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mercredi, 07 décembre 2011

deux notes retrouvées

Cet après-midi de pluie froide — l'automne serait-il enfin là quand s'annonce déjà le solstice d'hiver — je décide d'ajouter enfin le deux centième titre à ma biblitohèque virtuelle, Babélio, où depuis deux ans, j'insère mes bouquins préférés à dose homéopathique.

Après trois "Casanova" suscités par l'actualité éditoriale et l'exposition de la BNF, après l'Art de jouir de La Mettrie, je choisis du sérieux, comme un remontant en ces tristes jours d'Europe en dérive autocrate : Démocratie Citoyenneté et Héritage gréco-romain. C'est signé, entre autres, par Pierre Vidal-Naquet et Jean-Pierre Vernant.

Le feuilletant, deux papiers que j'y avais glissés, en tombent, notes jetées en réponse à de vieux compagnons qui m'avaient sans doute questionné :

La première note :

Pourquoi suis-je "Grec" et non "Juif ? Parce que l'interrogation et la réflexion sur les Autres et sur eux-mêmes ont commencé avec les Grecs, alors que les Juifs n'ont été qu'exhortation et imposition de lois pour un monde de l'au-delà. Mais c'est le monde de ce jour-ci qui me passionne. Non celui douteux de demain.

La seconde dont le premier paragraphe a quelque lien avec celle qui précède :

Pour la "philia", je pense que J.P. Vernant a cerné la meilleure définition de ce qu'est la "philia grecque" :
« Pour les Grecs, l'amitié (la philia) est un des éléments qui fonde la cité. Elle tisse un lien entre le privé et le public, par lequel entre soi et l'autre «quelque chose» circule, «quelque chose» qui, tout en laissant chacun singulier, forge une communauté homogène. L'amitié, c'est mettre en commun. Par conséquent, il n'y a pas d'amitié sans égalité... On ne peut avoir d'amitié que pour quelqu'un qui est, d'une certaine façon, son semblable : un Grec envers un Grec, un citoyen envers un citoyen... Et pour les Grecs, il ne s'agissait pas seulement de vivre ensemble, mais de bien vivre ensemble. »

Quant à "l'otium"qu'il faut bien se garder de traduire trivialement par "oisiveté", je le conçois comme l'art d'utiliser son temps à se bien cultiver sans souci de briller ou de rentabiliser — les Romains opposaient "l'otium "au "negotium ". À la nécessité du négoce, du labeur, mise en œuvre d'un art de la paresse au noble sens du terme décrit par Paul Laforgue dans son bouquin, "Le droit à la paresse".
L'otium est la "talvera"*, le chaintre de ma vie quotidienne, espace et temps improductifs mais qui génèrent la "vie bonne".

On ne s'est guère éloigné de Casanova !



* La “talvera”, pour moi, c’est l’équivalent occitan de notre chaintre gallo ou poitevin — cet espace nécessaire pour tourner la charrue et son attelage, à chaque extrémité du champ labouré. C’était — ça n’existe plus avec le tracteur — un espace “perdu” mais fécond que bordait la haie. S’y développait la liberté des herbes folles ! S'y reposaient mes ancêtres laboureurs des servitudes que leur imposaient les seigneurs !

jeudi, 01 décembre 2011

à propos de Casanova

Casanova par H. Pratt - copie.jpg©Hugo Pratt

 

« Le plaisir, c'est la vertu sous un nom plus gai. »

Ce pourrait être de Casanova ; c'est de La Mettrie. Il n'est pas étonnant que celui-ci était admiré par celui-là.

 


Ajout (plus long, à la brièveté de cette note) :

En ces jours où sur les ondes, France Cul naturellement, sont à "podcsater" la Fabrique de l'histoire sur Casanova et les Nouveaux chemins de la connaissance sur un de leurs  ancêtres, ÉPICURE, voilà cette Europe dont je rêve, avec de tels citoyens.

vendredi, 25 novembre 2011

ce 25 novembre 1964 « dans le noir sera sa mémoire »

Il est des temps où devant le vide, face à l'énigme, même les mots ne montent plus pour évoquer, pour creuser. Les larmes seules ! Et encore ?

