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samedi, 24 mai 2008

« Je vais t'apprendre à me lire. »

J'avoue, que dans la minute où, cette nuit, j'ai entendu, lors de l'émission de Veinstein, Du jour au lendemain, cette affirmation de Claro, j'ai failli m'arracher les écouteurs de mon MP3 des oreilles et bondir hors du lit, mon mental de lecteur libertaire profondément choqué par cette objurgation.
Cet homme que j'avais rencontré quinze jours auparavant au Lieu Unique et qui m'avait diablement séduit par sa conception de la traduction, avec qui j'avais échangé chaleureusement trop rapidement après son entretien avec une certaine Isabelle Rabineau aux belles cuisses d'albâtre — je partais en mer, le soir même, et "la marée n'attend pas le Roi "— cet Claro, donc, osait donc prétendre à la suprématie de l'Auteur sur l'absolue liberté du Lecteur.
C'était trop vite oublier que cet homme aux œuvres étranges est aussi sur son établi de traducteur un lecteur et la sentence — ce que j'avais entendu comme sentence — était précédée et... suivie de nuances qui rétablissaient le dialogue.
C'était à propos de Madman Bovary, objet de l'émission :


« Madman Bovary, c'est un livre sur l'expérience de la lecture... c'est un jeu perpétuel avec le lecteur,...un pacte...qui dit "Là, n'oublie jamais ; tu es en train de faire une lecture et je te le rappelerai en tant qu'auteur" parce que, à ce moment-là, mon écriture agit comme une lecture. Ce que je demande à un lecteur, c'est ce que j'aime bien qu'un auteur ME demande : "Si tu lis mon livre, je voudrais que tu apprennes à lire ma langue Claro, comme tu as aimé apprendre d'autres langues, parce que c'est moi qui vais te donner mes règles syntaxiques, mes règles grammaticales, mon rythme, mes sonorités."
C'est une forme d'apprentissage, une forme de confiance, une forme aussi de cécité, d'abandon...
J'ai une écriture qui essaie de cogner comme une porte contre le lecteur.
»


Ayant entendu cela et l'ayant, je crois, ressenti compris, j'ai pensé à Jean-Louis Godard, à cette séquence d'À bout de souffle, Belmondo au volant de sa voiture, détourne son regard de la route et nous regarde, nous, spectateurs interpellés, Godard, à l'instar de Claro, nous disant : « Je fais du cinéma, vous êtes au cinéma ! ».*

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Ce que Claro auteur, traducteur, dit et écrit de notre rapport à la Langue, à nos "langues" m'a préparé à la confrontation prochaine avec l'homme du Tombeau pour cinq cent mille soldats, cette épopée infernale que j'ai vécue, en ses fins sans doute de manière autre que celle de Pierre Guyotat, que d'aucuns disent homme d'une impensable douceur.
Comme Claro d'ailleurs et sa si jolie compagne, la cinéaste Marion Laine dont le film "Un cœur simple" aurait mérité de demeurer quelques semaines de plus sur les écrans nantais.
Un Flaubert filmé aux antipodes de son "voyou langagier" de compagnon ! Mais l'harmonie des contraires, c'est aussi ce qui fait le bonheur de rencontrer certains couples et leurs œuvres.


• Aller lire le Clavier cannibale. Dommage la "Femme au perroquet" de Gustave Courbet n'y est plus !

*Plus trivialement, Godard fait dire à son héros : « Si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la campagne, allez vous faire foutre ! »

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