Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 21 mai 2005

Je, François Villon

Je, François Villon...
Décidémment cet homme écrira toujours dans l’urgence du partir -du fuir ! -, il donne, il pardonne, il part et il donne. Tout.

Le François Villon est le second bouquin de la collection Poètes d’hier et d’aujourd’hui, inaugurée par un Ronsard. Il paraît dans le premier trimestre 1958 ; je l’achète en juillet, retour de mon premier grand voyage. La malle aux poètes n’est point encore trop lourde.

medium_fvillon026.jpg

Seghers a confié la présentation et le choix des textes à Jacques Charpier - à propos de celui-ci, j’ai découvert qu’il était aussi poète et que René Char l’avait appuyé.
La ligne éditoriale s’écarte de la collection initiale : un tableau synoptique des événements littéraires, artistiques et historiques, une suite iconographique et son commentaire - dans le Villon, elle est riche (30 pages), reprenant les données du tableau synoptique et amorçant la biographie du poète.
La dernière phrase introduit la problématique qui est celle de Charpier :
En ce monde où un vieil univers s’abîme et une aurore s’apprête , Villon est-il un héritier ou un prophète ?
Suivent l’étude sur le poète et son œuvre (30 pages) quasi complète le Lais, le Testament, les poésies diverses ; à l’appui, un glossaire et un index.
Cinq pages de bibliographie : manuscrits, principales éditions et études.
Le livre se clôt sur la discographie : Villon fut beaucoup dit et... chanté. Et ne sont pas encore cités Brassens et les autres...

Jacques Charpier tente de dégager Villon de sa légende et du rôle que l’on lui a fait tenir dans la littérature française, de souligner la “présence humaine” dans l’œuvre qui s’annonce, hors de toute certitude, par un “qui suis-je”, premier dans le Moyen-Age des arts :

Prince, je congnois tout en somme,
Je congnois colorez et blesmes,
Je congnois Mort, qui tout consomme,
Je congnois tout fors que moy mesmes.


Villon va aussi effacer l’intime complicité que l’homme d’alors entretient, à la lumière de la foi et de l’espérance chrétiennes, avec la mort.

Mon pere est mort, Dieu en ait l'ame;
Quant est du corps, il git sous lame . .
J'entens que ma mere mourra,
--Et le sait bien, la pauvre femme --
Et le fils pas ne demourra.

Je connais que pauvres et riches,
Sages et folz, prestres et lais
Nobles, villains, larges et chiches,
Petits et grand, et beaulx et laiz,
Dames à rebrassés collets,
De quelconque condition,
Portant atours et bourrelets,
Mort saisit sans exception.

Et meurent Paris et Helène,
Quiconque meurt, meurt à douleur


« ... Et voici que se développe, à partir de ces vers admirables du TESTAMENT, l’une des lamentations les plus retenues, les plus bouleversantes que jamais poète ait poussées. »
S’élève la Ballade des Dames du temps jadis :
Dictes moi où, n’en quel pays,
Est Flora la belle romaine,
Archipiade, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quand bruit on maine
Dessus rivière ou sur estan
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut chastré et puis moine
Pierre Esbaillart, à Saint Denis ?
Pour son amour eut cest essoine.
Semblablement, où est la Reine
Qui commanda que Buridan
Fut jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

La reine Blanche comme un lys
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Béatrix, Allys,
Haremburges qui tint le Maine,
Et Jehanne, la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ;
Où sont-ils, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

Prince, n’enquerez de semaine
Où elles sont, ni de cest an
Qu’à ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d’antan ?


Mais à celles et ceux qui dénient au Testament d’être un texte autobiographique, ne serait-ce donc qu’un rimailleur professionnel qui pleurerait en ce rondeau ?

Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :
Onc puis n'eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisait-elle en vie,
Mort ?

Deux étions et n'avions qu'un coeur ;
S'il est mort, force est que devie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par coeur,
Mort !

La mort, pour Villon, l’irrémédiable étrangère !

Demain dimanche, ou le dimanche suivant, encore quelques pas avec ce frère très humain.

Post-scriptum :
Cette note est dédiée à cette femme d'Outre-Atlantique qui tint jusqu’à ces derniers jours une belle chronique et d’amour et de douleur dans Circonvolutes.
Villon n’eut pas désavoué l’adage qui sous-titrait le blogue :
Lux et umbra vicissim sed semper amor

Dommage que Circonvolutes soit devenu ombre et silence.



Les commentaires sont fermés.