lundi, 27 mai 2013
Du sonnet, une brève bibliographie
• Jacques Roubaud, Soleil du soleil, Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe,
NRF Poésie/Gallimard, avril 1999.
L'incontournable, présentant la naissance du sonnet en France et son épanouissement dans une chronologie originale et efficace par son aspect critique. Pour ces sonnets en 380 pages, Roubaud les a choisis parmi 45 000.
• Alain NIDERST, La Poésie à l'âge baroque, Bouquins, éd. Robert Laffont, 2005.
Ce ne sont pas que des sonnets, mais beaucoup de beaux sonnets par de grands Baroqueux entre 1590 et 1660, ignorés, sinon méprisés par les lettrés de la culture dite classique
Une revue récente FORMULES - Le sonnet contemporain. Retours au sonnet.
Septembre 2007, ( http://www.formules.net/pdf/formules-12.pdf ), téléchargeable ici. Difficile de considérer cette forme comme une vieillerie.
• Et les Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau, préfacés par François Le Lionnais, qui ne sont que 100.000.000.000.000...sonnets.
Je n'ai point négligé quelques-uns de mes vieux Classiques Larrousse avec de bonnes introductions de "prof's" sans doute aujourd'hui disparus, édités dans les années 30, réédités jusque dans les années 1950.
Ma mère me les avait précieusement conservés :
Œuvres choisies de Du Bellay, par Adrien Cart et Mlle M.-Th. Beynet, 15e édition,
Pages choisies de Nerval, par Gilbert Rougé, 3e édition,
Pages choisies de Baudelaire, par Adrien Cart et Mlle S. Hamel, 17e édition,
Verlaine et les poètes symbolistes, par Alexandre Micha, 17e édition.
RESPECT, comme disent les jeunes de ces temps-ci.
À remarquer que les deux demoiselles étaient professeurs dans l'Enseignement Primaire Supérieur. C'était vraiment le "supérieur" pour les classes populaires. Je me souviens qu'avant mon entrée en VIe, j'étais parvenu en 1ère année de Brevet Élémentaire. J'avais onze ans.
Merci à ma Mère qui quitta l'école des Sœurs à douze ans, ne passa donc point le Certificat d'Études, mais était, née en langue gallèse*, femme de belle goule et grand langage.
Et double respect à Melles Beynet et Hamel.
* Bref rappel : la langue gallèse était jadis le patois parlé en Haute-Bretagne, cette partie Est de l'Armorique ; naguère elle devint le dialecte gallo, du tronc linguistique des langues romanes, dites d'Oil ; aujourd'hui, c'est-à-dire depuis que nous avons une "délégation à la langue française et aux langues de France", elle est nommée "langue" et qualifiée "gallèse". Je n'ai pas encore découvert de sonnet dans la langue de ma mère.
Quelques sites sur la Toile dont un qui permet de défricher, Lexilogos.
17:53 Publié dans glane de sonnets | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 22 mai 2013
Récapitulons : le sonnet, c'est quoi ?
« Sonne-moy ces beaux sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne, conforme de nom à l'ode, et différente d'elle seulement, pour ce que le sonnet a certains vers réglés et limités ; et l'ode peut courir par toutes manières de vers librement, voire en inventer à plaisir... Pour le sonnet doncques tu as Pétrarque et quelques modernes Italiens. Chante moy d'une musette bien résonnante et d'une flûte bien jointe ces plaisantes églogues rustiques, à l'exemple de Théocrite et Virgile, marines à l'exemple de Sennazar gentil homme Néapolitain.»
Joachim Du Bellay
Défense et IIlustration de la Langue Française
Livre I, IV
Selon le Trésor de la langue française informatisé
SONNET, subst. masc.
VERSIF. Poème de 14 vers, composé de 2 quatrains aux rimes embrassées, suivis de 2 tercets dont les 2 premières rimes sont identiques tandis que les 4 dernières sont embrassées (sonnet italien) ou croisées (sonnet français).
REM. Sonnettiste, subst. masc. Poète qui écrit des sonnets. De Heredia, ce sonnettiste inférieur à Soulary, lui fait des crasses (RENARD, Journal, 1899, p. 549).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1536 (Cl. MAROT, Sonnet à Madame de Ferrare [titre; comp. en Italie] ds Œuvres, éd. C. A. Mayer, t. 4, p. 267). Empr. à l'ital. sonetto, att. dep. le XIIIe s. (GUITTONE D'AREZZO; le genre a été inventé par G. da LENTINI dans la 1re moit. du XIIIe s.; v. DEI et U. RENDA, P. OPERTI, Dizionario storico della letteratura italiana, s.v. Lentini et Sonetto), lui-même empr. à l'a. prov. sonet « chanson, mélodie chantée » (2e moit. XIIe s., GUIRAUT DE BORNELH ds LEVY Prov.); cf. a. m. fr. sonet « id. », att. dep. ca 1200 (Aliscans, éd. E. Wienbeck, W. Hartnacke, P. Rasch, 8306), encore att. en 1570 (J. DORAT, Novem cantica de pace [...] Neuf Cantiques ou Sonetz de la paix [titre]), dér. de son « air de musique » (son2*). Le genre du sonnet a cependant été introd. en France sous l'infl. de Pétrarque, très à la mode à l'époque de la Renaissance.
