mardi, 22 mars 2005
Arthur RIMBAUD
Le Rimbaud de chez Seghers est arrivé à Bongouanou en mars 1957 avec Paul Éluard et Francis Jammes. L’achevé d’imprimer indique septembre 1956. Mais c’est le douzième de la collection, il s’agit certainement d’une réédition. Les “seuils” du livre ne donnent, c'est dommage, aucune lumière.
Rimbaud, c’était quatre textes, côtoyant Samain, Mallarmé, Lafforgue, de Régnier, Verhaeren.... dans un classique Larousse “Paul Verlaine et les Symbolistes”.
O balançoire ! O lys, Clysopompes d’argent !
C’était, murmurés à perte de nuit, Voyelles, le Dormeur du val, le Bateau ivre, Ma Bohème,
J’allais les poings dans mes poches crevées
C’était, assénés, les Assis, par la voix abrupte de Jean-Louis Barrault.
C’était des pans entiers des Illuminations, de la Saison en enfer “censurés” parce que jugés inaudibles. Ou alors des bribes ! Saisissables ?
...Aujourd'hui, aucun pan n'est plus censuré, mais quand on lit le “Rimbaud” des autres, c’est tout comme... et ça peut s'entendre. À chacun, ses fétus rimbaldiens et ses pages impénétrables ; que l'on tait ! Allez expliquer l'obscur !
Des bribes ! Mes bribes ! les “O ” !
Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Claude-Edmonde Magny prend comme carte d’orientation la lettre du Voyant, celle envoyée à Paul Demeny, datée du 15 mais 1871 ; elle aurait pu s’appuyer sur le lettre de l’avant-veille adressée à Georges Izambard.
Peut-être les deux meilleurs outils pour s’enfoncer dans les déserts, les eaux, les villes et les châteaux.
Et ils nous sont donnés par l’artisan lui-même, voyant voyou, vieux jeune, satan sage .
Il en fournira d’autres tout au long de son ouvrage et Magny les pointe avec beaucoup d’acuité.
Je souligne ces lignes, que je n’ai point trouvé souvent citées.
Détournant Malraux, je pense, – mais est-ce mon entourage qui m’y dispose – que le XXIe siècle sera féminin ou nous ne serons plus !
«...Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme — jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. »
Branleur mystique ? enculé enculeur ? drogué ascétique ? petit commerçant communard ?
Un très malin qui nous laissa assez de traces mystérieuses et prosaïques pour que nous ne puissions en faire un mythique Lautréamont.
Astucieux, non ! Ce très lointain et très quotidien cousin.
Devant l’afflux des exégètes, des commentateurs, des paraphraseurs — qui n’a pas écrit en une feuille ou en plusieurs livres son Rimbaud — il y a quelqu'hésitation ? Dans le Magazine Littéraire de juin 1991, deux pages bibliographiques et onze parutions pour un anniversaire centenaire.
Des décades rimbaldiennes. Fin de siècle : les années “Borer”. Début du siècle : les années “Jeancolas”. On annonce la décade “Lefrère”.
Il y a de sympathiques fonds de commerce. Il fut négociant, Jean-Arthur, non ?
Dans les années soixante, ça s’étripait allègrement entre Étiemble, Pia, Faurrisson et Breton.
Les uns pencheront pour :
...Il s’agit de gagner une dizaine de mille francs, d’ici à la fin de l’année... D’ailleurs, je me suis ménagé la possibilité de rentrer dans mon capital à n’importe quel moment...
Rimbaud fourmi.
Les autres inclineront vers :
J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse.
Rimbaud cigale.
....O Timothina Labinette !
..........................................
...À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem !
..............................................................................
...Ma chère maman !
..................................
Le même Rimbaud.
Tous à lire ! Doctes, fous, professeurs, rêveurs, biographes, photographes, auteurs, universitaires, autodidactes, poètes, peintres, inconnus. Même Sollers dans Studio, qui se chauffe aisément au feu des autres - le lire sur Vivant Denon, Mozart, Dante.
En serrer quelques-un(e)s dans son havre-sac : Enid Starkie, Edmonde Magny, Henri Miller, Pierre Gascar, Ernest Pignon-Ernest, Pierre Michon, Jean-Luc Steinmetz....
Il est bien de tout lire, – enfin le plus possible, – de tout voir, de tout entendre, de tout vivre et puis de tout oublier et de revenir à l’homme et à l’ouvrage.
Là, ces jours, je ne puis que me rêver une mise en scène de mes propres moments de lectures.
Contempler l’homme et lire l’œuvre !
Une grande salle blanche et nue, deux reproductions élargies aux dimensions des murs : sur le mur du nord-est, la peinture de Ernest Pignon-Ernest qui s’est délitée des mois durant sur les murs de Paris.
C’est le jeune Arthur à la besace de poèmes qui surgit dans la Commune. La lumière qui l’éclaire est celle du sud.
Sur le mur du sud-est, c’est l’image retouchée du Rimbaud au Harrar ; c’est la lumière du nord qui laisse entrevoir l’indéfini d’un beau visage émacié.
Contre le mur de galerne, un tabouret et une table sur laquelle s’ouvre n’importe quelle édition des œuvres complètes.
La mienne est celle de la Pléiade, achetée en juin 1958 et qui fut glissée dans toutes cantines, sacs ou valises. Le papier bible a fait la guerre d’Algérie, les pitons, les crapahuts, puis l’indépendance — au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie — et le désert.
Il fut lu dans la tiédeur du sac de couchage posé à même la terre, adossé au rocher à l’ombre des lauriers-roses au creux d’un oued, dans l’aridité minérale de contreforts de l’Amahadou, au bord d’une séguia biskrie dans le parfum des orangers, dans un des multiples entonnoirs qui trouent les dunes du grand Erg oriental.
Plus tard, dans les criques de Bretagne sud,
en dévalant les houles du Golfe de Gascogne,
dans les calmes plats qui s’allongent sur l’équateur du Pacifique,
sur les rives de la Falémé, précédant le coq et le muezzin,
au creux des ports de l'Algarve et de l'Andalousie atlantiques.
Et ici, aujourd’hui quand, quittant l’écran, le regard se porte sur les grandes images qui élargissent les murs, dans le retour bienheureux à une clandestine adolescence,
la voix du lecteur murmure :
Je suis le saint, en prière sur la terrasse, — comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant.
Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l’allée dont le front touche au ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.
Ailleurs
Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord...
Sur la Toile
• Le site de la ville natale (aurait-il apprécié ?).
• un site à liens.
• Un mien Rimbaud, écrit en hâte quand un matin d'atelier, Daniel Biga déroula, devant nous, son exemplaire sur papier journal, du Rimbaud de Pignon-Ernest (cf. la reproduction,ci-dessus). Dédié à Mj, cette femme qui m'entraîna dans l'aventure de cet atelier.
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mardi, 01 mars 2005
Paul ÉLUARD
Voici donc le numéro 1 de la collection Poètes d’aujourd’hui : une aventure éditoriale et une construction assez complexe avec deux coauteurs, Louis Parrot et Jean Marcenac.
“C’est avec le livre consacré à Paul Éluard que naquit réellement la maison d’édition”. Pierre Seghers relate avec précision l’histoire de sa collection dans le n°164, Pierre Seghers par l’auteur, pages 56 et 57.
Le texte de Parrot avec un choix de poèmes est achevé d’imprimer le 10 mai 1944. “Au plus noir de l’occupation”, Seghers annonce deux autres titres : Max Jacob, Aragon.
Cette aventure mérite d’être soulignée : la maquette est de Boris Lacroix - elle existait encore, au moins dans son format et son principe éditorial - présentation de l’auteur et choix de textes - jusqu’en 2003, Francis Ponge présenté par Sollers, par exemple.
Ce jour, le format 135x160 semble avoir été abandonné au profit d’un 145x195, plus traditionnel et c’est le Jean Grosjean de Jean-Luc Maxence qui en fait les frais et/ou en bénéficie.
Le conseiller de Seghers sera Paul Éluard lui-même : « Non pas une brochure, une plaquette. Mais un livre. Faites de vrais livres ! » Ce fut sans doute le premier livre de poche sur un poète et l’occupant était encore là.
L’élaboration du bouquin dans la clandestinité justifie cette superposition de strates d'écrits : le texte de Louis Parrot en mai 1944, préfacé en mars 1945, postfacé en août 1948. Précédé par Parrot, Éluard meurt le 18 novembre 1952 .
Seghers confie, de suite, à Jean Marcenac, la charge d’une nouvelle postface ; celui-ci reprend, en la commentant, une longue intervention - 45 pages -, Les progrès de l’espérance, écrite pour la revue Europe en avril 1950. Le choix des poèmes d’Éluard s’enrichit des dernières œuvres publiées et d’inédits.
Qu’écrit Parrot ? Il réfute, dès les premières lignes, une présentation qui ne soit que critique et esthétique ; il affirme ne pas “vouloir expliquer” l’œuvre, mais “indiquer dans quelles conditions elle est née,... donner quelques précisions sur la vie de son auteur”. La biographie du poète devient aussi une approche de l’histoire du Surréalisme, des liens avec les peintres.
Qu’écrit Marcenac ? La discrétion politique que montrait Parrot évoquant “ la vie publique du poète, au moment où il allait entreprendre ses longues et amicales tournées d’amabassadeur de la poésie nouvelle et des idées les plus généreuses en Grèce, en Yougoslavie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Italie” va laisser place à une entreprise de récupération, certes nuancée par la tristesse de la disparition récente et l’amitié désertée, mais noyée dans un pathos où se découvrent Orphée, les Argonautes, Byron, le soir de Grèce, le soleil de Chine, les dockers en lutte, les augmentations de salaire pour aboutir à cette extraordinaire “nouvelle qui passe en grandeur tout ce qui peut se rêver et nous apprend qu’en U.R.S.S., on envisage de ne plus vendre le pain, mais de le donner...” (sic), récupération à la gloire du Parti !
Le péan sera entonné, de la page 240 à 242, quand Éluard “avec les clairvoyance du génie,... était allé au communisme pour couronner par lui sa poésie et son génie, leur donner leur conclusion nécessaire, leur efficace plénitude, parce que le communisme est cette science du bonheur”.
