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lundi, 24 janvier 2005

Et si l'on revenait au début ?

Poézibao, le beau blogue de Florence Trocmé m’a donné quelque idée pour une chronique régulière, hebdomadaire.
Partager “mes” poètes, mon cheminement de lecteur, mon intérêt pour la chose éditoriale.
Le développement de Poésie/Gallimard, plus de trois cents titres, l’anthologie en “jeans” de Delvaille, celle, plus maigre, du jeune Espitallier, les naissances et morts des revues traditionnellement sur papier ou “en ligne” permettent, à ce jour, de mesurer la vie en expansion ou en régression du poème ; je ne sais si la mémoire culturelle a déjà exercé son tri et retenu les 10% de ce que, habituellement, elle estime de valeur.

Il est des gens fort intéressants qui font, ces temps, paraître de doctes livres sur la lecture et le lecteur : entre autres, Alberto Manguel avec Une histoire de la lecture et son Journal d’un lecteur.
Ce sont d'excellents guides routiers pour grande littérature, mais qui se rapprochent plus du manuel pour fins lettrés - ainsi Lanson en son époque - et se tiennent dans l'espace susdit de la mémoire culturelle.

Je connais des lectrices et des lecteurs qui n’ont point attendu la parution de ces ouvrages pour, depuis plus de vingt ans, pratiquer cet exercice qu’en jargon pédagogique nous nommons “l’autobiographie du lecteur”.
ET l'on s'y retrouve à des milles des horizons lettrés.

Son apprentissage terminé sachant lire, sachant surtout pourquoi il lit, le lecteur commence un lent et long - ce que je lui souhaite - labeur d’autodidaxie, enrichi, appauvri, régénéré, selon, par ses rencontres avec la famille, les instituteurs, les bibliothécaires, les journalistes, les professeurs de collège de lycée, d’université, avec les bons et, tout autant, avec les mauvais.
Pour certains - beaucoup ? -, la trilogie professorale n’aura été qu’une maison très éloignée
Plus que le lecteur lettré, ce lecteur hors des classes aura pratiqué le “lire : un braconnage” de Michel de Certeau.
Lecteur solitaire, il est un farouche libertaire et son mutisme peut fort bien se comprendre comme un vigoureux bras d’honneur au magistère de toutes littératures.

Intimement, cette autoformation - la “face nocturne” de la formation, dirait Gaston Pineau - se construit dans l’affrontement de son questionnement de vie avec les écrits lus et comparés....

Ce blogue est celui d’un lecteur qui depuis qu’il fut alphabétisé, exerce quasi quotidiennement son “braconnage” de liseur, au gré des bonheurs, des rages, des passions, des ennuis.
Peu me chaut la rigueur de la critique - un lapsus m’a fait saisir la “crotique” , “o” trop proche de “i” sur le clavier !-
Il ne s’agira point, ici, de valeur littéraire ; plutôt de goûts : de bons mais aussi de mauvais goûts. S’agira-t-il de littérature ? de poésie ?
Je ne sais. D’écrits, oui, avec certitude.

J’ai commencé ce chemin consciemment, j’avais sept ans ? huit ans ?
Le tout premier ? Le Moricaud par Amélie Perronnet, à la Librairie d’Éducation de la Jeunesse, sans date ; c’était, je crois, le Premier prix d’Écriture de Augustine-Marie Bretaudeau, ma grand-mère.

La récitation de l’école élémentaire n’a laissé que peu de traces ; dans les années cinquante, c’est l’entrée dans cet écrit qu’est le poème : de Charles d’Orléans à Rimbaud, mais à la sauce des bons pères.
De la poésie propre, nette, pure, plus encore pour l’exercice de mémoire que pour le travail sur la langue. Poésie du décor !

Je pris le maquis en classe de seconde, je devais avoir dix-sept ans. J’avais, cependant, soumis à la signature du préfet de discipline, un homme ouvert, lettré, passionné de Racine et de La Fontaine, un livre acheté avec l’argent de poche que ma mère me remettait pour acquérir les classiques Larousse ou de Gigord à la procure du lycée ; j’avais rogné sur l’achat des dits classiques. Je posais le livre sur son bureau : la signature fut apposée, non sans réticences, avec beaucoup de recommandations quant à ma fréquentation future de cet auteur : c’était Paul Claudel, Cinq grandes Odes. Acheté chez Beaufreton, passage Pommeraye.

