mardi, 18 mai 2010
« Le Verfügbar aux enfers »
Survivre, notre ultime sabotage.
Germaine Tillion
J'étais sceptique sur la représentation de ces écrits de résistance de Germaine Tillion. Elle aussi sans doute puisqu'elle a retardé, jusqu'à la dernière année de sa vie, la décision de faire chanter.cette "opérette". Première réalisation pour la scène, en juin 2007 ,au Châtelet, que nous devons grâce à la mise à jour des airs par Nelly Forget, une "ancienne" des Centres sociaux éducatifs en Algérie — elle en fut l'une des premières, j'en fus un des derniers — qui accompagna les annnées ultimes de l'ethnologue des Aurès !
L'interprétation, à Nantes, par mes collègues de l'atelier d'interprétation vocale de l'Université permanente — vingt-huit femmes évoluant en chœur antique alentour d'un vaste bat-flanc à trois étages, tour à tour wagon de déportation et bat-flanc d'un bloc du camp — fut d'une forte beauté, renforçant l'humour ravageur, la crudité des corps et l'imbécile cruauté du système nazi.
Merci à vous, Femmes.
Dans le hall de la salle Vasse, était affiché un texte de René Guy Cadou. L'avais-je oublié ?
A Ravensbruck en Allemagne
On torture on brûle les femmes
On leur a coupé les cheveux
Qui donnaient la lumière au monde
On les a couvertes de honte
Mais leur amour vaut ce qu'il veut
La nuit le gel tombent sur elles
La main qui porte son couteau
Elles voient des amis fidèles
Cachés dans les plis d'un drapeau
Elles voient Le bourreau qui veille
A peur soudain de ces regards
Eles sont loin dans le soleil
Et ont espoir en notre espoir.
Ravensbruck
Pleine poitrine
1944-1945
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jeudi, 15 avril 2010
nul lieu
Il y a un lieu dans le monde, à la limite du monde, où un mot n'est pas. Il n'est pas visible, il n'est pas prononcé, il n'est pas inscrit mais il fait écho. Quelque chose qui appelle dans les vents, quelque chose qui appelle dans les oiseaux. Quelque chose appelle dans tous les cris qui est beaucoup plus ancien que les mots, les verbes, les lexiques, les grammaires.
Pascal Quignard,
Lycophron et Zétès
lors d'une lecture de Zétès entre silence et obscur.
Pasacal Quignard ! J'ai dû le croiser à Ancenis au début de l'été 1968, entre la rue Barême, où je crois, habitaient ses deux tantes et l'Église dont il fut quelques mois l'organiste.
Nous revenions d'Algérie.
Et le nom de Quignard n'était alors — sans doute — que le nom de ces deux respectables vieilles dames de la petite bourgeoisie ancenienne.
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samedi, 10 avril 2010
le Menaa d'Anna Gréki
NeF m'a demandé de proposer des parcours qui pourraient être faits dans les pas de Germaine Tillion.
Dès le temps de paix, il est vrai qu'avec mon bon vieil Er Klasker, nous avons arpenté les vallées de l'Oued Abiod et de l'Oued Abdi et leurs flancs encore désertés.
Cette fin de semaine, ainsi, les Aurès me sont remontés en plein visage.
Et ce village de Menaa, si belle colline de neige, parfois, de soleil plus souvent, et cette silhouette d'une femme que j'ai sans doute côtoyée, l'ignorant encore, dans ce immense camp de merde et de boue qu'était le camp de Beni-Messous, dissimulant ce qu'on nommait hypocritement CTT, "camp de transit et de triage", où quittant l'odieuse prison de Barberousse, Anna Gréki "séjourna" avant d'être expulsée.
Je ne savais rien encore de cette Algérie qui me ferait naître une seconde fois. Plus tard, je lus ceci :
Même en hiver le jour n'était qu'un verger doux
Quand le col du Guerza s'engorgeait sous la neige
Les grenades n'étaient alors que des fruits - seule
Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises
On se cachait dans le maquis crépu pour rire
Seulement. Les fusils ne fouillaient que gibier.
.....................................................................
Aucune des maisons n'avait besoin de portes
Puisque les visages s'ouvraient dans les visages.
Et les voisins épars, simplement voisinaient.
La nuit n'existait pas puisque l'on y dormait.