Suivent Lénine, MaÎakovski (!), Neruda, Aragon, les Congrès pour la paix et les fêtes anniversaires de Gogol et de Victor Hugo, célébrées à Moscou en 1952, où Éluard représente “le peuple français” ! Jean Marcenac fut un homme très respectable, militant communiste, poète engagé dans la Résistance, militant qui fut, je crois, journaliste à “l’Huma” et aux Lettres Françaises.
Le portrait d’Éluard ci-contre est bien dans le ton du réalisme socialiste.
L’ironie que peuvent laisser percer ici ces quelques lignes ne sont, sans nul doute, que l’amertume d’espoirs déçus dans un bien sombre magma. Et ce qu’avaient vécu de tels hommes était-il donc si atroce qu’ils fussent aveuglés dans leur rêve d’horizon ?
Demeure la question sous-jacente à beaucoup de livres de la collection. Seghers fit-il le meilleur des choix en confiant le rôle de passeurs de poètes à d’autres poètes ? Certes, il “faisait” vivre et les uns et les autres. Mais... (lire le blogue de Florence Trocmé sur Perse et Bosquet et son commentaire ci-dessous, ajouté ce 2 mars).
Le livre arrive à Bongouanou, accompagné de deux autres titres de la collection Arthur Rimbaud par Claude Edmonde Magny et Francis Jammes par Robert Mallet. Faut-il avouer qu’en mars 1957, je ne m’attarde guère aux écrits de présentation et autres "seuils" littéraires, comme écrirait Gérard Genette.
Au poème même !
L’objectif de Seghers me comblait d’aise : “Sevré de contacts et d’informations... ni radios, ni T.V., ni bibliothèques ouvrant aux modernes leurs portes,” je me voyais offrir, au fin fond de ma brousse tropicale et coloniale, la possible lecture de poètes que je découvrais, pas "illuminé" comme certain(!) me qualifie, mais pour le moins émerveillé ! Ils me donnèrent quelques coups de pied au cul et soutinrent ma tentative d'auto-décolonisation.
À petits pas, j’allais apprendre à fréquenter les rayons de librairies où je trouverais mes nourritures. Parce que, entre autres démarches de recherche, j’aurai appris à maîtriser les catalogues de certains éditeurs dans l’immense chambre de la concession scolaire d’une subdivision côte-d’ivoirienne.
Retour à Paul Éluard.
Comme certains, à l’image de Cadou, Desnos, Prévert, il est trop vite devenu le poète des livres de classe, des cours de collèges, des anthologies lycéennes et des “poèmes pour tous” à offrir aux jeunes mariés. Trop aisé à cerner, à définir, à classer dans une tradition
À tel point que chez le lecteur, s’est souvent annoncée comme une usure du sens. Ainsi de ces métaphores populaires, telles "prairie émaillée de fleurs", "mon sang ne fit qu'un tour" et autres qui naquirent du génie inventif de la langue et ne sont plus que clichés éculés.
Et pourtant
Bonne journée j’ai revu qui je n’oublie pas
Qui je n’oublierai jamais
Et des femmes fugaces dont les yeux
Me faisaient une haie d’honneur
Elles s’enveloppèrent dans leurs sourires
Bonne journée j’ai vu mes amis sans soucis
Les hommes ne pesaient pas lourd
Un qui passait
Son ombre changée en souris
Fuyait dans le ruisseau
J’ai vu le ciel très grand
Le beau regard des gens privés de tout
Plage distante où personne n’aborde
Bonne journée journée qui commença mélancolique
Noire sous les arbres verts
Mais qui soudain trempée d’aurore
M’entra dans le cœur par surprise.
16 mai 1936
Les yeux fertiles, 1936
Une cueillette dans
Blason des fleurs et des fruits dédié à Jean Paulhan
À mi-chemin du fruit tendu
Que l’aube entoure de chair jeune
Abandonnée
De lumière indéfinie
La fleur ouvre ses portes d’or
Rose pareille au parricide
Descend de la toile du fond
Et tout en flammes s’évapore
Dahlia moulin foyer du vent.....
Tulipe meurtrie de lune.....
Colchique veilleuse nacrée...
Marguerite l’écho faiblit
Un sourire accueillant s’effeuille
Goyave clou de la paresse
Muguet l’orgueil du maître pauvre....
Dans le filet des violettes
La fraise adore le soleil
Glycine robe de fumée
Œillet complice de la rue
Digitale cristal soyeux
Lilas lèvres multipliées
Amarante hache repue
Brugnon exilé jusqu’aux ongles
Iris aux mains de la marée
Passiflore livrée aux hommes
Clématite jeunesse comble
Chèvrefeuille biche au galop
......................................................
Fleurs récitantes passionnées
Fruits confidents de la chaleur
J’ai beau vous unir vous mêler
Aux choses que je sais par cœur
Je vous perds le temps est passé
De penser en dehors des murs.
Le livre ouvert II, 1947
Il faut cependant revenir à la Femme et à l’Avenir. L’amertume du lecteur n’a point éteint toute lueur dans le large de ce double horizon.
Char, le copain d’Éluard, n’écrivait-il pas ! : « Il faut intarissablement se passionner. En dépit d’équivoques découragements et si minimes que soient les réparations. » (in À une sérénité crispée).
J'ai cru pouvoir briser la profondeur l'immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m'a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu'il n'y ait rien ni vitre ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J'avais éliminé l'hivernale ossature
Du vœu de vivre qui s'annule.
Tu es venue le feu s'est alors ranimé
L'ombre a cédé le froid d'en bas s'est étoile
Et la terre s'est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J'avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J'avançais je gagnais de l'espace et du temps
J'allais vers toi j'allais sans fin vers la lumière
Là vie avait un corps l'espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l'aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j'adorais l'amour comme à mes premiers jours.
Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une boule énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n'est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits pour s'entendre
Pour se comprendre pour s'aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.
La mort, l’amour, la vie
Le Phénix, 1951
Pour conclure
écrites avec André Breton, quelques lignes de L’Immaculée Conception
........................
32. Lorsque la vierge est renversée en arrière, le corps puissamment arqué et reposant sur le sol par les pieds et les mains, ou mieux par les pieds et la tête, l’homme étant à genoux, c’est l’aurore boréale.
L’amour multiplie les problèmes. La liberté furieuse s’empare des amants les plus dévoués l’un à l’autre que l’espace à la poitrine de l’air. La femme garde toujours dans sa fenêtre la lumière de l’étoile, dans sa main la ligne de vie de son amant. L’étoile, dans la fenêtre, tourne lentement, y entre et en sort sans arrêt, le problème s’accomplit, la silhouette pâle de l’étoile dans la fenêtre a brûlé le rideau du jour.
L’amour
L'Immaculée Conception, 1930.
Ce blogue du 1er mars consacré à Paul Éluard est dédié à Ch.A.A.
qui y reconnaîtra peut-être la jeune lectrice... qu'elle est encore.
Post-blogue :
Ne saisissez pas seulement "l'Immaculée Conception" dans Google. Vous auriez un afflux de pages sur une autre immaculée conception, guère plus vierge, en son avenir, que celle d'Éluard et de Breton !
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lundi, 28 février 2005
"Montrez-moi aussi..."
Mais pourquoi ai-je, hier, parlé de la "pâleur" d'Éluard ? Le livre était-il donc depuis si longtemps fermé ?
Cet après-midi, préparant la présentation du "Poète d'aujourd'hui" n°1, pour demain (?), je relis ce texte dédié à Picasso et qui prolonge le poème des poèmes "Moi, noire, harmonieuse..."
Montrez-moi aussi le corsage noir
Les cheveux tirés les yeux perdus
De ces filles noires et pures qui sont ici de passage et d'ailleurs à mon gré
Qui sont de fières portes dans les murs de cet été
D'étranges jarres sans liquide toutes en vertus
Inutilement faites pour des rapports simples
Montrez-moi ces secrets qui unissent leurs tempes
À ces palais absents qui font monter la terre.
30 août 1936
Les yeux fertiles
19:35 | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 27 février 2005
Moi, noire,
Demain, je sèche Spinoza et les écritures bibliques pour PowerPoint et les finesses du montage.
Le "poète du mardi" va peut-être en souffrir. Ce devait être "Éluard" arrivé par poste en mars 1957 dans l'indicible pafum des caféiers en fleurs et l'Amour se déclinait alors ainsi sans le secours des quatre étapes de l'herméneutique médiévale :
Moi, noire, harmonieuse, filles de Ieroushalaîm
comme tentes de Quédar, comme tentes de Shelomo.
Le Poème des Poèmes.
selon Chouraqui
Éluard me paraissait un peu pâle !
23:50 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 22 février 2005
Henri MICHAUX
Au commencement, ce texte.
L’exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier, est le véritable poème du prisonnier.
Dans le lieu même de la souffrance et de l’idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies au martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque — état merveilleux !
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Cette montée verticale et explosive est un des grands moments de l’existence. On ne saurait assez en conseiller l’exercice à ceux qui vivent malgré eux en dépendance malheureuse. Mais la mise en marche du moteur est difficile, le presque-désespoir seul y arrive.
Pour qui l’a compris, les poèmes du début de ce livre ne sont point précisément faits en haine de ceci, ou de cela, mais pour se délivrer d’emprises.
Préface à Épreuves, exorcismes
C’est lu dans le Panorama critique des nouveaux poètes français de Rousselot, que j’ai emporté avec moi dans la petite cantine où sont serrés mes premiers livres.
Au chapitre “Michaux”, MON ROI, LA LETTRE, NOTES DE ZOOLOGIE, et de curieuses ARTICULATIONS :
Et go to go and go
Et sucre !
Sarcospèle sur Saricot
Bourbourane à talico
ou te bourdourra le bodogo
Bodogi.
Croupe, croupe à la Chinon.
Et bourrecul à la misère.
La nuit remue
Le bouquin sera très vite commandé. Il arrivera trois semaines après, en décembre 1955, au petit bureau de poste de la subdivision de Bongouanou, dans le centre-est de la Côte d’Ivoire ; le bureau est tenu par un receveur sérère originaire de Casamance. Au fil des mois, le postier, intrigué par ces petits colis tamponnés “Éditions Seghers”, qui me sont envoyés, me parlera de Senghor.
Vivre à des milliers de kilomètres de mon ouest natal, dans une forêt extraordinaire de beauté et de senteurs, mais où les rares écrits sont d’école, de religion ou de commerce, décuplera le petit bonheur d’ouvrir le précieux colis cartonné, d’enlever une à une les couches du papier qui emballent soigneusement le petit livre.
