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mardi, 17 avril 2012

écrasé par l'érudition et redressé par la Toile

J'ai longtemps été abasourdi, ahuri, baba, ébahi, ébaubi, éberlué, épaté, estomaqué, interloqué, médusé, pantois, sidéré par les accumulations érudites de Borgès.
Bon ! Quand il ne voyageait pas, il était bibliothécaire et avait accès à tout moment à toute œuvre. N'a-t-il pas écrit qu'il s'imaginait le Paradis sous l'espèce d'une Bibliothèque, l'Univers lui étant aussi bien le Livre.

Relisant, avant-hier Funès ou la mémoire, ma stupéfaction ne s'est point dégonflée ; assainie plutôt. Le narrateur de cette Fiction rencontre donc cet Irénée Funès au visage taciturne d'indien, singulièrement lointain derrière sa cigarette. Notre narrateur, qui souhaite étudier le Latin, a dans sa valise quatre bouquins — des livres anormaux, avouera-t-il — le De viris illustribus de Lhomond, le Thesaurus de Quicherat, les Commentaires de Jules César et un volume dépareillé de la Naturalis Historia de Pline. Il laissera ce dernier volume à Irénée et quelques jours plus tard, souhaitant récupérer son bouquin, il aura... mais je laisse la suite du texte au narrateur, ou plutôt à Borgès lui-même :

La mère de Funes me reçut dans le ranch bien entretenu. Elle me dit qu'Irénée était dans la pièce de fond, et de ne pas être surpris si je le trouvais dans l'obscurité, car Irénée passait habituellement les heures mortes sans allumer la bougie. Je traversai le patio dallé, le petit couloir, j'arrivai dans le deuxième patio. Il y avait une treille ; l'obscurité put me paraître totale. J'entendis soudain la voix haute et moqueuse d'Irénée. Cette voix parlait en latin ; cette voix (qui venait des ténèbres) articulait avec une traînante délectation un discours, une prière ou une incantation. Les syllabes romaines résonnèrent dans le patio de terre ; mon effroi les croyait indéchiffrables, interminables ; puis, dans l'extraordinaire dialogue de cette nuit, je sus qu'elles constituaient le premier paragraphe du vingt-quatrième chapitre du livre VII de la Naturalis Historia. Le sujet de ce chapitre est la mémoire ; les derniers mots furent : ut nihil non iisdem verbis redderetur auditum.

 

Eh oui ! naguère, j'en serais demeuré pantois. Comme bluffé.

Aujourd'hui, je puis accéder de ma modeste "librairie" en quelques clics de souris à Pline l'Ancien, à son Histoire Naturelle, au Livre VII, au chapitre XXIV. Et je puis même affirmer que les derniers mots de ce chapitre sont ceux-ci : Somno quoque serpente amputatur, ut inanis mens quaerat ubi sit loci.

Il suffit de cliquer sur ce chapitre XXIV ; latiniste ou non, Pline l'Ancien vient à vous.

 

Post-scriptum : Et pas seulement Pline l'Ancien, mais quasiment toute l'Antiquité Grecque et Latine. Je suppose que les Anglophiles, les Germanophiles, les Slavophiles, les Arabophiles, les Sinophiles, les....., les... peuvent s'ébattre dans de tels Paradis littéraires. La double interrogation demeurant toujours :

qu'est-ce que je cherche ? pourquoi je cherche ?

Deux sources : l'Itinera Bibliotheca de l'UC de Louvains et le site de l'Antiquité grecque et latine créé par Philippe Remacle. Cliquez, vous-dis-je !

dimanche, 15 avril 2012

le plus terrible de la mémoire

Cest de Borgès, dans Fictions qui enferme le récit de Funes ou la mémoire.

C'est Avant de Pontalis qui m'a fait réouvrir ces Fictions. Je demeure dans le froid venteux de ce dimanche avec deux phrases :

... de même Irénée percevait les crins embroussaillés d'un poulain, quelques têtes de bétail sur un coteau, le feu changeant et la cendre innombrable, les multiples visages d'un mort au cours d'une longue veillée.

Plus loin,

Il pensa qu'à l'heure de sa mort il n'aurait pas fini de classer tous ses souvenirs d'enfance.



lundi, 09 avril 2012

Pâques à Noël

Merdre ! Je serais donc né en 1903.

Du point de vue certainement amusant d'un historien médiéviste, Patrick Boucheron, dans son bouquin L'Entretemps qui est une des belles et bonnes recensions du dernier LibéLivres. Et cette variation dans l'écoulement des jours, des ans et des siècles par la décision d'un moine dit Denys le petit, au VIe siècle — mais tous comptes faits, est-ce bien le VIe siècle ?.