Le sonnet, dans l'une des dispositions les plus classiques, se compose de deux quatrains aux rimes embrassées et répétées, et de 2 tercets sur 2 ou 3 rimes à disposition variable que l'on trouve parfois en un seul sizain ; les formes les plus courantes en français sont :
ABBA ABBA CCD EED
ou
ABBA ABBA CCD EDE
Cela s'écrit en octosyllabes, décasyllabes, alexandrins. Et plus tard en toute liberté d'une syllabe à plus de douze
La mise en valeur du dernier vers est appelé la chute du sonnet.
Jacques Roubaud dans son incontournable Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe reconnaît à la forme sonnet:
six caractères qui lui donnent une position exceptionnelle parmi les formes poétiques attestées.
1. Il s'agit d'une forme savante, écrite et récente.
2. Sa durée de vie est très grande. Les premiers sonnets datent du premier quart du XIIIe siècle. Il s'en compose encore aujourd'hui. C'est une forme poétique contemporaine.
3. Le sonnet est présent dans la tradition poétique d'un nombre considérable de langues. La forme sonnet n'est pas universelle, mais quasi universelle... *
4. Le sonnet a une qualité spectaculaire (par « qualité » je n'entends pas donner un jugement de valeur), qui apparaît pratiquement : une immense productivité. On peut désigner ce trait comme un pouvoir multiplicateur. Il s'est écrit beaucoup, énormément de sonnets... Et ce pouvoir de multiplication semble récurrent, presque indépendant des époques et des lieux.
5. Le sonnet a ceci de remarquable qu'il a été composé dans cette forme certains des poèmes considérés comme les plus beaux de la poésie universelle. Il n'est pas possible de ne pas tenir compte du fait esthétique dans une discussion de la forme. La forme sonnet est une forme poétique de valeur exceptionnelle. Dans leurs langues respectives, certains sonnets comptent parmi les monuments les plus élevés de l'art de poésie. Ce trait est un trait de reconnaissance...
6. Dernier caractère : un mystère formel. Le sonnet est presque toujours présenté comme une forme fixe, étroitement contrainte. Cela est vrai à tout moment de son histoire et de ses migrations. Ce caractère est tantôt mis à son crédit, fait partie de son prestige, tantôt au contraire lui est reproché, le discrédite. Il est indéniable que, de siècle en siècle, et de langue à langue, les sonnets conservent un air de parenté (et la même désignation).
Pour clore, de celui qui est à l'ouverture de cette note, un sonnet à la forme rigoureuse et ajoutant la beauté formelle et les vertus de et l'élégie et de la satire au "vertige de la liste".
Sans oublier que le sonnet vient de "sonare", chanter, et qu'à défaut de chanter, il est fort agréable de se le "mettre en goule"
Ceulx qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceulx qui ayment l’honneur, chanteront de la gloire
Ceulx qui sont pres du Roy, publiront sa victoire
Ceulx qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront
Ceulx qui ayment les arts, les sciences diront
Ceulx qui sont vertueux, pour tels se feront croire
Ceulx qui ayment le vin, deviseront de boire
Ceulx qui sont de loisir, de fables escriront
Ceulx qui sont mesdisans, se plairont à mesdire
Ceulx qui sont moins fascheux, diront des mots pour rire
Ceulx qui sont plus vaillans, vanteront leur valeur
Ceulx qui se plaisent trop, chanteront leur louange
Ceulx qui veulent flater, feront d’un diable un ange
Moy, qui suis malheureux, je plaindray mon malheur.
Joachim Du Bellay
Les Regrets, V
*Dans les notes précédentes, quand s'est relancé l'intérêt du blogueur pour le sonnet : Michel-Ange, Shakespeare, Lorca, Rilke.
19:55 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (3)
vendredi, 17 mai 2013
un dernier faux sonnet, celui de René Guy Cadou
Naguère — c'était à Nantes en 1999 — lors d'un colloque sur René Guy Cadou, un poète dans le siècle, Paule Plouvier, une universitaire de Montpellier III, présenta sa contribution sous le titre suivant Cadou, Char, alliances secrètes.
Belle audace !
En quarante-quatre ans de lecture de l'un et de l'autre, je n'avais jamais imaginé possibles ces alliances, tant les deux René étaient en moi, leur liseur, l'harmonie des contraires.
Paule Louvier les lient par l'enracinement dans leurs contrées natales, la terre provençale et le paysage nantais, baignées par leurs lumières singulières, habitées par leurs bestiaires et leurs propres floraisons végétales, mais contrées cependant "qui ouvrent à l'universel car ce sont (elles) qui, en modelant une sensibilité, permettent au sujet de forer au plus profond d'une recherche de la parole juste, susceptible de témoigner de la vérité de l'homme.."
J'y ajouterai les liens de l'amitié qui enlacent les recueils de l'un et l'autre et c'est ainsi que je parviens à l'un des rares textes de Cadou qui rejoint la forme de Remise, quand, en quatorze vers, Cadou, l'élégiaque au bord des larmes, évoque une soirée de solitude.
