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samedi, 23 novembre 2013

dans les parages de la mort

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Qu'importe les années ?

Je ne saurai jamais son rêve des temps à venir.

mercredi, 20 novembre 2013

pour maintenir ouvert l'œuvre du Camus centenaire

 

Un dernier bouquin s'est ajouté, ce dimanche 17 novembre, à la pile "Albert Camus", après mon passage à la braderie que proposait le Grand Séminaire de Nantes se délivrant à très bas prix de milliers d'ouvrages dont les legs entraînent sans doute l'encombrement de sa bibliothèque ; deux longues travées dans le cloître couvert : dans l'une, "les ouvrages de théologie, de foi et de religion" — sic —, dans la seconde, "les ouvrages profanes" — à nouveau, sic !
Je n'avais acquis, dans les ouvrages... profanes que Mission terminée de Mongo Béti, ce savoureux roman africain de la fin des années cinquante, lu dans la sensuelle moiteur de mes derniers jours éburnéens, prêté sans doute et... perdu quand, à la sortie du cloître, pris par le remords, je m'emparai pour 1€ de ce tome II des Carnets paru en 1964, dans la collection Soleil de chez Gallimard. Un premier parcours m'a livré ceci :


Petite baie avant Ténès, au pied des chaînes montagneuses. Demi-cercle parfait. Dans le soir tombant, une plénitude angoissée plane sur les eaux silencieuses. On comprend alors que, si les Grecs ont formé l'idée du désespoir et de la tragédie, c'est toujours à travers la beauté et ce qu'elle a d'oppressant. C'est une tragédie qui culmine. Au lieu que l'esprit moderne a fait son désespoir à partir de la laideur et du médiocre.
Ce que Char veut dire sans doute. Pour les Grecs, la beauté est au départ. Pour un Européen, elle est un but, rarement atteint. Je ne suis pas moderne.

Carnets, tome II
Cahier n°V, septembre 1945-avril 1948

 

Ramené, le lecteur, plus de cinquante ans en arrière dans ces paysages contemplés du haut de ces crêtes du Dahra.

La beauté, le désespoir et la mer pensés par les Grecs.

Et "ce que Char veut veut dire" ? En avril 1948, Camus vient certainement de lire la préface que son ami a écrite pour Fragments d'Héraclite d'Éphèse d'Yves Battistini — ce que laisserait entendre leur échange de lettres en mai 1948.


 Disant juste, sur la pointe et dans le sillage de la flèche, la poésie court immédiatement sur les sommets, parce qu'Heraclite possède ce souverain pouvoir ascensionnel qui frappe d'ouverture et doue de mouvement le langage en le faisant servir à sa propre consommation... Au delà de sa leçon, demeure la beauté sans date, à la façon du soleil qui mûrit sur le rempart mais porte le fruit de son rayon ailleurs.
Héraclite ferme le cycle de la modernité qui, à la lumière de Dionysos et de la tragédie, s'avance pour un ultime chant et une dernière confrontation. Sa marche aboutit à l'étape sombre et fulgurante de nos journées. Comme un insecte éphémère et comblé, son doigt barre nos lèvres, son index dont l'ongle est arraché.

1948
René Char

Recherche de la base et du sommet.


Faut-il à ces textes adjoindre l'anecdote de Tipasa, quand Albert Camus et Louis Guilloux, l'homme du Sang Noir, contemplent la beauté solaire du lieu des Noces et que l'ami breton hasarde naïvement qu'il y manque quelques nuages ?
Les hommes d'Ouest ne peuvent se défaire, dans la beauté et le désespoir, des brumes atlantiques.

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Modestement, je mets mes pas dans ceux de Camus : décidément, je ne suis pas moderne.

vendredi, 08 novembre 2013

las de cette usurpation médiatique des "Bonnets Rouges"

La dernière scène
du PRINTEMPS DES BONNETS ROUGES de Paol KEINEG,
créé le 9 décembre 1972,
au Théâtre de la Tempête (Cartoucherie de Vincennes).

 

.....MADAME. — Voilà. Vous y êtes. Bécassine, pour votre peine, vous courrez jusqu'à la voiture me prendre un vêtement. Le vent a fraîchi soudain...

BÉCASSINE.— Bien, Madame. Tout de suite, Madame.


Elle court, ridicule, emportée, et se prend les
pieds dans le cadavre d'ar Balp sur la route. Elle
tombe. Elle se relève, transfigurée, et parle.