Et seule la musique

    le chant peut-être ?

Celui de cette femme, Montserrat Figueras, morte un de ces jours passés, avant-hier ou hier, dont la voix questionnera longtemps l'énigme du visage glacé de ma désormais si lointaine amour qui demeure au creux de mes mains.

 

À la mémoire de Rabéa, ce chant.






mardi, 01 novembre 2011

1er novembre en nostalgie

Je crois fondamentalement qu'il y a moins de matérialité dans le réel qu'il ne semble, et plus de réalité dans l'imaginaire qu'on ne croit. Le réel est pris en sandwich entre deux imaginaires : le souvenir et l'imagination. Quant à la réalité humaine, elle n'est ni le réel ni l'imaginaire, mais l'un dans l'autre. En somme, il y a toujours une part d'imaginaire dont nous avons besoin pour vivre.

Edgar Morin

Mon chemin, Débats et combats, p.125


Ce matin, dans le demi-sommeil, faut-il donc de ce 1er novembre 2001, ne me souvenir que du parfum du jasmin et du piquant discret de ces "boqueronès" sur la terrasse de ce café andalou de SanLùcar qui surplombait les eaux limoneuses du rio Guadiana ?

Nous avions quitté les eaux bretonnes depuis presque trois mois, traversé le Golfe de Gascogne, longé la Galice et les côtes portuguaises, arrondi le cabo Sao Vicente. Nous allions quitter les rivages de l'Algarve pour ceux  de l'Andalousie atlantique. Depuis deux jours, nous oscillions sur une frontière comme abolie par notre navigation nonchalante : l'Alcoutim portugaise sur la rive droite, SanLùcar, l'Andalouse sur la rive gauche.

« ...au tournant d’une rue de SanLùcar, l’image parfaite d’une Andalousie rêvée : sur le bleu de cet été de Toussaint, angles purs des maisons qui se chevauchent, acéré brun des tuiles vers l’envolée sur le clocher ocre de l’église ; plus loin à la patte d’oie de trois venelles à la descente vertigineuse : un mur blanc, une porte bleue et par-dessus le mur, un olivier... »

 

Dix ans ! et l'étonnant réel de cette matinée surgit donc, apaisant, dans l'imaginaire du dormeur.

lundi, 24 octobre 2011

entre automne et silence

 

 

 

 un blogueur muet !

lundi, 17 octobre 2011

17 octobre 1961

Une note déjà rédigée. Il suffit de mettre cinquante ans au lieu de quarante-cinq ! L'horreur et l'espoir sont identiques.

 

Ce soir, je souhaiterais une note quasi silencieuse, parce qu'il y a quarante-cinq ans, le 17 octobre 1961, un certain Papon, préfet de police, donne carte blanche aux forces de l'ordre pour la plus odieuse "ratonnade" de France.

Ce soir-là, je suis à Alger dans l'amour fou avec ma Belle du Zaccar parmi les explosions de l'OAS, les contrôles militaires, le couvre-feu, les rafales soudaines au coin des rues, mon entrée, par elle, dans une semi-clandestinité et les mares de sang sur les trottoirs.
Nous ignorons tout de cette immonde soirée parisienne.

Là où nous sommes, Elle et moi, c'est l'atroce depuis sept ans — pour elle, surtout — et nous vivons dans l'insouciance de l'amour et de l'espoir !

vendredi, 23 septembre 2011

confidences sur l'oreiller ?

Ou de Montaigne et ses Essais... lecture à suivre.

 

Il y a quelque temps que ce vingt-neuvième chapitre du Livre I m’interroge, d’abord parce que il ne paraît susciter guère d’intérêt chez les montaigniens, comme s’il ne s’agissait, pour valoriser la publication des sonnets de son ami Étienne, que d’une longue dédicace, à une femme très belle, fort intelligente et dont la stature citoyenne et... amoureuse a sans doute influencé certains acteurs politiques d’une époque pour le moins très troublée.