C'était dans les Aurés
A Menaâ
Commune mixte Arris
Comme on dit dans la presse
Mon enfance et les délices
Naquirent là
A Menaâ - commune mixte Arris
Et mes passions après vingt ans
Sont les fruits de leurs prédilections
Du temps où les oiseaux tombés des nids
Tombaient aussi des mains de Nedjaï
Jusqu'au fond de mes yeux chaouias
Frileux comme un iris
Mon ami Nedjaï
Nu sous sa gandoura bleue
Courait dans le soir en camaïeu
Glissant sur les scorpions gris
De l'Oued El Abdi
Anna Gréky
Menaa des Aurès
16:56 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 06 avril 2010
histoires de tablettes
Je me suis précipité... un peu vite sur le dernier Quignard paru en Poésie/Gallimard, Lycophron et Zétès*. Au hasard de ma première "pioche" dans l'obscurité des pages :
Fatigué, toujours malade, vieillissant, le matin, pour pouvoir se redresser et lire, il en était réduit à se tenir par les mains à une corde attachée à une poutre au-dessus de son lit sur laquelle il tirait pour se pencher sur la traduction du jour.
C'est ansi que Pascal Quignard évoque Jérôme, au désert, traduisant les Écritures depuis quarante-cinq ans. L'ermite très âgé, devenu plus tard, beaucoup plus tard, Père de l'Église, à l'instar d'Ambroise et Augustin, entretient une abondante correspondance avec les veuves et les vierges, donnant aux unes des règles pour passer chrétiennement le temps de leur viduité, aux autres des conseils de mortification pour ne point tomber dans les bonheurs de la chair (lire la Lettre à Eustochia).
Je ne suis pas loin de m'identifier, écrivant ce blogue, au grand ermite. Foi, génie et mortification en moins !
Mais il est vrai que l'arrivée de l'iPad m'évitera sans doute d'attacher une corde à la poutre qui domine ma couche. Du moins, si je m'en réfère aux lignes enthousiastes de FB, qui déroule minute après minute le dévoilement de la tablette extraordinaire à la pomme croquée.
Bienheureux retour aux tablettes du scribe mais qui devient bibliothécaire, cinéphile, vidéaste, mélomane.
* Une traduction de l'Alexandra de Lycophron en 1853, par F.D. Déhèque ne déchire point l'obscurité du texte, mais fournit un mince fil d'Ariane au lecteur quelque peu désemparé par les nocturnes beautés de la traduction de Quignard. Celle-ci date de 1971.
Ça me ramène en 1975 à ma première lecture d'un texte de Quignard sur Michel Deguy, chez Seghers. Les yeux, alors, m'en tombent.
Heureusement, Les tablettes de buis d'Apronenia Avitia seront publiées en 1984.
Femme qui aime le son du buis. Femme d'une tablette. Femme qui joue sur la cire. Femme qui aiguise le tranchant du stylet. Femme qui cache une vulve trop large et flasque. Femme qui se sert d'un morceau de toile usagée. Femme qui essuie des petites flaques de temps répandu.
Jérôme est au désert, tirant au petit matin sur sa corde pour mieux lire les versets traduits de la veille. Et je me demande si Quignard ne se souvient pas des Notes de l'oreiller que Sei-Shonagon écrira dans un lointain archipel cinq cents ans après la Vulgate de l'ermite du désert.
Acceptons donc que la traduction de Lycophron ne soit qu'une erreur mallarméenne de jeunesse.
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mercredi, 31 mars 2010
tiens ! à ajouter aux listes
J'emprunte au Poézibao de ce jour.
J'ai ouvert une nouvelle catégories : "Les listes". Ce sacré Éco m'a vraiment "flanqué le tournis". Je m'enivre de listes.
Et le décalé des listes borgésiennes, fait d'oppositions, de ruptures, d'accolements est d'un parfum inouï.
Tu dormais. Je te réveille.
Le grand matin nous offre l’illusion d’un commencement.
Tu avais oublié Virgile. Voici les hexamètres.
Je t’apporte beaucoup de choses.
Les quatre racines du grec : la terre, l’eau, l’air et le feu.
Un seul nom de femme.
L’amitié de la lune.
Les couleurs claires de l’atlas.
L’oubli, qui purifie.
La mémoire, qui distingue et qui redécouvre.
L’habitude, qui nous aider à sentir que nous sommes immortels.
La sphère et les aiguilles qui morcellent le temps insaisissable.
