour pour jour je me posais la même question. Qu'importe !
J'ai dû fredonner la Prière d'abord, j'étais bon chrétien et les communistes étaient très mal vus dans la famille. Alors Aragon ? Mais l'hiver 1960, il y eut une nuit, un départ en "opé", dans le brinquebalement du GMC sur la petite route de Miliana à Levacher qui contourne le Zaccar par le sud-ouest, comme une irrépressible nostagie et la mélodie de Brassens m'est venue aux lèvres, fredonnée jusqu'au petit matin et les mots — tous les mots d'Aragon, un à un, murmurés, mâchés, remâchés — comme brûlure. C'était sur la même mélodie. Ce n'était plus Jammes, c'était Aragon.
Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
À quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désœuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
09:59 | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 20 octobre 2012
orphique, biblique
Une nuit de la semaine qui s'achève. Un mitan de cette nuit, une voix qui avoue "son livre de chevet", la Bible, mais reconnait modestement qu'il ne peut écrire ni "orphique"ni "biblique"; et la voix, devinée admirative, de nommer Pierre Emmanuel, Jean-Claude Renard, Jean Grosjean. C'est la voix de Robert Sabatier dont je n'ai jamais lu une seule page et dont sans doute je ne lirai pas, non plus, une seule phrase. Mais les trois cités, je les ai fréquentés dans un temps où je ne m'interrogeais guère sur les dieux — ils avaient été ! — et sur dieu — il était encore !
Au matin je les ai, tous trois réouverts.
Emmanuel et son Tombeau d'Orphée, Renard et sa litanique incantation de Père voici que l'homme, lus dans l'intensité de la douleur, de l'absence irréversible pour l'un, dans la foi fissurée et le doute s'insinuant, pour le second. Toujours en quelque étagère à portée de la main, mais trop peu fréquemment ouverts.
Jean Grosjean, lui, avec son Apocalypse, ses Élégies, son Hiver, ses Parvis, ne m'a plus quitté.
L'eau qui affleure entre les saules invente un abîme d'étoiles. L'espace à y rêver je le déploie et il m'obsède.
Peut-être me parle-t-il à travers ce grand charroi de terre, d'arbres, de fleurs et de fruits, de ces dieux ou de ce dieu qui s'inventeront dans ce chaos où s'enchevêtrent ses mots et ses silences, la chevelure de la femme et l'abondance des pluies.
Orages qui passâtes au loin la nuit sur vos chars de ferraille, vous dispensez après vous des jours d'infinie bruine, et les toits luisants de larmes s'accoudent contre le ciel aveugle.
Un coquelicot crie dans l'orge bleue. Les bourdons, ci et là, plus lourds d'humidité que de pollen. De jeunes pommes ont le ventre qui gonfle. Comme tu te voiles le visage!
Et tout le jour procédèrent de grandes averses, défaisant les gloires d'églantiers, couchant sur le talus la sauge, échevelant les saules du ru. A peine entre le bruissement des robes si le soleil montra son égide.
Dans le soir calmé l'ombre des arbres s'égoutte sur les prêles, un rossignol mouillé bégaie, la plus haute feuille du tremble chuchote. Salut pâles jambes des avoines comme à l'heure où le faucheur affûte.
Marbrures des nuées dans le ciel. La roue montre un instant sur les forêts sa jante rouge. Les majestés égalitaires n'ont plus part qu'à l'étoile trifide.
Ma vue baisse n'était encore quelque ardente onde sous les aulnes. Au loin dialoguent avec la brise voix céleste et cor anglais. Déjà la lune hausse sur le toit sa face balafrée de vapeurs.
La pleine lune sur les arbres, son lait sur la noire giroflée dans une conspiration d'arômes. Telle est la paix exaspérée des rôles, un bonheur hanté par la voyelle de la hulotte.
Ta hanche je la sens nue, prête à tourner, m'appuyant la drupe de ton sein. Derrière tes yeux effrayants l'âme en extase, l'âme qu'on ne détourne plus. Les dieux qui ne sont pas toi passaient.
La Vehme à l'œuvre, Apocalypse
De Jean Grosjean, je maintiens au creux du corps vieillissant comme une incision douce et cruelle :
J'aurais aimé avoir longtemps vingt ans comme un busard qui plane.
17:07 | Lien permanent | Commentaires (1)
mercredi, 29 août 2012
collision sur l'écran du lecteur
en écho à certain ministre assurant, ces jours, dans la presse locale, que certaine industrie "est une filière d'avenir" :
Face à l'énergie nucléaire, la lampe d'argile du poète suffira-t-elle à son propos ?
— Oui, si d'argile se souvient l'homme.
Saint-John Perse
Allocution au Banquet Nobel du 10 décembre 1960
03:55 | Lien permanent | Commentaires (0)