Grammont 2.jpg

©Nicléane


Que Montaigne ait publié ces sonnets dans les éditions de ses Essais de 1580 à 1588, puis les mentionne comme ”se voyant ailleurs”, tout en maintenant l'adresse qui devient un chapitre, bref certes, mais chapitre cependant, souligne l’importance que l’essayiste attribue à sa relation avec Madame de Grammont, veuve de son camarade de guerre, le comte Philibert de Grammont, tué au siège de La Fère en 1580.

C'est, plus qu'un modeste chapitre, une lettre que nous lisons.
Et qui n'est point  de flatterie courtisane. Mais bien de cette hauteur que Montaigne mettait dans l'art de converser avec ses pairs — dans ce masculin pluriel, faut-il encore intégrer le commerce entretenu avec ces "belles et honnestes femmes", et parmi elles, cette Diane de Grammont, comtesse de Guissen au superbe «pseudo» : Corisande d’Andoins.

Alors, quand, au détour d'un méandre de la Bidouze, modeste affluent de l'Adour, le lecteur, au hasard de ses errances basquaises, franchit un pont surmonté par une impressionnante ruine, très vite, il va réouvrir le Livre I :

Madame, je ne vous offre rien du mien, ou par ce qu'il est desjà vostre, ou pour ce que je n'y trouve rien digne de vous. Mais j'ay voulu que ces vers, en quelque lieu qu'ils se vissent, portassent vostre nom en teste, pour l'honneur que ce leur sera d'avoir pour guide cette grande Corisande d'Andoins. Ce présent m'a semblé vous estre propre, d'autant qu'il est peu de dames en France qui jugent mieux et se servent plus à propos que vous de la poësie: et puis qu'il n'en est point qui la puissent rendre vive et animée, comme vous faites par ces beaux et riches accords dequoy, parmy un million d'autres beautez, nature vous a estrenée. Madame, ces vers méritent que vous les chérissez ; car vous serez de mon advis, qu'il n'en est point sorty de Gascoigne qui eussent plus d'invention et de gentillesse, et qui tesmoignent estre sortis d'une plus riche main. Et n'entrez pas en jalousie dequoy vous n'avez que le reste de ce que piec'a j'en ay faict imprimer sous le nom de monsieur de Foix, vostre bon parent, car certes ceux-cy ont je ne sçay quoy de plus vif et de plus bouillant, comme il les fit en sa plus verte jeunesse, et eschauffé d'une belle et noble ardeur que je vous diray, Madame, un jour à l'oreille. Les autres furent faits depuis, comme il estoit à la poursuite de son mariage, en faveur de sa femme, et sentent desjà je ne sçay quelle froideur maritale. Et moy je suis de ceux qui tiennent que la poësie ne rid point ailleurs, comme elle faict en un subject folâtre et desreglé.
 

Grammont 1.jpg

©Nicléane

Bien qu'instammment sollicitée de donner son jugement, je ne sais si la grande Corisande apprécia les laborieux sonnets de l'ami Étienne. Avait-elle déjà lu ceux de Pierre de Ronsard, de Joachim du Bellay, de Louise Labé ? Sans doute !


L'amitié peut troubler le regard puisque ces sonnets sont "à voir". Peut-être n'en est-il point sorty de Gascoigne qui eussent plus d'invention et de gentillesse. De Gascogne certes. Mais d’ailleurs, il y eut mieux.


Quant à moi, j'hésite à sauver de l'ennui, fusse un tercet ?


Et dès lors (grand miracle), en un même moment,
On vit tout à un coup du misérable amant
La vie et le tison s'en aller en fumée


un vers ?

Je sais aimer, je sais haïr aussi.

ou

Ores son œil m'appelle, or sa bouche me chasse.




Mais bon, pour Montaigne, ils avaient je ne sçay quoy de plus vif et de plus bouillant, comme il les fit en sa plus verte jeunesse et eschauffé d'une belle et noble ardeur.