BÉCASSINE. —

Une rose sauvage
à la branche de l'églantier
encapuchonnée  de  sang.
Et le corbeau très haut
gainé d'un camail rouge
éprouvant la cruauté d'un jour d'hiver
Les  pendus,  les  exilés,  les  torturés,
les prisonniers,
l'héritage murmurant
de nos sursauts et de nos infirmités.
Le roi vit dans son palais
bâti à coups de vent
bâti à coups de crosse
bâti à coups de mort.
Le roi vit seul.
Autour de lui
l'essaim bourdonnant
des courtisans, des importants
qui butinent la souffrance
et l'excrément.
Le roi trône
porté aux nues
par les seigneurs, par les bourgeois
par les notaires, par les curés
par les ducs et les marquis.
Et ceux-ci possèdent voiture, femme de luxe,
ils vivent dans de belles maisons,
ils se cultivent l'esprit
en buvant du gin ou du bourbon :
ce sont des raffinés.
Et aux autres
la morve, le mutisme, la médiocrité
la matraque.
Sébastian ar Balp est mort.
Mogn Bras est mort.
Le recteur Croguennec est mort.
La France fondée pour mille ans
ou moins ?
Presqu'île de Bretagne morte
ou non i
L'émigration, le chômage, le mépris,
les fausses promesses, les ruines,
l'hiver de notre vieillesse,
et puis quoi encore ?
Tout le reste :
un peuple dispersé
comme un peu de cendre au vent.
Mais ce que l'homme a fait
l'homme peut le défaire.
Ce que l'homme a défait
l'homme peut le faire.
Assez de mélancolie
assez de complaisance
de lamentations.
Il nous reste les immensités
de l'enthousiasme et de l'intelligence.
Il nous reste
le parfum violent d'une patrie à construire.



Brest,  janvier  1971.
Cwmbach, août 1972.

 

Deux livres à relire pour clarifier l'amalgame :

Bonnets Rouges003.jpg
 Bonnets Rouges001.jpg

mardi, 08 octobre 2013

ceux qui vous aimaient prendront le train

...pour un horizon incertain où vos rêves, vos images nous seront viatique de beauté et de force.

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La femme de Candaule004.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour de mer, j'avais délaissé mes piles de lecture et mes écrans d'écriture. Je venais de réouvrir le roman de mon enfance clandestine quand à dix ans, dans la pénombre du grenier de cette maison de grande bourgeoisie nantaise où ma mère fut jadis bonne à-tout-faire, je dévorais dans le trouble ce roman d'amour, de cape, d'épée et de cruauté qu'est La Reine Margot.

Et hier au soir, peu après vingt heures, sur un écran ami : Patrice Chéreau est mort.
Dans ma lecture, j'en étais au chapitre XLIX, le Livre de vénerie. La mort était donc si proche.

 

16:59 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (1)

jeudi, 12 septembre 2013

le jardin et le sonnet pour les premiers jours de l'automne

 

Le temps n'est pas encore revenu pour le jardin et le sonnet. 
Ce soir, pour une dernière croisière de fin d'été, Dac'hlmat —qui est aussi Grapheus — largue vers ses îles.

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mardi, 06 août 2013

vers le large

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La bouée des Mâts passée, c'est le large !

jeudi, 01 août 2013

première phrase lue dans la fraicheur matinale...

 

...d'une journée annoncée caniculaire.


« Mieux vaut un vieux caleçon aujourd'hui qu'un pantalon neuf demain. »

Proverbe Béninois

mardi, 30 juillet 2013

la lecture estivale du vieillard

à Pierre C.
pour son entrée dans les Octantes
(et ce n'est pas un cadeau !)

 

Ailleurs, dans mon magazine actuel, c'est écrit  "Sur la plage, les pavés", "La liste noire de l'été". Et invariablement depuis, chaque été, ces références à des pavés, des plages et des paresses estivales. Sans doute y a-t-il de bons crus ? Je suis peu sensible à ces appâts éditoriaux.
J'ai plutôt mes "piles" de l'année. La première de 2013 fut celle de Camus (Albert !), elle est toujours en service. Mais, depuis au moins dix ans, j'ai une pile "Vieillesse" qui demeure sur la platine pas encore tout à fait obsolète de mes vinyles, et le plus consulté de la pile, c'est, de John Cooper Powys, L'art de vieillir. Powys, ce Gallois baroque, sensuel et délirant qui m'enchanta, dans les années 80, avec Le Déluge, le tome IV des Enchantements de Glastonbury.