LA SOIRÉE DE DÉCEMBRE
Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté?
Oh! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
D'une journée, le long des rives du destin!
Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes ?
Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
De vous perdre sans cesse dans la foule
O crieurs de journaux intimes, seuls prophètes
Seuls amis en ce monde et ailleurs!
René Guy CADOU
Hélène ou le Règne végétal (1950)
Ces trois notes sont à l'adresse de certain(e)s
qui hantent les parages de ce blogue
et cheminent depuis longtemps parfois
en forant à la recherche de la juste parole,
dans les textes de Michaux, de Char, de Cadou.
« ...seuls prophètes, Seuls amis...»
Je pense à l'un d'entre eux qui, l'hiver 2008,
m'adressa en commentaire cette Soirée de Décembre.
Mais dieux, c'est quoi un Sonnet ?
18:56 Publié dans Cadou toujours, Char à nos côtés, glane de sonnets, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
mercredi, 15 mai 2013
le faux sonnet de René Char
Ce n'est toujours pas un sonnet, mais les quatorze vers y sont, leur métrique est, pour la plupart d'entre eux, proche de l'alexandrin : douze pieds, — syllabes, disent désormais certains puristes. C'est un texte encore dans la quincaillerie surréaliste,— Char s'est récemmment séparé du mouvement, mais ne renie point son appartenance passée — avec des images superbes et un hermétisme certain, cette obscurité héraclitéenne, souvent revendiquée.
Le titre est, comme souvent chez Char en rapport subtil avec le texte, et même avec le recueil, Dehors la nuit est gouvernée. Il est le pénultième d'une mince brochure, parue en 1938, imprimée et rééditée bellement en 1949 par Guy Lévis Mano, augmentée d'un Placard pour un chemin des écoliers, dédié aux enfants d'Espagne.
Naguère, le lecteur était nu devant un tel écrit. C'était peut-être aussi bien pour la saisie émotionnelle. Désormais, les biographes se sont emparé du quotidien, jusqu'au plus trivial.
Entre 1936 et 1938, c'est la la guerre d'Espagne, c'est le bond social et ambivalent du Front Populaire, c'est dans l'intime du poète une maladie grave et des soucis avec l'artisanat familial, c'est le pressentiment de ces annnées si sombres qui adviennent.
Les textes, hors Une Italienne de Corot et les casseurs de cailloux de Courbet, sont amers, tourmentés. Dans l'introduction qu'il écrit en 1948, Char le reconnaît :« J'étais parvenu à cette époque, avec mon tourment, sur ces crêtes où hauteur et profondeur n'échangent plus leur différence, sont inexorablement étales. »
Remise est donc bien le lieu écrit où, après un long et tortueux périple, on "laisse filer les guides" dans l'apaisement de la plaine et le lecteur crée le lien avec le premier vers.
La sérénité et la chaleur du compagnonnage sont retrouvées quoique demeurent les images menaçantes de dangers qui exigent vigilance et attention. D'un vers à son suivant, on mesure cette nécessité de l'alliance des contraires d'où surgit la beauté du texte.
REMISE
Laissez filer les guides maintenant c'est la plaine
Il gèle à la frontière chaque branche l'indique
Un tournant va surgir prompt comme une fumée
Où flottera bonjour arqué comme une écharde
L'angoisse de faiblir sous l'écorce respire
Le couvert sera mis autour de la margelle
Des êtres bienveillants se porteront vers nous
La main à votre front sera froide d'étoiles
Et pas un souvenir de couteau sur les herbes
Non le bruit de l'oubli là serait tel
Qu'il corromprait la vertu du sang et de la cendre
Ligués à mon chevet contre la pauvreté
Qui n'entend que son pas n'admire que sa vue
Dans l'eau morte de son ombre.
René CHAR
Dehors la nuit est gouvernée, 1938
Les cinq derniers vers me sont indéchiffrables. Je n'ai comme seul recours à une amorce de compréhension que ce dicton Halpulaar que je tiens d'un sage très âgé du village de Sébou sur les rives du fleuve Sénégal :
Les yeux voient ce qu'ils ne veulent pas voir, mais les pieds ne vont que là où ils veulent aller.
Mais là, ne se rapproche-t-on pas plus de Michaux ?
Et Remise n'était donc point un sonnet. Par contre, dans Placard pour un chemin des écoliers, Char se rapproche de François Villon et d'un genre très ancien de notre langue, il écrit une très belle ballade, Compagnie de l'écolière.
* Remise (in Trésor de la langue française informatisé)
1. Vieilli. Local couvert destiné à abriter des véhicules. Synon. entrepôt, garage, hangar. Les remises à voitures sont toujours rectangulaires; les remises à machines sont, ou rectangulaires, ou en forme de secteur de cercle, ou entièrement circulaires (BRICKA, Cours ch. de fer, t. 1, 1894, pp. 253-254). J'avais une chambre à moi; elle donnait sur la cour, face au bûcher, à la buanderie, à la remise qui enfermait, périmées comme d'anciens carrosses, une victoria et une berline (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 82).
