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jeudi, 07 avril 2005

"Ce bruit dans le jardin..."

Francis Jammes !

Dans ses poèmes, il est la bécasse, le lièvre, l'âne, le compagnon de l’âne et des pauvres.
En 2005, un siècle et quelques années plus tard, il est encore un poète d’aujourd’hui.
Seules, les jeunes filles dont il est amoureux sont d’un genre un peu suranné avec leurs chapeaux de paille à rubans, leurs robes de percale et de mousseline, leur nudité sur les bruyères et leurs tendres langueurs. Mais les hanches et les nuques sont si douces.

Elle va à la pension du Sacré-Cœur.
C’est une belle fille qui est blanche
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Elle me rappelle les écoliers d’alors
qui avaient des noms rococos, des noms de livres
de distribution des prix, verts, rouges, olives,
avec un ornement ovale, un titre en or :

Clara d’Ellébeuse, Éléonore Derval,
Victoire d’Etremont, Laure de la Vallée,
Lia Fauchereuse, Blanche de Percival,
Rose de Liméreuil et Sylvie Laboulaye.


Elles lui vinrent, souvent nues.
Et il enchanta, dans le droit fil de Nerval et de Verlaine, mes émois adolescents, suscités par dieu ou par quelque blanche jeune fille un peu dévergondée.

Je pense que ce n’est pas hasard s’il me parvint, dans ma clairière de Côte d’Ivoire, accompagné de Rimbaud : de Louise Vanaen de Voringhem à Clara d’Ellébeuse, Almaïde d’Etremont, Guadalupe d’Alcaraz, il n’y a que l’infime distance de la rouerie rimbaldienne à la naïve sensualité du Gascon d'Orthez.
René-Guy Cadou m’avait mis en chemin :

Le chemin creux de Francis Jammes
On y voit l’âne on y voit l’âme


Sans doute madame Anne de Noailles avait-elle raison méchante de lui préférer “ses rosées” à “son eau bénite”.

Quoique !
Écoutons Brassens chantant la Prière et nous retrouvons les Mystères douloureux de Clairières dans le ciel.
Allons jusqu’à gommer le “Je vous salue, Marie” qui conclue chaque strophe, si l’incroyant l’exige : nous y lirons en clair, plus que jamais actuelle, la misère du monde que nous côtoyons chaque jour dans nos rues et nos villes, qu’étalent les journaux et les écrans.
Une déploration qui, soutenue par la musique du Sétois, ne vous empoigne que plus.

Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
Tandis que des enfants s'amusent au parterre
Et par l'oiseau blessé qui ne sait pas comment
Son aile tout à coup s'ensanglante et descend
Par la soif et la faim et le délire ardent
Je vous salue, Marie.

Par les gosses battus, par l'ivrogne qui rentre
Par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre
Et par l'humiliation de l'innocent châtié
Par la vierge vendue qu'on a déshabillée
Par le fils dont la mère a été insultée
Je vous salue, Marie.

Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids
S'écrie: " Mon Dieu ! " par le malheureux dont les bras
Ne purent s'appuyer sur une amour humaine
Comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène
Par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne
Je vous salue, Marie.

Par les quatre horizons qui crucifient le monde
Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe
Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains
Par le malade que l'on opère et qui geint
Et par le juste mis au rang des assassins
Je vous salue, Marie.

Par la mère apprenant que son fils est guéri
Par l'oiseau rappelant l'oiseau tombé du nid
Par l'herbe qui a soif et recueille l'ondée
Par le baiser perdu par l'amour redonné
Et par le mendiant retrouvant sa monnaie
Je vous salue, Marie


Dans les notes des jours à venir, je ne me propose que de faire entendre la musique très douce, un peu amère, de ce homme quotidien, inimitable dans sa simplicité.

La gueule d’un vieux pot à soupe baille au pied
de la niche du chien. On entend le léger
cliquetis des roseaux que l’air à peine froisse.

Commentaires

La description des jeunes filles me fait penser à ces photos de David Hamilton. Étranges, chastes mais troublantes.

Écrit par : Kate | vendredi, 08 avril 2005

Eh,oui ! J'y ai souvent pensé à ce rapprochement. Me souviens que les premières "jeunes filles hamiltonienes" troublèrent le regard quelques années, mais que le genre ne se renouvela guère, que des épigones surgirent et que la publicité s'inspirant du style épuisa le sens de l'éros hamiltonien. C'est cette exténuation qui effleure parfois les jeunes filles "nues" de Jammes.

Écrit par : Grapheus tis | vendredi, 08 avril 2005

Les commentaires sont fermés.