La Vieillesse...recherche "l'oisiveté afin de retrouver son âme". Elle veut discourir, ruminer et réfléchir. Elle veut s'adonner à d'heureuses divagations.
Elle lit avec sa philosophie, elle lit avec ses réactions esthétiques, elle lit avec le bagage obscur, amorphe, inconstant de son expérience complexe, elle lit avec son être stupide, végétatif, avec sa passivité animale, avec la solitude de son égoïsme, avec l'humilité impersonnelle de son indifférente curiosité.
Elle déchiffre le monde sous le faisceau lumineux qui vient de la sphère extérieure de l'âme. Elle a surtout grand besoin d'une sensation très particulière qu'il exige de ses lectures, la sensation de la continuité de la vie.
... la Vieillesse, en revoyant les années passées, ne veut pas s'arrêter quand ses propres souvenirs commencent à s'estomper. D'instinct, elle fait appel à ceux de ses ancêtres, à ceux des hommes du temps jadis !
Ainsi donc, les livres qui font le mieux l'affaire sont ceux-là même que l'on ne saurait lire rapidement ou feuilleter. Ces ouvrages charrient les courants superficiels et profonds du fleuve de la vie tandis qu'il glisse entre les brumes d'un passé populeux et celles d'un avenir inhabité.
Ces livres ne seront pour ainsi dire jamais du genre à vous ensorceler, à vous hanter, à vous captiver ou vous galvaniser. Au diable, ces drogues envoûtantes n'offrant aucune difficulté que l'on ne puisse surmonter sans gros effort, aucune de ces pages vides à la banalité reposante, aucun plagiat académique plaisant autant que facile, aucune platitude humaine sans valeur artistique, aucun radotage désuet, aucun paysage herbeux et monotone, aucune dune stérile entre la mer et la terre, aucun promontoire dénudé d'où observer la marche ennuyeuse des Constellations ! Au diable, ces livres qui vous donnent la fièvre, qui vous titillent, ces livres à vous faire dresser les cheveux sur la tête, ces livres sans aucune répétition, sans aucune défaillance, sans aucune digression, sans aucune divagation rhétorique, sans aucune description méticuleuse, sans aucun horizon d'une fastidieuse uniformité !
Bref, les livres qui conviennent le mieux aux personnes âgées sont, de toute évidence, ces ouvrages peu passionnants, peu actuels, interminables que nous en sommes venus à appeler les Classiques. Que les Classiques ne soient pas lecture facile, que les Classiques soient parfois obscurs et souvent très ennuyeux, qu'ils requièrent invariablement des tâches aussi mécaniques que chercher des mots dans le dictionnaire ou dans le lexique, est d'autant mieux pour les personnes âgées.

 

Ajouterai-je que si Powys n'écrit dans les lignes précédentes qu'à propos du vieux lecteur mâle, il nuance dans les pages suivantes le comportement de nos compagnes lectrices :

Dans sa sensibilité littéraire, la femme se montrera beaucoup plus éclectique et ouverte que son contemporain et aussi beaucoup moins pédante.
J'aurais tendance à penser que les vies réalistes et passionnantes d'êtres qui ont marqué la société seront, après les romans, sa lecture préférée.


* John Cooper Powys, L'art de vieillir, traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, Coll. "en lisant en écrivant", Librairie José Corti, 1999.
pp. 235-244.

Du même,  Le Déluge, tome IV, Les enchantements de Glastonbury, Coll. Du monde entier, Gallimard 1976

vendredi, 26 juillet 2013

un sonnet "allongé"

Samain, oublié ? Pas si sûr. Ce poète du Nord, classé chez les Symbolistes, puis rapporté aux Parnassiens pour finir chez les "Décadentistes", a commis dans ses premiers ouvrages — Le jardin de l'Infante, Au flanc du vase — du suranné, quelques mièvreries, des vers trop suaves. Il reconnaissait lui-même l'esthétisme et l'artificiel de « ces fleurs suspectes, miroirs ténébreux, vices rares ».

Il m'apporta bien des plaisirs dans les soirées songeuses de mon adolescence qui faisait de foin de ces critiques sorties des manuels de littérature.

