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lundi, 13 juin 2005

Joachim Du Bellay

Ce n’est sans doute pas fortuit si j’achetai le même mois, en juillet 1958, François Villon et Joachim Du Bellay dans la collection “Poètes d’hier et d’aujourd’hui”. Certes, il y avait de ma part le projet de déscolariser les lectures de deux poètes que j’aimais et que l’approche de mes contemporains, Cadou, Char, Michaux tendaient à me faire lire autrement.
Mais plus souterrainement, il y avait le creusement d’un thème qui m’est intime : le désenchantement nécessaire à celui qui trop rêve l’utopie.

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Le bouquin est signé d’un certain Frédéric Boyer ; l’iconographie est abondante - entre autres, un beau portrait de Dorat, le maître de Coqueret. C'est le troisième de la collection et il est édité au cours du deuxième trimestre 1958.
Le commentaire de Boyer suit, sans originalité, la chronologie des œuvres ; il abonde même dans l’idée d’un Du Bellay toujours second de Ronsard, copieur de Speroni, d’un poète, agréable pétraquisant, mais dont la poésie aurait un “aspect quelque peu décharné”, lecture au premier degré d’un œuvre que seul lira sans doute en profondeur, mais pourquoi avec tant d’obscurités, Michel Deguy, en son Tombeau pour Du Bellay, quinze ans plus tard en 1973.
Bref, pour Boyer comme pour ses prédécesseurs, avec plus de nuances, là où passe Joachim, d’autres sont déjà passés. Mais pour le "jeune" lecteur d'alors, l'avancée critique est certaine et Boyer souligne bien l'importance de "Défense et illustration de la langue fançaise", même s'il souligne fortement les talents de copiste de Joachim. À l'époque,...celle de Joachim, le concept d'auteur n'est pas encore assorti de droits inaliénables et le terme "plagiat" a-t-il quelque sens ? Le TLFI atteste l'usage entre 1680 et 1690.

Montaigne, lui, ne mesura point l’un à l’aune de l’autre

...depuis que Ronsard et Du Bellay ont donné crédit à notre poésie française, je ne vois si petit apprenti qui n’enfle des mots, qui ne range les cadences à peu près comme eux. Pour le vulgaire, il ne fut jamais tant de poètes... (mais) ils demeurent bien court à imiter les riches descriptions de l’un et les délicates inventions de l’autre.
livre I, ch. XXVI
...aux parties en quoi Ronsard et Du Bellay excellent , je ne les trouve guère éloignés de la perfection ancienne.
livre II, ch XVII



Donc, après Villon, le blogueur de la fuite et du don, voilà le blogueur nostalgique du voyage, mais aussi le chroniqueur acerbe - en avril de cette année, le billet n’eût point déparé de la une de certains quotidiens :

LXXXI
Un conclave
Il fait bon voir (Paschal) un conclave serré,
Et l'une chambre à l'autre egalement voisine
D'antichambre servir, de salle, & de cuisine,
En un petit recoing de dix pieds en carré :

Il fait bon voir autour le palais emmuré,
Et briguer là dedans ceste troppe divine,
L'un par ambition, l'autre par bonne mine,
Et par despit de l'un, estre l'autre adoré :

Il fait bon voir dehors toute la ville en armes,
Crier le Pape est fait, donner de faulx alarmes,
Saccager un palais : mais plus que tout cela

Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante,
Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-la,
Et pour moins d'un escu dix Cardinaux en vente.



Suit de près le CXXXIII, mais nous allons de Rome à Venise,


Il fait bon voir (Magny) ces Couillons magnifiques,
Leur superbe Arcenal, leurs vaisseaux, leur abbord.
Leur sainct Marc, leur palais, leur Realte, leur port,
Leurs changes, leurs profitz, leur banque, & leurs trafiques :

Il fait bon voir le bec de leurs chapprons antiques,
Leurs robbes à grand' manche, & leurs bonnetz sans bord,
Leur parler tout grossier, leur gravité, leur port,
Et leurs sages advis aux affaires publiques.

Il fait bon voir de tout leur Senat balloter,
Il fait bon voir par tout leurs gondolles flotter,
Leurs femmes, leurs festins, leur vivre solitere :

Mais ce que lon en doit le meilleur estimer,
C'est quand ces vieux coquz vont espouser la mer,
Dont ilz sont les maris, & le Turc l'adultere.