Et France Cul de nous resservir, ce matin avec sérieux, ce qui aurait pu permettre un autre regard sur la grande et les petites histoires.

Même si je m'égare dans les calculs des calendriers qui partent de la Ière Olympiade, du livre de la Genèse, de la Fondation de Rome, de l'Hégire, de la prise de la Bastille ou du jour premier de la Commune de Paris,— et je ne mentionne ni les Coptes, ni les Chinois, ni les Atzèques et autres Persans — et encore ne me faudrait-il point quêter les dates chez les Inuits, les Peuhls, les Hurons, les Mélanésiens, les Ashantis et leurs cousins, Agnis et Baoulés — je n'ai, en ce centième jour de l'an 2012, ni rajeuni, ni vieilli et m'en porte plutôt bien.

Sous les ponts de Nantes coule la Loire. En son estuaire, diurnes ou nocturnes, s'inversent et le flot et le jusant.

dimanche, 08 avril 2012

"Semana Santa" à Rota en Andalousie atlantique

Il y a dix ans. En baie de Cadix.

Dans l'obscur du vendredi au samedi. Comme une descente aux enfers.

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©Dac'hlmat

 

Dans la gloire du dimanche. La mort sera-t-elle vaincue ?

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©Nicléane

 

Pour l'équipage de Dac'hlmat, ce furent des jours ardents. Ensuite nous attendimes plus de quinze jours pour saluer Trafalgar et passer le Détroit de Gilbratar.

samedi, 07 avril 2012

Thoreau puis Fourier par Breton

Ce fut une semaine "sainte" riche en promesses de lectures à venir. Un LibéLivres qui publie quelques recensions sur quelques livres qu'il faudra bien dévorer un jour — la semaine précedente, il y eut double page à propos du poète russe Ossip Mandelstam à travers les enfers staliniens :

• d'un certain Edward Berenson,"Les Héros de l'Empire. Brazza, Marchand, Lyautey, Gordon et Stanley à la conquête de l'Afrique". Voici pour assouvir les rêves d'une enfance coloniale et missionnaire que je ne renie point.

• De Simon Leys, "Le studio de l'inutilité", qui me semble un vrai livre de vrai lecteur — Michaux, Conrad, Orwell et... Segalen. Voilà pour concrétiser allègrement les sécheresses, théoriques et quelque peu délayées, mais certes intéressantes de Marielle Macé et de ses "Façons de lire, manières d'être".

• De Henry David Thoreau, la parution du premier tome de son Journal — quinze sont annoncés. Je n'ai qu'une mince anthologie par Kenneth White ; j'en tire ceci :

 Que le flot de chaque jour laisse un dépôt sur mes pages, comme il laisse du sable et des coquillages sur le rivage. Autant de terre ferme de plus. Ceci pourrait être le calendrier des marées de l'âme; et, sur ces pages, comme sur une grève, que les vagues jettent leurs perles et leurs algues.

.............................................................................................................................................

Que notre vertu ne soit pas nettoyée, comme le faisaient les hommes il y a bien longtemps avec tout un apparat de lin propre, mais qu'elle reste en l'état, sans être lavée, comme une fleur fraîche. Qu'elle ne soit pas un vêtement du dimanche bien propre, mais plutôt une tenue de travail usagée.

Henry David Thoreau
Journal, 1840.

 

Et ce matin, sur France Cul, pour remonter en deçà de Jaurès, Proudhon, Marx, et — prendre ici quelque distance par rapport aux résonances historiques de nos émotions électorales, dixit J.N. Jeanneney — une heure autour du grand Charles Fourier, dans Concordance des temps.

Donc relire l'Ode à Fourier d'André Breton — certains citent bien Victor Hugo à tours de bras, fort sympathiques d'ailleurs — :

Je te salue...
Des plus lointaines ondes de l'écho
qu'éveille le pied frappant impérieusement
le sol pour sceller l'alliance avec les puissances qui font lever la graine

Fourier tranchant sur la grisaille des idées
et des aspirations d'aujourd'hui
ta lumière

Filtrant la soif de mieux-être et la maintenant
à l'abri de tout ce qui pourrait la rendre moins pure
quand bien même et c'est le cas je tiendrais pour avéré
que l'amélioration du sort humain ne s'opère
que très lentement par à coups au prix de revendications
terre à terre et de froids calculs
le vrai levier n'en demeure pas moins la croyance irraisonnée
à l'acheminement vers un futur édénique
et après tout c'est elle aussi le seul levain des générations
ta jeunesse


Bref ! une "semaine sainte" comme désormais je les aime.

mercredi, 04 avril 2012

en écho

Avec la citation du texte de René Char, publiée dans la note précédente du 2 avril :

 « l'éternel mouvement du rêve, lançant ses serpentins des profondeurs de la nuit passionnelle pour faire surgir d'entre leurs dessins notre improbable avenir ».