Avec le Chariot d'or, il s'assagit, se simplifie, s'enracine dans sa terre natale. Il pratique le Sonnet ; à certains d'entre eux, il ajoute aux huit vers des quatrains, aux six vers des tercets, un quinzième vers. Avec le sonnet qui suit, et ce sera l'unique fois, il prolonge par un troisième tercet.

Il a abandonné l'ampoulé, le trop joli, il s'achemine dans la gravité des émotions et la sincérité des scènes familières, mais toujours avec un sens aigu de la mélodie de la langue.

Mort trop jeune, il avait quarante-deux ans.
Albert Samain ? Ne pas l'oublier, le relire.

 


 MON ENFANCE CAPTIVE


Mon enfance captive a vécu dans les pierres,
Dans la ville où sans fin, vomissant le charbon,
L'usine en feu dévore un peuple moribond :
Et pour voir des jardins je fermais les paupières...

J'ai grandi, j'ai rêvé d'Orient, de lumières,
De rivages, de fleurs où l'air tiède sent bon,
De cités aux noms d'or, et, seigneur vagabond,
De pavés florentins où traîner des rapières.

Puis je pris en dégoût le carton du décor,
Et maintenant, j'entends en moi l'âme du Nord
Qui chante, et chaque jour j'aime d'un cœur plus fort

Ton air de sainte femme, ô ma terre de Flandre,
Ton peuple grave et droit, ennemi de l'esclandre",
Ta douceur de misère où le cœur se sent prendre,

Tes marais, tes prés verts où rouissent les lins,
Tes bateaux, ton ciel gris où tournent les moulins,
Et cette veuve en noir avec ses orphelins...

Albert Samain
Le Chariot d'or.
Édition du Mercure de France.

lundi, 22 juillet 2013

après un long sommeil de mer

 

Un blanc d'un mois dans le blogue. Un bleu serait plus juste. Le lecteur s'était évanoui dans la paisible et immense mer celtique quand entre deux îles se perd l'horizon. Ni rivage, ni voiles. Dans les équipets, quelques bons livres —le Bourlinguer de Cendrars, le Noé de Giono, La Barque silencieuse de Quignard, et l'inévitable Amers  de Saint-John Perse — livres souvent délaissés pour cette rêverie à quoi invitent dans les brises légères le silence et la solitude.

Et puis surtout, cette "machine": enfin, cette tablette lorgnée depuis ses premières apparitions, il y a trois ans, à l'acquisition toujours différée.
Le dernier samedi de juin, brusquement, un premier achat, un iPad 16 Go Wifi, dont je mesure vite les limites "marines" ; le mardi qui suit, vite échangé pour l'iPad Rétina 64 Go Wifi Cellular, avec un étui, à la fois clavier externe et protection.
Plus besoin d'aller quémander un passe pour la borne "ouifi" du port. Météo, mes musiques, mes images — mon musée imaginaire, et ces livres numériques qui s'ajoutent sans concurrence, mais avec moins de poids et de place aux susnommés "papiers" — Les poèmes d'Ossian de Chateaubriand, Un été au Sahara de Fromentin, Les Regrets de Du Bellay, Les Lunettes de princes de Meschinot, les Satires d'Horace et les ...Essais de Montaigne. Plus quelques "Publie.net" : deux de Rimbaud, trois de François Bon lui-même et pour être accordé à la "tablette", de Milad Doueihi, pour un Humanisme Numérique. Un jouet superbe acquis aux approches de mes octantes. Le rêve Nomade : au large — d'eau ou de sable et pierre —  seul et selon, relié à tous.

L'ordi dans la "librairie, c'était déjà le pupitre du scriptorium. Voilà, régressant positivement de près de trois millénaires, la tablette du Scribe, à rendre jaloux sur l'étagère qui surplombe l'ordinateur de bureau la statuette du scribe accroupi qui rédige — depuis quand ? —entre des disques compacts qui accumulent des "podcasts" et un encrier à plume d'oie, un texte infini.

Ouais ! mais ce n'est pas si simple, ce principe des "Applis" me tourneboule mes logiques informatiques anciennes et j'ai souvent délaissé la rêverie de l'horizon et les pages de ces bons vieux "poches" pour m'égarer dans ces "applis" qui ne me donnent point place pour y serrer mes fichiers.