La maquette des “Poètes d’aujourd’hui” m’est désormais familière : première de couverture vert pomme, avec une encre en gris et noir en guise de portrait qui peut être un visage - plus tard, je l’associerai au terrible supplice décrit dans Pays de la magie (Ailleurs, p.142).
En feuilletant, pas de portrait non plus, une seule photographie : une main fine émergeant d’un poignet de chemise - on cherche les boutons de manchette - qui trace sur une table toute en fouillis de papiers, dossiers, encriers, pinceaux, cendrier : Brassaï a photographié Michaux en 1945 ; mais Bertelé choisit de recadrer, respectant la volonté de Michaux qui “ne veut pas que tout le monde puisse le reconnaître dans le métro” .
Longtemps donc, le lecteur lira sans rien savoir du visage ; seulement cette main, les mots, de curieux dessins ! Alternance qui se dépliera jusqu’au terme de l’œuvre et de la vie : quand Michaux ne peint pas, il parle de peinture ; quand il n’écrit pas, il peint comme des alphabets.
Il aura peut-être été un des rares occidentaux à parvenir à “griffer et inciser” par plume et “caresser et effleurer” par pinceau, la feuille résolvant l’affrontement des calligraphies occidentale et orientale, évoquées par Roland Barthes.
Ce qui s’annonçait dans les premiers textes lus dans le “Panorama” va se déployer : et au delà d'une simple révolte passagère et d’un premier refus.
Quand les mah,
Quand les mah,
Les marécages,
Les malédictions,
Quand les mahahahahas,
Les mahahaborras,
Les mahahamaladihahas,
Les matratrimatratrihahas,
Les hondregordegarderies,
Les honcucarachoncus,
Les hordanoplopais de puru paru puru,
Les immoncéphales glossés,
Les poids, les pestes, les putréfactions,
Les nécroses, les carnages, les engloutissements,
Les visqueux, les éteints, les infects,
Quand le miel devenu pierreux,
Les banquises perdant du sang,
Les Juifs affolés rachetant le Christ précipitamment,,
L'Acropole, les casernes changées en choux,
Les regards en chauves-souris, ou bien barbelés, en boîte à clous,
De nouvelles mains en raz de marée,
D'autres vertèbres faites de moulins à vent,
Le jus de la joie se changeant en brûlure,
Les caresses en ravages lancinants, les organes du corps les mieux unis en duels au sabre,
Le sable à la caresse rousse se retournant en plomb sur tous les amateurs de plage,
Les langues tièdes, promeneuses passionnées, se changeant soit en couteaux,soit en durs cailloux,
Le bruit exquis des rivières qui coulent se changeant en forêts de perroquets et de marteaux-pilons,
Quand l'Épouvantable-Implacable se débondant enfin,
Assoira ses mille fesses infectes sur ce Monde fermé, centré, et comme pendu au clou,
Tournant, tournant sur lui-même sans jamais arriver à s'échapper,
Quand, dernier rameau de l'Être, la souffrance, pointe atroce, survivra seule,croissant en délicatesse,
De plus en plus aiguë et intolérable... et le Néant têtu tout autour qui recule comme la panique...
Oh! Malheur! Malheur!
Oh! Dernier souvenir, petite vie de chaque homme, petite vie de chaque animal,petites vies punctiformes;
Plus jamais.
Oh! Vide!
Oh! Espace! Espace non stratifié... Oh! Espace, Espace!
L’Avenir in Mes Propriétés
Michaux entreprend une quête patiente, méthodique d’outils de langue et de dessin pour descendre dans ses propres profondeurs et élaborer une résistance fondamentale.
«... c’est bien dans ce premier refus, sans rémission, de ce qui est extérieur à lui, et dans l’intense intériorisation qui en résulte qu’il faut d’abord chercher la clé du caractère et de l’œuvre d’Henri Michaux... Non pas absent au monde, non pas indifférent certes, mais trop présent, trop exposé de par son extrême sensibilité : alors avec des mots, comme avec des armes, il lui faudra, bientôt, défendre une autonomie toujours menacée. Écrire sera son combat pour sauvegarder, sa singularité et son altérité. »
René Bertelé - p. 25
Le panaris est une souffrance atroce. Mais ce qui me faisait souffrir le plus, c'était que je ne pouvais crier. Car j'étais à l'hôtel. La nuit venait de tomber et ma chambre était prise entre deux autres où l'on dormait.
Alors, je me mis à sortir de mon crâne des grosses caisses, des cuivres, et un instrument qui résonnait plus que des orgues. Et profitant de la force prodigieuse que me donnait la fièvre, j'en fis un orchestre assourdissant. Tout tremblait de vibrations.
Alors, enfin assuré que dans ce tumulte ma voix ne serait pas entendue, je me mis à hurler, à hurler pendant des heures, et parvins à me soulager petit à petit.
Crier in Mes Propriétés
Qui je fus, Mes propriétés, Épreuves,exorcismes, La vie dans les plis emmènent loin, très loin des fugaces révoltes adolescentes.
Autrefois, j’avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les choses et les paysages et je les laissais faire.
Fini, maintenant j’interviendrai.
Michaux voyage, mais ce qu'il écrit tient plus d'un infra-voyage :
Les poètes voyagent, mais l’aventure du voyage ne les possède pas.
De l’abrupt de ce jugement, seul, Blaise Cendrars....!
Nous y parviendrons une de ces semaines à venir.
Écuador, Un barbare en Asie, voyages bien réels.
Voyage en Grande Garabagne, Au pays de la magie, Ici Poddema, enchevêtrements de parcours réels et imaginaires, d'ethnologies étranges, parcourues de bestiaires et de flores. Jusqu’aux prosaïques déplacements de Plume, du restaurant à la nuit des Bulgares, en passant par Casablanca et le Colisée :
...Et si à Rome il demande à voir le Colisée : «Ah ! non. Écoutez, il est déjà assez mal arrangé. Et puis après Monsieur voudra le toucher, s’appuyer dessus, s’y asseoir... c’est comme ça qu’il ne reste que des ruines partout.
Tous voyages enveloppés dans un immense Espace du dedans.
« Lecteur, tu tiens donc ici, comme il arrive souvent, un livre que n’a pas fait l’auteur, quoiqu’un monde y ait participé. Et qu’importe ?
Signes, symboles, élans, chutes départs, rapports, discordances, tout y est pour rebondir, pour chercher, pour plus loin, pour autre chose.
Entre eux, sans s’y fixer, l’auteur poussa sa vie.
Tu pourrais essayer, peut-être, toi aussi ? »
Postface à Plume
Donc, poussons notre vie à la Michaux. Comme on “traîne un landau sous l’eau”.
Ce sont des efforts continuels, ce ne sont pas jeux de tout repos, des jeux infernaux qui vont jusqu’à l’exténuation.
Voici alors que s’élèvent, élégiaques et désespérés, à relire souvent quand rôdent de sales ombres et des débris sanglants :
Nausée ou c’est la mort qui vient, Repos dans le malheur, Dans la nuit, Qu’il repose en révolte,
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Sur les tapis des paumes et leurs sourires,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Emportez-moi in Mes propriétés
Nous nous sommes regardés dans le miroir de la mort. Nous nous sommes regardés dans le miroir du sceau insulté, du sang qui coule, de l’élan décapité, dans le miroir charbonneux des avanies.
Nous sommes retournés aux sources glauques.
La lettre
Labyrinthe
René Bertelé écrit en 1946, ajoutant en juin 1949 une postface :«... l’œuvre d’Henri Michaux reste remarquablement ouverte... Comment prétendre fixer les traits d’une œuvre singulièrement en mouvement et qui...est loin de nous avoir encore livré toutes ses clefs ? »
L’accident horrible de sa compagne l’a approché “des rumeurs de la Mort”.
Le “buveur d’eau”* n’a pas encore été à la rencontre des psychotropes.
Le “Lointain intérieur” va resurgir sous ses doigts de peintre, plus que jamais multiple, fourmillant, agité, furieusement agité.
Et toujours s’étendront les grandes pages, plages nostalgiques :
Paix dans les brisements, Iniji
Ne peut plus, Iniji
Sphinx, sphères, faux signes,
obstacles sur la route d’Iniji
Rives reculent
Socles s’enfoncent
................................................
Iniji hôte éphémère des fosses
des parents, des pinces, des mots
Voici la route lointaine qui ne ramène plus.
Le sein dort qui a donné lé lait.
Le galbe l’a quitté... et l’opale...
Il n’est resté que l’ombre et le soupir des lèvres
Viens, viens, vent d’Aouraou
viens, toi !
Et je n’ai point parlé de l’humour du “chaud” Michaux !
Écrivains, poètes, écrivassiers, tous écrivants quelconques, tous mâles maniant langue et mots, méfiance ! Méfions-nous ! Michaux nous a écrit :
Le pantalon tombé, ils perdent l’alphabet.
Post-scriptum en guise de bibliographie et autres ...graphies
• Michaux ne voulait pas de photographies, il ne voulait pas, non plus, être publié en livre de poche, ni en Pléiade.
À peine était-il disparu, Gallimard s’est empressé de le publier en poche, puis en Pléiade.
À votre gré ! Je demeure d’une fidélité un peu conne : je n’ai jamais feuilleté, ni acheté un Michaux en poche. Mais le trouve-t-on ailleurs qu’en poche et en Pléiade ? Alors !
• Des voix :
Michel BOUQUET quand il n’était pas“président” (!) le lisait avec force, Catherine SAUVAGE gueulait superbement
“Je vous construirai une ville avec des loques, moi...”.
Il est écrit aussi que Germaine Montéro aurait lu la Ralentie !
• Des musiques :
“Épervier de ta faiblesse”, mis en musique par Milan Stibilj avec les Percussions de Strasbourg.
D’autres poèmes par Boulez, Bosseur, Lutoslawsky, Amy, Le Roux.
• Des livres et revues sur :
André GIDE, Découvrons Henri Michaux, Gallimard 1941.
Robert BRÉCHON, Michaux, Idées, Gallimard 1969.