Le parfum du santal.
Les doutes, que, non sans vanité, nous appelons métaphysique.
La courbe de ce bâton que ta main attend.
Le goût des raisins et du miel
Jorge Luis Borges,
Envers
Les Conjurés, précédé de Le Chiffre,
traduit de l’espagnol par Claude Esteban,
Gallimard, 1988, p. 51 et 52.
18:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 30 mars 2010
à "l'écoute intérieure" de Michel Chaillou
Dans un amphi du CHU de Nantes, j'entends Michel Chaillou parler de son écoute intérieure.
Je suis dans une attention sommeillante aux bords de la rêvasserie.
Glane de mots en pépites.
Est-ce que je fais mon choix pour tenter de définir ce qu'est pour moi la littérature.
L'essentiel est toujours hors sujet — l'or du sujet. La phrase évasive !...On est toujours fort de ses incertitudes...
...L'érotisme ou la pornographie polie...
...L'environnement des mots, voilà qui dit : l'entre'mots devient lisible...la phrase évasive... J'entends parler au loin... la littérature ? là où la nuit est plus forte que le jour...
...Attentif aux points fervents de la réalité. Perdre le sens pour entendre la rumeur...Le style, c'est le dépôt du temps dans ma langue...
Écrire à rebours.
Me serais-je endormi ?
17:58 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 09 mars 2010
féministe et gérontophile
C'est Charles Fourier, célébré par André Breton
...Fourier
Toi debout parmi les grands visionnaires
Qui crus avoir raison de la routine et du malheur
Ode à Charles Fourier (1947)
En thèse générale : Les progrès sociaux s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté, et les décadences d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes. L'extension des privilèges des femmes est le principe général de tous progrès sociaux (I, 132-133).
Ils s'alarment si l'on élève les femmes à la culture des sciences ou des arts ; ils ne voudraient chez les jeunes personnes d'autre goût que celui d'écumer le pot-au-feu ; telles sont leurs propres paroles, qu'ils font entendre jusque sur les théâtres. Ils ne sont occupés qu'à contrarier l'amour du plaisir ; ils n'entrevoient que des cornes dans l'avenir ; ils sont hargneux et tracassiers sur les goûts des femmes, ombrageux comme les eunuques autour des odalisques (I, 133-137).
On a lieu de s'étonner que nos philosophes aient hérité de la haine que les anciens savants portaient aux femmes et qu'ils aient continué à ravaler le sexe, au sujet de quelques astuces auxquelles la femme est forcée par l'oppression qui pèse sur elle ; car on lui fait un crime de toute parole ou pensée conforme au vœu de la nature.
Tout imbus de cet esprit tyrannique, les philosophes nous vantent quelques mégères de l'Antiquité qui répondaient avec rudesse aux paroles de courtoisie. Ils vantent les mœurs des Germains, qui envoyaient leurs épouses au supplice pour une infidélité ; enfin, ils avilissent le sexe jusque dans l'encens qu'ils lui donnent. (X, vol. 2, 173)
(Tiré des Œuvres complètes, réédition Anthropos, 1967 -
choix par Daniel Guérin, in Vers la liberté en amour, Idées Gallimard, 1975)
Les premiers textes datent de 1808.
Hélène Cixous, invitée sur france Cul pour la Journée du droit des Femmes et pour la réédition de son Rire de la Méduse, évoquait, hier matin, l'existence du nouveau Continent Noir qu'est la vieillesse — par d'autres appelé Continent Gris — espace délaissé qui demeure à explorer ; à la suite de Fourier, nous faudrait-il revendiquer « le service amoureux dû aux vieillards » ?
14:50 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : féminisme, vieillesse, utopie, breton, fourier
dimanche, 07 mars 2010
à l'origine des portes du songe
Je méconnaissais la culture héllène de Gérard de Nerval. Le citant pour la soirée j'avais oublié — mais d'ailleurs le savais-je ? — que dans des temps très lointains, le précédant dans les territoires du Rêve, lui-même, Sigmund Freud, André Breton et les Surréalistes, un certain aède aveugle avait mis dans la bouche de Pénélope, la Tisserande
δοιαὶ γάρ τε πύλαι ἀμενηνῶν εἰσὶν ὀνείρων·
αἱ μὲν γὰρ κεράεσσι τετεύχαται, αἱ δ᾽ ἐλέφαντι·
Car doubles sont les portes ouvrant au vacillement des songes :
Les unes faites de corne, les autres le sont d'ivoire.