Et de les opposer à ces sonnets ultérieurs que La Boétie composa — et que Montaigne publia aussi — comme il estoit à la poursuite de son mariage, en faveur de sa femme, lequels vers sentent desjà je ne sçay quelle froideur maritale. Et dont Diane de Grammont n’a point à être jalouse, si Montaigne ne les lui a point adressés.

Où, pour le lecteur, l’adresse devient piquante, c’est que Montaigne propose à Diane de lui commenter plus intimement les circonstances de l’écriture de ces sonnets :

que je vous diray, Madame, un jour à l'oreille.

Madame de Grammont est veuve, Henri de Navarre, l’amant futur, encore très occupé à guerroyer.

Alors ? De l’oreille à l’oreiller ?


 Post-scriptum : Les vingt et neuf Sonnets d'Étienne de la Boëtie "se voient ici" sur Calaméo.

vendredi, 16 septembre 2011

retour à Cambo



J’avoue avoir délaissé Rostand et son Chanteclerc.
Mais j’ai glissé l’un de mes Jammes.
Hasparren semble s’être décidée à honorer le poète. Le parc et la maison qui, l’an dernier, étaient à l’abandon, sont un chantier qui annonce un futur centre culturel.


...nous prendrons de vieilles poésies
des choses entendues qui se sont confondues
des mots qui ne sont plus qu'une musique obscure
Et le soir glissera dans le jour qui vacille

Élégie seconde, II



Au milieu de la cabane, et débarrassée de ses vêtements grossiers humides encore de la rosée nocturne, se tient une jeune bûcheronne.
Elle est nue comme la lumière et comme l'eau. Et, tandis que le soleil chante au dehors, elle se courbe, un pied posé sur le fagot de frais noisetiers sauvages que son bras levé ébranche avec une hachette.
.................................................
De la nuque aux talons, elle n'est qu'une courbe ensoleillée...


La jeune fille nue
didascalie de la scène III
Le deuil des primevères

Francis Jammes





Cambo_ - copie.jpg



Les Thermes de Cambo ont toujours le même charme suranné. Et les « eaux » assouplissent déjà les jointures raidies.

Les ganaches d’Espelette éclatent en bouche de piquante suavité — non ce n’est point un oxymore ! — et les Contre-Rimes de Paul-Jean Toulet, autre Béarnais qui enchanta certains soirs de mon adolescence solitaire et pieuse, seront les poétiques ponctuations de mes lectures de Boualem Sansal — son dernier roman, Rue Darwin — et d’Edgar Morin — ses entretiens autobiographiques, Mon chemin — :



Toi qu’empourprait l’âtre d’hiver
    Comme une rouge nue
Où déjà te dessinait nue
    L’arôme de ta chair

.........................................................

Le sonneur se suspend, s’élance,
    Perd pied contre le mur,
Et monte : on dirait un fruit mûr
    Que la branche balance.

Une fille passe. Elle rit
    De tout son frais visage :
L’hiver de ce noir paysage
    A-t-il soudain fleuri ?

Je vois briller sa face,
    Quand elle prend le coin.
L’Angélus et sa jupe, au loin,
    L’un et l’autre, s’efface.

 Paul-Jean Toulet

Contrerimes



Même si le dandysme raffiné de Toulet m'émeut moins que l'agreste sensuel de Jammes !

 

Post-scriptum : Quelques dizaines de kilomètres avant Cambo, à Bidache, premier bourg basque, la route contourne le château de Grammont : difficile d'oublier, la Belle Corisande, Diane de Grammont, comtesse de Guiche, à l'oreille de qui Montaigne aurait en volontiers quelque confidence à murmurer

 





samedi, 10 septembre 2011

les génuflexions de Montaigne

Ma raison n’est pas duite à se courber et flechir, ce sont mes genoux.
(III, 8)

 

 À Rome, ce jour-là 29 de décembre 1580, reçu par le pape Grégoire XIII, les genoux de Montaigne ont fléchis.