J. M. MAULPOIX, Michaux passager clandestin, Champ Vallon, 1984.
• Trois n° du Magazines littéraire (février 1974 - juin 1985 - avril 1998)
• * Jean-Pierre MARTIN, Henri Michaux, Biographies, NRF, Gallimard, octobre 2003
Une biographie qui peut “choquer” (provoquer un choc) chez les lecteurs de Michaux, mais l’auteur, J. P. Martin, fait précéder son énorme travail d’un avertissement et d’un avant-propos qui ont apprivoisé le vieil effarouché que je suis.
• Sur la Toile :
Eût-il approuvé un tel support ? Allons-y, je m’affranchis, là, de ma très ancienne fidélité :
- Plume, la société des amis d'Henri Michaux
- L'ADPF
- Des textes et des liens sur la Toile
• Les gouaches et encres sont tirées pour la plupart de Émergences-Résurgences, Les sentiers de la création, Albert Skira, éditeur, 1972
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mardi, 15 février 2005
Paul VERLAINE
Voici le n° 38 des "Poètes d'aujourd'hui", à peine lisible au dos du bouquin : si la reliure est forte - cahiers cousus, pas simplement collés - le papier en 1953 n’est point encore de très bonne qualité.
Le “Paul VERLAINE” de Jean Richer n’est pas l’objet littéraire non identifié qu’auront été pour le lecteur adolescent de 1955 le “Cadou” et le “Char”.
Le “Verlaine” s’introduit avec force entre un classique Larousse, un manuel de littérature française en usage chez les bons pères et un livre de “Poésies religieuses” offert par ma mère pour mes dix-huit ans.
Ah ! Verlaine et la mère ! Rimbaud et la mère ! penseront les avertis.
Moi, je me contente de souligner encore aujourd’hui, cinquante ans après, l’étonnement heureux du fils de la “bonne-à-tout faire chez les grands bourgeois” nantais, qui ose entrer chez Beaufreton et demander qu’on lui enveloppe dans un papier-cadeau un livre de poèmes.
Merci ! Tendrement à elle !
Ni elle, ni moi, ne connaissons le préfacier qui propose un choix fort catholique. Il s’agit de J.-K. Huysmans*.
Les premières pages de Richer vont ébranler l’image ; dès la deuxième page, il note “l’étrange aberration qui a fait tolérer au capitaine Verlaine la présence chez lui, sur l’étagère d’une armoire, de trois bocaux où, dans l’esprit de vin, Mme Verlaine gardait précieusement les fruits de trois grossesses malheureuses antérieures à la naissance du petit Paul.”
Le décor est dressé ; nous ne sommes plus dans l’hagiographie amicale des bouquins précédents.
Verlaine est mort en 1896 ; plus de cinquante ans se sont écoulés et le critique a lu Freud : “Chez tous nos homosexuels hommes..., nous avons retrouvé, dans la toute première enfance, période oubliée ensuite pas le sujet, un très intense attachement érotique à une femme, à la mère généralement, attachement provoqué ou favorisé par la tendresse excessive de la mère elle-même, ensuite renforcé par un effacement du père de la vie de l’enfant.”
Freud écrit ceci à propos de Vinci ; Richer doit aussi avoir, à ce moment, l’enfance de Rimbaud en tête.
Le modeste lecteur note que l’un et l’autre de nos futurs terribles amants ont des pères capitaines, du génie pour Verlaine, d’artillerie pour Rimbaud. De l’influence du grade militaire et de l’arme des pères sur les comportements sexuels des fils ? On cause peut-être trop des mères.
Et en 1953, Deleuze et Guattari n’ont pas vingt ans ! L'anti-Œdipe est en germe. Richer le lira-t-il un jour ?
Quelques excuses donc pour Richer qui déroule fort bien le parcours tumultueux : les avatars conjugaux, les relation de l’Archange et du Faune, les tables de cafés, les violences de l’ivrogne, les hôtels de passe et les chambres d’hôpital. Il consacre les trois derniers chapitres à la situation de Verlaine dans la vie littéraire de cette fin XIXe.
le Faune et l'Archange - par Fantin-Latour
Le choix des textes ira bien au-delà des classique Larousse, Hatier ou de Gigord.
Mais sans audace. Quoique un texte comme Lassitude ?
"A batallas de amor campo de pluma."
Gongora
De la douceur, de la douceur, de la douceur!
Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.
Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l'amante
Doit avoir l'abandon paisible de la Sœur.
Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.
Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, même qui mente !
Mais dans ton cher cœur d'or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l'olifant!...
Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !
Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse !
Les machistes au braquemard raidi trouveront le sonnet bien assagi ; l’adolescent que j’étais pressentait qu’avec de telles allusions le livre n’obtiendrait point la signature du préfet de discipline. J’imitais la griffe du dit et enfouis le Verlaine entre le Gaffiot latin et le Bailly grec. L’anthologie très catholique de Huysmans avait reçu, elle, l’autorisation du censeur ; je pus lire Sagesse en toute quiétude et au grand jour :
— Il faut m’aimer ! Je suis l’universel Baiser,
Je suis cette paupière et je suis cette lèvre
................................................................................
Ô ma nuit claire ! ô tes yeux dans mon clair de lune !
Ô ce lit de lumière et d’eau parmi la brune !
Toute cette innocence et tout ce reposoir !
Aime-moi !
...............................................................................
Il faut m’aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,
Je suis Adam nouveau qui mange le vieil homme
Ta Rome, Ton Paris, Ta Sparte et Ta Sodome
Comme un pauvre rué parmi d’horribles mets.
...............................................................................
Aime. Sors de ta nuit. Aime.............................
Sagesse prépare les voies qu’emprunteront Francis Jammes, Charles Péguy, Paul Claudel. Les critiques d’alors, Lemaître, Bloy, Huysmans ne s’y trompent point : le Silène impénitent, lubrique est aussi empli d’une ferveur d’enfance qui renoue par delà quatre siècles de silence avec les “accents d’humilité et de candeur..., (les) prières dolentes et transies, les allégresses... oubliés depuis ce retour à l’orgueil du paganisme que fut la Renaissance.” (Huysmans).
L’homme qui fit merveilleusement claudiquer la langue française et sa métrique, qui libère le vers, le désarticule, affole les césures et enjambe d’un vers l’autre, refuse d’être le théoricien et revendique la chanson :
Mandoline
Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Échangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C'est Tircis et c'est Aminte,
Et c'est l'éternel Clitandre,
Et c'est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues
Tourbillonnent dans l'extase
D'une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
Valse à sept temps pour un tableau qui ressemble à Watteau.
Tango à six temps pour un Balanide gentiment porno
C’est un plus petit cœur
Avec la pointe en l’air ;
Symbole doux et fier
C’est un plus tendre cœur.
Il verse ah ! que de pleurs
Corrosifs plus que feu
Prolongés mieux qu’adieu
Blancs comme blanches fleurs !
Vêtu de violet,
Fait beau le voir yssir,
Mais ô tout le plaisir
Qu’il donne quand lui plaît
Comme un évêque au chœur
Il est plein d’onction
Sa bénédiction
Va de l’autel au chœur
Il ne met que du soir
Au réveil auroral
Son anneau pastoral
D’améthyste et d’or noir.
Puis le rite accompli,
Déchargé congrûment,
De ramener dûment
Son capuce joli.
Et tant d’autres chansons moins coquines, plus langoureuses, nostalgiques, quasi confidentielles : elles bercent encore des centaines d'écolières et d'écoliers ingénus et ravis.
Elles enchantèrent les musiciens - Claude Debussy, Gabriel Fauré, Arthur Honegger, Charles Tournemire, Edgar Varèse - et les chanteurs - CharlesTrenet, LéoFerré.
Lisant Le paysage dans le cadre des portières, il est difficile de ne pas entendre déjà les rythmes lancinants de boogie-woogie qui martèlent le Transsibérien de Blaise Cendrars.
Le paysage dans le cadre des portières
Court furieusement, et des plaines entières
Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel
Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel
Où tombent les poteaux minces du télégraphe
Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe.
Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout,
Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout
Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ;
Et tout à coup des cris prolongés de chouette. -
- Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux
La blanche vision qui fait mon cœur joyeux,
Puisque la douce voix pour moi murmure encore,
Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore
Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,
Au rhythme du wagon brutal, suavement.
“Le Pauvre Lélian est mort... le 8 janvier 1896, rue Descartes à Paris. Les journaux de l’époque, les revues, les Correspondances, les Mémoires, sont pleins de cette disparition, de cette absence soudaine...Voici Zola, Barrès, Montesquiou, Taillade, Proust, Bloy, Valéry, Mallarmé, au bord de la tombe fraîchement creusée de Paul Verlaine, prince des poètes.”
En 1996, pour le centenaire de la mort du poète, au Promeneur**, Jacques Drillon publie nombre de documents relatant cette absence.
Il fut le poète de mes adolescences pieuses et troublées.
*Verlaine, Poésies religieuses, préface et choix de J.-F. Huysmans, éditions Messein, 1950.
** Jacques DRILLON, Tombeau de Verlaine, Le Cabinet des lettrés, aux éditions Gallimard, 1996.
VERLAINE est dans la Péiade (œuvres complètes, 2 tomes) et dans Poésie/Gallimard(3 volumes).
Verlaine sur la Toile
L'œuvre
16:55 | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 14 février 2005
Un soir de Saint-Valentin
Pour prolonger une soirée où se troquèrent entre lectrices et lecteurs de drôles de mots qui s'agençaient en bizarres titres pour susciter quelque appétit !
poor young shepherd
J'ai peur d'un baiser
Comme d'une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer.
J'ai peur d'un baiser !
Pourtant j'aime Kate
Et ses yeux jolis.
Elle est délicate
Aux longs traits pâlis.
Oh ! que j'aime Kate !
C'est Saint-Valentin !
Je dois et je n'ose
Lui dire au matin...
La terrible chose
Que Saint-Valentin !
Elle m'est promise,
Fort heureusement !
Mais quelle entreprise
Que d'être un amant
Près d'une promise !
J'ai peur d'un baiser
Comme d'une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer :
J'ai peur d'un baiser !
.....................comme une valse à cinq temps qui trouve encore le temps de patienter un moment en attendant le "pauvre Lélian" !................
23:44 | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 11 février 2005
Saluer Jean Cayrol
Levez-vous compagons aux épaules de terre
et vos yeux déchirés et vos mains de racines
il est temps de juger la terre avant les dieux.
Je lance en vain l'appel par la gorge des merles
par les becs paresseux d'oiseaux de haute-mer
dites, entendez-vous le seul vivant qui hurle
et qui montre du doigt le Jugement Dernier
dans ce bleu tribunal d'astres morts et d'étoiles.