Homère
L'Odyssée, chant XIX, 562-563.
J'ai reçu un premier courriel de l'ami "Cœur de Ptah" qui, en grand et fin Maçon, me signalait les sources et latines et grecques, et au-delà les croyances égyptiennes et mésopotamiennes de l'ouverture nervalienne.
Ce qui me fut confirmé par mes compagnons de l'atelier de Grec ancien quand nous avons abordé, ayant pour tâche à venir traduction de Flavius Joseph, l'incendie du temple de Jérusalem, lequel temple ouvrant sur la Foi et non sur les rêves, se pénétrait plus prosaïquement par des portes en bois d'olivier.
Vraiment, nous ne faisons que nous “entregloser".
Post-scriptum 1 :
Vendredi, lors de la soirée "Vous êtes surréalistes sans le savoir ?!" une bonne cinquantaine de femmes et d'hommes n'ont pas été plus surpris(e)s que cela de se découvrir surréalistes ; les agapes qui concluaient furent fort réalistes et l'anjou rouge, bien gouleyant.
Post-scriptum 2 :
À propos de la note précédente du mercredi 3 mars,
le très bon bouquin, à la maquette originale, de Georges Sebbag "L'imprononçable jour de sa mort - Jacques Vaché - Janvier 1919" (chez Jean Michel Place, 1989)
Mais où donc et quand et comment Jacques Vaché a-t-il donc porté sur lui la main ?
Sur les plus de 990 000 que vous propose Google, Exalead en dénombrant 260 000 et quelques poussière d'...opium. Surréaliste, non ?
Les portes du Rêve ouvrent sur des gouffres ou dans des poubelles.
15:01 | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 03 mars 2010
addendum pour Jacques Vaché
18:36 | Lien permanent | Commentaires (0)
dada en addendum
Dans les prédecesseurs, à quelques mois près : DADA !
Un jour ou l'autre on saura qu'avant Dada,, après Dada, sans Dada, envers Dada, contre Dada, malgré Dada, c'est toujours Dada.
Tristan Tzara
18:26 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 02 mars 2010
surréalistes, les grands prédécesseurs
ou ce qui sera en introduction à la soirée de vendredi
Seriez-vous surréalistes sans le savoir ?
Charles Fourier
Étudions les moyens de développer et non pas de réprimer les passions. 3000 ans ont été sottement perdus à des essais de théories répressives ; il est temps de faire volte-face en politique sociale... La raison humaine au lieu de critiquer ces puissances invincibles qu'on nomme passions aurait fait plus sagement d'en étudier les lois dans la synthèse de l'attraction.
Gérard de Nerval
Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible.
Charles Baudelaire
J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignanient de mille feux
Et que leurs grands piliers droits et majestueuex
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques
Isidore Ducasse
C'était une journée de printemps. Les oiseaux répandaient leurs cantiques en gazouillements et les humains rendus à leurs différents devoirs se baignaient dans la sainteté de la fatigue. Tout travaillait à sa destinée : les arbres, les planètes, les squales. Tout excepté le Créateur.
Arthur Rimbaud
J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.
Alfred Jarry
Eh bien, capitaine, avez-vous bien dîné ?
— Fort bien, monsieur, sauf la merdre.
— Eh ! La merdre n'était pas mauvaise.
Apollinaire
Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée
Ils sont les Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu
Soleil cou coupé
Saint-Pol Roux
O Choses : corolles closes sur les essences,
O Choses : branches drapées sur les festins,
O Choses : agrafes de cils sur les lumières,
O Choses : murailles dressées devant les vestales d'harmonie,
O Choses : toiles baissées devant les gestes nus,
O Choses : pierres tumulaires des fantômes d'éternité,
O Choses : éphémères palais des héros immanents,
O Choses : étables hospitalières aux caravanes de mystère,
.... pardonnez au poète qui parmi vous passa ravi, ô Choses, et recevez l'encens, la myrrhe et l'or de sa reconnaissance !
Jacques Vaché....
21:48 | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 21 février 2010
anciens, modernes...et post modernes
Un pied-de-nez, oulipien de surcroît et qui arrange bien mon point de vue, à tous les pré-..., post-..., sur-..., post-sur... — que d'embarras chronologiques !