2. Dépendance, local où sont rangés des instruments, des objets. Remise aux outils. L'atelier de Labanne était si rempli de livres qu'on eût dit une remise de bouquiniste (A. FRANCE, Chat maigre, 1879, p. 217).
12:30 Publié dans Char à nos côtés, glane de sonnets, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 13 mai 2013
...ne furent point "sonnettiers"
Je le regrette. Les trois hommes, René Guy Cadou, René Char, Henri Michaux, qui m'ouvrirent, dans les années cinquante, à la poésie contemporaine d'alors n'écrivirent pas un sonnet, ce poème en 14 vers —de la monosyllabe à l'alexandrin, répartis en 2 quatrains et et 2 tercets aux rimes alternées ou embrassées
J'ai tenté avec le seul critère des quatorze vers de lire — élire — quelques rares textes de ces trois poètes qui, en vers libres et sans rimes, approchaient au plus près ce qu'est le sonnet.
Mais déjà, le premier d'entre les trois s'écartait de la règle des quatorze vers. La parole à Michaux.
EMPORTEZ-MOI
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Henri MICHAUX
Mes Propriétés, 1929
L'ouverture au premier quatrain est une poignante élégie océane. Supplique adressée à ces divinités que par défaut nous nous inventons pour pallier les cieux désertiques.
Le quatrain suivant, Michaux revient à la terre invoquant en lieux de perte le minéral, l'animal et le végétal.
Faut-il pressentir l'amour — d'aucuns l'avancent — dans le dernier, comme une infinie douceur, précédant la dureté et le glissement rugueux dans les "lointains intérieurs" et ce que j'entends comme un cri exigeant l'ultime délivrance :
ou plutôt enfouissez-moi.
Ce presque sonnet rejoint ou annonce le lyrisme désespéré de Nausée ou c'est la mort qui vient, d'Amours, du Repos dans le malheur, de Sur le chemin de la mort, Dans la nuit et de Ma vie.
La révolte et ses contres, l'humour et ses rires ravageurs sont proches. Que se méfient les dieux et le Roi ! Dans Face aux verrous, sans implorer, sans supplier, il écrira :
Assez. J'ai passeport pour aller demain de par les mondes.
Adieux d'Anhimaharua.
Henri Michaux s'immobilisera enfin, le 19 octobre 1984. Incinéré avec quelque retard* : le crématorium du Père-Lachaise était en panne ! Même sans sonnet, Monsieur PLUME sera donc toujours parmi nous. Et sur ma table de lecture.
*Lu dans l'épaisse et très bonne biographie Henri MICHAUX, par Jean-Pierre Martin, Biographies, nrf, Gallimard, octobre 2003.
11:21 Publié dans Cadou toujours, Char à nos côtés, glane de sonnets, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 01 mai 2013
honnir, non la chose, mais le mot
Le 1er Mai, le travailleur chôme, le travailleur défile, le travailleur jardine. La travailleuse souvent cuisine. Et tant d'autres travailleuses et travailleurs travaillent
Mais que fait le sonnettiste sinon fabriquer un sonnet !
C'est un artiste. Comme le violoniste, le pianiste, le flûtiste, le contrebassiste. Ce n'est point un "sonneteur", un "sonnettailleur. Ni un "sonnettier" dont le mot affirmerait pourtant le métier, comme bonnetier, bourrelier, charpentier, éclusier, gabier, marinier. Et si joli serait le nom de la "sonnetière", comme le fut la Belle Cordière.
Vu le soin ménager, dont travaillé je suis,
Vu l'importun souci, qui sans fin me tourmente,
Et vu tant de regrets, desquels je me lamente,
Tu t'ébahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis :
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante
Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits.
Ainsi chante l'ouvrier en faisant son ouvrage,
Ainsi le laboureur faisant son labourage,
Ainsi le pèlerin regrettant sa maison,
Ainsi l'aventurier en songeant à sa dame,
Ainsi le marinier en tirant à la rame,
Ainsi le prisonnier maudissant sa prison.
Joachim Du Bellay
Les Regrets, XII
09:14 | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 28 avril 2013
mon premier sonnet
Peut-être y en avait-il un dans les années précédentes ? Celui-ci est copié sur mon cahier de Poésies — classe de Cinquième — entre la ballade des Pendus de Villon et le sonnet à Hélène de Ronsard. J'ai de gros soucis avec les verbes.
Sans autres commentaires : c'est le SONNET !
Même si Barbara Cassin dans son livre LA NOSTAGIE. Quand donc est-on chez soi ?, page 21, déclare que Joachim a tout faux, puisque Homère fait repartir son héros après sa nuit d'amour et que Joachim, lui, le fait "rester vivre entre ses parents". J'apprécie Barbara Cassin, mais qu'elle laisse au moins le temps d'arriver à notre Ulysse angevin.
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mercredi, 24 avril 2013
bâter un âne sur le flanc nord du Mundarrain
Dans le quartier de BasseBourg*, à Itxassou, devant un verre d'Irouléguy 2008, accompagné d'un fromage de brebis de Kukululuia et d'un soupçon de confiture de cerises noires, lire un des rares sonnets de ce paisible et sensuel Françis Jammes, "mon" voisin d'Hasparren — tout cela fait plutôt folklore basque à touristes, mais c'est bon.
