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mardi, 15 novembre 2005

... et le remords ?

Faire entendre Aimé Césaire dans une page du CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL

Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères,
je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

L’homme - famine, l’homme -insulte, l’homme -torture on pouvait tuer à n’importe quel moment le saisir le rouer de coups, le tuer — parfaitement le tuer — sans avoir de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-progrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu’on tue le Remords, beau comme la face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait dans sa soupière un crâne de Hottentot ?


pp.39,40.
Présence africaine, réédition 1956
.


Sur la quatrième de couverture, cette année-là, l’éditeur précise :
« Rappelons le scandaleux silence (à deux voix près : Sartre et Breton) fait autour de l’œuvre de Césaire... Ce silence finit par être gênant pour ceux d’entre nous qui ont tant accordé de crédit et d’amour à la conscience européenne. »

lundi, 17 octobre 2005

Serge ESSÉNINE

Ce qui m’a mis sur le chemin, c’est bien cette “Ode à Serge Essénine”, écrite par René Guy Cadou en 1949

....................................................
Un soir de lampes à pétrole
Et de tableaux mal effacés
Là-bas dans la petite école
À la limite du passé !
..................................................
.

Quelque temps auparavant peut-être y avait-il eu , cette Anthologie du même Cadou qui fut ma table d’orientation dans la poésie d’alors - je n’ose plus dire “aujourd’hui - c’était en 1955 !

Mais aussi mon Serge Essénine
Ce voyou qui s’assassina


C’est le n°65 de Poètes d’aujourd’hui. L’étude est signée Sophie Lafitte. L’achevé d’imprimé mentionne la date de février 1959. J’ai acheté le livre en septembre 1960, lors d’une permission au goût d’amour amer, entre deux opérations de commando de chasse, dans le djebel algérien.
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Depuis, pourquoi l’ai-je si peu lu ? Pourquoi ai-je tant tardé à rédiger cette présentation ? Ce livre est dans le sac marin et sur la table depuis juillet. L’Ode de Cadou n’a point suffi. Ou, plus justement, fut-elle suffisante pour que je n’ai plus de hâte à découvrir “ce voyou qui s’assassina” ?

En juillet quand j’ai entrepris une lecture d’Essénine parallèle à celle de Saint-John Perse, je pensais que ce contrepoint slave et rudement campagnard allait m’allèger des pompes maritimes et venteuses de l’Ambassadeur.
Hors une brève parenthèse amoureuse avec Dostoievski - Les Frères Karamazov - et , politique, avec Soljnenitsyne - Une journée d’Ivan Denissovitch-, il est vrai que je n’ai guère prolonger ma découverte de littérature russe. Question de connotations culturelles où cinéma et musiques ont eu une tout autre résonance.


L’auteur(e) de l’étude, Sophie Laffitte, semble être la première épouse du sénateur Pierre Laffitte, fondateur de Sophia-Antipolis, qui donna son nom à la place Sophie Laffitte ; née Glikman-Toumarkine (d'une famille noble russe), elle est décédée. Cette ascendance expliquerait la connaissance profonde que semble avoir l’auteur(e) de la culture russe traditionnelle. A-t-elle traduit elle-même “le choix des poèmes” proposé ? Nulle mention.

Son étude s’ouvre sur une chronologie ; le lecteur en aura grand besoin.
Suit une Introduction à “la poésie russe de la période révolutionnaire” : Maiakovski, Pasternak, Éssénine, évoqués en termes lyriques et admiratifs.

Quatre chapitres qui entremêlent données biographiques et citations de poèmes, rencontres littéraires et vie mondaine, événements de la Révolution russe et amours tumultueuses du poète.
Tumulte est le mot qui caractérise la vie poétique, sentimentale, politique de l’homme. Ce qui justifie l’étude assez chaotique de Sophie Laffitte qui mentionne orgies, scandales, rixes, allers et retours de sa campagne à Moscou, errances par les capitales européennes.

Il aima les femmes, il aima les alcools, il aima la révolution, il aima les voyages et il eut autant de haine à l’égard des voyages, de la révolution, des alcools et des femmes.

Cinq mariages dans sa courte vie, sans parler de ses autres rencontres :
en 1914, avec Anna Izriadnova, dont il aura un fils, Iouri ; en 1917, avec Zinaida Raikh, dont il aura une fille, Tatiana, et un fils, Constantin ; en 1922, avec Isadora Duncan ; en 1924, avec Galina Benislavskaya, celle qui publiera ses œuvres complètes ; en 1925, avec Sophie Tolstoï, la petite-fille de Léon Tolstoï.

Il aima sa langue, son pays natal, les bêtes, les arbres.

Je suis le dernier poète des villages,
Nul pont de bois dans les chants ne dit mot.
Seul je viens voir l'encensoir des feuillages
A la messe d'adieu des bouleaux.

Il brûle et croule en flammes d'or,
Le cierge dont mon corps est la cire.
Et la lune sur le cadran des arbres
Va me râler ma douzième heure.

Sur le sentier du champ bleu-ciel
Bientôt surgira l'hôte de fer.
L'avoine rouge où l'aube ruisselle,
Sa main noire va la saisir.

Paumes étrangères, paumes sans vie,
En votre ère mon chant ne peut naître!
Ils restent seuls, les coursiers-épis,
Pour regretter leur ancien maître.

Le vent sucera leur hennissement
En déployant la danse funéraire.
Bientôt, bientôt les bois sur leur cadran
Me râleront ma douzième heure.


Nous saurons tout, et plus encore, des origines populaires de Éssénine, de l’influence qu’auront sur lui des poètes, comme Alexandre Blok, comme les hommes du mouvement populiste Koltzov, Gorodetzki, Kliouev, où se mêlent les influences symbolistes, paysannes, folkloriques, religieuses, dans un brassage mystique et révolutionnaire.

Terrible aboiement des cloches de la Russie —
C’est que pleurent les murs du Kremlin.
À présent sur les pics des étoiles,
Je te soulève, terre!

Je n’aurai pas peur de la mort
Ni des lances, ni de pluies de flèches,
C’est ainsi que d’après la Bible
Parle Serge Essénine le prophète.

Mon temps est venu
Je ne crains pas le sifflement du fouet,
Et le corps, le corps du Christ
Je le recrache de ma bouche

Je ne veux pas devoir le salut
À ses souffrances et à sa croix...

J’ai vu un nouvel avènement
Où la mort ne danse pas au-dessus de la foi...

Je m’étendrai jusqu’à l’invisible cité,
Je déchirerai le drap de la Voie Lactée,
Même à Dieu j’arracherai la barbe
Avec les dents de mon rictus.

J’empoignerai sa blanche crinière
Et lui crierai d’une voix de tempête :
Je ferai de toi un autre, Seigneur,
Pour que mûrisse le champ de mon verbe!

Je maudis le souffle de Kitèje
Et tous les vallons de ses routes.
Et je veux que sur des gouffres
Nous érigions un palais.

Je lècherai toutes les icônes,
Les faces de martyrs et de saints,
Je vous promets la cité d’Inone
Où vit le dieu même des vivants.

Réjouis-toi, Sion
Déverse ta lumière !
A mûri à l’horizon
Un nouveau Nazareth.
Un nouveau Sauveur
Vient vers nous sur sa jument.
Notre foi est dans la force,
Notre vérité est en nous.


L’Inonie, fragments
1918


Il y sera beaucoup question, au hasard des pages, de son enfance paysanne , de la campagne.

J’aime immensément ma Russie.
Bien qu’en elle la rouille de la tristesse se penche en saule
Elles me sont douceur, la gueule sale des cochons
Et dans la paix des nuits la voix sonore des crapauds.
Je suis tendrement malade de souvenirs d’enfance.
La torpeur, la moiteur des soirs d’avril hantent mes songes.

On dirait que notre érable pour se chauffer
S’accroupit devant le brasier de l’aube.
O quantes fois aux branches grimpé j’ai
Pour dénicher ou la pie ou le geai !
Est-il toujours le même, le chef tout en verdure ?
Et son écorce comme jadis est-elle dure ?

Et toi, mon ami,
Mon fidèle chien tacheté ?
La vieillesse t’a fait glapissant, aveugle,
Et tu traînes par la cour, tirant ta queue pendante
Et le flair oublieux des portes et de l’étable.
Oh ! qu’ils me sont chers tous nos jeux de gamins :
À ma mère je volais un quignon de pain
Et nous y mordions tous les deux tour à tour
Sans jamais nous dégoûter l’un de l’autre !

Je n’ai pas changé.
Comme cœur je n’ai pas changé.
En bleuets dans les blés mes yeux fleurissent dans mon visage
Étalant, paille dorée, la natte de mes poèmes...


La Confession d’un voyou, Extraits
1920



Très vite, dès ses premiers textes, affleure le tragique à venir

Le retour à la maison du père,
histoire de me consoler,
par une verte soirée, à ma manche,
sous la fenêtre je me pendrai.

Lors, attendris, les rameaux gris
pencheront la tête à la haie.
Tandis que sans eau lustrale
on m’enterrera au cri d’un chien.


Son exil moscovite, parce que pour être célèbre - et il le désirait avec fureur - il faut bien vivre dans la capitale, ne fera qu’aggraver et sa nostalgie et le pressentiment d’une mort proche.