... La vérité est que la querelle des Anciens et des Modernes est permanente. Elle a commencé avec le Zinjanthrope (un million sept cent cinquante mille ans ) et ne se terminra qu'avec l'humanité à moins que les Mutants qui lui succéderont n'en assurent la relève.
Querelle, au demeurant, bien mal baptisée. Ceux que l'on appelle les Anciens sont, bien souvent, les descendants sclérosés de ceux qui, en leur temps, furent des Modernes ; et ces derniers, s'ils revenaient parmi nous se rangeraient, dans bien des cas, aux côtés des novateurs et renieraient leurs trop féaux imitateurs.
La littérature potentielle ne représente qu'une nouvelle poussée de sève dans ce débat.
François le Lionnais,
Oulipo, la littérature potentielle, pp. 19-20.
Lesquel Le Lionnais ajoute dans une note de bas de page :
Comment la sève peut-elle pousser dans un débat ? Nous nous désintéresserons de cette question qui relève non de la poésie mais de la physiologie végétale.
11:02 | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 30 janvier 2010
entre nocturne et sône **
J'aurais voulu célébrer la tombée d'une chevelure qui voile un visage de femme au dernier accord du septième Nocturne, le halètement d'une madone des steppes quand ses longues mèches enroulent leur noirceur dans les chevilles et la volute de son violoncelle.
Et son profil aigu se retourne à demi vers le visage de la pianiste pour clore le largo de la sonate en sol mineur de Chopin*.
La Beauté s'écoutait ainsi, hier matin, dans la seizième des Folles Journées.
Mais cet après-midi, la gueule ravagée d'un ange a éclaboussé les écrans : Xavier Grall, ses cinq filles et sa femme, l'homme des contre-chants, aux bronches lourdes de crachins, le nostalgique des oliviers, des argiles berbères, le célébrant des errances marines et des laminaires échouées.
L'une des cinq, Catherine, me fut compagne de labeur au service des lectures ouvrières. Elle m'offrit de son père, à mon départ, Cantique à Mélilla.
Ce soir, j'ouvre le Rituel breton à l'audacieuse dédicace :
"Pour Ulysse, s'il revient en Armorique"
...j'ai pleuré sur la splendeur
des mers sarrazines désertées.
Et j'ai rêvé de toi, gardienne
de l'extrême Ouest.
Ah quand allierai-je à tes noroîts
le miel des aurores africaines ?
Ah quand allierai-je la vigueur de tes chênes
à la sensualité des figuiers ?
Et ceci sera mon testament
à mes parents je lègue
ce rituel résidence de ma poésie
et ceci sera mon testament
à mes parents je lègue ma souvenance
des navires trépassés
qui s'en venaient comme des filles
d'Islande ou de Mauritanie
Et ceci sera mon testament
à mes Berbères je lègue
les oiseaux des Glénan
et le sourire de Concarneau
à mes Berbères je lègue
l'allégresse des fontaines
et les printemps du pays Gallo
Et ceci sera mon testament
à mes amis je lègue
l'alliance de l'Ouest et du Sud
le mariage des dolmens
et des mosquées
et les fiançailles des roses
d'avec les oliviers.
* Nocturne en ut dièze mineur par Claire Désert, sonate pour violoncelle et piano en sol mineur par Jingh Zhao et Claire Désert.
** Quant à la "sône" : une balade ? Une complainte ?
19:19 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 26 janvier 2010
l'amour en liste
Je viens de quasiment achevé Vertige de la liste, le bouquin de Umberto Eco que m'a offert, pour l'an 2010, FV.
Je suis assez fier d'avoir publié, tirée de Augustin d'Hippone et non citée, la liste des hérésiarques qu'il combattait. Certes, nous en avions quelques-unes en partage: L'union libre de Breton, le Cortège de Prévert et la plus vertigineuse, celle des animaux de Borges.
Pensant au cinquantenaire de Camus et écrivant qu'en octobre, il ne faudra point oublier Giono, ma fringale de commémorer m'a porté jusqu'en 2011, me souvenant que le 21 janvier 1961, mourait un homme qui a bouleversé et mon sentiment amoureux et ma conception de la littérature ; j'étais dans ma sale petite guerre et dans un jeûn affectif radical ; entre deux opérations, un "chouf" et un "ratissage", j'avais tapé — j'y mis sur mon Olympia quelques heures avec deux doigts, scanner et OCR étant encore inconnus — quatre pages serrées de Moravagine. Et le texte commence par une sacrée énumération des avatars amoureux.
