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dimanche, 29 mai 2005

Je, François Villon - seconde balade !

Voici, sans doute, notre premier poète urbain et, vu ses ressources d’étudiant désargenté - quand il ne volait point - le premier piéton de Paris. Peu importe l’exacte géographie du Paris de l’époque, puisque mon plan, imaginaire, n’est pas son plan. Je le suis, à l’oreille, de taverne en fontaine, de bordeau en cabaret, à travers ruelles et places, évitant les sergents à verge et les prêteurs à gages

Du Grand Godet, en passant par les Trumillières, le Barillet, Le Heaulme, la Crosse, la Pomme de pin, la Mule, près la rue Saint-Jacques, la rue des Lombards, la rue aux Fèves, le Châtelet, le Pont-au-Change, la Rotisserie de la Machecoue, la Pierre au Let, le Trou Perrette, jusqu’à la Couture du Temple.

C’est un bonheur, la lecture de Villon en notre temps ; certes, il existe des lexiques, des index, des glossaires qui permettent précision et compréhension, mais il est si bon de se laisser à la seule musique du mot ancien, de se le "mettre en goule" et, si vouloir même, de s’inventer un sens.
Que faire d’autre d’ailleurs quand, pour mieux nous égarer dans la langue, Villon nous écrit une Ballade en vieil langage françois

Car, ou soit ly sains appostolles
D'aubes vestuz, d'amys coeffez,
Qui ne seint fors saintes estolles
Dont par le col prent ly mauffez
De mal talant tous eschauffez,
Aussi bien meurt que filz servans,
De ceste vie cy brassez :
Autant en emporte ly vens.



Ou qu’il nous entraîne dans le verlan des étudiants d’alors, précédant de cinq cents ans, le bon vieil Albert Simonin et son argot de la pègre :

Joncheurs jonchans en joncherie
Rebignez bien ou joncherez
Qu'Ostac n'embroue vostre arerie
Ou accoles sont voz ainsnez
Poussez de la quille et brouez
Car tost seriez rouppieux
Eschec qu'accolez ne soies
Par la poe du marieux.

Bendez vous contre la faerie
Quant vous auront desbouses
N'estant a juc la rifflerie
Des angelz et leurs assoses
Berard si vous puist renversez
Si greffir laisses vos carrieux
La dure bien tost ne verres
Par la poe du marieux.

Entervez a la floterie
Chanter leur trois sans point songer
Qu'en astes ne soies en surie
Blanchir vos cuirs et essurgez
Bignes la mathe sans targer
Que voz ans n'en soient ruppieux
Plantes ailleurs contre assegier
Par la poe du marieux.
medium_villon1.jpg

Prince bevardz en esterie
Querez couplaus pour ramboureux
Et autour de vos ys luezie
Par la poe du marieux.

Il se targue même d’avoir appris de gentes dames le parler poitevin (!) - déjà donc le territoire linguistique s’organisait en parlers dominants et dominés -; mais il est vrai que l’oreiller fut et est encore le plus fécond des lieux pour un tel apprentissage

Se je parle ung poy poictevin,
Ice m'ont deux dames apris.

Illes sont tres belles et gentes,
Demourans a Saint Generou
Prez Saint Julïen de Voventes,
Marche de Bretaigne a Poictou.
Mais i ne di proprement ou
Yquelles pensent tous les jours ;
M'arme ! i ne suy moy si treffou,
Car i vueil celer mes amours.


Féru d’arts et de théologie, il est moins expert en linguistique et géographie. Il rencontra sans doute les deux dames lors de son premier exil angevin et Saint-Julien de Vouvantes est aux marches de Bretagne et de l’Anjou, non du Poitou et le parler y est plus gallo que poitevin. Néanmoins, l’amant cache bien le lieu de ses langagières amours, car je n’ai pas retrouvé “Saint-Generou” !
Faut-il suggérer que la jolie chanteuse, Jeanne Cherhal, native d’Erbray proche de Saint-Julien, est peut-être le fruit lointain de l’une ou l’autre de ces amours ?