J'ai quitté mes steppes natales ;
C'est fini, fini sans retour,
Les feuilles des grands tilleuls pâles
Ne tinteront plus sur mes jours.

Oui, la maison sans moi se tasse,
Depuis longtemps, mon vieux chien dort ;
Dans les rues de Moscou, la mort,
Je le sais, me suit à la trace.

J'aime cette ville pourtant,
Si décrépite, s'embourbant,
Ville où l'antique Asie somnole
Comme étalée sur ses coupoles.

Quand le croissant me paraît trop
Lumineux, et qu'il m'ensorcelle,
Mes pas s'en vont vers mon bistrot
Toujours par la même ruelle.

Dans ce repaire, quel fracas !
Je bois, la nuit, dans les buées,
Avec des bandits la vodka,
Lis mes vers aux prostituées.

Mon cœur bat fort, mon mal s'aggrave...
M'oubliant, je dis pour finir :
"Comme vous, je suis une épave,
Sur mes pas pourquoi revenir !"

Oui, la maison sans moi se tasse,
Depuis longtemps mon vieux chien dort ;
Dans les rues de Moscou, la mort,
Je le sais, me suit à la trace...


Son périple à travers l’Europe et l’Amérique en compagnie d’Isidora Duncan l’enfonce dans l’alcoolisme, le désespoir.

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À son retour, il pense être oublié,

La langue de mes concitoyens n’est plus la mienne,
Dans mon pays, je suis un étranger


Il tente de reprend pied dans le mouvement révolutionnaire, il craint de ne plus être à la hauteur.

Fleurissez, jeunes hommes ! Devenez forts !
Vous avez une autre vie, vous avez d’autres refrains.
Et moi j’irai tout seul vers des confins inconnus
Ayant dompté pour toujours mon âme rebelle.

Mais alors même,
Quand sur toute la planète
La haine sera révolue,
Disparus mensonges et tristesses,
Je continuerai de chanter
De toutes mes forces de poète
Cette sixième partie du monde
Qui porte le bref nom de Russ’.


La Russie des Soviets, fragments
1924


Il revient à sa terre, à sa mère

Tu vis encore, ma vieille mère ?
Moi aussi. Salut, salut à toi !
Pourvu que coule sur ton isba
Cette lueur du soir que nul n'a pu décrire !

On m'écrit que, cachant ton angoisse,
Tu t'es grossi le cœur très fort à mon sujet,
Que tu t'en vas sur la route bien des fois
Dans ton vieux caraco démodé

Et que souvent dans les premières ténèbres bleues
Tu vois une seule chose, toujours la même:
C'est comme si quelqu'un me poignardait au cœur
Au fond d'un cabaret dans une querelle.

Ce n'est rien, petite mère. Calme-toi.
Ce n'est rien qu'un pénible délire.
Je ne suis pas encore un pochard assez dur
Pour me laisser mourir sans te revoir.

Je suis resté, comme autrefois, pas méchant
Et ne rêve jamais qu'une seule chose:
Au plus vite quitter cette révolte, ce tourment,
Pour retourner dans notre maison basse.

Je reviendrai le jour où docile au printemps
Notre jardin candide aura tendu ses branches.
Seulement ne me réveille plus à l'aube blanche,
Ne me réveille plus comme il y a huit ans.

N'éveille pas ce qu'un rêve m'a pris !
Ne touche pas ce qui n'a pas réussi !
Elles sont trop précoces la perte et la fatigue
Qu'il m'est échu d'éprouver en ma vie.

Et ne m'apprends pas à prier. Pas la peine !
Il n'y a plus pour moi de retour au passé;
Toi seule es pour moi aide et fête,
Toi seule es la lueur dont nul n'a su parler.

Il te faut donc oublier ton angoisse;
Ne grossis plus ton cœur si fort à mon sujet
Et ne va plus sur la route tant de fois
Dans ton vieux caraco démodé.


Lettre à sa mère, 1924


Mais il a tant flambé sa vie, la maladie le mine, il hallucine.

Mon ami, mon ami,
Je suis malade à en crever.
Mais cette douleur d’où me vient-elle ?
Est-ce le vent qui siffle
Sur les champs déserts, désolés,
Ou bien, comme les bois en septembre,
C’est l’alcool qui effeuille ma cervelle...

Ma tête agite ses oreilles,
Tel un oiseau ses ailes,
Elle n’a plus la force de se balancer
Sur le coût trépied.
Un homme noir,
Un homme noir, tout noir,
Au pied de mon lit
Vient s’asseoir,
Un homme noir
M’empêche de dormir la nuit.

Et l’homme noir
Glisse son doigt sur un livre infâme ;
Nasillant au-dessus de moi,
Comme sur un mort un moine,
L’homme noir me lit la vie
D’une fripouille et d’un pochard,
En m’imbibant de peur et d’angoisse
Jusqu’au fond de l’âme,
Cet homme noir, tout noir !

La lune est morte,
L’aube bleuit la fenêtre.
O nuit, Nuit, que m’as-tu donc conté ?
Je suis là, en haut-de-forme,
Et à part moi, personne,
je suis seul.
Et mon miroir est brisé.


L’Homme noir, extrait
novembre 1925

Derniers sursauts de doux lyrisme végétal :

Mon érable sans feuille, érable au dos de glace,
Que fais-tu là, voûté, sous la blanche bourrasque ?

Que viens-tu donc de voir ? Que viens-tu d'écouter ?
Tu m'as l'air d'être allé courir bien loin des haies.

Et, comme un gardien saoul, glissant hors de la route,
Tu t'es pris dans un trou laissant geler ta patte.

Hélas ! moi-même aussi je ne vais plus très ferme.
J'ai trop bu pour savoir retourner à ma ferme.

Vers moi s'avance un saule, je viens de voir un pin ;
Sous la bourrasque blanche je leur chante juin.

Moi-même il m'a semblé que j'étais cet érable,
Seulement jeune encore, avec tout mon feuillage ;

Et, perdant ma pudeur, devenu bois sauvage,
Pour lui faire l'amour j'ai pressé ses branchages.



On raconte, que dans la chambre d’hôtel de Léningrad, où il s’était isolé, il écrivit son ultime texte avec son sang :

Au revoir, mon ami, au revoir,
Mon cher ami, tu es là dans ma poitrine.
Cette séparation prédestinée
Nous promet de futures retrouvailles.

Au revoir, mon ami, sans poignées de main, ni paroles,
ne t’attriste pas, ne fronce pas les sourcils,
Dans cette vie, il n’est guère nouveau de mourir.
mais vivre n’est certes pas plus nouveau !

le 27 décembre 1925



.......Mon Serge Essénine
ce voyou qui s’assassina


René Guy Cadou



Livres disponibles :
Journal d'un poète, édtion La Différence.
ll semble qu'il n'y ait guère de livres disponibles actuellement en France.
Traductions :
Je n'ai pas hésité, la plupart des textes cités ont été traduits par Armand Robin.
À écouter
Essénine sera lu parmi d'autres poètes russes, au Café Littéraire du Musée d'Orsay, ce jeudi 20 octobre à 13 heures.
Les Parisiens ont quelques chances !

lundi, 12 septembre 2005

La vie, l'œuvre de Char

Bien bonne émission dans la série de France Cul, "Une vie, une œuvre" sur René Char.
Des voix nouvelles qui disent leur compagnonnage avec l'homme et ses écrits. Comme un rafraichissement !
Je pense qu'il s'agit là d'une émission qui peut amener à la lecture et à en aplanir la rudesse.

Nicléane et Em m'avaient averti de la diffusion, ce soir du dimanche 11 septembre. Je leur en sais gré.
Elle est en déjà dans mes cassette, s'ajoutant aux huit autres qui vont de 1970 à ce jour, de "Terres mutilées", d'Hélène Martin à mes modestes lectures faites pour la "bibliothèque sonore" de Laval : Le Marteau sans maître et Moulin Premier.
L'émission se clôt sur une extraordinaire lecture par René Char lui-même de L'inoffensif :


... Je n'ai pleuré en vérité qu'une seule fois. Le soleil en disparaissant avait coupé ton visage. Ta tête avait roulé dans la fosse du ciel et je ne croyais plus au lendemain.
Lequel est l'homme du matin et lequel celui des ténèbres ?

La parole en archipel
Poèmes des deux années
Le rempart de brindilles

1962



Sur ce blogue, dans la rubrique "Poètes, vos papiers !" du 8 février de cet an, une brève présentation du premier "René CHAR" de la collection Poètes d'aujourd'hui, chez Seghers.

dimanche, 04 septembre 2005

Saint-John Perse

Le n°35 de la collection. Il est marqué “Nantes 1959” ; je crois l’avoir acheté encore à la Librairie Beaufreton, lors d’une période parmi les plus “creuses” de ma vie ; j’ai obtenu de “faire les EOR” à l’École d’application du Train de Tours. Je “glande” sur tout : les amours, la pensée, les lectures, ...

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Alain Bosquet est le rédacteur de l’étude ; cent pages qui commencent par une longue définition de la poésie selon.. Bosquet !
Il y classe ses poètes, allant de Villon à Kavafis en passant par Lamartine, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Valéry, Claudel, Maiakovski, Lorca, Pessoa et un certain Gottfried Benn dont je n’entendrai parler (!) qu’à l’occasion de cette lecture.
Mais les noms de Maiakovski et Pessoa ne sont pas oubliés.