Je lus, ivre :

Possédons la mer éternelle et salée, la grande rose grise ! Je lève un bras vers le paradis ! je m’avance vers la mer aux entrailles de raisin !


Je me suis embarqué pour toujours !

Embarqué, je le fus. Mais si Claudel, le grand poète catholique, inquiétait mes maîtres, de quoi s’agissait-il donc dans la poésie contemporaine pour les effaroucher et laisser cois ?
Je ne soumis plus aucun de mes livres au “nihil obstat” de mes bons pères. J’entrais en lecture clandestine.
Et devins un familier, lors des sorties libres du jeudi, de la librairie du passage Pommeraye.

En juin 1954, m’échoit dans les mains un dépliant qui présente un poète nantais : quelques photographies, quelques poèmes en... vers libres. Je dois prendre le train pour Ancenis, j’attends l’heure, je vais m’asseoir sur un banc du Jardin des Plantes - je sais encore aujourd'hui lequel, je le revois de temps à autre. Je lis un poème. Les poèmes. Je ne suis pas ivre. Je suis ailleurs. Je ne me souviens plus de quels poèmes précisément ?
Oh, si ! Je me souviens d'un titre, Tristesse et de ce verset qui est mon entrée dans le poème contemporain :

Je prends dans mes deux mains vos deux mains qui s’éteignent
Pour qu’elles soient chaudes et farineuses comme des châtaignes
Quand la braise d’hiver les a longtemps muries



Cadou ne me quittera plus.

medium_cadou.4.jpgEn janvier 55 - cinquante ans déjà, non ? - j’ai, entre la grammaire grecque de Ragon et le manuel de psycho de Cuvillier, dissimulé dans mon pupitre de la salle d’études, un bouquin jaune, format 13x16 cm, René Guy Cadou, par Michel Manoll, Poètes d’aujourd’hui n°41, aux éditions Pierre Seghers, 1954. Le poète, un jeune homme un peu joufflu, a “une clope au bec”.



En avril, le rejoint, au format identique, sous une couverture marron, le n°22. Le poète, un homme mûr au front large, tient “sa clope entre index et majeur”, il ressemble à mon père, c’est pour cette ressemblance et cette beauté que je l’ai choisi. C’est René Char ! Les premiers mots lus tiennent de l’aveuglement ; je n’y comprends rien, mais c’est beau :
O monnaie d’hélium au visage lauré !

medium_char.2.jpg

Il faut bien les deux dictionnaires de tout bon élève de Classique A, le Bailly et le Gaffiot, pour dissimuler ce qui me semble une charge explosive.

Toute la lente appropriation du poème s’est bâtie sur ces deux livres : parce qu’il y avait alors un authentique éditeur de poètes, Pierre Seghers et qu’à la fin du René Char était relié un cahier, catalogue de l’édition qui offrait des avenirs insoupçonnés de lectures.

Quand, à l’automne, je partis pour la Côte d’Ivoire, ma cantine était lourde d’une bibliothèque naissante et j’avais en guise de viatique pour mes lectures désormais libérées de toute signature, une table d’orientation qui, d’un format plus grand, 19x14 cm, mais en couverture, de mise en page identique m’ouvrait l’espace du poème :
le Panorama critique des nouveaux poètes français
de Jean Rousselot
achevé d’imprimer le 26 mars 1953,
pour le compte des Éditions Pierre Seghers.


medium_anthosegh.jpg


Chaque mardi, je retirerai donc, du rayon où ils s'alignent, un d'entre ceux qui furent naguère.... les POÈTES D'AUJOURD'HUI.

Commentaires

j'aime ce parcours semi-clandestin du lecteur chez les bons-pères ! Il me rappelle beaucoup de bons souvenirs dans l'internat du vieux lycée Colbert à Cholet. Les retours en stop pour économiser sur l'argent du car afin de me payer un livre de poche dont la collection commençait à s'étoffer... La lecture en salle d'étude, dans la cour, au dortoir et même en promenade !

Merci Jacques de réveiller ces "vieux" - mais qui me semble tout à coup si proches- souvenirs.

Écrit par : alain | lundi, 24 janvier 2005

Merci de votre témoignage... Et c'est une joie de découvrir ce site.

Écrit par : Triplex | mardi, 25 janvier 2005

Les commentaires sont fermés.