Beaux égarements quand nous revenons dans une langue qui nous est plus familière, mais que Villon fait si harmonieusement chanter

Je plains le temps de ma jeunesse..
Allé s’en est, et je demeure

..................................................................
Mes jours s’en sont allés errants
..................................................................
La belle qui fut heaulmière
..................................................................
Vente, frêle, gèle, j’ai mon pain cuit.
Je suis paillard, la paillarde me suit.


Cette jouissance de la langue conduit droit à l’homme de plaisir ; hédoniste, il le fut - mais avait-il lu Épicure, sans doute censuré de chrétiens oublis ?

Pere Noé, qui plantastes la vigne,
Vous aussi, Loth, qui bustes au rocher
Par tel party qu'Amours, qui gens engingne,
De voz filles si vous fist approucher
- Pas ne le dy pour le vous reproucher -,
Archedeclin qui bien seustes cest art,
Tous trois vous pry que vous vueilliez prescher
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.

Jadis extraict il fut de vostre ligne
Lui qui buvoit du meilleur et plus cher,
......................................................................
On ne luy sceust pot des mains arracher ;
De bien boire ne feut oncques fetart.
Nobles seigneurs, ne souffrez empescher
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.

Comme homme beu qui chancelle et trepigne
L'ay veu souvent, quant il s'alloit coucher,
Et une foiz il se fist une bigne,
Bien m'en souvient, pour la pie juchier.
Brief, on n'eust sceu en ce monde sercher
Meilleur pïon, pour boire tost et tart.
Faictes entrer, quant vous orrez hucher,
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.

Prince, il n'eust sceu jusqu'a terre cracher.
Tousjours crioit: « Haro, la gorge m'art ! »
Et si ne sceust onc sa seuf estancher
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.


Ses errances ne durent guère lui procurer toujours bon toit, bon lit ; mais semble-t-il, qu’importaient luxe ou pauvreté, l’importance lui était de consommer la tendre luxure

Sur mol duvet assiz, ung gras chanoine,
Lez ung brasier, en chambre bien natee,
A son costé gisant dame Sidoine,
Blanche, tendre, polye et attintee,
Boire ypocras a jour et a nuytée,
Rire, jouer, mignonner et baiser,
Et nud a nud, pour mieulx des corps s'aisier,
Les vy tous deux par ung trou de mortaise.
Lors je cogneuz que, pour dueil appaisier,
Il n'est tresor que de vivre a son aise.

Se Franc Gontier et sa compagne Hélène
Eussent cette douce vie hantée,
D'oignons, civots, qui causent forte haleine
N'acontassent une bise tostée.
Tout leur maton, ne toute leur potée,
Ne prise un ail, je le dis sans noiser.
S'ils se vantent coucher sous le rosier,
Lequel vaut mieux ? Lit côtoyé de chaise ?
Ou'en dites-vous ? Faut-il à ce muser ?
Il n'est trésor que de vivre à son aise.

De gros pain bis vivent d'orge et d'avoine,
Et boivent eaue tout au long de l'année.
Tous les oiseaux d'ici en Babyloine
A tel école une seule journée
Ne me tendroient, non une matinée.
Or s'ébatte, de par Dieu, Franc Gontier,
Hélène o lui, sous le bel églantier :
Se bien leur est, cause n'ai qu'il me pèse
........................................................
Mais quoi qu'il soit du laboureux métier,
Il n'est trésor que de vivre à son aise.

Prince, juge, pour tôt nous accorder.
Quan est de moi, mais qu'à nul ne déplaise,
Petit enfant, j'ai oï recorder :
Il n'est trésor que de vivre à son aise.

Les contreditz de Franc Gontier


Plus complexes, déchirées, sont ses relations amoureuses, ancillaires, tarifées, châtelaines, paysannes, de bordeau, de taverne, de moutier ou de cour : il oscillera, dès Le Lais, entre nostagie tendre, amoureux dépit et plus qu’acerbe satire !

Le regard de celle m’a pris
Qui m’a été félonne et dure
..................................................