Deux chapitres nommés “documents” clôturent l’étude avant de présenter le texte des œuvres.

Voici des “affinités” :du vieux professeur botaniste et de Pindare aux orientalistes rencontrés en Chine, les sources ; on visite Francis Jammes chez qui on rencontre Paul Claudel et Jacques Rivière. Nous nous en allons donc et tout naturellement, poétiquement et diplomatiquement à Pékin où surgit le souvenir de Victor Ségalen.
Décidément le lecteur se retrouve dans un univers familier.
La Bible et le Livres des morts des anciens Égyptiens sont sous la main.

Le second “document” intitulé “La personne de l’auteur n’appartient à son public” aborde la discrétion que Perse a voulu maintenir entre son métier de diplomate et ses activités littéraires.

Bosquet articule son approche en suggérant un itinéraire poétique au long duquel Perse élabore son outil de création.

Éloges ou le poème ignorant de sa genèse
Anabase ou Rencontre du poème et de sa genèse
Exil ou Alliance du poème et de sa genèse
Vents ou Fusion du poème et de sa genèse

Amers, paru en livraisons partielles dans les Cahiers de la Péiade (1950) ou dans la Nouvelle-Nouvelle Revue Française en 1953, est longuement cité dans le choix de textes qui traditionnellement accompagne l’étude dans cette collection.

Précédant les deux documents, évoqués plus haut, le chapitre intitulé “Les pouvoirs de l’image, ressources métriques et syntaxiques” permet à Bosquet de développer ses capacités professorales ; c’est une démarche traditionnelle, mais pas inutile ; il conclue en abordant succinctement le problème de la traduction qui l’autorise à affirmer l’universalité de la poésie de Perse.

D’abondantes citations éclairent chaque chapitre.

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Je suis allé à cet homme pour élargir mon expérience du désert - Anabase - et de l’océan -Amers.
Il est un des rares que je possède aussi en Pléiade. Si longtemps, il s’est tenu à l’écart, il semble que l’édition dans la collection de prestige sur papier bible fut l’objet de tous ses soins et qu’il abandonna sa discrétion ancienne d’ambassadeur afin de se consacrer à l’édification de sa stèle pour les générations à venir.

Si mon admiration de jeunesse s’est quelque peu atténuée, il n’en demeure pas moins qu’il ne se passe point une année sans que je ne me profère à “pleine goule” un de ses textes : il y a un bonheur buccal certain à la manducation de ses versets.
La lecture à haute voix de Amers au large est une jouissance que je rapproche de l’écoute que je fis de la 8e symphonie de Beethoven, déboulant un jour sous spi l’estuaire de le Loire par belle houle de noroît !

Et curieusement la reprise du bouquin de chez Seghers lors de mon récent périple galicien m’a incliné à prêter plus d’attention aux textes “désertiques”, terriens.
Avais-je besoin de m’assècher ?

La guerre, le négoce, les règlements de dettes religieuses sont d’ordinaire la cause des déplacements lointains : toi tu te plais aux longs déplacements sans cause.

Aux soirs de grande sécheresse sur la terre, nous deviserons des choses de l’esprit.
Amitié du Prince, III


Nos fronts sont mis à découvert, les femmes ont relevé leur chevelure sur leur tête. Et les voix portent dans le soir. Tous les chemins silencieux du monde sont ouverts.
Amitié du Prince, IV


— et debout sur la tranche éclatante dun jour, au seuil d’un grand pays plus chaste que la mort,
les filles urinaient en écartant la toile peinte de leur robe.
Anabase, IX



Exil au chant VI, est une superbe célébration de ceux que Perse nomme princes de l’exil. Tant pis pour l’ami Ferré qui “n’écrit pas comme Perse”, tant pis pour monsieur Dantzig et son “dictionnaire égoïste de la littérature française (chez Grasset, 28,50 € pour mille pages)” qui écarte Perse et sa pompe - il faut, en ces temps, se distinguer à tout prix ! - même si les périphrases sont, il est vrai parfois, trop “précieuses” ; je n’ai d’autre prétention que de témoigner de ma vie de lecteur et Perse, là, me soulève de bonheur langagier :

«.... celui qui veille, entre deux guerres, à la pureté des grandes lentilles de cristal...

Celui qui flatte la démence aux grands hospices de craie bleue, et c’est Dimanche sur les seigles, à l’heure de grande cécité... celui qu’éveille en mer, sous le vent d’une île basse, le parfum de sécheresse d’une petite immortelle des sables ; celui qui veille dans les ports, aux bras des femmes d’autre race, et c’est un goût de vétiver dans le parfum d’aisselle de la nuit basse, et c’est un peu après minuit, à l’heure de grande opacité...

Celui qui peint l’amer au front des plus hauts caps, celui qui marque d’une croix blanche la face des récifs... celui qu’enchaîne sur les cartes, la course close des cyclones ; pour qui s’éclairent, aux nuits d’hiver, les grandes pistes sidérales ; ou qui démêle en songe bien d’autres lois de transhumance et de dérivation...

celui qui tient en héritage, sur terre de main-morte, la dernière héronnière, avec de beaux ouvrages de vénerie, de fauconnerie ; celui qui tient commerce, en ville, de très grands livres : almagestes, portulans, bestiaires ; qui prend souci des accidents de phonétique, de l’altération des signes et des grandes érosions du langage ; qui participe aux grands débats de sémantique... celui qui donne hiérarchie aux grands offices du langage..»


Ouvrez Perse en Poésie/Gallimard à la page 163, en Pléiade, à la page 132, dans le Seghers à la page 157 : de grands ou d’humbles labeurs du monde sont, là, célébrés, magnifiés !

Parmi les poètes élégiaques et ceux de l’engagement, entre les travailleurs de la langue et les poètes de “l’analyse du moi”, parmi les poètes de la distanciation et ceux de l’invective, j’ai grand plaisir à ouvrir ceux de la célébration, j’en ai grand besoin en ces jours-ci que nous vivons.

Que ma parole encore aille devant moi ! et nous chanterons encore un chant des hommes pour qui passe, un chant du large pour qui veille...
Pluies, VI


Depuis la mi-août, une heure avant la fin de la nuit, Orion surgit à nouveau de notre ciel. Et dans son sud-est, Sirius ! Les cendres de cet homme-là doivent errer aux parages de cette constellation.

Post-scriptum :
• Sur la Toile, trois sites au moins
http://www.up.univ-mrs.fr/~wperse/maindoc.htm
http://www.sjperse.org/
http://www.adpf.asso.fr/adpf-publi/folio/textes/Saint-Joh...
• Trois bouquins dans Poésie/Gallimard rassemblent la quasi totalité de l'œuvre. L'édition de la Pléiade s'enrichit de la correspondance soigneusement sélectionnée par Perse lui-même.

lundi, 13 juin 2005

Joachim Du Bellay

Ce n’est sans doute pas fortuit si j’achetai le même mois, en juillet 1958, François Villon et Joachim Du Bellay dans la collection “Poètes d’hier et d’aujourd’hui”. Certes, il y avait de ma part le projet de déscolariser les lectures de deux poètes que j’aimais et que l’approche de mes contemporains, Cadou, Char, Michaux tendaient à me faire lire autrement.
Mais plus souterrainement, il y avait le creusement d’un thème qui m’est intime : le désenchantement nécessaire à celui qui trop rêve l’utopie.

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Le bouquin est signé d’un certain Frédéric Boyer ; l’iconographie est abondante - entre autres, un beau portrait de Dorat, le maître de Coqueret. C'est le troisième de la collection et il est édité au cours du deuxième trimestre 1958.
Le commentaire de Boyer suit, sans originalité, la chronologie des œuvres ; il abonde même dans l’idée d’un Du Bellay toujours second de Ronsard, copieur de Speroni, d’un poète, agréable pétraquisant, mais dont la poésie aurait un “aspect quelque peu décharné”, lecture au premier degré d’un œuvre que seul lira sans doute en profondeur, mais pourquoi avec tant d’obscurités, Michel Deguy, en son Tombeau pour Du Bellay, quinze ans plus tard en 1973.
Bref, pour Boyer comme pour ses prédécesseurs, avec plus de nuances, là où passe Joachim, d’autres sont déjà passés. Mais pour le "jeune" lecteur d'alors, l'avancée critique est certaine et Boyer souligne bien l'importance de "Défense et illustration de la langue fançaise", même s'il souligne fortement les talents de copiste de Joachim. À l'époque,...celle de Joachim, le concept d'auteur n'est pas encore assorti de droits inaliénables et le terme "plagiat" a-t-il quelque sens ? Le TLFI atteste l'usage entre 1680 et 1690.