Après un ou deux pas dans la chambre, au coin de laquelle le pape est assis, ceux qui entrent, qui qu'ils soient, mettent un genou à terre, et attendent que le pape leur donne la bénédiction, ce qu'il fait; après cela ils se relèvent et s'acheminent jusques environ la mi-chambre. Il est vrai que la plupart ne vont pas à lui de droit fil, tranchant le travers de la chambre, ains gauchissant un peu le long du mur, pour donner, après le tour, tout droit à lui. Étant à ce mi-chemin, ils se remettent encore un coup sur un genou, et reçoivent la seconde bénédiction. Cela fait, ils vont vers lui jusques à un tapis velu, étendu à ses pieds, sept ou huit pieds plus avant. Au bord de ce tapis ils se mettent à deux genoux. Là, l'ambassadeur se mit sur un genou à terre, et retroussa la robe du pape sur son pied droit, où il y a une pantoufle rouge, à tout une croix blanche au-dessus. Ceux qui sont à genoux se tirent en cette assiette jusques à son pied, et se penchent à terre, pour le baiser. M. de Montaigne disait qu'il avait haussé un peu le bout de son pied. Ils se firent place l'un à l'autre, pour baiser, se tirant à quartier, toujours en ce point...
...ains ayant là reçu une autre bénédiction, avant se relever, qui est signe du congé, (les visiteurs reprennent) le même chemin. Cela se fait selon l'opinion d'un chacun : toutefois le plus commun est de se sier en arrière à reculons, ou au moins de se retirer de côté, de manière qu'on regarde toujours le pape au visage. Au mi-chemin comme en allant, ils se remirent sur un genou, et eurent une autre bénédiction, et à la porte, encore sur un genou, la dernière bénédiction.*

 

Les genoux, soit ! mais cinq fois : deux en entrant, une  — et les deux genoux à la fois après s'être tirés en cette assiette aux pieds du visité— et deux encore en sortant. En dépit des bénédicions reçues à chaque génuflexion, la "raison" n'en a-t-elle point vacillé ?

 

Ou plutôt Montaigne n'aura-t-il pas pensé, baisant cette mule rouge à croix blanche, à la rumeur que rapporte Mikkaïl Bakhtine à propos de Rabelais**, reçu un jour chez le pape, qui aurait proposé de "baiser le visage à l'envers" dudit pape, à la condition qu'il fut bien lavé...

Sans commentaire.

 

 

*Journal de voyage en Italie, Rome, Décembre 1580.

** Montaigne a lu Rabelais ; il le cite au livre II, 10, parmi les livres simplement plaisants... s'il les faut  loger sous ce titre, dignes qu'on s'y amuse. Quand on sait les préoccupations du "bas" chez Montaigne, il connaissait sûrement le chapitre 13 du Premier Livre sur "la merveilleuse intelligence de Gargantua (reconnue) à l'invention d'un torche-cul.


vendredi, 02 septembre 2011

Montaigne et le "bas matériel et corporel"

Il n'y a point que Rabelais pour dire le "bas matériel et corporel " comme le nomme justement Mikaïl Bakhtine*. Certes avec Montaigne, nous sommes éloignés du registre de la fête populaire, du grotesque et du carnavalesque ; nous sommes invités à regarder, écouter le corps, — notre corps — dans un comportement — je n'écrirai pas médical, Montaigne se heurte trop à cette science en affirmant la primauté de l'attention à soi-même, âme et corps — donc dans un comportement plus hygiéniste, tendant à gérer sa santé corporelle.

Dans la merde, dans la douleur, la saveur d'une langue populaire s'épanouit en toute verdeur. Il a écrit, il est vrai :

Je me presente debout et couche, le devant et le derrière, à droite et à gauche, et en tous mes naturels plis.

Essais, III, 8

J'extrais du dernier Livre, le Treizième la fiente et la douleur— mais c'est l'entier de cette "fricassée" à lire et relire qu'il propose au lecteur avec toute la richesse de sa réthorique : énumérations, interrogations, métaphores, injonctions, sentences sur le boire, le manger, le repos, le sommeil, l'emploi du temps, le vieillissement et ...la mort.

