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mardi, 12 avril 2005

Francis Jammes

C’est le vingtième livre de la collection “Poètes d’aujourd’hui” ; il paraît en 1950. Pierre Seghers a sollicité Robert Mallet qui a soutenu deux thèses sur Jammes,
pour un doctorat ès lettres : Francis Jammes, sa vie, son œuvre, la thèse et le Jammisme, la thèse secondaire.

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Le bouquin de chez Seghers doit être à l’image des thèses : solide, bien documenté, universitaire.
Pour la biographie, quelques soixante pages ; puis une approche des grands thèmes “jammiens” : la nature, les animaux, les humbles, la jeune fille, le passé, l’exotisme ; les dix dernières pages sont consacrées au style et à la prosodie.
Les dernières lignes sont toujours d’actualité et pourraient être une invite à l’endroit de beaucoup de poètes contemporains “édités” :
« Il ne se rattache à aucune lignée, il n’en provoque aucune... Il captive les tempéraments littéraires les plus opposés par son absence de littérature. Il est en dehors des modes. C’est pourquoi il ne se démodera pas. »
Les cent dernières pages sont le choix des poèmes qui couvre l'ensemble des œuvres de 1898 à 1937.

Robert Mallet écrira une préface en 1967 pour introduire sans doute une réédition du Deuil des primevères chez Gallimard ; cette préface sera reprise pour le même recueil édité en 2000 dans Poésie/Gallimard. L’approche n’a guère variée depuis les années 50. Le Recteur Mallet est un homme sérieux qui atteint, au terme d'une longue carrière de recteur, de poète et d'écrivain, les sommets de notre Éducation nationale

Plus incisive est la préface de Jacques Borel au premier recueil, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir, toujours dans la même collection en 2003.
Un audacieux rapprochement avec Guillevic et Francis (!) Ponge, quant aux “objets du monde”. Et le suranné de “la jeune fille Nue” va s’effacer pour une musique où la présence et l’absence, la tension du désir et l’impossible retour, la sensualité chaude et vive et l’inconsolable déchirure nous proposent une lecture actuelle de Jammes. Rejoignant Mallet, Borel l’écrit d’emblée :
«... Encore pour être démodé, faut-il avoir été à la mode : Francis Jammes ne le fut jamais. »

La jeune fille

La jeune fille est blanche,
elle a des veines vertes
aux poignets, dans ses manches
ouvertes.

On ne sait pas pourquoi
elle rit. Par moment
elle crie et cela
est perçant.

Est-ce qu’elle se doute
qu’elle vous prend le cœur
en cueillant sur la route
des fleurs ?

On dirait quelquefois
qu’elle comprend des choses.
Pas toujours. Elle cause
tout bas.

« Oh ! ma chère ! oh ! là là...
... Figure-toi... mardi
je l’ai vu... j’ai rri. » – Elle dit
comme ça.

Quand un jeune homme souffre,
d’abord elle se tait :
et ne rit plus, tout
étonnée.

Dans les petits chemins
elle remplit ses mains
de piquants de bruyères,
de fougères.

Elle est grande, elle est blanche,
elle a des bras très doux.
Elle est très droite et penche
le cou.

Un déhanchement du vers à la Verlaine qui fait l’inimitable Jammes qui n’imita jamais Verlaine.

Verlaine, Claudel et lui : trois racines du rhizome chrétien pour passer du XIXe au XXe siècle. Gide fut son ami et Mauriac comme un disciple.

Les jeunes filles de 2005 aux nombrils nus ne sont plus vêtues de percale et de mousseline, mais elles ont des grâces dans leurs rires et dans leurs blogues, grâces que n’eût point désavouées le vieil homme à longue barbe qui ne fut jamais élu à l’Académie française, qui refusa la Légion d’honneur et qui mourut un 1er novembre de l’an 1938, au Pays Basque.

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Prière pour aller au Paradis avec les ânes

Lorsqu'il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille,
chassez les mouches plates, les loups et les abeilles...

Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j'aime tant, parce qu'elles baissent la tête
doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds
d'une façon bien douce et qui me fait pitié.
J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l'on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes qui font
les mouches entêtées qui s'y groupent en rond.
Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l'amour éternel.


Tout Jammes est là : les ustensiles du monde, le bestiaire, les humbles, le végétal, les jeunes filles, les anges et dieu !

Prenez de Jammes ce que bon vous semble.


Post-scriptum :

Dans la collection Poésie/Gallimard, trois recueils :
Francis Jammes, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir, préface de Jacques Borel.
Francis Jammes, Le Deuil des primevères, préface de Robert Mallet.
Francis Jammes, Clairières dans le ciel, préface de Michel Décaudin.

Sur la Toile :
Le site officiel (!)
http://www.francis-jammes.com/

Commentaires

Ce soir, la Prière de Jammes m'émeut plus que la Jeune fille. Poignant.

Écrit par : Kate | mercredi, 13 avril 2005

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