Montaigne, lui, ne mesura point l’un à l’aune de l’autre

...depuis que Ronsard et Du Bellay ont donné crédit à notre poésie française, je ne vois si petit apprenti qui n’enfle des mots, qui ne range les cadences à peu près comme eux. Pour le vulgaire, il ne fut jamais tant de poètes... (mais) ils demeurent bien court à imiter les riches descriptions de l’un et les délicates inventions de l’autre.
livre I, ch. XXVI
...aux parties en quoi Ronsard et Du Bellay excellent , je ne les trouve guère éloignés de la perfection ancienne.
livre II, ch XVII



Donc, après Villon, le blogueur de la fuite et du don, voilà le blogueur nostalgique du voyage, mais aussi le chroniqueur acerbe - en avril de cette année, le billet n’eût point déparé de la une de certains quotidiens :

LXXXI
Un conclave
Il fait bon voir (Paschal) un conclave serré,
Et l'une chambre à l'autre egalement voisine
D'antichambre servir, de salle, & de cuisine,
En un petit recoing de dix pieds en carré :

Il fait bon voir autour le palais emmuré,
Et briguer là dedans ceste troppe divine,
L'un par ambition, l'autre par bonne mine,
Et par despit de l'un, estre l'autre adoré :

Il fait bon voir dehors toute la ville en armes,
Crier le Pape est fait, donner de faulx alarmes,
Saccager un palais : mais plus que tout cela

Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante,
Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-la,
Et pour moins d'un escu dix Cardinaux en vente.



Suit de près le CXXXIII, mais nous allons de Rome à Venise,


Il fait bon voir (Magny) ces Couillons magnifiques,
Leur superbe Arcenal, leurs vaisseaux, leur abbord.
Leur sainct Marc, leur palais, leur Realte, leur port,
Leurs changes, leurs profitz, leur banque, & leurs trafiques :

Il fait bon voir le bec de leurs chapprons antiques,
Leurs robbes à grand' manche, & leurs bonnetz sans bord,
Leur parler tout grossier, leur gravité, leur port,
Et leurs sages advis aux affaires publiques.

Il fait bon voir de tout leur Senat balloter,
Il fait bon voir par tout leurs gondolles flotter,
Leurs femmes, leurs festins, leur vivre solitere :

Mais ce que lon en doit le meilleur estimer,
C'est quand ces vieux coquz vont espouser la mer,
Dont ilz sont les maris, & le Turc l'adultere.



Il y a quelques saveurs à parcourir ces billets adressés à l’un ou l’autre de ses amis. N’y reconnaîtrait-on point certaines brèves que s’adressent sur la Toile certains compagnons de blogues ?

Deux scénarios surgissent dans l’imaginaire du lecteur.
L’impossible rencontre du théoricien de la langue et du philosophe & les folles(!) nuits d’amour de la Princesse et de son poète !

Quand Du Bellay écrit ce qui suit dans “Deffence et illustration”, c’est en 1549, Montaigne a seize ans. La camarde lui en aurait-elle laissé temps et loisir, trente-et-un ans après, Joachim eût pu lire la première édition des ESSAIS et son vœu eût été comblé :

Mais le temps viendra par aventure (et je supplie au Dieu très bon et très grand que ce soit de notre âge) que quelque bonne personne, non moins hardie qu'ingénieuse et savante, non ambitieuse, non craignant l'envie ou haine d'aucun, nous ôtera cette fausse persuasion, donnant à notre langue la fleur et le fruit des bonnes lettres.


Demeure encore la merveilleuse énigme des amours de l’Angevin.


DIALOGUE D'UN AMOUREUX ET D'ECHO
Piteuse Echo, qui erres en ces bois,
Repons au son de ma dolente voix.
D'où ay-je peu ce grand mal concevoir.
Qui m'oste ainsi de raison le devoir ? De voir.
Qui est l'autheur de ces maulx avenuz ? Venus.
Comment en sont tous mes sens devenuz ? Nuds.
Qu'estois-je avant qu'entrer en ce passaige ? Saige.
Et maintenant que sens-je en mon couraige ? Raige.
Qu'est-ce qu'aimer, et s'en plaindre souvent ? Vent.
Que suis je donq', lors que mon coeur en fend ? Enfant.
Qui est la fin de prison si obscure ? Cure.
Dy moy, quelle est celle pour qui j'endure ? Dure.
Sent-elle bien la douleur, qui me poingt ? Point.
O que cela me vient bien mal à point !
Me fault il donq' (o debile entreprise)
Lascher ma proye, avant que l'avoir prise ?
Si vault-il mieulx avoir coeur moins haultain,
Qu'ainsi languir soubs espoir incertain.

 

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Quand un recueil s’achève sur plus de dix-huit sonnets qui mentionnent un prénom de femme, un titre royal ou princier, que l’expression en soit platonique et pétraquisante, soit !
S’il ne s’agit pas là d’une passion ?


Au goust de l'eau la fievre se rappaise,
Puis s'evertue au cours, qui sembloit lent :
Amour aussi m'est humble, et violent,
Quand le coral de voz levres je baise.

L'eau goute à goute anime la fournaize
D'un feu couvert le plus etincelant :
L'ardent desir, que mon coeur va celant,
Par voz baisers se faict plus chault que braize.

D'un grand traict d'eau, qui freschement distile,
Souvent la fievre est etainte, Madame.
L'onde à grand flot rent la flamme inutile.

Mais, ô baisers, delices de mon ame !
Vous ne pouriez, et fussiez vous cent mile,
Guerir ma fievre, ou eteindre ma flamme.


Ainsi chante l’amant de celle qui tient “le rameau d’olivier aux deux serpents entrelacés”.
À chacun de résoudre l’énigme!

L’Olive de la jeunesse, pour moi, a un nom.

Post-scriptum :
Ne souhaitant guère clore, ici, la chronique sur le poète de mes adolescences,
j’emporte, pour le périple maritime de ce été, le “Tombeau pour Du Bellay” de Michel Deguy et “L’amour du nom” de Martine Broda, sous-titré “essai sur le lyrisme et la lyrique amoureuse”.
S’approfondira bien l’énigme !
Mais surtout qu’elle demeure “voilée” !

dimanche, 05 juin 2005

En feuilletant Joachim Du Bellay

Du plus loin que je me souvienne entre récitations et premières approches de la poésie, il y a, s’ajoutant aux fables de La Fontaine, ce fameux sonnet

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage...


Et curieusement, lecture après lecture, silencieuse, à haute voix, souvent ou parfois, en chacun des voyages quand un rien de nostalgie effleurait le pérégrin, rien de la “scie” poétique. La beauté élégiaque des versets bercait et berce encore jusqu’au tercet final

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur Angevine.



Mais peut-être la séduction inépuisable vient-elle du second vers où est mentionné l’INNOMÉ : “cestuy là”, pan mystérieux du sonnet que renforce la forme vieillie du démonstratif ?
Longtemps dans mes récitations, j’ai enchaîné le premier et le troisième vers, glissant sur cette énigme de “cestuy là qui conquit la Toison” ; car elle marche bien, en tercet, cette première strophe

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage
.........................................................................................
Et puis est retourné, plein d’usage & raison
Vivre entre ses parents le reste de son âge !



La rupture joue tout à la fois sur le rythme élégiaque mais tout autant sur l’énigme mythologique. Étonnant que Joachim n’ait point nommé le héros et difficile d’imaginer que l’érudit féru de grec et de latin ignorait Jason.
Pour moi, jeune lecteur c’est ainsi que ne s’épuisera pas le sens de ce sonnet, parce que et la scansion et l’histoire butent à chaque lecture, à chaque profération, depuis des années, sur ce vers étrange

ou comme cestuy-là qui conquit la Toison


Il aurait pu tout aussi bien écrire sans nuire ni au rythme, ni à la rime - il y gagnait même un savoureux hémistiche

ou comme ce Jason qui conquit la Toison.



Joachim me fut, donc dès l’enfance, poète familier.
À l’adolescence, cette familiarité se mua en passion quand, pour des raisons professionnelles, mon père quitta les Chantiers nantais pour une briqueterie ancenienne. Les vacances d’été, les premières amours se bercèrent de douceur ligérienne, des sonnets de l’Olive et d’escapades sur les rives blondes de Loire.

Le fort sommeil, que celeste on doibt croyre,
Plus doulx que miel, couloit aux yeulx lassez,
Lors que d'amour les plaisirs amassez
Entrent en moy par la porte d'ivoyre.

J'avy' lié ce col de marbre : voyre
Ce sein d'albastre, en mes bras enlassez
Non moins qu'on void les ormes embrassez
Du sep lascif, au fecond bord de Loyre.

Amour avoit en mes lasses mouëlles
Dardé le traict de ses flammes cruelles,
Et l'ame erroit par ces levres de roses,

Preste d'aller au fleuve oblivieux,
Quand le reveil de mon ayse envieux
Du doulx sommeil a les portes decloses.

 

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Ancenis honorait son voisin liréen avec un beau bronze en pied, contemplatif qui domine le fleuve. Les collégiens quelque peu rustauds de la bourgeoisie ancenienne, plus intéressés par les petits commerces que par les échanges poétiques, surnommaient la sculpture bêtement - du moins c’est ainsi que je l’estimais à l’époque - “Curverville” !
Pour moi, les petites désespérances adolescentes trouvaient langue dans L'OLIVE et Lamartine pointait dans ce romantisme....

Ô belles filles de Loire ! D’Olive en Voile et Viole, l’émoi ruisselait dans les gorges amoureuses.