(Pour l'amour, c'est surtout dans les Essais III, au Livre 5,  "Sur des vers de Virgile", mais l'amour s'entend aussi de multiples fois dans les mille pages. Je reviendrai sur un détail très mince du Livre 29 des Essais I. )

 Et les Roys et les philosophes fientent, et les dames aussi. Les vies publiques se doivent à la cérémonie; la mienne, obscure et privée, jouit de toute dispence naturelle; soldat et Gascon sont qualitez aussi un peu subjettes à l'indiscrétion. Parquoy je diray cecy de cette action: qu'il est besoing de la renvoyer à certaines heures prescriptes et nocturnes, et s'y forcer par coustume et assubjectir, comme j'ay faict; mais non s'assujectir, comme j'ay faict en vieillissant, au soing de particulière commodité de lieu et de siège pour ce service, et le rendre empeschant par longueur et mollesse. Toutesfois aux plus sales services, est-il pas aucunement excusable de requérir plus de soing et de netteté ? « Natura homo mundum et elegans animal est. » De toutes les actions naturelles, c'est celle que je souffre plus mal volontiers m'estre interrompue. J'ay veu beaucoup de gens de guerre incommodez du desreiglement de leur ventre; le mien et moy ne nous faillons jamais au poinct de nostre assignation, qui est au saut du lict, si quelque violente occupation ou maladie ne nous trouble.

Je ne juge donc point, comme je disois, où les malades se puissent mettre mieux en seurté qu'en se tenant quoy dans le train de vie où ils se sont eslevez et nourris. Le changement, quel qu'il soit, estonne et blesse. Allez croire

que les chastaignes nuisent à un Perigourdin ou à un Lucquois,

et le laict et le fromage aux gens de la montaigne. On leur va ordonnant, une non seulement nouvelle, mais contraire forme de vie: mutation qu'un sain ne pourroit souffrir.

Ordonnez de l'eau à un Breton de soixante dix ans,

enfermez dans une estuve un homme de marine,

deffendez le promener à un laquay basque; ils les privent de mouvement, et en fin d'air et de lumière.

………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

On te voit suer d'ahan, pallir, rougir, trembler, vomir jusques au sang, souffrir des contractions et convulsions estranges, dégoûter par foys de grosses larmes des yeux, rendre les urines espesses, noires, et effroyables, ou les avoir arrestées par quelque pierre espineuse et hérissée qui te pouinct et escorche cruellement le col de la verge, entretenant cependant les assistans d'une contenance commune, bouffonnant à pauses avec tes gens, tenant ta partie en un discours tendu, excusant de parolle ta douleur et rabatant de ta souffrance.

………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

 

...tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant.

 Essais, Livre III, 13

 

 

* Mikkaïl BAKHTINE, L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Bibliothèque des Idées, Éditions Gallimard, 1970, ( repris dans la collection "TEL").


jeudi, 25 août 2011

« la sotte chose qu'un vieillard abécédaire ! »

 Montaigne... à suivre.

Même si c'est à rebours que je le suis sur les traces de Starobinski*.
Dans le pénultième chapitre "Chacun est aucunement en son ouvrage", c'est le fil ténu, qui court quasi tout au long des cent-sept chapitres des Essais, du penser des fins dernières — aurait écrit Thomas d'Aquin — que déroule l'essayiste.


Starobinski :
« Le consentement à la mort n'est que la contrepartie nécessaire d'une conversion totale à la vie. »

Montaigne :
« Nous avons le pied à la fosse, et nos appetits et poursuites ne font que naistre. »

 

TréachGouret.jpg

Dans la paisible beauté — quoique doucement pluvieuse  — des mouillages de Bretagne Sud, ce fut une lecture rêveuse qui m'alla fort aise.

J'abandonnai souvent les lignes de Starobinski pour me perdre dans des pages des Essais sans doute naguère — ou jadis ! — survolées, mais qui depuis une ou deux années se révèlent, en lecture bien lente et savourée, fort vigoureuses dans leur sagesse.