Foles amours font les gens bêtes :
Salomon en idolâtra,
Samson y perdit ses lunettes.
Bien est heureux qui rien n’y a !
....................................................
Abusé m'a et fait entendre
Tousjours d'un que ce feust ung aultre :
De farine que ce feut cendre,
D'un mortier ung chappel de faultre,
De viel machefer que feust peaultre,
D'ambesars que c'estoïent ternes
- Tousjours trompeur autruy engautre
Et prent vessies pour lanternes -,

Du ciel, une paille d'arrain,
Des nues une peau de veau,
Du main que c'estoit le serain,
D'ung troignon de chou, ung naviau,


Ainsi m'ont Amours abusé
Et pourmené de l'huys au pesle.
..................................................

Je renie Amours et despite
Et defie a feu et a sang.
Mort par elles me precepicte,
Et ne leur en chault pas d'un blanc.
Ma vïelle ay mis soubz le banc,
Amans je ne suivray jamais ;
Se jadiz je fuz de leur rang,
Je declaire que n'en suis mais.

Car j’ai mis le plumail au vent....


De dépit en dépit, fors sans doute nos deux belles de Saint-Julien de Vouvantes et une certaine Catherine de Vausselles, Villon se forgera une forme de mysoginie qui laissera traces et exemples pour toute notre littérature amoureuse à venir.
La Belle Heaulmière chantera les regrets de la beauté pour toutes celles que “jadis servait” ou ...payait le beau François.

Quant je pense, lasse ! au bon temps,
Quelle fus, quelle devenue;
Quant me regarde toute nue,
Et je me voy si tres changée,
Povre, seiche, mesgre, menue,
Je suis presque toute enragée.

Qu'est devenu ce front poly,
Ces cheveulx blons, sourcilz voultiz,
Grant entr’oeil, le regart joly,
Dont prenoie les plus soubtilz;
Ce beau nez droit, grant ni petit;
Ces petites joinctes oreilles,
Menton fourchu, cler vis traictiz,
Et ces belles levres vermeilles?

Ces gentes espaulles menues;
Ces bras longs et ces mains traictisses;
Petiz tetins, hanches charnues,
Eslevées, propres, faictisses
A tenir amoureuses lices;
Ces larges rains, ce sadinet
Assis sur grosses fermes cuisses,
Dedans son petit jardinet ?

Le front ridé, les cheveux gris,
Les sourcilz cheuz, les yeulz estains,
Qui faisoient regars et ris,
Dont mains marchans furent attains;
Nez courbes, de beaulté loingtains;
Oreilles pendans et moussues;
Le vis pally, mort et destains ;
Menton froncé, levres peaussues :
`
C'est d'umaine beaulté l'yssue!
Les bras cours et les mains contraites,
Les espaulles toutes bossues;
Mamelles, quoy ! toutes retraites;
Telles les hanches que les tetes.
Du sadinet, fy ! Quant des cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissetes,
Grivelées comme saulcisses.
medium_belheaul.jpg


Ainsi le bon temps regretons
Entre nous, povres vielles sotes,
Assises bas, à crouppetons,
Tout en ung tas comme pelotes,
A petit feu de chènevotes
Tost allumées, tost estaintes;
Et jadis fusmes si mignotes ! ...


Rutebœuf, Eustache Deschamps, Christine de Pisan, Charles d’Orléans, et avant eux, troubadours et trouvères, Conon de Béthune, Gace Brulé, Guiot de Dijon, avaient célébré le mal d’amour et l'amant éconduit.
Aucun ne s’était avancé aussi loin dans le dire du désenchantement.

Chacun le dit à la volée,
« Pour un plaisir, mille doulours. »
..............................................
..............................................
Hé Dieu, si j’eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes mœurs dédié
J’eusse maison et couche molle.


Prenons congé en lisant le jouteur de mots et l’empêcheur de penser en rond

dans la Ballade des proverbes
.............................................

Tant gratte chèvre que mal gît
Tant va le pot à l’eau qu’il brise

dans la Ballade des menus propos

Je connais à la robe l’homme
Je connais le beau temps du laid
............................................................
Je connais le moine à la gonne
Je connais le maître au valet
Je connais au voile la nonne
Je connais quand pipeur jargonne
............................................................
Je connais le vin à la tonne
Je connais tout, fors que moi-même

dans la Ballade des contrevérités

...........................................
Voulez-vous que verté vous die ?
Il n’est de jouer qu’en maladie
Lettre vraye que tragédie
Lâche homme que chevaleureux

Orrible son que mélodie
Ni bien conseillé qu’amoureux


La ballade la plus triviale, non titrée, sur “les langues ennuyeuses” s’achèvera par cet envoi :

Prince passez tous ces friands morceaux
S’étamine, sac n’avez, ou bluteaux,
Parmi le fond d’une braye brenneuse
Mais par avant en étrons de pourceaux
Soient frites ces langues envieuses !