Ces cheveux d'or, ce front de marbre, et celle
Bouche d'oeillez, et de liz toute pleine,
Ces doulx soupirs, cet' odorante haleine,
Et de ces yeulx l'une et l'autre etincelle,

Ce chant divin, qui les ames rapelle,
Ce chaste ris, enchanteur de ma peine,
Ce corps, ce tout, bref, cete plus qu'humeine
Doulce beauté si cruellement belle,

Ce port humain, cete grace gentile,
Ce vif esprit, et ce doulx grave stile,
Ce hault penser, cet' honneste silence,

Ce sont les haims, les appaz, et l'amorse,
Les traictz, les rez, qui ma debile force
Ont captivé d'une humble violence.


Mais la belle était brune !
Dans les années cinquante, il n’était guère aisé de se procurer les textes de Du Bellay ; il fallait se contenter des Classiques Larousse. Et les plus beaux vers ne s’y lisaient point toujours - enfin, les plus beaux pour le lecteur amoureux :

D'une liqueur céleste emmïellée,
Quand sa rougeur de blanc entremeslée
Qui a peu voir la matinale rose
Sur le naïf de sa branche repose



Souvent il suffisait de suivre le conseil du poète lui-même :

«....Les uns aiment les fraîches ombres des forêts, les clairs ruisselets doucement murmurant parmi les près ornés et tapissés de verdure. Les autres se délectent du secret des chambres et doctes études. Il faut s’accomoder à la saison et au lieu. Bien te veux-je avertir de chercher la solitude et le silence ami des muses...»



Cette dernière recommandation ne fut pas toujours suivie à la lettre et les culs de grève de certaines îles de Loire furent, par quelques nuits d’été, favorables à de tendres étreintes.

Amour aussi m'est humble, et violent,
Quand le coral de voz levres je baise.
L'eau goute à goute anime la fournaize
D'un feu couvert le plus etincelant :
L'ardent desir, que mon coeur va celant,
Par voz baisers se faict plus chault que braize.


Qui a parlé de Pétrarque ? Quand amants du Rhône et de Loire se côtoient, c'est plus l'ardente Louîse LABÉ qui s'approche !
À demain ou après demain !

dimanche, 29 mai 2005

Je, François Villon - seconde balade !

Voici, sans doute, notre premier poète urbain et, vu ses ressources d’étudiant désargenté - quand il ne volait point - le premier piéton de Paris. Peu importe l’exacte géographie du Paris de l’époque, puisque mon plan, imaginaire, n’est pas son plan. Je le suis, à l’oreille, de taverne en fontaine, de bordeau en cabaret, à travers ruelles et places, évitant les sergents à verge et les prêteurs à gages

Du Grand Godet, en passant par les Trumillières, le Barillet, Le Heaulme, la Crosse, la Pomme de pin, la Mule, près la rue Saint-Jacques, la rue des Lombards, la rue aux Fèves, le Châtelet, le Pont-au-Change, la Rotisserie de la Machecoue, la Pierre au Let, le Trou Perrette, jusqu’à la Couture du Temple.

C’est un bonheur, la lecture de Villon en notre temps ; certes, il existe des lexiques, des index, des glossaires qui permettent précision et compréhension, mais il est si bon de se laisser à la seule musique du mot ancien, de se le "mettre en goule" et, si vouloir même, de s’inventer un sens.
Que faire d’autre d’ailleurs quand, pour mieux nous égarer dans la langue, Villon nous écrit une Ballade en vieil langage françois

Car, ou soit ly sains appostolles
D'aubes vestuz, d'amys coeffez,
Qui ne seint fors saintes estolles
Dont par le col prent ly mauffez
De mal talant tous eschauffez,
Aussi bien meurt que filz servans,
De ceste vie cy brassez :
Autant en emporte ly vens.



Ou qu’il nous entraîne dans le verlan des étudiants d’alors, précédant de cinq cents ans, le bon vieil Albert Simonin et son argot de la pègre :

Joncheurs jonchans en joncherie
Rebignez bien ou joncherez
Qu'Ostac n'embroue vostre arerie
Ou accoles sont voz ainsnez
Poussez de la quille et brouez
Car tost seriez rouppieux
Eschec qu'accolez ne soies
Par la poe du marieux.

Bendez vous contre la faerie
Quant vous auront desbouses
N'estant a juc la rifflerie
Des angelz et leurs assoses
Berard si vous puist renversez
Si greffir laisses vos carrieux
La dure bien tost ne verres
Par la poe du marieux.

Entervez a la floterie
Chanter leur trois sans point songer
Qu'en astes ne soies en surie
Blanchir vos cuirs et essurgez
Bignes la mathe sans targer
Que voz ans n'en soient ruppieux
Plantes ailleurs contre assegier
Par la poe du marieux.
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Prince bevardz en esterie
Querez couplaus pour ramboureux
Et autour de vos ys luezie
Par la poe du marieux.

Il se targue même d’avoir appris de gentes dames le parler poitevin (!) - déjà donc le territoire linguistique s’organisait en parlers dominants et dominés -; mais il est vrai que l’oreiller fut et est encore le plus fécond des lieux pour un tel apprentissage

Se je parle ung poy poictevin,
Ice m'ont deux dames apris.

Illes sont tres belles et gentes,
Demourans a Saint Generou
Prez Saint Julïen de Voventes,
Marche de Bretaigne a Poictou.
Mais i ne di proprement ou
Yquelles pensent tous les jours ;
M'arme ! i ne suy moy si treffou,
Car i vueil celer mes amours.


Féru d’arts et de théologie, il est moins expert en linguistique et géographie. Il rencontra sans doute les deux dames lors de son premier exil angevin et Saint-Julien de Vouvantes est aux marches de Bretagne et de l’Anjou, non du Poitou et le parler y est plus gallo que poitevin. Néanmoins, l’amant cache bien le lieu de ses langagières amours, car je n’ai pas retrouvé “Saint-Generou” !
Faut-il suggérer que la jolie chanteuse, Jeanne Cherhal, native d’Erbray proche de Saint-Julien, est peut-être le fruit lointain de l’une ou l’autre de ces amours ?

Beaux égarements quand nous revenons dans une langue qui nous est plus familière, mais que Villon fait si harmonieusement chanter

Je plains le temps de ma jeunesse..
Allé s’en est, et je demeure

..................................................................
Mes jours s’en sont allés errants
..................................................................
La belle qui fut heaulmière
..................................................................
Vente, frêle, gèle, j’ai mon pain cuit.
Je suis paillard, la paillarde me suit.


Cette jouissance de la langue conduit droit à l’homme de plaisir ; hédoniste, il le fut - mais avait-il lu Épicure, sans doute censuré de chrétiens oublis ?

Pere Noé, qui plantastes la vigne,
Vous aussi, Loth, qui bustes au rocher
Par tel party qu'Amours, qui gens engingne,
De voz filles si vous fist approucher
- Pas ne le dy pour le vous reproucher -,
Archedeclin qui bien seustes cest art,
Tous trois vous pry que vous vueilliez prescher
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.

Jadis extraict il fut de vostre ligne
Lui qui buvoit du meilleur et plus cher,
......................................................................
On ne luy sceust pot des mains arracher ;
De bien boire ne feut oncques fetart.
Nobles seigneurs, ne souffrez empescher
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.

Comme homme beu qui chancelle et trepigne
L'ay veu souvent, quant il s'alloit coucher,
Et une foiz il se fist une bigne,
Bien m'en souvient, pour la pie juchier.
Brief, on n'eust sceu en ce monde sercher
Meilleur pïon, pour boire tost et tart.
Faictes entrer, quant vous orrez hucher,
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.

Prince, il n'eust sceu jusqu'a terre cracher.
Tousjours crioit: « Haro, la gorge m'art ! »
Et si ne sceust onc sa seuf estancher
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.


Ses errances ne durent guère lui procurer toujours bon toit, bon lit ; mais semble-t-il, qu’importaient luxe ou pauvreté, l’importance lui était de consommer la tendre luxure

Sur mol duvet assiz, ung gras chanoine,
Lez ung brasier, en chambre bien natee,
A son costé gisant dame Sidoine,
Blanche, tendre, polye et attintee,
Boire ypocras a jour et a nuytée,
Rire, jouer, mignonner et baiser,
Et nud a nud, pour mieulx des corps s'aisier,
Les vy tous deux par ung trou de mortaise.
Lors je cogneuz que, pour dueil appaisier,
Il n'est tresor que de vivre a son aise.

Se Franc Gontier et sa compagne Hélène
Eussent cette douce vie hantée,
D'oignons, civots, qui causent forte haleine
N'acontassent une bise tostée.
Tout leur maton, ne toute leur potée,
Ne prise un ail, je le dis sans noiser.
S'ils se vantent coucher sous le rosier,
Lequel vaut mieux ? Lit côtoyé de chaise ?
Ou'en dites-vous ? Faut-il à ce muser ?
Il n'est trésor que de vivre à son aise.

De gros pain bis vivent d'orge et d'avoine,
Et boivent eaue tout au long de l'année.
Tous les oiseaux d'ici en Babyloine
A tel école une seule journée
Ne me tendroient, non une matinée.
Or s'ébatte, de par Dieu, Franc Gontier,
Hélène o lui, sous le bel églantier :
Se bien leur est, cause n'ai qu'il me pèse
........................................................
Mais quoi qu'il soit du laboureux métier,
Il n'est trésor que de vivre à son aise.

