mardi, 15 février 2005
Paul VERLAINE
Voici le n° 38 des "Poètes d'aujourd'hui", à peine lisible au dos du bouquin : si la reliure est forte - cahiers cousus, pas simplement collés - le papier en 1953 n’est point encore de très bonne qualité.
Le “Paul VERLAINE” de Jean Richer n’est pas l’objet littéraire non identifié qu’auront été pour le lecteur adolescent de 1955 le “Cadou” et le “Char”.
Le “Verlaine” s’introduit avec force entre un classique Larousse, un manuel de littérature française en usage chez les bons pères et un livre de “Poésies religieuses” offert par ma mère pour mes dix-huit ans.
Ah ! Verlaine et la mère ! Rimbaud et la mère ! penseront les avertis.
Moi, je me contente de souligner encore aujourd’hui, cinquante ans après, l’étonnement heureux du fils de la “bonne-à-tout faire chez les grands bourgeois” nantais, qui ose entrer chez Beaufreton et demander qu’on lui enveloppe dans un papier-cadeau un livre de poèmes.
Merci ! Tendrement à elle !
Ni elle, ni moi, ne connaissons le préfacier qui propose un choix fort catholique. Il s’agit de J.-K. Huysmans*.
Les premières pages de Richer vont ébranler l’image ; dès la deuxième page, il note “l’étrange aberration qui a fait tolérer au capitaine Verlaine la présence chez lui, sur l’étagère d’une armoire, de trois bocaux où, dans l’esprit de vin, Mme Verlaine gardait précieusement les fruits de trois grossesses malheureuses antérieures à la naissance du petit Paul.”
Le décor est dressé ; nous ne sommes plus dans l’hagiographie amicale des bouquins précédents.
Verlaine est mort en 1896 ; plus de cinquante ans se sont écoulés et le critique a lu Freud : “Chez tous nos homosexuels hommes..., nous avons retrouvé, dans la toute première enfance, période oubliée ensuite pas le sujet, un très intense attachement érotique à une femme, à la mère généralement, attachement provoqué ou favorisé par la tendresse excessive de la mère elle-même, ensuite renforcé par un effacement du père de la vie de l’enfant.”
Freud écrit ceci à propos de Vinci ; Richer doit aussi avoir, à ce moment, l’enfance de Rimbaud en tête.
Le modeste lecteur note que l’un et l’autre de nos futurs terribles amants ont des pères capitaines, du génie pour Verlaine, d’artillerie pour Rimbaud. De l’influence du grade militaire et de l’arme des pères sur les comportements sexuels des fils ? On cause peut-être trop des mères.
Et en 1953, Deleuze et Guattari n’ont pas vingt ans ! L'anti-Œdipe est en germe. Richer le lira-t-il un jour ?
Quelques excuses donc pour Richer qui déroule fort bien le parcours tumultueux : les avatars conjugaux, les relation de l’Archange et du Faune, les tables de cafés, les violences de l’ivrogne, les hôtels de passe et les chambres d’hôpital. Il consacre les trois derniers chapitres à la situation de Verlaine dans la vie littéraire de cette fin XIXe.
le Faune et l'Archange - par Fantin-Latour
Le choix des textes ira bien au-delà des classique Larousse, Hatier ou de Gigord.
Mais sans audace. Quoique un texte comme Lassitude ?
"A batallas de amor campo de pluma."
Gongora
De la douceur, de la douceur, de la douceur!
Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.
Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l'amante
Doit avoir l'abandon paisible de la Sœur.
Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.
Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, même qui mente !
Mais dans ton cher cœur d'or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l'olifant!...
Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !
Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse !
Les machistes au braquemard raidi trouveront le sonnet bien assagi ; l’adolescent que j’étais pressentait qu’avec de telles allusions le livre n’obtiendrait point la signature du préfet de discipline. J’imitais la griffe du dit et enfouis le Verlaine entre le Gaffiot latin et le Bailly grec. L’anthologie très catholique de Huysmans avait reçu, elle, l’autorisation du censeur ; je pus lire Sagesse en toute quiétude et au grand jour :
— Il faut m’aimer ! Je suis l’universel Baiser,
Je suis cette paupière et je suis cette lèvre
................................................................................
Ô ma nuit claire ! ô tes yeux dans mon clair de lune !
Ô ce lit de lumière et d’eau parmi la brune !
Toute cette innocence et tout ce reposoir !
Aime-moi !
...............................................................................
Il faut m’aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,
Je suis Adam nouveau qui mange le vieil homme
Ta Rome, Ton Paris, Ta Sparte et Ta Sodome
Comme un pauvre rué parmi d’horribles mets.
