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dimanche, 05 juin 2005

En feuilletant Joachim Du Bellay

Du plus loin que je me souvienne entre récitations et premières approches de la poésie, il y a, s’ajoutant aux fables de La Fontaine, ce fameux sonnet

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage...


Et curieusement, lecture après lecture, silencieuse, à haute voix, souvent ou parfois, en chacun des voyages quand un rien de nostalgie effleurait le pérégrin, rien de la “scie” poétique. La beauté élégiaque des versets bercait et berce encore jusqu’au tercet final

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur Angevine.



Mais peut-être la séduction inépuisable vient-elle du second vers où est mentionné l’INNOMÉ : “cestuy là”, pan mystérieux du sonnet que renforce la forme vieillie du démonstratif ?
Longtemps dans mes récitations, j’ai enchaîné le premier et le troisième vers, glissant sur cette énigme de “cestuy là qui conquit la Toison” ; car elle marche bien, en tercet, cette première strophe

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage
.........................................................................................
Et puis est retourné, plein d’usage & raison
Vivre entre ses parents le reste de son âge !



La rupture joue tout à la fois sur le rythme élégiaque mais tout autant sur l’énigme mythologique. Étonnant que Joachim n’ait point nommé le héros et difficile d’imaginer que l’érudit féru de grec et de latin ignorait Jason.
Pour moi, jeune lecteur c’est ainsi que ne s’épuisera pas le sens de ce sonnet, parce que et la scansion et l’histoire butent à chaque lecture, à chaque profération, depuis des années, sur ce vers étrange

ou comme cestuy-là qui conquit la Toison


Il aurait pu tout aussi bien écrire sans nuire ni au rythme, ni à la rime - il y gagnait même un savoureux hémistiche

ou comme ce Jason qui conquit la Toison.



Joachim me fut, donc dès l’enfance, poète familier.
À l’adolescence, cette familiarité se mua en passion quand, pour des raisons professionnelles, mon père quitta les Chantiers nantais pour une briqueterie ancenienne. Les vacances d’été, les premières amours se bercèrent de douceur ligérienne, des sonnets de l’Olive et d’escapades sur les rives blondes de Loire.

Le fort sommeil, que celeste on doibt croyre,
Plus doulx que miel, couloit aux yeulx lassez,
Lors que d'amour les plaisirs amassez
Entrent en moy par la porte d'ivoyre.

J'avy' lié ce col de marbre : voyre
Ce sein d'albastre, en mes bras enlassez
Non moins qu'on void les ormes embrassez
Du sep lascif, au fecond bord de Loyre.

Amour avoit en mes lasses mouëlles
Dardé le traict de ses flammes cruelles,
Et l'ame erroit par ces levres de roses,

Preste d'aller au fleuve oblivieux,
Quand le reveil de mon ayse envieux
Du doulx sommeil a les portes decloses.

 

medium_loire.jpg



Ancenis honorait son voisin liréen avec un beau bronze en pied, contemplatif qui domine le fleuve. Les collégiens quelque peu rustauds de la bourgeoisie ancenienne, plus intéressés par les petits commerces que par les échanges poétiques, surnommaient la sculpture bêtement - du moins c’est ainsi que je l’estimais à l’époque - “Curverville” !
Pour moi, les petites désespérances adolescentes trouvaient langue dans L'OLIVE et Lamartine pointait dans ce romantisme....

Ô belles filles de Loire ! D’Olive en Voile et Viole, l’émoi ruisselait dans les gorges amoureuses.

Ces cheveux d'or, ce front de marbre, et celle
Bouche d'oeillez, et de liz toute pleine,
Ces doulx soupirs, cet' odorante haleine,
Et de ces yeulx l'une et l'autre etincelle,

Ce chant divin, qui les ames rapelle,
Ce chaste ris, enchanteur de ma peine,
Ce corps, ce tout, bref, cete plus qu'humeine
Doulce beauté si cruellement belle,

Ce port humain, cete grace gentile,
Ce vif esprit, et ce doulx grave stile,
Ce hault penser, cet' honneste silence,

Ce sont les haims, les appaz, et l'amorse,
Les traictz, les rez, qui ma debile force
Ont captivé d'une humble violence.


Mais la belle était brune !
Dans les années cinquante, il n’était guère aisé de se procurer les textes de Du Bellay ; il fallait se contenter des Classiques Larousse. Et les plus beaux vers ne s’y lisaient point toujours - enfin, les plus beaux pour le lecteur amoureux :

D'une liqueur céleste emmïellée,
Quand sa rougeur de blanc entremeslée
Qui a peu voir la matinale rose
Sur le naïf de sa branche repose



Souvent il suffisait de suivre le conseil du poète lui-même :

«....Les uns aiment les fraîches ombres des forêts, les clairs ruisselets doucement murmurant parmi les près ornés et tapissés de verdure. Les autres se délectent du secret des chambres et doctes études. Il faut s’accomoder à la saison et au lieu. Bien te veux-je avertir de chercher la solitude et le silence ami des muses...»



Cette dernière recommandation ne fut pas toujours suivie à la lettre et les culs de grève de certaines îles de Loire furent, par quelques nuits d’été, favorables à de tendres étreintes.

Amour aussi m'est humble, et violent,
Quand le coral de voz levres je baise.
L'eau goute à goute anime la fournaize
D'un feu couvert le plus etincelant :
L'ardent desir, que mon coeur va celant,
Par voz baisers se faict plus chault que braize.


Qui a parlé de Pétrarque ? Quand amants du Rhône et de Loire se côtoient, c'est plus l'ardente Louîse LABÉ qui s'approche !
À demain ou après demain !

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