Lors de la joute de Blois avec et contre Charles d’Orléans, est-on plus dans un jeu de grands réthoriqueurs que dans le dit très héraclitéen de l’harmonie des contraires ?

Je meurs de seuf auprès de la fontaine,
Chaud comme feu, et tremble dent à dent ;
En mon pays suis en terre lointaine ;
Lez un brasier frissonne tout ardent ;
Nu comme un ver, vêtu en président,
Je ris en pleurs et attends sans espoir ;
Confort reprends en triste désespoir ;
Je m'éjouis et n'ai plaisir aucun ;
Puissant je suis sans force et sans pouvoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Rien ne m'est sûr que la chose incertaine ;
Obscur, fors ce qui est tout évident ;
Doute ne fais, fors en chose certaine ;
Science tiens à soudain accident ;
Je gagne tout et demeure perdant ;
Au point du jour dis : " Dieu vous doint bon soir ! "
Gisant envers, j'ai grand paour de choir ;
J'ai bien de quoi et si n'en ai pas un ;
Echoite attends et d'homme ne suis hoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

De rien n'ai soin, si mets toute ma peine
D'acquérir biens et n'y suis prétendant ;
Qui mieux me dit, c'est cil qui plus m'ataine,
Et qui plus vrai, lors plus me va bourdant ;
Mon ami est, qui me fait entendant
D'un cygne blanc que c'est un corbeau noir ;
Et qui me nuit, crois qu'il m'aide à pourvoir ;
Bourde, verté, aujourd'hui m'est tout un ;
Je retiens tout, rien ne sait concevoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Prince clément, or vous plaise savoir
Que j'entends mout et n'ai sens ne savoir :
Partial suis, à toutes lois commun.
Que sais-je plus ? Quoi ? Les gages ravoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Je choisirai l’homme déchiré !
Je choisirai ce frère en humanité qui, en son ultime départ, nous écrit ceci :

Ci gît et dort en ce solier,
Qu'amour occit de son raillon,
Un pauvre petit écolier
Qui fut nommé François Villon.
Oncques de terre n'eut sillon.
Il donna tout, chacun le sait :
Table, tréteaux, pain, corbillon.
Pour Dieu, dites-en ce verset :

VERSET

Repos éternel donne à cil,
Sire, et clarté perpétuelle,
Qui vaillant plat ni écuelle
N'eut oncques, n'un brin de persil.

Il fut rés, chef, barbe et sourcils,
Comme un navet qu'on ret ou pèle.
Repos éternel donne à cil.

Rigueur le transmit en exil
Et lui frappa au cul la pelle,
Nonobstant qu'il dît : " J'en appelle ! "
Qui n'est pas terme trop subtil.
Repos éternel donne à cil.


Le ciel est sans doute vide. Villon, dans le repos du néant, nous parle encore !

Post-scriptum :
•Le site de la Société François Villon.
La vie et l'œuvre.
• Quelques belles Ballades.
• Biographie et anthologie
• Le dessin est de Brigitte Fleury dans les Œuvres complètes de Villon, Nouvelle Librairie de France, Paris 1980. (ou Imprimerie Nationale, 1975).
• La sculpture "la Belle Heaulmière" est de Rodin (?). Mais le rédacteur de la présente note, sans être un connaisseur érudit des œuvres, l'attribuerait plus volontiers à Camille Claudel que son amant Rodin exploita et copia avec l'impudeur que certains biographes ont dénoncée.

Commentaires

"Deux étions et n'avions qu'un cœur ;
S'il est mort, force est que devie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par cœur, seulement en apparence,
Mort !"

Quel beau voyage à travers le temps! Merci.

Écrit par : Kate | mardi, 31 mai 2005

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