De ce pays, à venir encore deux sonnets d'Edmond Rostand et Paul-Jean Toulet. Et même un parmi les vingt-neuf de La Boétie, que, neuf années durant, l'ami Montaigne édita au chapitre XXI de ses Essais en les dédiant à la belle Corisande d'Andoins, riveraine de la Bidache proche. Le parcours de lecture inspiré par le parcours géographique autorise la traversée des siècles littéraires.
Bâte un âne qui porte une outre d'eau de roche,
à son flanc, car dans le pays des améthystes
qu'il te faut longuement traverser l'eau n'existe
pas, ni le pain que tu clôras en ta sacoche.
Or c'est à Bassora, dans la boutique, à gauche
de chez Aboul Hassan Ebn Taher le droguiste.
Devant le souk un dromadaire laisse triste-
ment pendre de sa lèvre une espèce de poche.
C'est là que Tristan Klingsor, l'enchanteur, compose
de doux lieds auprès d'un bassin. Et les roses
l'approuvent en penchant la tête, et son rebec
se plaint comme un vent doux et précieux avec
l'inflexion d'une jeune fille qui pose
sa main dessus son coeur pour un salamalec.
De l'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir
(édition de 1913)
Francis Jammes prend ici de belles libertés avec les règles du sonnet et de l'alexandrin, mais je tiens à souligner ce que j'apprécie dans le second quatrain, ce rejet du "-ment" du "triste-ment" au vers suivant pour obtenir la rime avec "le droguiste". Je ne pense point que les mânes de Joachim Du Bellay en frémissent. Il doit sourire, notre Angevin, de cette anarchie littéraire — licence, dirait le lettré.
L'âne bâté annonçait le Basque ou le Béarnais et voila que le poète nous emmène dans le chromo d'un orientalisme auquel rien ne manque, ni le souk et son droguiste, ni le dromadaire, ni le bassin et ses roses, ni la plainte du rebec. Le salamec nous ramène notre panthéiste barbu à ses songeries habitées de jeunes filles légères dans les brises adoucies.
Mais pourquoi Jammes a-t-il tenu à ajouter à la réédition de 1913 ce sonnet qui dénote un orientalisme dont il est peu coutumier ? Un tableau ? Un rêve ? une lecture ?
* Traduction française édulcorée du Quartier "Basa Burru", selon mon logeur Basque, "Gueules de Sauvages".
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mardi, 16 avril 2013
quelques années auparavant, en Europe centrale
Quelques années auparavant, en 1922, quelque part au centre de l'Europe, préfigurant le nouvel intellectuel Européen, d'origine austro-hongroise, de langue allemande, né à Prague, mort en Suisse, et qui à la fin de sa vie écrivit en français, Rainer Maria RILKE compose, après avoir découvert et lu Paul Valéry, ces Sonnets à Orphée, avec ce sous-titre " Écrit comme monument funéraire pour Vera Oukama Knoop”.
Sonnet XIII
Voller Apfel, Birne und Banane,
Stachelbeere… Alles dieses spricht
Tod und Leben in den Mund… Ich ahne…
Lest es einem Kind vom Angesicht,
wenn es sie erschmeckt. Dies kommt von weit.
Wird euch langsam namenlos im Munde ?
Wo sonst Worte waren, fließen Funde,
aus dem Fruchtfleisch überrascht befreit.
Wagt zu sagen, was ihr Apfel nennt.
Diese Süße, die sich erst verdichtet
um, im Schmecken leise aufgerichtet,
klar zu verden, wach und transparent,
doppeldeutig, sonnig, erdig, hiesig – :
O Erfahrung, Fühlung, Freude – , riesig !
POMME RONDE.
Pomme ronde, poire, banane
et groseille... Tout cela parle
de vie, de mort, dans la bouche. Je sens...
Lisez plutôt sur le visage de l'enfant
Lorsqu'il mord dans ces fruits. Oui, ceci vient de loin.
Sentez-vous l'ineffable dans votre bouche ?
Là où étaient des mots coulent des découvertes,
comme affranchies soudain de la pulpe du fruit.
Osez dire ce que vous nommez pomme.
Cette douceur qui d'abord se concentre,
puis, tandis qu'on l'éprouve, doucement érigée,
se fait clarté, lumière, transparence.
Son sens est double : terre et soleil.
Expérience, toucher : ô joie immense !
Les Sonnets à Orphée
Trad. M. Betz.
in Rainer Maria Rilke
par Pierre Desgraupes
Coll. Poètes d'aujourd'hui
Pierre Seghers éditeur
Reçu par le lecteur au SP. 88363 de Rhardous, mars 1961
Voilà posé, en quelques sonnets — Du Bellay, Michel-Ange, Shakespeare, Lorca, Rilke — et quatre siècles, un chant né en Sicile au XIIIe siècle qui devint la forme littéraire quasi européenne.
SONNET ! Soleil du soleil, titre Jacques Roubaud.
Je poursuis la quête au hasard des humeurs, des contrées, des siècles et des rencontres.