Il y a quelques saveurs à parcourir ces billets adressés à l’un ou l’autre de ses amis. N’y reconnaîtrait-on point certaines brèves que s’adressent sur la Toile certains compagnons de blogues ?

Deux scénarios surgissent dans l’imaginaire du lecteur.
L’impossible rencontre du théoricien de la langue et du philosophe & les folles(!) nuits d’amour de la Princesse et de son poète !

Quand Du Bellay écrit ce qui suit dans “Deffence et illustration”, c’est en 1549, Montaigne a seize ans. La camarde lui en aurait-elle laissé temps et loisir, trente-et-un ans après, Joachim eût pu lire la première édition des ESSAIS et son vœu eût été comblé :

Mais le temps viendra par aventure (et je supplie au Dieu très bon et très grand que ce soit de notre âge) que quelque bonne personne, non moins hardie qu'ingénieuse et savante, non ambitieuse, non craignant l'envie ou haine d'aucun, nous ôtera cette fausse persuasion, donnant à notre langue la fleur et le fruit des bonnes lettres.


Demeure encore la merveilleuse énigme des amours de l’Angevin.


DIALOGUE D'UN AMOUREUX ET D'ECHO
Piteuse Echo, qui erres en ces bois,
Repons au son de ma dolente voix.
D'où ay-je peu ce grand mal concevoir.
Qui m'oste ainsi de raison le devoir ? De voir.
Qui est l'autheur de ces maulx avenuz ? Venus.
Comment en sont tous mes sens devenuz ? Nuds.
Qu'estois-je avant qu'entrer en ce passaige ? Saige.
Et maintenant que sens-je en mon couraige ? Raige.
Qu'est-ce qu'aimer, et s'en plaindre souvent ? Vent.
Que suis je donq', lors que mon coeur en fend ? Enfant.
Qui est la fin de prison si obscure ? Cure.
Dy moy, quelle est celle pour qui j'endure ? Dure.
Sent-elle bien la douleur, qui me poingt ? Point.
O que cela me vient bien mal à point !
Me fault il donq' (o debile entreprise)
Lascher ma proye, avant que l'avoir prise ?
Si vault-il mieulx avoir coeur moins haultain,
Qu'ainsi languir soubs espoir incertain.

 

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Quand un recueil s’achève sur plus de dix-huit sonnets qui mentionnent un prénom de femme, un titre royal ou princier, que l’expression en soit platonique et pétraquisante, soit !
S’il ne s’agit pas là d’une passion ?


Au goust de l'eau la fievre se rappaise,
Puis s'evertue au cours, qui sembloit lent :
Amour aussi m'est humble, et violent,
Quand le coral de voz levres je baise.

L'eau goute à goute anime la fournaize
D'un feu couvert le plus etincelant :
L'ardent desir, que mon coeur va celant,
Par voz baisers se faict plus chault que braize.

D'un grand traict d'eau, qui freschement distile,
Souvent la fievre est etainte, Madame.
L'onde à grand flot rent la flamme inutile.

Mais, ô baisers, delices de mon ame !
Vous ne pouriez, et fussiez vous cent mile,
Guerir ma fievre, ou eteindre ma flamme.


Ainsi chante l’amant de celle qui tient “le rameau d’olivier aux deux serpents entrelacés”.
À chacun de résoudre l’énigme!

L’Olive de la jeunesse, pour moi, a un nom.

Post-scriptum :
Ne souhaitant guère clore, ici, la chronique sur le poète de mes adolescences,
j’emporte, pour le périple maritime de ce été, le “Tombeau pour Du Bellay” de Michel Deguy et “L’amour du nom” de Martine Broda, sous-titré “essai sur le lyrisme et la lyrique amoureuse”.
S’approfondira bien l’énigme !
Mais surtout qu’elle demeure “voilée” !

Commentaires

Du Bellay et RONSARD ne sont toujours pas morts, la preuve, on les chante encore ! Voir le superbe CD sur RONSARD chanté par MORELLI etc... aux éditions EPM. Pour DU BELLAY je ne connais pas de disque mais plusieurs poemes chantés dont un que j'adore "d'un vanneur de blé au vent". On peut le trouver sur le site anthologie de Webnet :
http://poesie.webnet.fr/poemes/France/dubellay/8.html
Salut aux voyageurs ! nous lirons vos aventures sur le net !

alain et annie

Écrit par : alain barré | lundi, 13 juin 2005

"C'est l'olive pâmée et la flûte câline"?

Bons vents à vous.

Écrit par : Kate | mardi, 14 juin 2005

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