Prince, juge, pour tôt nous accorder.
Quan est de moi, mais qu'à nul ne déplaise,
Petit enfant, j'ai oï recorder :
Il n'est trésor que de vivre à son aise.

Les contreditz de Franc Gontier


Plus complexes, déchirées, sont ses relations amoureuses, ancillaires, tarifées, châtelaines, paysannes, de bordeau, de taverne, de moutier ou de cour : il oscillera, dès Le Lais, entre nostagie tendre, amoureux dépit et plus qu’acerbe satire !

Le regard de celle m’a pris
Qui m’a été félonne et dure
..................................................

Foles amours font les gens bêtes :
Salomon en idolâtra,
Samson y perdit ses lunettes.
Bien est heureux qui rien n’y a !
....................................................
Abusé m'a et fait entendre
Tousjours d'un que ce feust ung aultre :
De farine que ce feut cendre,
D'un mortier ung chappel de faultre,
De viel machefer que feust peaultre,
D'ambesars que c'estoïent ternes
- Tousjours trompeur autruy engautre
Et prent vessies pour lanternes -,

Du ciel, une paille d'arrain,
Des nues une peau de veau,
Du main que c'estoit le serain,
D'ung troignon de chou, ung naviau,


Ainsi m'ont Amours abusé
Et pourmené de l'huys au pesle.
..................................................

Je renie Amours et despite
Et defie a feu et a sang.
Mort par elles me precepicte,
Et ne leur en chault pas d'un blanc.
Ma vïelle ay mis soubz le banc,
Amans je ne suivray jamais ;
Se jadiz je fuz de leur rang,
Je declaire que n'en suis mais.

Car j’ai mis le plumail au vent....


De dépit en dépit, fors sans doute nos deux belles de Saint-Julien de Vouvantes et une certaine Catherine de Vausselles, Villon se forgera une forme de mysoginie qui laissera traces et exemples pour toute notre littérature amoureuse à venir.
La Belle Heaulmière chantera les regrets de la beauté pour toutes celles que “jadis servait” ou ...payait le beau François.

Quant je pense, lasse ! au bon temps,
Quelle fus, quelle devenue;
Quant me regarde toute nue,
Et je me voy si tres changée,
Povre, seiche, mesgre, menue,
Je suis presque toute enragée.

Qu'est devenu ce front poly,
Ces cheveulx blons, sourcilz voultiz,
Grant entr’oeil, le regart joly,
Dont prenoie les plus soubtilz;
Ce beau nez droit, grant ni petit;
Ces petites joinctes oreilles,
Menton fourchu, cler vis traictiz,
Et ces belles levres vermeilles?

Ces gentes espaulles menues;
Ces bras longs et ces mains traictisses;
Petiz tetins, hanches charnues,
Eslevées, propres, faictisses
A tenir amoureuses lices;
Ces larges rains, ce sadinet
Assis sur grosses fermes cuisses,
Dedans son petit jardinet ?

Le front ridé, les cheveux gris,
Les sourcilz cheuz, les yeulz estains,
Qui faisoient regars et ris,
Dont mains marchans furent attains;
Nez courbes, de beaulté loingtains;
Oreilles pendans et moussues;
Le vis pally, mort et destains ;
Menton froncé, levres peaussues :
`
C'est d'umaine beaulté l'yssue!
Les bras cours et les mains contraites,
Les espaulles toutes bossues;
Mamelles, quoy ! toutes retraites;
Telles les hanches que les tetes.
Du sadinet, fy ! Quant des cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissetes,
Grivelées comme saulcisses.
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Ainsi le bon temps regretons
Entre nous, povres vielles sotes,
Assises bas, à crouppetons,
Tout en ung tas comme pelotes,
A petit feu de chènevotes
Tost allumées, tost estaintes;
Et jadis fusmes si mignotes ! ...


Rutebœuf, Eustache Deschamps, Christine de Pisan, Charles d’Orléans, et avant eux, troubadours et trouvères, Conon de Béthune, Gace Brulé, Guiot de Dijon, avaient célébré le mal d’amour et l'amant éconduit.
Aucun ne s’était avancé aussi loin dans le dire du désenchantement.

Chacun le dit à la volée,
« Pour un plaisir, mille doulours. »
..............................................
..............................................
Hé Dieu, si j’eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes mœurs dédié
J’eusse maison et couche molle.


Prenons congé en lisant le jouteur de mots et l’empêcheur de penser en rond

dans la Ballade des proverbes
.............................................

Tant gratte chèvre que mal gît
Tant va le pot à l’eau qu’il brise

dans la Ballade des menus propos

Je connais à la robe l’homme
Je connais le beau temps du laid
............................................................
Je connais le moine à la gonne
Je connais le maître au valet
Je connais au voile la nonne
Je connais quand pipeur jargonne
............................................................
Je connais le vin à la tonne
Je connais tout, fors que moi-même

dans la Ballade des contrevérités

...........................................
Voulez-vous que verté vous die ?
Il n’est de jouer qu’en maladie
Lettre vraye que tragédie
Lâche homme que chevaleureux

Orrible son que mélodie
Ni bien conseillé qu’amoureux


La ballade la plus triviale, non titrée, sur “les langues ennuyeuses” s’achèvera par cet envoi :

Prince passez tous ces friands morceaux
S’étamine, sac n’avez, ou bluteaux,
Parmi le fond d’une braye brenneuse
Mais par avant en étrons de pourceaux
Soient frites ces langues envieuses !


Lors de la joute de Blois avec et contre Charles d’Orléans, est-on plus dans un jeu de grands réthoriqueurs que dans le dit très héraclitéen de l’harmonie des contraires ?

Je meurs de seuf auprès de la fontaine,
Chaud comme feu, et tremble dent à dent ;
En mon pays suis en terre lointaine ;
Lez un brasier frissonne tout ardent ;
Nu comme un ver, vêtu en président,
Je ris en pleurs et attends sans espoir ;
Confort reprends en triste désespoir ;
Je m'éjouis et n'ai plaisir aucun ;
Puissant je suis sans force et sans pouvoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Rien ne m'est sûr que la chose incertaine ;
Obscur, fors ce qui est tout évident ;
Doute ne fais, fors en chose certaine ;
Science tiens à soudain accident ;
Je gagne tout et demeure perdant ;
Au point du jour dis : " Dieu vous doint bon soir ! "
Gisant envers, j'ai grand paour de choir ;
J'ai bien de quoi et si n'en ai pas un ;
Echoite attends et d'homme ne suis hoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

De rien n'ai soin, si mets toute ma peine
D'acquérir biens et n'y suis prétendant ;
Qui mieux me dit, c'est cil qui plus m'ataine,
Et qui plus vrai, lors plus me va bourdant ;
Mon ami est, qui me fait entendant
D'un cygne blanc que c'est un corbeau noir ;
Et qui me nuit, crois qu'il m'aide à pourvoir ;
Bourde, verté, aujourd'hui m'est tout un ;
Je retiens tout, rien ne sait concevoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Prince clément, or vous plaise savoir
Que j'entends mout et n'ai sens ne savoir :
Partial suis, à toutes lois commun.
Que sais-je plus ? Quoi ? Les gages ravoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Je choisirai l’homme déchiré !
Je choisirai ce frère en humanité qui, en son ultime départ, nous écrit ceci :

Ci gît et dort en ce solier,
Qu'amour occit de son raillon,
Un pauvre petit écolier
Qui fut nommé François Villon.
Oncques de terre n'eut sillon.
Il donna tout, chacun le sait :
Table, tréteaux, pain, corbillon.
Pour Dieu, dites-en ce verset :

VERSET

Repos éternel donne à cil,
Sire, et clarté perpétuelle,
Qui vaillant plat ni écuelle
N'eut oncques, n'un brin de persil.

Il fut rés, chef, barbe et sourcils,
Comme un navet qu'on ret ou pèle.
Repos éternel donne à cil.

Rigueur le transmit en exil
Et lui frappa au cul la pelle,
Nonobstant qu'il dît : " J'en appelle ! "
Qui n'est pas terme trop subtil.
Repos éternel donne à cil.


Le ciel est sans doute vide. Villon, dans le repos du néant, nous parle encore !

Post-scriptum :
•Le site de la Société François Villon.
La vie et l'œuvre.
• Quelques belles Ballades.
• Biographie et anthologie
• Le dessin est de Brigitte Fleury dans les Œuvres complètes de Villon, Nouvelle Librairie de France, Paris 1980. (ou Imprimerie Nationale, 1975).
• La sculpture "la Belle Heaulmière" est de Rodin (?). Mais le rédacteur de la présente note, sans être un connaisseur érudit des œuvres, l'attribuerait plus volontiers à Camille Claudel que son amant Rodin exploita et copia avec l'impudeur que certains biographes ont dénoncée.

samedi, 21 mai 2005

Je, François Villon

Je, François Villon...
Décidémment cet homme écrira toujours dans l’urgence du partir -du fuir ! -, il donne, il pardonne, il part et il donne. Tout.

Le François Villon est le second bouquin de la collection Poètes d’hier et d’aujourd’hui, inaugurée par un Ronsard. Il paraît dans le premier trimestre 1958 ; je l’achète en juillet, retour de mon premier grand voyage. La malle aux poètes n’est point encore trop lourde.

