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vendredi, 19 décembre 2008

il ne fait pas bon avoir la tête épique

... en France. Du moins !

Et la récente biographie parue sur Alexis Léger dit Saint-John Perse* semble bien confirmer l'adage littéraire. Aux dires des critiques, Jacque Julliard dans le Nouvel Obs de la semaine dernière et Philippe Lançon dans le LibéLivres d'hier, la stèle érigée par le diplomate-poète lui-même commencerait de se lézarder.
Ce ne sont que critiques de critique.

Julliard appuye là où sans doute le jeune universitaire auteur de la biographie fait déjà mal — ce serait surtout le diplomate qui serait visé, ouf !, affabulateur... problème d'identité... don de réécriture de l'histoire... pseudomanie galopante... ondoyant et divers... dissimulé, calculateur, opportuniste. Julliard clôt son article assez bêtement : « Il y aura toujours des unhappy few pour préférer Éluard, Char et Saint-John Perse à Apollinaire, Aragon et Desnos. » Mais non, mais non ! monsieur Julliard, qui n'aimez point Saint-John Perse, le lecteur peut préférer (!) les six à la fois.

Lançon écrit plus mesurément sur le diplomate, mais sans l'épargner : « Craignant d'être tué sous les bombes, il rejoint aussitôt les États-Unis. Il y nuit avec efficacité à l'image gaullienne. » Et la chute de l'article qui ébranle le "monument" Pléiade, après les allusions aux manœuvres diplomatiques pour obtenir le Nobel : « Le mausolée de la Pléiade roule la pierre sur cette destinée accomplie entre élévations et reniements. Quelques vers splendides, de beaux hommages, cette extraordinaire cadence verbale statufiée, continuent de s'en échapper. Et cette question sans réponse, posée dès l'âge de 20 ans : "sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ?..." Rien. »

Critique de critiques ! Certes. Faudra-t-il lire le livre de Renault Meltz ? Sinon la curiosité. Quand les statues sont ébranlées, la lecture n'en peut être que libérée.
Mais, que m'ont apporté récemmment, les biographies de Greisalmer sur Char, de Martin sur Michaux, passé un certain premier malaise dans le dévoilement de "l'humain, trop humain" de ces hommes ?
Des années de lecture furent dans l'ignorance des petitesses et des grandeurs ; le retour aux textes estompent très vite, sinon effacent, les gênes biographiques tant qu'il n'est en question que les trivialités des vies quotidiennes et que les valeurs de la common decency** ne sont point lézardées.

Demeure la grande vendange de la langue et du rythme. Scribes dépassés par leur propre labeur : ils seraient demeurés anonymes, le lecteur n'en serait pas moins comblé.

Un des ultimes textes de Perse me parait être à la fois un aveu, un plaidoyer et une réponse au biographe et à ses critiques.


LES voici mûrs, ces fruits d’un ombrageux destin. De notre songe issus, de notre sang nourris, et qui hantaient la pourpre de nos nuits, ils sont les fruits du long souci, ils sont les fruits du long désir, ils furent nos plus secrets complices et, souvent proches de l’aveu, nous tiraient à leurs fins hors de l’abîme de nos nuits... Au feu du jour toute faveur ! les voici mûrs et sous la pourpre, ces fruits d'un impérieux destin — Nous n’y trouvons point notre gré




Soleil de l’être, trahison ! Où fut la fraude, où fut l’offense ? où fut la faute et fut la tare, et l'erreur quelle est-elle ? Reprendrons- nous le thème à sa naissance ? revivrons-nous la fièvre et le tourment ?... Majesté de la rose, nous ne sommes point de tes fervents : à plus amer va notre sang, à plus sévère vont nos soins, nos routes sont peu sûres, et la nuit est profonde où s'arrachent nos dieux. Roses canines et ronces noires peuplent pour nous les rives du naufrage.




Les voici mûrissants, ces fruits d’une autre rive. « Soleil de l’être, couvre-moi ! » — parole du transfuge. Et ceux qui l’auront vu passer diront : qui fut cet homme, et quelle, sa demeure ? Allait-il seul au feu du jour montrer la pourpre de ses nuits ?... Soleil de l’être, Prince et Maître ! nos œuvres sont éparses, nos tâches sans honneur et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir. — Les voici teints de notre sang, ces fruits d’un orageux destin.

À son pas de lieuse de gerbes s'en va la vie sans haine ni rançon.

Nocturne
1972.


* Alexis Léger dit Saint-John Perse, par Renault Meltz, Flammarion.
** ma note du 5 décembre : j'ai fait l'école buissonnière.

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