...................................................................
Allégez cette terre qui ne servira plus
et dont nous oublierons la poussière altérée
et la perle de nuit qui roulait de si loin.
C'est le moment où vous devez paraître
dans la volupté des brouillards arrachés
Je sens que tout surgit d'une cendre fervente
Adieu Terre, encore toute mâchée par nos os qui s'éveillent
Nous sommes d'un pays qui ne peut rien sans nous.
Jean CAYROL
Adieu Terre
Les Phénomènes célestes
Cahiers du Sud,1939
Hier, jeudi 10 février, Jean Cayrol est mort, à Bordeaux.
13:30 | Lien permanent | Commentaires (2)
jeudi, 10 février 2005
Le "dernier" texte de Robert Desnos
“Le dernier poème” de Robert Desnos
“J’ai rêvé tellement fort de toi” ne serait pas le vrai bon dernier.
Le maître du site “robert.desnos.online” le mentionne déjà comme "soi-disant" dernier.
Cet après-midi, à la recherche d’un recueil de Paul Verlaine, je retrouve un numéro de la revue...Change*, le n°13 de décembre 1972. Entre Lu Xun, Cortazar, Baffo, Jakobson et André Velter, il y a un dossier DESNOS.
Il y est relaté le témoignage de Joseph Stuna qui soigna Desnos dans les jours qui suivirent la libération du camp de Térézin : « Sa seule propriété personnelle, à l’époque, était une paire de lunettes et à part ça on n’a rien retrouvé. » (cité par Adolf Koupa dan les “Lettres Françaises” du 1er mars 1947).
Pierre Berger écrit que c’est le même Stuna qui aurait fait parvenir le “dernier poème”.
Berger ? Koupa ? Stuna ?
Est-ce ainsi que naissent les légendes ? Les manuels de littérature auraient répandu la version “Berger”.
Grands sentiments et romantisme, quand vous nous tenez !
Change donne un texte en prose et deux textes en vers du poète, comme étant les “dernières œuvres connues de son écriture”.
Du 6 avril 1944 (donc sans doute écrit au camp de Compiègne), l’ultime :
Printemps
Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres
Dans un printemps en proie aux sueurs de l'amour,
Aux parfums de la rose éclose aux murs des tours,
à la fermentation des eaux et de la terre.
Sanglant, la rose au flanc, le danseur, corps de pierre
Paraît sur le théâtre au milieu des labours.
Un peuple de muets d'aveugles et de sourds
applaudira sa danse et sa mort printanière.
C'est dit. Mais la parole inscrite dans la suie
S'efface au gré des vents sous les doigts de la pluie
Pourant nous l'entendons et lui obéissons.
Au lavoir ou l'eau coule un nuage simule
A la fois le savon, la tempête et recule
l'instant où le soleil fleurira les buissons.
“Vous avez le bonjour de Robert Desnos.”
* Collectif permanent de CHANGE en 1972 : Philippe Boyer, Yves Buin, Jean Pierre Faye, Jean-Claude Montel, Jean Paris, Léon Robel, Mitsou Ronat, Jacques Roubaud.
18:55 | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 08 février 2005
René CHAR
René CHAR
...ou le combat avec l’Ange
Aujourd’hui encore, à l’ouverture de ce livre, l’étonnement adolescent, la naïve lecture....
Toutes les lectures qui suivront lecture de ce livre, se tiendront entre
cette déflagration que fut l’une des premières lignes lues
Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel.
jusqu’au geste de se courber au plus ras de la terre
À partir de la courge, l’horizon s’élargit.
En avril 1955, depuis la découverte de Claudel, de Cadou, l'aventure de la poésie moderne me passionne ; à la librairie, je vais droit au rayon où s'alignent les "Seghers". Sous une couverture marron, le n°22 des Poètes d’aujourd’hui.
Une photo du poète : un bel homme mûr au front large, tient “sa clope entre index et majeur”, il ressemble à mon père, c’est pour cette ressemblance et cette beauté que je prends le livre.
C’est René Char ! Les premiers mots lus tiennent de l’aveuglement ; je n’y comprends rien, mais c’est beau. Beau à lire ! Ce qui peut paraître contradictoire avec l’aveuglement.
Le livre, signé par Pierre Berger, le même qui rédigea “Robert Desnos”, s’annonce “essai”. Soit ! Un essai qui tient de l’hagiographie, long et lyrique commentaire du seul recueil, Feuillets d’Hypnos, qui, d'ailleurs, ne figurera pas dans “les œuvres choisies et textes inédits”, présentés à la fin du bouquin :
Une incantation entre admonestations et objurgations. À l’instar de Char, mais pas du meilleur Char, écriraient les détracteurs et du poète et de l’essayiste.
Écrit sans doute au début des années cinquante, il est marqué par l’effervescence inquiète qui suit la Libération : le monde rêvé des grands idéalistes est investi par les profiteurs de tous bords.
Longtemps, cette introduction au poète me paraîtra aussi obscure, sinon plus, que le texte de Char lui-même.
L’important pour le lecteur, ce sont les citations en italiques de l’essai - je lirai ainsi les Feuillets d’Hypnos.
C’est le choix des œuvres et quelques inédits d’alors - jusqu’aux Matinaux inclus.
Ce sont les photographies - Char avec ses amis de la Sorgue, avec les habitants de Céreste libéré, avec Camus.
C’est un dessin d’Henri Matisse, laissant entrevoir les rapports intenses que le poète entretiendra avec les peintres , ses “alliés substantiels”.
Ce sont les fac-similés des manuscrits - la graphie finement penchée et très lisible.
La collection Poètes d’aujourd’hui, dans sa maquette et son appareil éditorial, offrait ainsi toute une culture du livre qu’ignorait trop souvent l’enseignement traditionnel de la littérature.
Les quelques 120 pages du choix de textes vont être le seul viatique du jeune lecteur jusqu’en 1963, date d’acquisition de La parole en archipel, éditée en 1962.
Cadou, c’était le Végétal, les vents humides, les nuits.
Voici le Minéral, le solaire dans son écrasement, les aubes et les crépuscules.
Tout s’annonce et s’assemble : la beauté, l’amour, la colère, la bonté, la philosophie, la cruauté, l’érotisme, la tendresse....
Les titres des recueils, des poèmes délivrent des aperçus. Pêle-mêle :
.... Arsenal, le Marteau sans maître, L’alouette, Robustes météores, Premières alluvions, Le poème pulvérisé, Le vitrail de Valensole, La révélée, La murmurée, La torche du prodigue, À une sérénité crispée, Le soleil des eaux, Affres détonation silence, Jacquemard et Julia; Dehors la nuit est gouvernée...
L’approche de cet homme, aujourd’hui encore, sera une lutte pour la compréhension, un corps à corps avec ses mots, avec ses images et mes propres émotions.
Salut, chasseur au carnier plat !
À toi, lecteur, d’établir les rapports.
Merci, chasseur au carnier plat.
À toi, rêveur, d’aplanir les rapports.
Ainsi sommé, le lecteur ne peut que continuer avec ce sentiment d’être sur l’arête extrêmement aiguë d’une crête à l’air raréfié. Il faudra beaucoup de jours, des expériences enfin vécues, des rencontres assumées, l’émotion forte d’un moment : s’éclaire alors le texte. Alchimie langagière entre le poème et ma vie.
dessin de Picasso pour le poème Dépendance de l'adieu
De suite, des évidences martelées qui haussent
Aptitude : porteur d’alluvions en flamme.
Audace d’être un instant soi-même la forme accomplie du poème. Bien-être d’avoir entrevu scintiller la matière-émotion instantanément reine.
Je ne plaisante pas avec les porcs.
La pensée sage est secouée à la découverte de ces aphorismes, si éloignés des sentences classiques. Et par delà Char, se découvrent ceux d’Héraclite où il affirme l’harmonie des contraires.
Char va prolonger “la route qui monte, descend et est la même” de ce philosophe ancien dit “l’obscur” qui convoque les dieux au coin de son âtre. Char désigne, lui, l’humble carreau de la fenêtre :
Pures pluies, femmes attendues
La face que vous essuyez,
De verre voué aux tourments,
Est la face du révolté ;
L’autre, la vitre de l’heureux
Frissonne devant le feu de bois.
Je vous aime mystères jumeaux,
Je touche à chacun de vous ;
J’ai mal et je suis léger.
la tension de l'arc
L'obsession de la moisson et l'indifférence à l'Histoire sont les deux extrémités de mon arc.
la densité de la foudre
L'éclair me dure.
Héraclitéen, certes, dans l’usage terrien des mots et le concret des moments de vie. On peut aussi l’imaginer devisant dans le jardin d’Épicure : un René Char, philosophe en son jardin.
Car il faut avoir longuement observé la terre et la rivière pour nommer le serpent, le lézard, le rouge-gorge, la truite,
Rives qui croulez en parure
Afin de remplir tout le miroir
Gravier où balbutie la barque
Que le courant presse et retrousse,
Herbe, herbe toujours étirée,
Herbe, herbe jamais en répit,
Que devient votre créature
Dans les orages transparents
Où son cœur la précipita ?
avoir quotidiennement surveillé la pousse des végétaux
Si les pommes de terre ne se reproduisent plus dans la terre, sur cette terre nous danserons. C’est notre droit et notre frivolité.
On n’enfonce pas son pied dans la source
Pour paraître l’égal de l’amandier
...Jadis l’herbe avait établi que la nuit vaut moins que son pouvoir, que les sources ne compliquent pas à plaisir leur parcours, que la graine qui s’agenouille est déjà à demi dans le bec de l’oiseau. Jadis terre et ciel se haïssaient, mais terre et ciel vivaient....
Salut, poussière mienne, salut d’avance, joyeuse, devant les pattes du scarabée.
Les premiers dialogues entre langue et peinture vont s’écrire dans la fréquentation de Corot, de Courbet, de Georges de la Tour ; Char a dit sa reconnaissance à ce dernier dont la reproduction du Prisonnier l’accompagna dans le maquis et par la suite, jusqu’au terme final.
