mardi, 22 mars 2005
Arthur RIMBAUD
Le Rimbaud de chez Seghers est arrivé à Bongouanou en mars 1957 avec Paul Éluard et Francis Jammes. L’achevé d’imprimer indique septembre 1956. Mais c’est le douzième de la collection, il s’agit certainement d’une réédition. Les “seuils” du livre ne donnent, c'est dommage, aucune lumière.
Rimbaud, c’était quatre textes, côtoyant Samain, Mallarmé, Lafforgue, de Régnier, Verhaeren.... dans un classique Larousse “Paul Verlaine et les Symbolistes”.
O balançoire ! O lys, Clysopompes d’argent !
C’était, murmurés à perte de nuit, Voyelles, le Dormeur du val, le Bateau ivre, Ma Bohème,
J’allais les poings dans mes poches crevées
C’était, assénés, les Assis, par la voix abrupte de Jean-Louis Barrault.
C’était des pans entiers des Illuminations, de la Saison en enfer “censurés” parce que jugés inaudibles. Ou alors des bribes ! Saisissables ?
...Aujourd'hui, aucun pan n'est plus censuré, mais quand on lit le “Rimbaud” des autres, c’est tout comme... et ça peut s'entendre. À chacun, ses fétus rimbaldiens et ses pages impénétrables ; que l'on tait ! Allez expliquer l'obscur !
Des bribes ! Mes bribes ! les “O ” !
Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Claude-Edmonde Magny prend comme carte d’orientation la lettre du Voyant, celle envoyée à Paul Demeny, datée du 15 mais 1871 ; elle aurait pu s’appuyer sur le lettre de l’avant-veille adressée à Georges Izambard.
Peut-être les deux meilleurs outils pour s’enfoncer dans les déserts, les eaux, les villes et les châteaux.
Et ils nous sont donnés par l’artisan lui-même, voyant voyou, vieux jeune, satan sage .
Il en fournira d’autres tout au long de son ouvrage et Magny les pointe avec beaucoup d’acuité.
Je souligne ces lignes, que je n’ai point trouvé souvent citées.
Détournant Malraux, je pense, – mais est-ce mon entourage qui m’y dispose – que le XXIe siècle sera féminin ou nous ne serons plus !
«...Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme — jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. »
Branleur mystique ? enculé enculeur ? drogué ascétique ? petit commerçant communard ?
Un très malin qui nous laissa assez de traces mystérieuses et prosaïques pour que nous ne puissions en faire un mythique Lautréamont.
Astucieux, non ! Ce très lointain et très quotidien cousin.
Devant l’afflux des exégètes, des commentateurs, des paraphraseurs — qui n’a pas écrit en une feuille ou en plusieurs livres son Rimbaud — il y a quelqu'hésitation ? Dans le Magazine Littéraire de juin 1991, deux pages bibliographiques et onze parutions pour un anniversaire centenaire.
Des décades rimbaldiennes. Fin de siècle : les années “Borer”. Début du siècle : les années “Jeancolas”. On annonce la décade “Lefrère”.
Il y a de sympathiques fonds de commerce. Il fut négociant, Jean-Arthur, non ?
Dans les années soixante, ça s’étripait allègrement entre Étiemble, Pia, Faurrisson et Breton.
Les uns pencheront pour :
...Il s’agit de gagner une dizaine de mille francs, d’ici à la fin de l’année... D’ailleurs, je me suis ménagé la possibilité de rentrer dans mon capital à n’importe quel moment...
Rimbaud fourmi.
Les autres inclineront vers :
J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse.
Rimbaud cigale.
....O Timothina Labinette !
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...À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem !
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...Ma chère maman !
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Le même Rimbaud.
Tous à lire ! Doctes, fous, professeurs, rêveurs, biographes, photographes, auteurs, universitaires, autodidactes, poètes, peintres, inconnus. Même Sollers dans Studio, qui se chauffe aisément au feu des autres - le lire sur Vivant Denon, Mozart, Dante.
En serrer quelques-un(e)s dans son havre-sac : Enid Starkie, Edmonde Magny, Henri Miller, Pierre Gascar, Ernest Pignon-Ernest, Pierre Michon, Jean-Luc Steinmetz....
Il est bien de tout lire, – enfin le plus possible, – de tout voir, de tout entendre, de tout vivre et puis de tout oublier et de revenir à l’homme et à l’ouvrage.
Là, ces jours, je ne puis que me rêver une mise en scène de mes propres moments de lectures.
Contempler l’homme et lire l’œuvre !
Une grande salle blanche et nue, deux reproductions élargies aux dimensions des murs : sur le mur du nord-est, la peinture de Ernest Pignon-Ernest qui s’est délitée des mois durant sur les murs de Paris.
C’est le jeune Arthur à la besace de poèmes qui surgit dans la Commune. La lumière qui l’éclaire est celle du sud.
Sur le mur du sud-est, c’est l’image retouchée du Rimbaud au Harrar ; c’est la lumière du nord qui laisse entrevoir l’indéfini d’un beau visage émacié.
Contre le mur de galerne, un tabouret et une table sur laquelle s’ouvre n’importe quelle édition des œuvres complètes.
La mienne est celle de la Pléiade, achetée en juin 1958 et qui fut glissée dans toutes cantines, sacs ou valises. Le papier bible a fait la guerre d’Algérie, les pitons, les crapahuts, puis l’indépendance — au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie — et le désert.
Il fut lu dans la tiédeur du sac de couchage posé à même la terre, adossé au rocher à l’ombre des lauriers-roses au creux d’un oued, dans l’aridité minérale de contreforts de l’Amahadou, au bord d’une séguia biskrie dans le parfum des orangers, dans un des multiples entonnoirs qui trouent les dunes du grand Erg oriental.
Plus tard, dans les criques de Bretagne sud,
en dévalant les houles du Golfe de Gascogne,
dans les calmes plats qui s’allongent sur l’équateur du Pacifique,
sur les rives de la Falémé, précédant le coq et le muezzin,
au creux des ports de l'Algarve et de l'Andalousie atlantiques.
Et ici, aujourd’hui quand, quittant l’écran, le regard se porte sur les grandes images qui élargissent les murs, dans le retour bienheureux à une clandestine adolescence,
la voix du lecteur murmure :
Je suis le saint, en prière sur la terrasse, — comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant.
Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l’allée dont le front touche au ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.
Ailleurs
Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord...
Sur la Toile
• Le site de la ville natale (aurait-il apprécié ?).
• un site à liens.
• Un mien Rimbaud, écrit en hâte quand un matin d'atelier, Daniel Biga déroula, devant nous, son exemplaire sur papier journal, du Rimbaud de Pignon-Ernest (cf. la reproduction,ci-dessus). Dédié à Mj, cette femme qui m'entraîna dans l'aventure de cet atelier.
12:00 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Vous connaissez? http://ledormeurduval.skynetblogs.be/
Écrit par : Kate | mercredi, 23 mars 2005
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