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dimanche, 12 avril 2009

Les Pâques à New York

à FV, dans la violence de l'Absence,
mais qui sans doute ne viendra pas lire ce blogue.


Un soir d'avril, après avoir erré dans les rues d'un New-York sous la neige, un gars affamé se met à sa table et écrit " jusqu'au petit jour..., d'un trait avec trois ratures et c'est tout" ce qui va suivre.
Dans cette langue française-là, deux types l'ont précédé, quelques quarante ans avant, Rimbaud et Lautréamont.


Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa viscera
Et rigor lentescat ille quem dedit nativitas
Ut superni membra Regis miti tendas stipite...

Fortunat, Pange lingua.

Fléchis tes branches, arbre géant, relâche un peu la tension des viscères,
Et que ta rigueur naturelle s'alentisse,
N'écartèle pas si rudement les membres du Roi supérieur...

Rémy de Gourmont, Le Latin Mystique.


Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom,
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion

Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans un livre, doucement monotones.

Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d'or

Dans un missel, posé sur ses genoux,
Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.

À l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.

Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.

À vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c'était son amour

Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère.


Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet

Attend derrière la porte, attend que je l'appelle !
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, - c'est l'Éternel.



Je ne Vous ai pas connu alors, - ni maintenant.
Je n'ai jamais prié quand j'étais un petit enfant.

Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.
Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;

Mon âme est une veuve en noir, - c'est votre Mère
Sans larme et sans espoir, comme l'a peinte Carrière.

Je connais tous les Christs qui pensent dans les musées ;
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.


Je descends à grands pas vers le bas de la ville,
Le dos voûté, le coeur ridé, l'esprit fébrile.

Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
Et vos mains tout autour palpitent d'étincelles.

Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,

D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,
Calices renversés ouverts sous vos trois plaies.

Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu.
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.

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Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice
Est ici, parquée tassée, comme du bétail, dans les hospices.

D'immenses bateaux noirs viennent des horizons
Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.

Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.

Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.

C'est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.

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Seigneur, l'aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

Déjà un bruit immense retenti sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.

Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.

Une foule enfiévrée par les sueurs de l'or
Se bouscule et s'engouffre dans de longs corridors.

Trouble, dans le fouillis empanaché de toits,
Le soleil, c'est votre Face souillée par les crachats.


Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne ...
Ma chambre est nue comme un tombeau ...

Seigneur, je suis tout seul et j'ai la fièvre ...
Mon lit est froid comme un cercueil ...

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents ...
Je suis trop seul. J'ai froid. Je vous appelle ...

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux ...
Non, cent mille femmes ... Non, cent mille violoncelles ...

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses ...
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées ...

Je ne pense plus à Vous. Je ne pense plus à Vous.


Salut CENDRARS
!

cendrars1001.jpg




Pour lire le poème en son entier. Et il le faut ! Dommage que soient oubliés les exergues de Fortunat et de Rémy de Gourmont. Ce diable de Blaise crevait peut-être de faim, mais il fréquentait les salles des bibliothèques newyorkaises.

Commentaires

Très beau texte, qui n'a rien perdu de sa force. À ranger tout près de "Zone" et du "Roi de Harlem"...

Écrit par : C.C. | lundi, 13 avril 2009

Un de mes préférés aussi. Entre R. Camus et J. Cocteau (sur mon étagère seulement...).

Écrit par : emily | mercredi, 15 avril 2009

Un beau poème qui parle plus de Cendrars lui-même que de sa relation avec dieu !
cordialement
alainB

Écrit par : alain BARRE | jeudi, 16 avril 2009

Les commentaires sont fermés.