Il relate dans La Fontaine narrative une rencontre nocturne avec une inconnue alors qu’il vient d’achever un “poème qui (lui) a beaucoup coûté”
Madeleine à la veilleuse
Je voudrais aujourd’hui que l’herbe fût blanche pour fouler l’évidence de vous voir souffrir : je ne regarderais pas sous votre main si jeune la forme dure, sans crépi de la mort. Un jour discrétionnaire, d’autres pourtant moins avides que moi, retireront votre chemise de toile, occuperont votre alcôve. Mais ils oublieront en partant de noyer la veilleuse et un peu d’huile se répandra par le poignard de la flamme sur l’impossible solution.
Dommage que les beautés obscures s'enlisent dans le bric-à-brac surréaliste, dans des pages aux pans aussi lisses que des parois à pic... Parfois, le lecteur doit-il craindre une incompréhension définitive ? À moins que....
Dans le tohu bohu surréaliste, l’hermétisme passait ; ce sera plus difficile quand, aux fureurs de jeunesse, s’ajouteront des préciosités et d’obscures, très obscures admonestations .
Fallait-il absolument écrire et faire éditer tel ou tel recueil qui, pour n’être point trop mince, demandait des ajouts comme autant de quincailleries inutiles, qui trouent les derniers livres, pour vendre, pour vivre ?
Et si peu d’humour ! Ne passons point sous silence ; cependant, allons au-delà.
Il est de grands cris
Placard pour un chemin des écoliers
Enfants d’Espagne, — ROUGES, oh combien, à embuer pour toujours l’éclat d’acier qui vous déchiquète ; — À vous.
C’est écrit en mars 1937
Le Placard s’achève sur une tendre et grave balade, Compagnie de l'écolière
Je sais bien que les chemins marchent
Plus vite que les écoliers
Attelés à leur cartable
Roulant dans la glu des fumées
Où l'automne perd le souffle
Jamais douce à vos sujets
Est-ce vous que j'ai vue sourire
Ma fille ma fille je tremble.
N'aviez-vous donc pas méfiance
De ce vagabond étranger
Quand il enleva sa casquette
Pour vous demander son chemin
Vous n'avez pas paru surprise
Vous vous êtes abordés
comme coquelicot et blé
Ma fille ma fille je tremble
La fleur qu'il tient entre les dents
Il pourrait la laisser tomber
S'il consent à donner son nom
À rendre l'épave à ses vagues
Ensuite quelque aveux maudit
Qui hanterait votre sommeil
Parmi les ajoncs de son sang
Ma fille ma fille je tremble
Quand ce jeune homme s'éloigna
Le soir mura votre visage
Quand ce jeune homme s'éloigna
Dos voûté front bas et mains vides
Sous les osiers vous étiez grave
Vous ne l'aviez jamais été
Vous rendra-t-il votre beauté
Ma fille ma fille je tremble
La fleur qu'il gardait à la bouche
Savez-vous ce qu'elle cachait
Père un mal pur bordé de mouches
Je l'ai voilé de ma pitié
Mais ses yeux tenaient la promesse
Que je me suis faite à moi même
Je suis folle je suis nouvelle
C'est vous mon père qui changez.
Il est vrai que dans le même Placard, il est des jouets étranges qui tiennent de la quincaillerie évoquée plus haut.
Il nous faudra, avec Célia, six ans et Noémie, neuf ans, tenter à voix haute l'Exploit du cylindre à vapeur.
N’y aurait-il qu’une lecture à sauver - le livre à emmener sur l’île déserte ?
Ce sont les Feuillets d’Hypnos, les carnets de maquis, édités en 1946 - Char avait, de 1940 à 1944, décidé le silence - qui questionnent la nécessaire et juste violence, dont la concision devrait inspirer les plumitifs va-t'en guerre et autres guérilleros trop bavards.
couverture pour le cahier de L'Herne - 1971
Cet homme m’a aidé à me tenir debout.
Je rêve d’un pays festonné, bienveillant, irrité souvent par les travaux des sages en même temps qu’ému par le zèle de quelques dieux, aux abords des femmes
Le 45e feuillet d’Hypnos.
Le post-scriptum qui aussi une brève (!) bibliographie et plus...
• René CHAR, Œuvres complètes, introduction de Jean Roudaut, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
• En Poésie/Gallimard, au moins neuf recueils.
• Sur l'œuvre, depuis les années cinquante, beaucoup d’approches avec des visées très différentes : de Greta Rau (1957) à Paul Veyne (1990) en passant par............................etc.
• Sur l'homme, une biographie récente de Laurent Greilsamer, L'éclair au front, chez Fayard, en 2004
L’ensemble peut - fera - l’objet d’une chronique ultérieure. Pourquoi pas ?
• Pierre Boulez a composé des musiques sur le Marteau sans maître et le Soleil des eaux
• Terres mutilées, montages de textes, dits et chantés, par Hélène Martin.
Mais, l’incontournable qui m’a ouvert les chemins de la poésie et de la littérature en tous ses états :
• Georges MOUNIN, La communication poétique, précédé de Avez-vous lu Char ?, les Essais CXLV, NRF Gallimard, 1947, réédité en 1969.
En espérant qu’il ne soit point épuisé.
• La Toile se prête à la littérature aphoristique et au voisinage des poètes et des peintres : René Char se dissémine - se dissimule (!) - sur pas mal de sites, blogues et groupes de discussions.
• Pour entendre Char dit par d’autres que par lui-même, un nom, un seul : Laurent TERZIEFF.
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samedi, 05 février 2005
En écho à Cadou
...Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont enfoncé
Dans la poitrine ce goût de vivre comme un clou rouillé
René Guy Cadou
Après Dieu, le déluge
L'héritage fabuleux
in Hélène ou le règne végétal
Quand "l'attentive" poursuit la lecture et nous donne le fétu d'un "Pater noster" peu orthodoxe.
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mercredi, 02 février 2005
Un homme dru
À propos de René Guy CADOU
encore
C’est à ce Prince que j’adresse aujourd’hui, ces signes de reconnaissance, dans la lumière pure et ardente de ce cœur partagé, qui n’eut de cesse de battre le silex pour que les ténèbres fussent vouées, à jamais, à la perdition et à l’oubli.
Les dernières lignes du livre de Manoll, consacré à Cadou et cité avant-hier, sont un raccourci de l’ouvrage : un poète écrivant sur un poète ; et surgit souvent un trop poétique qui peut vite glisser du côté des petits oiseaux des fleurs et des récitations d’école primaire. Un trop poétique et un lyrisme métaphysique qui longtemps vont coller aux écrits de Cadou.
Les chapelles, conjugale et amicale, qui l’entourent et veillent sur l'héritage, ne contribueront-elles point à façonner la légende d’un poète trop diaphane ? L’on sait que, pendant des années, ne pas être conforme aux discours de l’une ou l’autre chapelles vous faisait écarter des sources et archives.
Entre l’adhésion communiste et le lyrisme célébrant le Divin, il y eut quelques silences, suivis de débats feutrés.
D’une intense sensualité dans de nombreux textes, le corps de Cadou se tait dans les approches critiques qui suivront sa mort.
Madame Cadou n’est certes point une veuve abusive : on peut, cependant, se demander si, dans sa vigilance de légitime légataire, elle ne souhaita point une sorte de béatification pour son diable de mari.
L’anonyme lecteur n’a sans doute que faire de ces maigres interdits, de ces censures inavouées. Une longue et solitaire lecture du poète lui est une provende abondante.
Mais vient un temps où des éclairages biographiques autour d’écrits non publiés - ébauches romanesques, correspondances - favorisent une compréhension plus intime, sans tenir du voyeurisme : le vin, la nudité, les bêtes de la terre s’épanouissaient dans les horizons de l’homme Cadou.
Un premier colloque en 1981, celui de novembre 1998 indiquent que l’entr’ouvert s’élargit. Mais fallait-il donc attendre le sérieux (!) et l’autorité de l’Université pour ce faire ?
Cadou était lyrique, tendre et dru.
Je pense à toi qui me liras dans une petite chambre de province
Avec des stores tenus par des épingles à linge
Bien entendu ce sera dans les derniers jours de septembre
Tu te seras levé très tôt pour reconduire
Une vieille personne qui t’est chère avec son vieux sac de cuir
Tu auras peur soudain et tu rentreras dare-dare
« Mon Dieu pardonnez-moi d’être sans volonté
« Je suis malade de luzerne et je fréquente les cafés
« J’ai bu bien davantage que de coutume des absinthes
« Mais Bernadette et Sœur Chantal sont mes Saintes »
Tu t’assiéras dans le jour maigre et tu liras
Mes vers « O mon Dieu se peut-il que ce poète
« Me mette des douleurs de ventre dans la tête
« Que je m’enfante et que je vive en moi comme un posthume enfant
« Qui souffre de rigueur et renifle en plein vent »
Et le Seigneur dira : Bénis soient de la gare
Les bistrots pour t’avoir redonné la mémoire.
Pour plus tard
in “Hélène ou le règne végétal” - 1948
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mardi, 01 février 2005
René Guy CADOU
L’histoire de ce livre commence sans doute quand naît le rédacteur de cette chronique :
À la devanture d’un libraire, une pauvre devanture, parmi des gravures de mode et gros in-folio, de petits livres de poèmes couverts de papier cristal et de grandes feuilles manuscrites.
Je n’ai pas honte de mes culottes courtes et j’entre. Il y a des colombes qui volètent dans le magasin, un long jeune homme nourri de cigarettes aux doigts brûlés.
Mon enfance est à tout le monde
Voici comment Cadou rend compte de sa première rencontre avec Michel Manoll. C’était pendant l’hiver 1936.
C’est à ce Prince que j’adresse aujourd’hui, ces signes de reconnaissance, dans la lumière pure et ardente de ce cœur partagé, qui n’eut de cesse de battre le silex pour que les ténèbres fussent vouées, à jamais, à la perdition et à l’oubli.
Voilà comment Michel Manoll achève le livre qu’il consacre à Cadou dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”.
Entre 1936 et 1954 : une vie d’instituteur et poète qui s’achève en mars 1951 et un livre que le libraire, poète et ami consacre à celui qu’il guida, conseilla sans doute et accompagna.
Une biographie suivie d'un choix de textes, parmi les recueils déjà publiés et beaucoup d’inédits ; en hors-texte, des portraits, photographies, dessins et documents.
C’est un essai conforme à ceux publiés alors dans la collection concue par Pierre Seghers : rédigé par un poète où le fil conducteur de la biographie s’enrichit de nombreuses citations illustrant des commentaires littéraires.