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lundi, 15 avril 2013
quatre siècles plus tard l'Andalou enflamme le sonnet
En la muerte
de José de Ciria y Escalante
¿Quién dirá que te vio, y en qué momento?
¡Qué dolor de penumbra iluminada!
Dos voces suenan: el reloj y el viento,
mientras flota sin ti la madrugada.
Un delirio de nardo ceniciento
invade tu cabeza delicada.
¡Hombre! ¡Pasión! ¡Dolor de luz! Memento
Vuelve hecho luna y corazón de nada.
Vuelve hecho luna: con mi propia mano
lanzaré tu manzana sobre el río
turbio de rojos peces de verano.
Y tú arriba, en lo alto, verde y frío,
¡olvídate! Y olvida el mundo vano,
delicado Giocondo, amigo mío.
Sur la mort
de José de Ciria de Escalante
Qui croira t'avoir vu? En quel moment?
Ο douleur de pénombre illuminée !
Deux voix résonnent : l'horloge et le vent
tandis que flotte sans toi la matinée.
Un délire de nards couleur de cendre
a envahi ta délicate tête.
Homme! Passion! Peine ardente! Prières!
Reviens changé en lune et en cœur du néant.
Reviens changé en lune et de ma main
je lancerai ta pomme sur l'eau vive
que troublent les poissons rouges de juin.
Et toi, là-haut, bien loin, vert et transi,
oublie-toi ! Oublie le monde vain,
ô délicat Giocondo, mon ami !
écrit en 1934 et traduit par André Belamich
Poésies Tome II - Poèmes détachés
Gallimard, 1955
Lorca !
C'est en 1957 à Bongouanou. Je n'entends rien à la langue espagnole. Je découvre le Romancero Gitan, les Gacelas, les Casidas du Divan du Tamarit et tout au bout de ce bouquin, ces Sonnets — comme ceux de Du Bellay et de Nerval — qui chantent l'amitié, l'amour, la mort. C'est glacé et ça brûle !
La Poste marche bien entre la France et ses Colonies et le receveur Sérère qui doit lire Léopold Sédar Senghor sourit à ce jeune instituteur qui reçoit si régulièrement des colis de livres expédiés par les éditions Gallimard ou Seghers.
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samedi, 13 avril 2013
outre Manche autre sonnettiste, William Shakespeare
CXLVII
My love is as a fever, longing still
For that which longer nurseth the disease ;
Feeding on that which doth préserve the ill,
The uncertain sickly appetite to please.
My reason, the physician to my love,
Angry that his prescriptions are not kept,
Hath left me, and I desperate now approve
Désire is death, which physic did except.
Past cure I am, now reason is past care,
And frantic-mad with evermore unrest ;
My thoughts and my discourse as madmen's are,
At random from the truth vainly express'd ;
For I have sworn thee fair, and thought thee bright,
Who art as black as hell, as dark as night.
Fièvre est mon amour besoin fatal
Désir de ce qui blesse et de s'y plaire
Et se nourrir d'entretenir le mal :
Rancœur, l'incertaine faim satisfaire.
Ma raison, médecin de mon amour,
Pestant qu'à ses remèdes on ne pense,
Fuit. Désespéré je vois sans recours
Désir est la mort, n'y peut la science.
Hors cure est mon cas, raison hors tout soin,
Fou harcelé sans cesse et sans mesure
Je pense et parle un dément tel se plaint,
Les mots dits en vain du vrai l'imposture,
A te jurer si belle et clair esprit qui luit,
Toi noirceur de l'enfer plus noire que la nuit.
traduit par Philippe de Rostschild
Mais qui donc est cette Dame Brune, "noirceur de l'enfer plus noire que la nuit" ?
Sombres les grands piliers du sonnet européen. Après le "bois brûlé" de l'Italien, la démence du "fou harcelé" et le désir de mort du Britannique.
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jeudi, 11 avril 2013
de Michel-Ange un sonnet aux rives de la mort
Α l'Amor
Tornami al tempo, allor che lenta e sciolta
Al cieco ardor m' era la briglia e Ί freno ;
Rendimi il volto angelico e sereno,
Onde fu seco ogni virtù sepolta,
E' passi spessi e con fatica moka,
Che son si lenti a chi è d' anni pieno ;
Tornami l'acqua e Ί foco in mezzo Ί seno,
Se vuo' di me saziarti un' altra volta.
E s' egli è pur, Amor, che tu sol viva
De' dolci amari pianti de' mortali,
D'un vecchio stanco orna' puo' goder poco:
Che l'aima quasi giunta a l'altra riva,
Fa scudi a' tuo' di più pietosi strali ;
E d' un legn' arso fa vil prova il foco.
à l'Amour
Rappelle à moi le temps où mon aveugle ardeur
détendait la bride et desserrait le frein,
rends-moi le visage angélique et serein
avec lequel toute vertu fut ensevelie,
et les pas pressés, prêts aux grandes fatigues,
qui se font si lourds à qui prend trop d'années ;
fais revenir l'eau et le feu que j'avais dans la gorge,
si tu veux de moi te repaître une fois encore.