Le plus long de mes desseins n'a pas un an d'estandue, je ne pense désormais qu'à finir; me deffay de toutes nouvelles espérances et entreprinses; prens mon dernier congé de tous les lieux que je laisse; et me despossede tous les jours de ce que j'ay.
C'est en fin tout le soulagement que je trouve en ma vieillesse, qu'elle amortist en moy plusieurs désirs et soins de quoy la vie est inquiétée. Le soing du cours du monde, le soing des richesses, de la grandeur, de la science, de la santé, de moy. Cettuy-cy apprend à parler, lors qu'il luy faut apprendre à se taire pour jamais. On peut continuer à tout temps l'estude, non pas l'escholage: la sotte chose qu'un vieillard abécédaire !
S'il faut estudier, estudions un estude sortable à nostre condition, afin que nous puissions respondre comme celuy à qui, quand on demanda à quoy faire ces estudes en sa décrépitude: A m'en partir meilleur et plus à mon aise, respondit-il.

Essais, Livre II, 28

 

Comme une sollicitation à ne garder à portée de main que quelques livres. Sans doute y sont-ils déjà, secrètement.

Pour tenter de saisir — en toute fin  — l'amour, la guerre, la mort. Et m'en aller "plus à mon aise".

 

 * Jean STAROBINSKI, Montaigne en mouvement, Folio essais n°217, Gallimard 1993.

dimanche, 07 août 2011

Montaigne à rebours



Depuis son acquisition, et elle remonte au 23 janvier 2003, je peinais toujours sur les premières pages du bouquin de Starobinski, Montaigne en mouvement. Je ne décollais point du premier chapitre.
Comme le viatique embarqué pour cette paisible croisière d'été, parfois doucement, parfois fortement pluvieuse, est plutôt mince... en volumes — Mars ou la guerre jugée d'Alain, pour les lectures longues, Fureur et Mystère de Char et Vents de Perse pour les brèves, — il m'a bien fallu inventer le stratagème pour, sinon épuiser, du moins m'avancer dans le regard que porte Starobinski sur les Essais.

Donc avancer...à rebours.

Ce qui n'est guère assurance d'une lecture juste, savante, "autorisée". Mais, l'âge venant, un usage aux seules fins personnelles libère des contraintes lettrées.
À sauts et à gambades, conseille notre vieil Ami ; et il n'impose point de sens à ces sauts et à ces gambades.


Voici un commencement de glanes, tirées du chapitre VII : Quant aux « maniemens publiques »  du bouquin de Starobinski:



 À la danse, à la paume, à la luite, je n'y ay peu acquérir qu'une bien fort legere et vulgaire suffisance... J'ay une ame toute sienne, accoustumée à se conduire à sa mode. N'ayant eu jusques à cett'heure ny commandant ny maistre forcé, j'ay marché aussi avant et le pas qu'il m'a pleu.
(II, 17)

Le philosophe Pyrrhon, courant en mer le hazart d’une grande tourmente, ne presentoit à ceux qui estoyent avec lui à imiter que la securité d’un pourceau qui voyageoit avec eux, regardant la tempeste sans effroy.
(II, 12)


Toute autre science est dommageable à celuy qui n’a la science de la bonté.
(I, 25)


Mon opinion est qu’il se faut prester à autruy et ne se donner qu’ soy-mesme.
(III, 10)



Qui ne vit aucunement à autruy, ne vit guere à soy.
(III, 10)


Ma raison n’est pas duite à se courber et flechir, ce sont mes genoux.
(III, 8)


...à suivre.






vendredi, 05 août 2011

Brume d'advection

Un matin de beau soleil, vous descendez à terre.

À peine, êtes-vous sur la plage, que vous retournant, voilà ce qui vient d'arriver.

 Mer chaude caressée par un air froid ? Air froid glissant sur la mer chaude ?

P1060078.jpg

©Nicléane

Manière de saluer les lectrices et lecteurs qui s'étonnent peut-être du silence du blogueur !

lundi, 11 juillet 2011

réparer une erreur de plate-forme ?

Ma plate-forme de blogue m'a, me semble-t-il, méchamment écorné ma note précédente. J'en étais à la brièveté incisive de Char et aux "allongeailles" de Perse.