C’est le dépliant publicitaire de ce livre que l’adolescent que je suis, a entre les mains, cet après-midi de juin 1954.
Acquis le 4 janvier 1955, le livre porte sur la page de garde en exergue : En un beau jour d’amitié...
La lecture de Cadou sera, pour moi et pour longtemps, du côté des amitiés, de l’amour, du pain quotidien, des campagnes d‘ouest, des pommiers à cidre et des vents d’ouest, des jeunes filles nues aux croisées de fenêtres, des balades dans la Nantes d’après-guerre, une “forme de la ville” pré-gracquienne, des auberges au vin frais et des gares perdues.
Laissez venir à moi tous les chevaux toutes les femmes et les bêtes bannies
Et que les graminées se poussent jusqu’à la margelle de mon établi
Je veux chante la joie étonnament lucide
D’un pays plat barricadé d’étranges pommiers à cidre
Voici que je dispose ma lyre comme une échelle à poules contre le ciel
Et que tous les paysans viennnent voir ce miracle d’un homme qui grimpe après les voyelles
...................................................................
Le chant de solitude
Anthologie sera la rose des vents pour les poètes à découvrir, à lire :
Max Jacob ta rue et ta place
Pour lorgner les voisins d’en face !
Éluard le square ensoleillé
Un bouquet de givre à ses pieds !
Jouve ! c’est mieux que Monsieur Nietzsche
Une effraie étudiant la niche
Léon-Paul Fargue ! La musique
D’un triste fiacre mécanique !
Blaise Cendrars ! Apollinaire !
Le bateau qui prend feu en mer
Reverdy ! la percée nouvelle
Les éléments comme voyelles !
Le remue-ménage cosmique
De Saint-Pol-Roux-le-Magnifique !
Boulevard Jules Supervielle
Noë la Fable et les gazelles !
Vladislas de Lubics-Milosz
Les clefs de Witold dans sa poche !
Le chemin creux de Francis Jammes
On y voit l’âne on y voit l’âme !
Aragon la ruelle à chansons
Et les yeux d’Elsa tout au fond !
Cocteau la neige la roulotte
L’ange amer qui se déculotte !
Paul Claudel ! filleul de Rimbaud
Cinq grandes odes cent gros mots !
Mais aussi mon Serge Éssénine
Ce voyou qui s’assassina
Et la grande ombre de Lorca
Sous la pluie rouge des glycines !
À qui s’en prendre désormais
pour célébrer le mois de mai ?
Hélène ou le règne végétal
(1949)
Ma vie, mes amitiés, mes amours, mes lectures, seront souvent de plain-pied dans le flux des métaphores accroissant émotions, suscitant regards neufs, libérant une parole autre.
Aujourd’hui, mes lectures m’emmènent du côté du sang, des lampes, des corridors où rôde la camarde, de la sécheresse ardente de ces chroniques brèves : Burger, le Diable et son train, Pacifique Liotrot,
............................................................
Il est debout dans sa jeunesse et il s’habille
De velours vert avec des boutons qui brillent
Entendez-moi je suis Pacifique Liotrot
Je suis le garde-chasse du château !
Qu’est-ce qu’il porte là dans ses deux mains brisées ?
Un cor de cuivre noir comme un poulet vidé.
de ces autres encore : Rue du sang, Sainte Véronique, Mourir pour mourir, Saint Thomas,
Poète ! René Guy Cadou ?
Mais montrez-moi trace des clous !
Montrez l’eau vive où il s’abreuve
Montrez rabots et planches neuves !
Montrez-le-moi sur le sentier
Larron avec le fer aux pieds !
....................................................................
Bègue à moitié navré transi
Montrez-le-moi quand il écrit
Ces mots à tort et à travers
Pareils aux vagues de la mer
Ce n’est que depuis quelques années qu’une des rares obscurités de Cadou, désormais, pour moi fait sens :
J’écris pour des oreilles poilues, d’un amour obstiné qui saura bien, un jour, se faire entendre.
Usage interne 1946-1949
Post-scriptum en guise de bibliographie :
RENÉ GUY CADOU, Poésie la vie entière, Œuvres poétiques complètes, préface de Michel Manoll, Paris, Éd. Seghers, 1997, 475 p.
Christian MONCELET, René Guy Cadou - Les liens de ce monde, collection Champ poétique, Éd. Champ Vallon, 1983, 246 p.
Colloque René Guy CADOU, un poète dans le siècle, novembre 1998, Université de Nantes, Éd. Joca Seria, 1999, 300 p.
Un DVD
René Guy CADOU, de Louisfert à Rochefort-sur-Loire, film de Jacques Bertin, distribué par Velen
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mardi, 25 janvier 2005
Robert DESNOS, le cinquième des...
.
... quatre sans cou
Quand ils mangeaient, c'était sanglant,
Et tous quatre chantant et sanglotant,
Quand ils aimaient, c'était du sang.
Quand ils couraient, c'était du vent,
Quand ils pleuraient, c'était vivant,
Quand ils dormaient, c'était sans regret.
Quand ils travaillaient, c'était méchant,
Quand ils rodaient, c'était effrayant,
Quand ils jouaient, c'était différent,
Quand ils jouaient, c'était comme tout le monde,
Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,
Quand ils jouaient, c'était étonnant.
Mais quand ils parlaient, c'était d'amour.
Le plus grand parmi les rêveurs, écrivit André Breton dans le premier Manifeste du surréalisme :
“La prodigieuse agilité qu'il met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu'il nous plaît de discours splendides et qui se perdent, Desnos ayant mieux à faire qu'à les fixer. Il lit en lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s'envolent au vent de sa vie”.
Il poursuivra dans les Pas perdus et dans les Entretiens radiophoniques avec André Parinaud (de mars à juin 1952), soulignant la capacité prodigieuse de Desnos à “se transporter à volonté, instantanément, des médiocrités de la vie courante en pleine zone d’illumination et d’effusion poétique”.
Grand joueur de mots
Pourquoi votre incarnat est-il devenu si terne , petite fille dans cet internat où votre œil se cerna ? Rrose Sélavy
Tour à tour, commis-droguiste, secrétaire dans une maison d’édition, comptable, courtier en publicité, caissier, journaliste, pigiste, journaliste à la radio, réalisateur avec Paul Deharme de la célèbre émission radiophonique La grande complainte de Fantomas, musique de Kurt Weill, Antonin Artaud pour la direction dramatique et le rôle de Fantomas.
Il aima le cinéma et lisait des bandes dessinées.
Il osa le Corsaire Sanglot et se fit censuré, en 1927, par le Tribunal correctionnel de la Seine
Tes lèvres font monter des larmes à mes yeux ; tu couches toute nue dans mon cerveau et je n’ose plus dormir.
La Liberté ou l’Amour
Il aima. Parfois deux amours à la fois, au moins une fois !
Dans la nuit il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d'êtres.
Dans la nuit il y a les merveilles du monde.
Dans la nuit il n'y a pas d'anges gardiens, mais il y a le sommeil.
Dans la nuit il y a toi.
Dans le jour aussi.
Les espaces du sommeil
Parfois, il ne fut pas aimé et
The night of the loveless nights
ce fut son Bateau ivre à lui
Nuit putride et glaciale, épouvantable nuit,
Nuit du fantôme infirme et des plantes pourries,
Incandescente nuit, flamme et feu dans les puits,
Ténèbres sans éclairs, mensonges et roueries.
Qui me regarde ainsi au fracas des rivières ?
Noyés, pécheurs, marins ? Éclatez les tumeurs
Malignes sur la peau des ombres passagères,
Ces yeux m'ont déjà vu, retentissez clameurs !
Le soleil ce jour-là couchait dans la cité
L'ombre des marronniers au pied des édifices,
Les étendards claquaient sur les tours et l'été
Amoncelait ses fruits pour d'annuels sacrifices.
Il fut grand enfant pour les enfants
Le blaireau
Pour faire ma barbe
Je veux un blaireau,
Graine de rhubarbe,
Graine de poireau.
Par mes poils de barbe !
S'écrie le blaireau,
Graine de rhubarbe,
Graine de poireau,
Tu feras ta barbe
Avec un poireau,
Graine de rhubarbe,
T'auras pas ma peau.
Ce sont Chantefables et chantefleurs
à faire lire par les grands-pères pour toutes les Noémie et Célia du voisinage.
Devenant le poète clandestin
Il fut Cancale, parigot à l’argot de maquereau
C'est tarte, je t'écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme fiotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser
Il fut Valentin Guillois pour célébrer les armes de justice et la fraternité de ceux qui les prirent.
Et bonjour quand même et bonjour pour demain !
Bonjour de bon cœur et de tout notre sang !
Bonjour, bonjour, le soleil va se lever sur Paris,
Même si les nuages le cachent il sera là,
Bonjour, bonjour, de tout cœur bonjour !
Il fut arrêté par la Gestapo, le 22 février 1944.
Il “fit” Fresnes, Compiègne, Auschwitz, Buchenwald, Flossenburg, Flöha.
À Térézine, il vécut, quelques jours, libre et à l’agonie.
.... J’ai rêvé tellement fort de toi,
J’ai tellement marché.................
Je crois bien que c’est Cadou qui me mena à Desnos.
J’étais dans mes années de merde et de feu à Tamloul et l’arme que j’avais, en mains, n’était point de justice : nous tentions d’être propres.
Depuis 1956, les lieux que j’habitais n’avaient pas de librairies, mais la Poste délivrait encore les paquets de bouquins au fin fond de la forêt tropicale et jusqu’aux secteurs postaux des pitons d’Algérie.
Dans le dernier cahier de certains “Poètes d’aujourd’hui”, Pierre Seghers écrivait : “Demandez à votre libraire habituel de faire, lui aussi, un effort en faveur des poètes. Commandez-lui nos ouvrages. Si nous n’avez pas de librairie à votre disposition, écrivez-nous”.
Depuis cinq ans, je lui écrivais et il m’envoyait les poètes.
C’était un temps déraisonnable !
ROBERT DESNOS, c’était une première de couverture, blanche avec des lettres noires, qui rompait avec les autres bouquins de la collection.
Comme un livre de deuil !
C’était le n°16, une édition nouvelle, avec une étude de Pierre Berger. Dans un avertissement cet homme se défendait d’avoir fait un essai. « La seule ambition de son auteur est d’avoir fait acte de camaraderie.