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Seghers a confié la présentation et le choix des textes à Jacques Charpier - à propos de celui-ci, j’ai découvert qu’il était aussi poète et que René Char l’avait appuyé.
La ligne éditoriale s’écarte de la collection initiale : un tableau synoptique des événements littéraires, artistiques et historiques, une suite iconographique et son commentaire - dans le Villon, elle est riche (30 pages), reprenant les données du tableau synoptique et amorçant la biographie du poète.
La dernière phrase introduit la problématique qui est celle de Charpier :
En ce monde où un vieil univers s’abîme et une aurore s’apprête , Villon est-il un héritier ou un prophète ?
Suivent l’étude sur le poète et son œuvre (30 pages) quasi complète le Lais, le Testament, les poésies diverses ; à l’appui, un glossaire et un index.
Cinq pages de bibliographie : manuscrits, principales éditions et études.
Le livre se clôt sur la discographie : Villon fut beaucoup dit et... chanté. Et ne sont pas encore cités Brassens et les autres...

Jacques Charpier tente de dégager Villon de sa légende et du rôle que l’on lui a fait tenir dans la littérature française, de souligner la “présence humaine” dans l’œuvre qui s’annonce, hors de toute certitude, par un “qui suis-je”, premier dans le Moyen-Age des arts :

Prince, je congnois tout en somme,
Je congnois colorez et blesmes,
Je congnois Mort, qui tout consomme,
Je congnois tout fors que moy mesmes.


Villon va aussi effacer l’intime complicité que l’homme d’alors entretient, à la lumière de la foi et de l’espérance chrétiennes, avec la mort.

Mon pere est mort, Dieu en ait l'ame;
Quant est du corps, il git sous lame . .
J'entens que ma mere mourra,
--Et le sait bien, la pauvre femme --
Et le fils pas ne demourra.

Je connais que pauvres et riches,
Sages et folz, prestres et lais
Nobles, villains, larges et chiches,
Petits et grand, et beaulx et laiz,
Dames à rebrassés collets,
De quelconque condition,
Portant atours et bourrelets,
Mort saisit sans exception.

Et meurent Paris et Helène,
Quiconque meurt, meurt à douleur


« ... Et voici que se développe, à partir de ces vers admirables du TESTAMENT, l’une des lamentations les plus retenues, les plus bouleversantes que jamais poète ait poussées. »
S’élève la Ballade des Dames du temps jadis :
Dictes moi où, n’en quel pays,
Est Flora la belle romaine,
Archipiade, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quand bruit on maine
Dessus rivière ou sur estan
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut chastré et puis moine
Pierre Esbaillart, à Saint Denis ?
Pour son amour eut cest essoine.
Semblablement, où est la Reine
Qui commanda que Buridan
Fut jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

La reine Blanche comme un lys
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Béatrix, Allys,
Haremburges qui tint le Maine,
Et Jehanne, la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ;
Où sont-ils, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

Prince, n’enquerez de semaine
Où elles sont, ni de cest an
Qu’à ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d’antan ?


Mais à celles et ceux qui dénient au Testament d’être un texte autobiographique, ne serait-ce donc qu’un rimailleur professionnel qui pleurerait en ce rondeau ?

Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :
Onc puis n'eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisait-elle en vie,
Mort ?

Deux étions et n'avions qu'un coeur ;
S'il est mort, force est que devie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par coeur,
Mort !

La mort, pour Villon, l’irrémédiable étrangère !

Demain dimanche, ou le dimanche suivant, encore quelques pas avec ce frère très humain.

Post-scriptum :
Cette note est dédiée à cette femme d'Outre-Atlantique qui tint jusqu’à ces derniers jours une belle chronique et d’amour et de douleur dans Circonvolutes.
Villon n’eut pas désavoué l’adage qui sous-titrait le blogue :
Lux et umbra vicissim sed semper amor

Dommage que Circonvolutes soit devenu ombre et silence.



mardi, 17 mai 2005

L'heure avec...

Longtemps que je ne me suis plus confronté avec un public de lecteurs.
Cet après-midi, je me mets à craindre l'abrupt de certains aphorismes des Feuillets d'Hypnos qui n'ont pas la durée de diction nécessaire pour atteindre le profond d'une écoute.
Un peu benêt de me reconnaître une tension qui serait le "trac".
Et c'est bien le temps de lecture que j'appréhende.
Le silence ? Fécond ? Dubitatif ? Ennuyé ?

L'échange irriguera le penser, libérera le souffle.

Il faut repousser le quai du pied. Avec fermeté !

lundi, 16 mai 2005

De l'un à l'autre

Lecture oscillante entre le vaurien, beau poète citadin qui arpente les ruelles mal famées d'un Paris insoupçonné - eh, oui ! pourquoi pas Villon en piéton de Paris - et le philosophe du maquis qui illumine avec ses réfractaires les plateaux de Haute-Provence.

L’un à écrire pour mercredi, c'est décidé : la note sur le “poète d’hier et d’aujourd’hui” s’enfante avec quelque lenteur.
L’autre, à lire. “L’heure avec...René Char" est, demain, retardée jusqu’à la tombée du jour.

L'un

Puisque mon sens fut à repos
Et l'entendement desmellé,
Je cuiday finer mon propos,
Mais mon encre trouvay gelé
Et mon cierge trouvay soufflé ;
De feu je n'eusse pu finer,
Si m'endormis, tout enmouflé,
Et ne peuz autrement finer.


L’autre
Je me fais violence pour conserver, malgré mon humeur, ma voix d’encre. Aussi, est-ce d’une plume à bec de bélier, sans cesse éteinte, sans cesse rallumée, ramassée, tendue et d’une haleine que j’écris ceci, que j’oublie cela.


Hommes d’écriture !

vendredi, 06 mai 2005

...de ceux qui refusent !

À l’Ouverture le troubadour. Villon est sur les lieux....”
René Char, Page d’ascendants pour l’an 1964


Une lecture proposée des Feuillets d’Hypnos pour le mardi 17 mai m’accapare et voilà comment un des premiers grands révoltés de notre langue s’efface devant un de ses héritiers en refus.

S'ajoutent deux tendres petites canailles qui accaparent le petit Mac à la pomme croquée : Noémie et Célia, entre le Pirate des Caraïbes, la vie est belle, l'Odyssée de l'espèce, ne me laissent pas le moindre petit coin d'écran !

J'invite les lectrices et lecteurs de mon blogue à cette lecture des Feuillets d'Hypnos ; leur oreille attentive, bienveillante et critique me sera la bien venue.
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mardi, 12 avril 2005

Francis Jammes

C’est le vingtième livre de la collection “Poètes d’aujourd’hui” ; il paraît en 1950. Pierre Seghers a sollicité Robert Mallet qui a soutenu deux thèses sur Jammes,
pour un doctorat ès lettres : Francis Jammes, sa vie, son œuvre, la thèse et le Jammisme, la thèse secondaire.

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Le bouquin de chez Seghers doit être à l’image des thèses : solide, bien documenté, universitaire.
Pour la biographie, quelques soixante pages ; puis une approche des grands thèmes “jammiens” : la nature, les animaux, les humbles, la jeune fille, le passé, l’exotisme ; les dix dernières pages sont consacrées au style et à la prosodie.
Les dernières lignes sont toujours d’actualité et pourraient être une invite à l’endroit de beaucoup de poètes contemporains “édités” :
« Il ne se rattache à aucune lignée, il n’en provoque aucune... Il captive les tempéraments littéraires les plus opposés par son absence de littérature. Il est en dehors des modes. C’est pourquoi il ne se démodera pas. »
Les cent dernières pages sont le choix des poèmes qui couvre l'ensemble des œuvres de 1898 à 1937.

Robert Mallet écrira une préface en 1967 pour introduire sans doute une réédition du Deuil des primevères chez Gallimard ; cette préface sera reprise pour le même recueil édité en 2000 dans Poésie/Gallimard. L’approche n’a guère variée depuis les années 50. Le Recteur Mallet est un homme sérieux qui atteint, au terme d'une longue carrière de recteur, de poète et d'écrivain, les sommets de notre Éducation nationale

Plus incisive est la préface de Jacques Borel au premier recueil, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir, toujours dans la même collection en 2003.
Un audacieux rapprochement avec Guillevic et Francis (!) Ponge, quant aux “objets du monde”. Et le suranné de “la jeune fille Nue” va s’effacer pour une musique où la présence et l’absence, la tension du désir et l’impossible retour, la sensualité chaude et vive et l’inconsolable déchirure nous proposent une lecture actuelle de Jammes. Rejoignant Mallet, Borel l’écrit d’emblée :
«... Encore pour être démodé, faut-il avoir été à la mode : Francis Jammes ne le fut jamais. »

La jeune fille

La jeune fille est blanche,
elle a des veines vertes
aux poignets, dans ses manches
ouvertes.

On ne sait pas pourquoi
elle rit. Par moment
elle crie et cela
est perçant.

Est-ce qu’elle se doute
qu’elle vous prend le cœur
en cueillant sur la route
des fleurs ?

On dirait quelquefois
qu’elle comprend des choses.
Pas toujours. Elle cause
tout bas.