Et de suite ce fut l'image du dernier matin à la Pointe Buggul, sous Belle-Ile-en-mer.

Je reprends donc ma lecture du mouillage d'En Tal, face au vallon de l'île de Houat qui abrita la retraite de Gildas, le moine celte.
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De Char, par exemple :

La vie commencerait par une explosion et finirait par un concordat ? C'est absurde.

Feuillet d'Hypnos 140


De Perse :

 Prédateurs,  certes ! nous le fûmes ; et de nuls maîtres que nous-mêmes tenant nos  lettres de franchise — Tant de sanctuaires éventés et de doctrines mises à nu, comme femmes aux hanches découvertes ! Enchères aux quais de corail noir, enseignes brûlées sur toutes rades, et nos cœurs au matin comme rades foraines...

Chronique II



Dans le sac marin j'avais glissé, de Marcel Detienne, Dionysos à ciel ouvert, pour m'introduire près du dieu de l'excès avec deux entrées proposées par l'hélléniste: inventer le vin  et l'Île aux femmes.


Inventer le vin parce que ma treille, cet été, est superbe et si lourde de grappes et de pampres ; l'ïle aux femmes parce que souvent nos bords à tirer nous approchent de l'île Dumet — mais est-ce elle qui serait la plus proche de l'embouchure de la Loire  ? comme le précise Strabon dans le livre IV de sa Géographie — quant à moi, je pense que c'est plus de l'estuaire de la Vilaine, la Visnonia latine, qu'il s'agit. (Relire la note du 4 septembre 2009)

Je n'ai pas encore refermé le bouquin de Detienne ; je relève ce qui m'a longtemps été une maxime de tempérance que l'auteur de comédies grecques, Euboulos, au IVe siècle avant notre ère, met dans la bouche du dieu de l'excès :


Aux gens sensés, je ne prépare que trois cratères : l'un de santé, celui qu'ils boivent le premier ; le second, d'amour et de plaisir ;  le troisième, de sommeil. Après avoir vidé ce troisième, ceux qu'on appelle les sages vont se coucher.

Au cours de cette croisière, Mau, mon compagnon de navigation et moi, avons suivi le précepte de ce Dionysos Bien Droit.


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Cendrars était à l'introduction, même si j'ai suivi son poème à contre-sens ; il méritait d'être à la conclusion et, avec cet homme, nous ne sommes jamais très éloignés du dieu de l'excès.


Quelques jours avant de larguer, je "fis la rencontre" de l'Ami Blaise aux Archives départementales de Loire-Atlantique qui commémoraient le procès des insurgés de Cayenne qui se déroula aux Assises de Nantes entre le 9 et le 21 mars 1931.
Cendrars y avait assisté en qualité de correspondant de presse pour le magazine VU : il en tira RHUM, une biographie romancée, oh combien dionysiaque !, d'un protagoniste des émeutes de Cayenne en 1928, Jean Galmot.

Ivre de livres, la nuit dernière, ce n'est peut-être pas ma plate-forme Hautetfort qui m'a trompé.

J'ai dû consommer au-delà du troisième cratère.

dimanche, 10 juillet 2011

du crépuscule d'un premier matin au crépuscule d'un dernier matin

 Manière de célébrer le centenaire de la mort de Blaise CENDRARS

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Tout le monde parle des couchers de soleil
Tous les voyageurs sont d'accord pour parler des couchers
de soleil dans ces parages
II y a plein de bouquins où l'on ne décrit que les couchers
de soleil

Les couchers de soleil des tropiques
Oui c'est vrai c'est splendide
Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil
L'aube

Je n'en rate pas une
Je suis toujours sur le pont
A poils

Et je suis toujours seul à les admirer
Mais je ne vais pas les décrire les aubes
Je vais les garder pour moi seul


Blaise Cendrars
Couchers de soleil
in Feuilles de route - Du cœur du Monde

 

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Lire un matin de houle légère au mouillage d'En Tal, face au vallon qui abrita la retraite de Gildas, la brièveté de Char et les "allongeailles" emphatiques de Perse : voilà un bonheur d'été.

 

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