Et s'il est vrai, Amour, que tu ne saches vivre
que des pleurs doux-amers des mortels,
d'un vieillard épuisé n'attends rien désormais.
Car mon âme à l'autre rive presque arrivée
se défend de tes traits par des traits plus touchants :
d'un bois déjà brûlé, que peut tirer le feu ?
Michel-Ange
(traduction de Georges Ribemont-Dessaigne, 1961)
Pour saluer la contrée et la langue dans lesquelles furent fabriqués ces premiers chants, Pétrarque eût été le choix le plus judicieux. Mais Pétrarque n'étant point dans l'expérience du lecteur, j'ai décidé de célébrer les origines de cette grande forme en me référant à Michel-Ange Buonarotti qui fut à travers une banale commande au Club français du livre depuis "mon piton de Rhadous" en mai 1961 une belle émotion de lecture.
J'y ai apposé un de ces dessins du grand sculpteur et peintre — il était donc aussi poète — qui illustraient le bouquin "composé d'après les maquettes de Jacques Daniel en caractères Calson corps 16 et achevé d'imprimer le 28 février mil neuf cent soixante et un sur les presses des imprimeries Paul Dupont à Paris et relié par Engel à Malakoff". C'est le n° 11480 des quinze mille exemplaires réservés exclusivement aux membres du club français du livre.
La Beauté arrivait encore dans les "djebel" algériens. Pour mes amies et mes compagnons de ce pays aimé qui m'offrirent quatre ans plus tard les Amours de Ronsard dans la modestie d'un Livre de Poche relié de rouge, je souhaite avec tendresse qu'Elle y parvienne encore !
09:26 Publié dans glane de sonnets, Les nocturnes | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 07 avril 2013
le fin blogueur toujours actuel
Sortons, Dilliers, sortons, faisons place à l'envie,
Et fuyons désormais ce tumulte civil,
Puisqu'on y voit priser le plus lâche et plus vil,
Et la meilleure part être la moins suivie.
Allons où la vertu et le sort nous convie,
Dussions-nous voir le Scythe ou la source du Nil,
Et nous donnons plutôt un éternel exil,
Que tacher d'un seul point l'honneur de notre vie.
Sus donques, et devant que le cruel vainqueur
De nous fasse une fable au vulgaire moqueur,
Bannissons la vertu d'un exil volontaire.
Et quoi ? ne sais-tu pas que le banni romain,
Bien qu'il fût déchassé de son peuple inhumain,
Fut pourtant adoré du barbare corsaire ?
Les Regrets, 50
Du Bellay adresse sa "note" à Dilliers un ami dont on sait peu de choses, sinon qu'il était aussi lié à Olivier de Magny, compagnon proche de l'exil romain de notre Joachim, même si l'ambiguité de la diplomatie avec le pape et l'empereur Charles-Quint les vit rivaux.
Au cinquième vers — second quatrain — le verbe "convie" n'est accordé selon l'usage de l'époque, hérité du latin, qu'avec le sujet le plus proche.
Le "banni romain" du second tercet est Scipion l'Africain consul romain, héros des guerres puniques début des années 200 avant notre ère, qui fut condamné à l'exil pour un scandale... financier. Que l'on soit général glorieux de la république romaine de jadis ou ministre retors du budget de la république française actuelle, on voit bien « la meilleure part être la moins suivie ».
18:38 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets, les civiques | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 03 avril 2013
un pape, le sonnet et de vieux professeurs
La convergence de plusieurs faits et événements m'a porté à relire des sonnets : la visite de la maison de La Boétie, le conclave de Rome qui suscita la lecture de Joachim Du Bellay, le papier de Michel Butor sur Twitter et le sonnet, la disparition apprise trop tardivement — il est décédé en mai 2012, à Aiguebelle — de Joseph Garoff, Breton du Léon, missionnaire puis cistercien de l'abbaye camerounaise de Koutouba.
Ce Joseph Garoff fut mon professeur de lettres en classe de 3ème et en réthorique. Y eut-il jeune curé plus laïc ? Jamais, il ne fit dans son enseignement référence à la foi catholique, ni n'émit le moindre jugement moral sur les écrivains et leurs œuvres. Il portait le texte au plus près de ce qu'avait été son auteur. Je franchis ainsi passionné, sous son humble et paisible enseignement, Moyen-Âge et XVIème Siècle, XVIIIème, XIXème et XXème Siècles.
Au printemps 1952, il m'avait entraîné à bicyclette jusqu'au manoir de la Turmelière en Liré, les lieux d'enfance de notre Joachim. Je passais mes vacances d'interne à Ancenis, je n'avais qu'à traverser la Loire, ça ne m'était pas encore venu à l'idée.
De cette première escapade littéraire, est né ce que je nommerai plus tard lisant Michel Chaillou mon "sentiment géographique". Sentiment qui surgit très fortement dès que j'arpente une contrée, une terre, une ville où vécut, résida et écrit celle ou celui qui écrivit ce que j'ai lu, lis, lirai et peut-être — souvent — relirai.
Ce fut dans ce vallon du Doué du Lou, mince ruisseau qui rejoint la Loire entre Liré et Drain, où s'érigent encore les ruines du manoir de Joachim que m'advint cette « évidence que toute rêverie apporte sa terre »*.