 

Voilà à quoi doit ressembler dans la bonne chaleur de juillet ce bonhomme qui est la rencontre fortuite d'un paragraphe de Quignard et d'une encre à main levée de Nicléane.


...Bâtissez une tête. Dessinez les yeux d'une encre très âcre et noire. Mêlez d'eau l'encre et peignez faiblement des lèvres entrouvertes comme dénuées de souffle et assez incolores. Refermez sur cette tête chimérique un vieux et grand livre relié dépourvu d'ors. Plongez le tout dans une petite chambre froide et sombre. Vous obtenez de lui une image plus vraie, plus vive même que la réalité de son visage vivant. Vous obtenez de moi une métaphore qui est, de façon excessive, filée.

Pascal Quignard,
Le Lecteur, récit
I, p.16



Post-scriptum : Deux ou trois images étaient prévues, de mer et d'écran : l'intégration des images est en grève sur la plate-forme de Hautetfort. "Veuillez patienter" est l'interminable fenêtre qui s'affiche. Je n'ai plus la patience de qui attend la brise de mer.

samedi, 22 juin 2013

retour de mer

 

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« J'avais, j'avais ce goût de vivre sans douceur, et voici que les Pluies... » (La vie monte aux orages sur l'aile du refus.)

Saint-John Perse
Pluies, VI 

dimanche, 16 juin 2013

sur un voilier "silencieux"

Les minces caprices météorologiques nous font prolonger les escales, favorisent le silence et la lecture. Ce n'est point métaphore mais j'ai "embarqué" La barque silencieuse de Pascal Quignard.

Entre le chapitre XXXI, "La liberté" — eleutheria — et le XXXIII, "L'autarkès", au XXXII, Quignard, comme souvent dans ses passions étymologiques, propose "une définition du mot élargissement" :

Qu'est-ce qu'une autre vie sinon une autre intrigue  linguistique ?
Le large existe.
.........................................................................

Le large a inventé une place partout sur cette terre. Ce sont les livres. La lecture est ce qui élargit.

 

J'élargis au sens marin le "large". Dac'hlmat est un voilier silencieux qui prend souvent le large.

 

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lundi, 10 juin 2013

matin d'estuaire

 

Au petit matin, lever du jour d'un gris dense très doux.
Nous avons passé l'écluse, hier au soir.
Le ponton d'attente, en aval, était quasi désert.

La brume épaisse. On distingue à peine les deux premières bouées vertes de Brouel dans le premier méandre après le barrage.

Une heure de jusant, seules quelques traces d'écume sur la surface grise du fleuve indiquent la puissance du courant.
 Nous larguons. Moteur au ralenti, nous glissons pour ne pas troubler le silence de cette beauté grise qui confond le fleuve et le ciel.

À peine arrondie la n°1 de Brouel, deux couples de Tadornes de Belon prennent leur envol.
Avant même d'atteindre le second méandre à un demi-mille, un héron cendré qui sort des roseaux, des sternes qui plongent, un vol de Cols-verts, et passée la bouée rouge de Kerdavid, sur notre arrière, deux cygnes, taches blanches et sonores qui tracent parallèle vivante à effleurer le fleuve.

L'estuaire, ce matin, est une grande volière sauvage qui s'éveille.

Au large de l'estuaire, entre la tourelle de Kervoyal et la pointe du Halguen, des Fous de Bassan. Depuis plus de vingt ans, c'est la première fois que je les vois, proches de terre, pénétrer si profondément dans l'Estuaire.
En cette fin de printemps, ce sont oiseaux que l'on rencontre au large, dans le sud des îles, venant des côtes de la Bretagne-Nord. Les eaux, cette année, sont encore trop froides et malgré leur capacité de pêcheurs — quand ils ont repéré leurs proies, ils s'élèvent à trente mètres de hauteur et plongent comme pierres, les ailes en V, jusqu'à sept ou huit mètres de profondeur, leur pêche est vaine. Les eaux de l'estuaire sont tièdes, peu profondes et sans doute les bancs de poissons plus atteignables.

Le vent de Suet s'est levé. Dans la brume, la côte n'est qu'un gris plus sombre. De la bouée des Mâts, au portant, nous faisons cap à l'ouest sur la pointe de Grand-Mont qui nous ouvrira la baie de Quiberon. Persiste en nous comme une légèreté d'oiseaux.



Aile falquée du songe, vous nous retrouverez, ce soir, sur d'autres rives.