Il ne s’agit donc pas de littérature. D’ailleurs Desnos détestait cela. »
Un livre de “copain” !
Il entrelaçait la vie quotidienne d’un Desnos aux petits métiers, grandes misères et les nuits fabuleuses, les amours, les querelles, les injures du grand bazar surréaliste.
N’était pas encore venu le temps de la sémiologie, de la stylistique, des thèses.
Berger rapporte deux faits :
Après l’arrestation de Desnos, lors d’un dîner en ville entre un haut-fonctionnaire, des écrivains et journalistes de la presse du moment (!), un dénommé Alain Laubreaux hurle à propos de Desnos :
« Pas déporté... vous devriez le fusiller. C’est un homme dangereux, un terroriste, un communiste.»
Berger poursuit
“Alain Laubreaux est actuellement chez Franco.
Mais SI ON LE REPREND...”
C’était en 1949.
Laubreaux est-il encore vivant ?
Le second fait est rapporté par André Verdet, poète et compagnon de déportation :
“À Auschwitz, devant la chambre à gaz, les dix-huit cents camarades du transport attendaient la mort. Abrutis de fatigue, de faim, d’angoisse, la plupart demandaient qu’elle vint vite. Tout à coup il se passa quelque chose : un homme parcourait furtivement les rangs du bétail, prenait les mains de chacun..., examinait les lignes de vie et de chance, prédisait une existence longue et heureuse, la fin des misères, prophétisait encore... C’était Robert Desnos”.
Je ne sais qui est Pierre Berger, il a écrit dans la même collection une introduction à Pierre Mac Orlan, à René Char.
Vous avez le bonjour de Robert Desnos !
Post-scriptum
Le rédacteur du blogue, très troublé par le soixantième anniversaire de la libération des camps nazis, a modifié l’ordre de parution de ces retours sur les “POÈTES D’AUJOURD’HUI”, qui devaient suivre l’ordre de ses découvertes. Cette nuit-même, est projeté en continu, sur une chaîne nationale, SHOAH de Claude Lanzman.
Le temps de mon enfance fut le temps des assassins :
Robert Desnos,.
arrêté le 22 février 1944, mort à Térézine, le 8 juin 1945.
Max Jacob,
arrêté le 24 février 1944, mort au camp de Drancy, le 5 mars 1944.
Précédés par
Federico Garcia Lorca, fusillé à Viznar près de Grenade, le 19 août 1936
Sangs féconds
Pour lire Robert Desnos aujourd'hui
• 3 recueils dans Poésie/Gallimard
• Des liens
- œuvre et biographie de Desnos
- Desnos déporté
- Desnos célébré (!)
- Desnos chanté
- Desnos chanté bis
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lundi, 24 janvier 2005
Et si l'on revenait au début ?
Poézibao, le beau blogue de Florence Trocmé m’a donné quelque idée pour une chronique régulière, hebdomadaire.
Partager “mes” poètes, mon cheminement de lecteur, mon intérêt pour la chose éditoriale.
Le développement de Poésie/Gallimard, plus de trois cents titres, l’anthologie en “jeans” de Delvaille, celle, plus maigre, du jeune Espitallier, les naissances et morts des revues traditionnellement sur papier ou “en ligne” permettent, à ce jour, de mesurer la vie en expansion ou en régression du poème ; je ne sais si la mémoire culturelle a déjà exercé son tri et retenu les 10% de ce que, habituellement, elle estime de valeur.
Il est des gens fort intéressants qui font, ces temps, paraître de doctes livres sur la lecture et le lecteur : entre autres, Alberto Manguel avec Une histoire de la lecture et son Journal d’un lecteur.
Ce sont d'excellents guides routiers pour grande littérature, mais qui se rapprochent plus du manuel pour fins lettrés - ainsi Lanson en son époque - et se tiennent dans l'espace susdit de la mémoire culturelle.
Je connais des lectrices et des lecteurs qui n’ont point attendu la parution de ces ouvrages pour, depuis plus de vingt ans, pratiquer cet exercice qu’en jargon pédagogique nous nommons “l’autobiographie du lecteur”.
ET l'on s'y retrouve à des milles des horizons lettrés.
Son apprentissage terminé sachant lire, sachant surtout pourquoi il lit, le lecteur commence un lent et long - ce que je lui souhaite - labeur d’autodidaxie, enrichi, appauvri, régénéré, selon, par ses rencontres avec la famille, les instituteurs, les bibliothécaires, les journalistes, les professeurs de collège de lycée, d’université, avec les bons et, tout autant, avec les mauvais.
Pour certains - beaucoup ? -, la trilogie professorale n’aura été qu’une maison très éloignée
Plus que le lecteur lettré, ce lecteur hors des classes aura pratiqué le “lire : un braconnage” de Michel de Certeau.
Lecteur solitaire, il est un farouche libertaire et son mutisme peut fort bien se comprendre comme un vigoureux bras d’honneur au magistère de toutes littératures.
Intimement, cette autoformation - la “face nocturne” de la formation, dirait Gaston Pineau - se construit dans l’affrontement de son questionnement de vie avec les écrits lus et comparés....
Ce blogue est celui d’un lecteur qui depuis qu’il fut alphabétisé, exerce quasi quotidiennement son “braconnage” de liseur, au gré des bonheurs, des rages, des passions, des ennuis.
Peu me chaut la rigueur de la critique - un lapsus m’a fait saisir la “crotique” , “o” trop proche de “i” sur le clavier !-
Il ne s’agira point, ici, de valeur littéraire ; plutôt de goûts : de bons mais aussi de mauvais goûts. S’agira-t-il de littérature ? de poésie ?
Je ne sais. D’écrits, oui, avec certitude.
J’ai commencé ce chemin consciemment, j’avais sept ans ? huit ans ?
Le tout premier ? Le Moricaud par Amélie Perronnet, à la Librairie d’Éducation de la Jeunesse, sans date ; c’était, je crois, le Premier prix d’Écriture de Augustine-Marie Bretaudeau, ma grand-mère.
La récitation de l’école élémentaire n’a laissé que peu de traces ; dans les années cinquante, c’est l’entrée dans cet écrit qu’est le poème : de Charles d’Orléans à Rimbaud, mais à la sauce des bons pères.
De la poésie propre, nette, pure, plus encore pour l’exercice de mémoire que pour le travail sur la langue. Poésie du décor !
Je pris le maquis en classe de seconde, je devais avoir dix-sept ans. J’avais, cependant, soumis à la signature du préfet de discipline, un homme ouvert, lettré, passionné de Racine et de La Fontaine, un livre acheté avec l’argent de poche que ma mère me remettait pour acquérir les classiques Larousse ou de Gigord à la procure du lycée ; j’avais rogné sur l’achat des dits classiques. Je posais le livre sur son bureau : la signature fut apposée, non sans réticences, avec beaucoup de recommandations quant à ma fréquentation future de cet auteur : c’était Paul Claudel, Cinq grandes Odes. Acheté chez Beaufreton, passage Pommeraye.
Je lus, ivre :
Possédons la mer éternelle et salée, la grande rose grise ! Je lève un bras vers le paradis ! je m’avance vers la mer aux entrailles de raisin !
Je me suis embarqué pour toujours !
Embarqué, je le fus. Mais si Claudel, le grand poète catholique, inquiétait mes maîtres, de quoi s’agissait-il donc dans la poésie contemporaine pour les effaroucher et laisser cois ?
Je ne soumis plus aucun de mes livres au “nihil obstat” de mes bons pères. J’entrais en lecture clandestine.
Et devins un familier, lors des sorties libres du jeudi, de la librairie du passage Pommeraye.
En juin 1954, m’échoit dans les mains un dépliant qui présente un poète nantais : quelques photographies, quelques poèmes en... vers libres. Je dois prendre le train pour Ancenis, j’attends l’heure, je vais m’asseoir sur un banc du Jardin des Plantes - je sais encore aujourd'hui lequel, je le revois de temps à autre. Je lis un poème. Les poèmes. Je ne suis pas ivre. Je suis ailleurs. Je ne me souviens plus de quels poèmes précisément ?
Oh, si ! Je me souviens d'un titre, Tristesse et de ce verset qui est mon entrée dans le poème contemporain :
Je prends dans mes deux mains vos deux mains qui s’éteignent
Pour qu’elles soient chaudes et farineuses comme des châtaignes
Quand la braise d’hiver les a longtemps muries
Cadou ne me quittera plus.
En janvier 55 - cinquante ans déjà, non ? - j’ai, entre la grammaire grecque de Ragon et le manuel de psycho de Cuvillier, dissimulé dans mon pupitre de la salle d’études, un bouquin jaune, format 13x16 cm, René Guy Cadou, par Michel Manoll, Poètes d’aujourd’hui n°41, aux éditions Pierre Seghers, 1954. Le poète, un jeune homme un peu joufflu, a “une clope au bec”.
En avril, le rejoint, au format identique, sous une couverture marron, le n°22. Le poète, un homme mûr au front large, tient “sa clope entre index et majeur”, il ressemble à mon père, c’est pour cette ressemblance et cette beauté que je l’ai choisi. C’est René Char ! Les premiers mots lus tiennent de l’aveuglement ; je n’y comprends rien, mais c’est beau :
O monnaie d’hélium au visage lauré !
Il faut bien les deux dictionnaires de tout bon élève de Classique A, le Bailly et le Gaffiot, pour dissimuler ce qui me semble une charge explosive.
Toute la lente appropriation du poème s’est bâtie sur ces deux livres : parce qu’il y avait alors un authentique éditeur de poètes, Pierre Seghers et qu’à la fin du René Char était relié un cahier, catalogue de l’édition qui offrait des avenirs insoupçonnés de lectures.
Quand, à l’automne, je partis pour la Côte d’Ivoire, ma cantine était lourde d’une bibliothèque naissante et j’avais en guise de viatique pour mes lectures désormais libérées de toute signature, une table d’orientation qui, d’un format plus grand, 19x14 cm, mais en couverture, de mise en page identique m’ouvrait l’espace du poème :
le Panorama critique des nouveaux poètes français
de Jean Rousselot
achevé d’imprimer le 26 mars 1953,
pour le compte des Éditions Pierre Seghers.
Chaque mardi, je retirerai donc, du rayon où ils s'alignent, un d'entre ceux qui furent naguère.... les POÈTES D'AUJOURD'HUI.
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