« Oh ! ma chère ! oh ! là là...
... Figure-toi... mardi
je l’ai vu... j’ai rri. » – Elle dit
comme ça.

Quand un jeune homme souffre,
d’abord elle se tait :
et ne rit plus, tout
étonnée.

Dans les petits chemins
elle remplit ses mains
de piquants de bruyères,
de fougères.

Elle est grande, elle est blanche,
elle a des bras très doux.
Elle est très droite et penche
le cou.

Un déhanchement du vers à la Verlaine qui fait l’inimitable Jammes qui n’imita jamais Verlaine.

Verlaine, Claudel et lui : trois racines du rhizome chrétien pour passer du XIXe au XXe siècle. Gide fut son ami et Mauriac comme un disciple.

Les jeunes filles de 2005 aux nombrils nus ne sont plus vêtues de percale et de mousseline, mais elles ont des grâces dans leurs rires et dans leurs blogues, grâces que n’eût point désavouées le vieil homme à longue barbe qui ne fut jamais élu à l’Académie française, qui refusa la Légion d’honneur et qui mourut un 1er novembre de l’an 1938, au Pays Basque.

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Prière pour aller au Paradis avec les ânes

Lorsqu'il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille,
chassez les mouches plates, les loups et les abeilles...

Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j'aime tant, parce qu'elles baissent la tête
doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds
d'une façon bien douce et qui me fait pitié.
J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l'on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes qui font
les mouches entêtées qui s'y groupent en rond.
Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l'amour éternel.


Tout Jammes est là : les ustensiles du monde, le bestiaire, les humbles, le végétal, les jeunes filles, les anges et dieu !

Prenez de Jammes ce que bon vous semble.


Post-scriptum :

Dans la collection Poésie/Gallimard, trois recueils :
Francis Jammes, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir, préface de Jacques Borel.
Francis Jammes, Le Deuil des primevères, préface de Robert Mallet.
Francis Jammes, Clairières dans le ciel, préface de Michel Décaudin.

Sur la Toile :
Le site officiel (!)
http://www.francis-jammes.com/

jeudi, 07 avril 2005

"Ce bruit dans le jardin..."

Francis Jammes !

Dans ses poèmes, il est la bécasse, le lièvre, l'âne, le compagnon de l’âne et des pauvres.
En 2005, un siècle et quelques années plus tard, il est encore un poète d’aujourd’hui.
Seules, les jeunes filles dont il est amoureux sont d’un genre un peu suranné avec leurs chapeaux de paille à rubans, leurs robes de percale et de mousseline, leur nudité sur les bruyères et leurs tendres langueurs. Mais les hanches et les nuques sont si douces.

Elle va à la pension du Sacré-Cœur.
C’est une belle fille qui est blanche
................................................................

Elle me rappelle les écoliers d’alors
qui avaient des noms rococos, des noms de livres
de distribution des prix, verts, rouges, olives,
avec un ornement ovale, un titre en or :

Clara d’Ellébeuse, Éléonore Derval,
Victoire d’Etremont, Laure de la Vallée,
Lia Fauchereuse, Blanche de Percival,
Rose de Liméreuil et Sylvie Laboulaye.


Elles lui vinrent, souvent nues.
Et il enchanta, dans le droit fil de Nerval et de Verlaine, mes émois adolescents, suscités par dieu ou par quelque blanche jeune fille un peu dévergondée.

Je pense que ce n’est pas hasard s’il me parvint, dans ma clairière de Côte d’Ivoire, accompagné de Rimbaud : de Louise Vanaen de Voringhem à Clara d’Ellébeuse, Almaïde d’Etremont, Guadalupe d’Alcaraz, il n’y a que l’infime distance de la rouerie rimbaldienne à la naïve sensualité du Gascon d'Orthez.
René-Guy Cadou m’avait mis en chemin :

Le chemin creux de Francis Jammes
On y voit l’âne on y voit l’âme


Sans doute madame Anne de Noailles avait-elle raison méchante de lui préférer “ses rosées” à “son eau bénite”.

Quoique !
Écoutons Brassens chantant la Prière et nous retrouvons les Mystères douloureux de Clairières dans le ciel.
Allons jusqu’à gommer le “Je vous salue, Marie” qui conclue chaque strophe, si l’incroyant l’exige : nous y lirons en clair, plus que jamais actuelle, la misère du monde que nous côtoyons chaque jour dans nos rues et nos villes, qu’étalent les journaux et les écrans.
Une déploration qui, soutenue par la musique du Sétois, ne vous empoigne que plus.

Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
Tandis que des enfants s'amusent au parterre
Et par l'oiseau blessé qui ne sait pas comment
Son aile tout à coup s'ensanglante et descend
Par la soif et la faim et le délire ardent
Je vous salue, Marie.

Par les gosses battus, par l'ivrogne qui rentre
Par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre
Et par l'humiliation de l'innocent châtié
Par la vierge vendue qu'on a déshabillée
Par le fils dont la mère a été insultée
Je vous salue, Marie.

Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids
S'écrie: " Mon Dieu ! " par le malheureux dont les bras
Ne purent s'appuyer sur une amour humaine
Comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène
Par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne
Je vous salue, Marie.

Par les quatre horizons qui crucifient le monde
Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe
Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains
Par le malade que l'on opère et qui geint
Et par le juste mis au rang des assassins
Je vous salue, Marie.

Par la mère apprenant que son fils est guéri
Par l'oiseau rappelant l'oiseau tombé du nid
Par l'herbe qui a soif et recueille l'ondée
Par le baiser perdu par l'amour redonné
Et par le mendiant retrouvant sa monnaie
Je vous salue, Marie


Dans les notes des jours à venir, je ne me propose que de faire entendre la musique très douce, un peu amère, de ce homme quotidien, inimitable dans sa simplicité.

La gueule d’un vieux pot à soupe baille au pied
de la niche du chien. On entend le léger
cliquetis des roseaux que l’air à peine froisse.

mardi, 29 mars 2005

Lentement Francis Jammes arrive

Avec ton parapluie et tes brebis sales
avec tes vêtements qui sentent le fromage
tu t'en vas vers le ciel du côteau, appuyé
sur ton bâton de houx, de chêne ou de néflier.
Tu suis le chien au poil dur et l'âne portant
les bidons ternes sur son dos saillant.
Tu passeras devant les forgerons des villages
puis tu regagneras la balsamique montagne
où ton troupeau paîtra comme des buissons blancs.
Là, des vapeurs cachent les pics en se traînant.
Là, volent les vautours au col pelé et s'allument
des fumées rouges dans les brumes nocturnes.
Là, tu regarderas avec tranquillité,
l'esprit de Dieu planer sur cette immensité

(le suivre)

Avec ton parapluie
1897

samedi, 26 mars 2005

En guise d'œuf de Pâques

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Non, ce n'est pas André Breton, ressuscité !
Ce n'est pas non plus la note présentant le BRETON de chez Seghers (le n°18, ce sera à l'automne).

C'est une espèce de dette qui remonte à la triste semaine où "l'on" brada le 42 rue Fontaine
Breton est photographié* par Cartier-Bresson sur les bords du Lot et il ramasse des galets plutôt rares, des agates.
Et ces agates, j'avais proposé à François Bon qui fut l'un des initiateurs de l'opposition à l'inique braderie, de demander leur restitution au fleuve d'origine. Il m'avait demandé quelques références attestant la véracité de la cueillette pour appuyer "notre" exigence de restitution. J'avais souvenance de cette image, mais archivée où ?
Je l'ai découverte cet après-midi - on trouve les œufs de Pâques qu'on mérite à l'âge qu'on a -
en cherchant pour l'homme du Tiers-Livre une citation de Roland Barthes ; car depuis le passage de Berlol dans l'antre d'Hubert de Phalèse et l'approche du colloque de Cerisy sur Toile et littérature, ça pense intensément sur le réseau Journal littéréticulaire/Tiers-livre et consorts.

Voilà donc manière de ne point oublier qu'il est possible de bazarder la beauté en notre société mercantile - l'horizon européen qu'on nous demande d'approuver étant loin d'éclaircir les choses - et ce en toute bonne conscience affairiste.

En cette veillée pascale, je ne souhaite donc à personne une belle résurrection, approfondissant mes doutes quant à une telle espérance, m'exerçant à pratiquer "le désespoir et la béatitude" en toute sérénité.
La renaissance printanière suffit à ma joie ! Que ce soit ainsi pour les vôtres !


* La photographie a été publiée dans un Nouvel Obs de l'année 1970, découpée et glissée dans un dossier que le Monde des livres avait consacré à Breton quand paraissaient en poche l'Anthologie de l'humour noir, Point du jour et les Pas perdus.
C'était le 27 juin 1970 et François Bott, José Pierre, JeanMarie Dunoyer, Michel Chaillou, Gilles Lapouge signaient les chroniques du dossier.
On(!) se préparait un bel été encore loin des "sous-tifs", petites culottes, caleçons, chaussettes de madame Ernaux et de monsieur Marie. Passent encore les avatars sexuels - rarement désagréables - mais les négligences de couloir et l'absence de programmation de la machine à laver nous éloignent de l'Amour fou et de la quête de Graal, le silence infernal du tambour de ladite machine atterrant monsieur Vilain (le Monde des livres du 17 février 2005).

Ô tempora ! Ô mores !