Liste poétique ? chaotique ? Selon la classifcation de Éco, j'opterais pour une liste pratique à l'usage des grands souffrants souhaitant se diagnostiquer leur mal d'amour:
L'amour est masochiste. Ces cris, ces plaintes, ces douces alarmes, cet état d'angoisse des amants, cet état d'attente, cette souffrance latente, sous-entendue, à peine exprimée, ces mille inquiétudes au sujet de l'absence de l'être aimé, cette fuite du temps, ces susceptibilités, ces sautes d'humeur, ces rêvasseries, ces enfantillages, cette torture morale où la vanité et l'amour-propre sont en jeu, l'honneur, l'éducation, la pudeur, ces hauts et ces bas du tonus nerveux, ces écarts de l'imagination, ce fétichisme, cette précision cruelle des sens qui fouaillent et qui fouillent, cette chute, cette prostration, cette abdication, cet avilissement, cette perte et cette reprise perpétuelle de la personnalité, ces bégaiements, ces mots, ces phrases, cet emploi du diminutif, cette familiarité, ces hésitations dans les attouchements, ce tremblement épileptique, ces rechutes successives et multipliées, cette passion de plus en plus troublée, orageuse et dont les ravages vont progressant, jusqu'à la complète inhibition, la complète annihilation de l'âme, jusqu'à l'atonie des sens, jusqu'à l'épuisement de la moelle, au vide du cerveau, jusqu'à la sécheresse du cœur, ce besoin d'anéantissement, de destruction, de mutilation, ce besoin d'effusion, d'adoration, de mysticisme, cet inassouvissement qui a recours à l'hyperirritabilité des muqueuses, aux errances du goût, aux désordres vaso-moteurs ou périphériques et qui fait appel à la jalousie et à la vengeance, aux crimes, aux mensonges, aux trahisons, cette idolâtrie, cette mélancolie incurable, cette apathie, cette profonde misère morale, ce doute définitif et navrant, ce désespoir, tous ces stigmates ne sont-ils point les symptômes mêmes de l'amour d'après lesquels on peut diagnostiquer, puis tracer d'une main sûre le tableau clinique du masochisme ?
Blaise Cendrars
Moravagine, p.61
Le Livre de Poche, n° 275, Paris, 1960
C'est le premier paragraphe ; quatre autres suivent, du même tonneau.
Je pense être, à l'époque, sorti de cette lecture récuré, rincé, allègé, bien décidé à tomber plus que jamais amoureux.
Ce qui peut paraître un oxymore !
23:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 25 janvier 2010
Haïti, presque comme un silence
Quinze jours de fracas, les paroles, les images, les appels, l'argent, la plainte, les enfants, les adoptants...
Est-ce bien dans tout ce fatras que se situe le sentiment humain d'être proche de la femme désincarcérée des tôles de sa cabane, du jeune qui, onze jours, a survécu à coup de cocacola, celles et ceux qui ont cesser de respirer ces dernières heures, sous des tonnes de fatras ? — À sept ans, remontant la rue du Calvaire qui n'est plus qu'un amas de décombres après le bombardement du 23 septembre 1943, j'entends les hurlements assourdis. Huit jours plus tard, les décombres toujours et le silence — .
L'adoption, les adoptants ? M'inquiètent cette propension à adopter, cette aisance dans l'abandon ?
Gens d'Haïti, que faites-vous ?
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
dans les entrailles de ma race dans
le gisement musculaire
de
l'homme noir.
Voilà de nombreux siècles
que dure l'extraction
des merveilles
de cette race,
Oh couches métalliques de mon peuple
mînerai inépuisable de rosée humaine
combien de pirates ont exploré de leurs armes
les profondeurs obscures de ta chair
combien de flibustiers se sont frayés leur chemin
à travers la riche végétation de
clartés de ton corps
jonchant tes années de tiges mortes
et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
comme une terre
en labours
peuple défriché pour l'enrichîssement des grandes foires du monde
Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
nul n'osera plus couler des canons
et des pièces d'or dans le noir métal de ta colère en crues !
René Depestre
Minerai noir
Anthologie de la Belle Jeunesse
Oui, Haïti, presque comme un silence ! Ou un long cri ?
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