Sans doute, à seize ans, ma rêverie m'entraînait plus au delà de la terre, sur l'autre rive du Loyr gaulois, où je demeurai, pour une dont le "chef" était plus de nuit que d'or. Mais cette "une", je la cachai bien à mon bon maître et ne lui manifestai que cette passion pour le sonnet qu'il me faisait découvrir dans le paysage même qui suscita le poème.
Plus tard, la jolie brune s'en alla vers d'autres horizons, me resta la passion du sonnet.
Celui-ci, sage et très pétraquisant :
D'amour, de grâce, et de haulte valeur
Les feux divins estoient ceintz, et les cieulx
S'estoient vestuz d'un manteau précieux
A raiz ardens, de diverse couleur.
Tout estoit plein de beauté, de bonheur
La mer tranquille, et le vent gracieulx.
Quand celle là naquit en ces bas lieux
Qui a pillé du monde tout l'honneur.
Ell'prist son teint des beaux lyz blanchissans.
Son chef de l'or, ses deux lèvres des rozes,
Et du soleil ses yeux resplandissans.
Le ciel usant de libéralité
Mist en l'esprit ses semences encloses,
Son nom des Dieux prist l'immortalité.
L'Olive, II
Cet autre, clandestin et qui n'était que le rêve d'un futur qui tardera à venir :
Ô beaux cheveux d'argent mignonnement retors !
Ô front crêpe et serein ! et vous, face dorée !
Ô beaux yeux de cristal ! ô grand bouche honorée,
Qui d'un large repli retrousses tes deux bords !
Ô belles dents d'ébène ! ô précieux trésors,
Qui faites d'un seul ris toute âme enamourée !
Ô gorge damasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, dignes d'un si beau corps !
Ô beaux ongles dorés ! ô main courte et grassette !
Ô cuisse délicate ! et vous, jambe grossette,
Et ce que je ne puis honnêtement nommer !
Ô beau corps transparent ! ô beaux membres de glace !
Ô divines beautés ! pardonnez-moi, de grâce,
Si, pour être mortel, je ne vous ose aimer.
Les Regrets, XCI
Il se pourrait bien que ce retour au Sonnet relance une agitation plus fréquente de ce blogue qui depuis quelques mois s'engoncait dans le désintérêt et de bien paresseux silences.
* Michel, Chaillou, Le sentiment géographique, coll. Le Chemin, Gallimard, 1978
19:25 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets | Lien permanent | Commentaires (2)
samedi, 30 mars 2013
twitter et le sonnet
À propos de la Toile, interrogé sur les pratiques littéraires possibles, Michel Butor* répond :
« Naturellement ! Il n'y a que les poètes pour nous guider à l'intérieur de ces nouveaux territoires. Prenez Twitter. Cent-quarante caractères, c'est une contrainte prosodique respectable, comme on a inventé celle du Sonnet au XVIe siècle. Évidemment très peu de gens sont capables d'entirer des choses intéressantes, de même que très peu ont été capables de créer des sonnets intéressants, sur les millions qui ont été écrits dans l'histoire de la littérature. »
Pessimiste, Butor. Et puis n'y auraient été créés que ceux de Du Bellay, Ronsard, Louise Labé, Marc Papillon de Lasphrise, Jean de Sponde, Abraham de Vermeil, Antoine Magne de Fiefmelin et d'autres et d'autres encore, et le sonnet d'Arvers, et le cher Gérard de Nerval, et Verlaine, et Rimbaud, sa Bohême, son Val et ses Voyelles, ces "très peu" sont encore fort nombreux : soixante-huit dénombrés dans Soleil du soleil, cette anthologie du sonnet français** de Marot à Malherbe, entre 1536 et 1630. Ajoutons toute l'effervescence du XVIIème et la renaissance du XIXème, après l'assoupissement du XVIIIème et les prolongements contemporains, de Francis Jammes à Roubaud en passant par Apollinaire, Valéry, Aragon ou Pérec.
Twitter avec ses cent-quarante signes, n'autorisant l'écriture que d'un tercet de notre bien-aimé sonnet, serait plus dans la contrainte prosodique du haïku —bien que souvent très bref,
Fraîcheur
Au mur la plante de mes pieds nus
Sieste
Basho
ou du tanka, cet autre poème japonais***,
Pour toi je suis sorti
Dans la lande printanière
Cueillir de jeunes fleurs
J'ai trempé mes manches
La neige tombait sans cesse
Kôkô Tennô
Touittons donc et poètisons plus encore. Dès demain, relisons nos milliers de sonnets, le haïkou et le tenka touittés ou non !
*in L'invité, Télérama n°3296, du 16 au 21 mars 2013.
** en Poésie/Gallimard, édition de Jacques Roubaud.
*** Les tanka — ou brèves chansons — ont le rythme suivant : 5-7-5-7-7. Lire de Maurice Coyaud, TANKA HAIKU RENGA, Le triangle magique, architecture du verbe, aux Belles Lettres, 1996.
17:12 Publié dans glane de sonnets, Web, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)