...............................................................................
Aime. Sors de ta nuit. Aime.............................
Sagesse prépare les voies qu’emprunteront Francis Jammes, Charles Péguy, Paul Claudel. Les critiques d’alors, Lemaître, Bloy, Huysmans ne s’y trompent point : le Silène impénitent, lubrique est aussi empli d’une ferveur d’enfance qui renoue par delà quatre siècles de silence avec les “accents d’humilité et de candeur..., (les) prières dolentes et transies, les allégresses... oubliés depuis ce retour à l’orgueil du paganisme que fut la Renaissance.” (Huysmans).
L’homme qui fit merveilleusement claudiquer la langue française et sa métrique, qui libère le vers, le désarticule, affole les césures et enjambe d’un vers l’autre, refuse d’être le théoricien et revendique la chanson :
Mandoline
Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Échangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C'est Tircis et c'est Aminte,
Et c'est l'éternel Clitandre,
Et c'est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues
Tourbillonnent dans l'extase
D'une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
Valse à sept temps pour un tableau qui ressemble à Watteau.
Tango à six temps pour un Balanide gentiment porno
C’est un plus petit cœur
Avec la pointe en l’air ;
Symbole doux et fier
C’est un plus tendre cœur.
Il verse ah ! que de pleurs
Corrosifs plus que feu
Prolongés mieux qu’adieu
Blancs comme blanches fleurs !
Vêtu de violet,
Fait beau le voir yssir,
Mais ô tout le plaisir
Qu’il donne quand lui plaît
Comme un évêque au chœur
Il est plein d’onction
Sa bénédiction
Va de l’autel au chœur
Il ne met que du soir
Au réveil auroral
Son anneau pastoral
D’améthyste et d’or noir.
Puis le rite accompli,
Déchargé congrûment,
De ramener dûment
Son capuce joli.
Et tant d’autres chansons moins coquines, plus langoureuses, nostalgiques, quasi confidentielles : elles bercent encore des centaines d'écolières et d'écoliers ingénus et ravis.
Elles enchantèrent les musiciens - Claude Debussy, Gabriel Fauré, Arthur Honegger, Charles Tournemire, Edgar Varèse - et les chanteurs - CharlesTrenet, LéoFerré.
Lisant Le paysage dans le cadre des portières, il est difficile de ne pas entendre déjà les rythmes lancinants de boogie-woogie qui martèlent le Transsibérien de Blaise Cendrars.
Le paysage dans le cadre des portières
Court furieusement, et des plaines entières
Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel
Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel
Où tombent les poteaux minces du télégraphe
Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe.
Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout,
Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout
Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ;
Et tout à coup des cris prolongés de chouette. -
- Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux
La blanche vision qui fait mon cœur joyeux,
Puisque la douce voix pour moi murmure encore,
Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore
Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,
Au rhythme du wagon brutal, suavement.
“Le Pauvre Lélian est mort... le 8 janvier 1896, rue Descartes à Paris. Les journaux de l’époque, les revues, les Correspondances, les Mémoires, sont pleins de cette disparition, de cette absence soudaine...Voici Zola, Barrès, Montesquiou, Taillade, Proust, Bloy, Valéry, Mallarmé, au bord de la tombe fraîchement creusée de Paul Verlaine, prince des poètes.”
En 1996, pour le centenaire de la mort du poète, au Promeneur**, Jacques Drillon publie nombre de documents relatant cette absence.
Il fut le poète de mes adolescences pieuses et troublées.
*Verlaine, Poésies religieuses, préface et choix de J.-F. Huysmans, éditions Messein, 1950.
** Jacques DRILLON, Tombeau de Verlaine, Le Cabinet des lettrés, aux éditions Gallimard, 1996.
VERLAINE est dans la Péiade (œuvres complètes, 2 tomes) et dans Poésie/Gallimard(3 volumes).
Verlaine sur la Toile
L'œuvre
16:55 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Merci, cher Grapheus, de rappeler qu'en matière de "rationalisation" de la sexualité, la question de la "mère" a un peu trop souvent porté le fardeau d'une explication par trop facile quant à l'homosexualité des fils... Et quid des garçons hétérosexuels dans le même genre de cadre familial ?? Oups, pardon, j'avais oublié... On ne s'interroge jamais sur la "normalité"... Alors qu'il faut toujours justifier le "hors-norme"... D'une façon ou d'une autre... (mes guillemets sont plus que des guillemets, ce sont d'HENAURMES pincettes...).
Écrit par : Au fil de l'O. | mardi, 15 février 2005
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