Saint-John Perse,
Oiseaux, I.

dimanche, 09 juin 2013

à bord de Dac'hlmat

 

À bord de Dac'hlmat, Grapheus tis, ce quelconque écrivant largue pour la fin du printemps et un début d'été espéré.

Au gré des bornes "ouifi", désormais, et des balises cardinales, pour quelques sonnets !

Nous reviendrons, un soir d'Automne, sur les derniers roulements d'orage, quand le trias épais des golfes survolés ouvre au Soleil des morts ses fosses de goudron bleu...


Et soudain, devant nous, sous la haute barre des ténèbres, le pays tendre et clair de nos filles, un couteau d'or au cœur.

Saint-John Perse,
Vents, IV,4 

dimanche, 02 juin 2013

Pascal Quignard blessé, aigre mais heureusement "pédant"

C'est méchanceté pour Pascal Quignard, mais son dernier opuscule, Leçons de solfège et de piano, est un règlement de compte entre bourgeoisie lettrée appauvrie et bourgeoisie commerçante nouvellement enrichie.


Que Louis Poirier dit "Julien Gracq" n'ait point été tendre avec les tantes de Quignard, et ce, soixante-sept après, avoir suivi des leçons de piano chez les dites tantes 
« mortellement impécunieuses et solitaires, petits fantômes noirs et muets, la guimpe haute autour du cou... gardant jusqu'à la fin une dernière apparence de rang : des demoiselles toujours... un couple de vieilles filles ruinées au fond d'une ruelle de sous-préfecture », fait comprendre la blessure de la famille de Quignard. 
Qui ajoute « Cela révolta même un certain nombre d'habitants d'Ancenis ».
Cette phrase me laisse songeur ; j'aimerais savoir combien de lecteurs lettrés anceniens lurent, en 1974, Lettrines 2 de Julien Gracq. 
En mon adolescence, j'ai côtoyé de près, par filles et fils interposés, cette bourgeoisie ancenienne, redoutablement hiérachisée en haute bourgeoisie d'industrie — les cartonnages G., la briquetterie A. la fonderie B.,— en moyenne bourgeoisie  — les médecins, les pharmaciens, les notaires, — en petite bourgeoisie commerçante — transports L., Bois, bières et charbons B., vaisselle et porcelaine M. — en bourgeoisie vieillissante et déclinante, mais portant guimpe et dentelles aux messes de dix heures et de onze heures, dites "messes des riches".
C'était très catholique d'apparence, dans le dédain, la sournoiserie et le qu'en dira-t-on.


J'ai donc côtoyé, comme les rares fils d'ouvriers et de laboureurs d'alors qui s'insinuaient dans les Humanités classiques et les classes de Réthorique par le biais des écoles normales, des cours complémentaires, des petits séminaires et des bourses d'État, les jeunes gens de cette classe sociale très diversifiée. 
Moins, ses jeunes filles : elles ne se haussaient plus le col avec des guimpes, elles excellaient dans la plus haute suffisance. Pas toutes. Certaines, clandestinement, ne détestaient point faire ôter le "bleu" de l'ouvrier ou dégrafer la "blouse" du paysan.


Ce qui me navre c'est que dans Leçons de solfège et de piano, le Quignard douloureux, déboulonnant la statue de Julien Gracq en un Louis Poirier, fils de merciers à Saint-Florent-le-Vieil, se rehausse dans les draperies fanées d'un jeune et pauvre "lettré", "appelé" convoqué au Cercle militaire de Paris par un, le Poirier, qui « portait monocle et se prenait pour un aristocrate, un Germain, un Celte, un Wagnérien, un dandy ».


Le fils d'ouvrier, modeste liseur de Gracq et de Quignard, sourit de l'une — Quignard — et l'autre — Gracq — de ces bourgeoises diatribes. Querelles de bourgeois ne font guère avancer la langue !

J'ai une nette préférence, mais cette inclination doit tenir de mes Humanités chez les Bons Pères, pour le Pascal Quignard qui revendique, haut et fort, dans le troisième texte de cet opuscule, qui est hommage à Paul Celan,  :


« Je vais encore faire le pédant. Tout le monde sait que je suis profondément pédant. Et c'est très bien ainsi. Personne  ne l'est jamais assez dès l'instant où il s'agit de sonder le mur, afin de pouvoir le renverser. »