 Annie Le Brun
dans sa préface au Promontoire du songe
de Victor Hugo

lundi, 02 avril 2012

dénombrant "mes" îles

 Lisant Avant de J.B. Pontalis, ce chapitre intitulé Îles, lieux d'attachement et de détachement : « Me détacher sans me perdre », énonce son patient analysé. Je suis très loin de ces analyses.

Néanmoins,"mes" ÎLES !

Plus de soixante abordées, arpentées, entre îles de Loire de l'enfance et de l'adolescence, celles de Bretagne et de Biscaye, les Méditérranéennes, peu de Caribéennes et les Pacifiques lointaines.
Celles aperçues, entrevues, jamais foulées et encore rêvées.

À écrire.

 

Et pour me maintenir dans ces jours de remugle :

Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir.

René Char,
Envoûtement à la Renardière,
Seuls demeurent, 1938-1944.

mercredi, 28 mars 2012

"petit chat" est mort

Pour Patrik, pour Gianni

 

Je l'aimais bien, ce doux félin rouquin épicurien !

Quand on est chat on est pas vache
On ne regarde pas passer les trains
En mâchant des pâquerettes avec entrain
On reste derrière ses moustaches
(Quand on est chat on est chat)

Quand on est chat on est pas chien
On ne lèche pas les vilains moches
Parce qu'ils ont du sucre plein les poches
On ne brûle pas d'amour pour son prochain
Quand on est chat on est pas chien
On passe l'hiver sur le radiateur
(Quand on est chat, on est pas chien).

On passe l'hiver sur le radiateur
A se chauffer doucement la fourrure
Au printemps on monte sur les toits
Pour faire taire les sales oiseaux
On est celui qui s'en va tout seul
Et pour qui tous les chemins se valent
(Quand on est chat, on est chat).


Jacques Roubaud
Les animaux de tout le monde

 

Au printemps, "Coyotte" n'est plus monté sur les toits.
Je vous le dis, je l'aimais bien, ce doux félin rouquin épicurien !

 

lundi, 26 mars 2012

retour de mer

 

Quand le MAL agit un homme : des enfants morts.

 

Sur les vasières de l'estuaire, les Tadornes s'accouplent. Passée l'écluse, aux rives de la Vilaine bourgeonnent, roux, les saules, les hêtres et les peupliers.

dimanche, 18 mars 2012

la fin d'une guerre

à Jobic, à Christian,
aux femmes de paix
aux côtés de qui nous nous tenons

Ce 19 mars 1962

C'est  la veille que la radio a annoncé pour ce jour la fin des opérations de maintien de l'ordre. Ça n'aurait donc jamais été une guerre.

La guerre pour moi, elle se termina ce matin de juin 1961 quand, descendant du poste de Rhardous pour la dernière fois, quatre hommes, au milieu de la piste, m'arrêtèrent à la porte sud de Tamloul.
L'un après l'autre, ils me donnèrent l'accolade.

Tamloul.jpg

Tamloul, village de regroupement, décembre 1960


Eux et moi, depuis peu, nous nous étions écartés du sang, de la violence, du soupçon.
Aurions-nous donc commencé à rebâtir ?

N'en demeurait pas moins l'indélébile de traces  comme déchirures nocturnes.

Et c'est le premier cadavre en travers de la piste dans la nuit du Zaccar et sa puanteur infâme 
et c'est la paysanne hurlant son désespoir dans la cour de cette ferme abandonnée du Chélif
et c'est la morgue du lieutenant parachutiste, appelé, qui, devant sa bière, raconte froidement le fuyard poursuivi, abattu,
et c'est le premier sang, celui de Renaud notre "radio" et celui des trois maquisards d'en face,
et ce sont les soubresauts du corps de Hocine, adolescent "fell" prisonnier assassiné,
et c'est le ventre ouvert de Slama, le jeune harki, 
et ce sont les nuits de Tamloul dans la tension, les désirs inassouvis, les veilles incessantes,
et ce sont les cris de douleur du rebelle au genou broyé enlacé dans les barbelés du camp,
et c'est ce corps, à quelques pas de moi, qui dans la nuit s’abat, brisé dans la sonorité de pierre creuse du crâne qui heurte l’angle aigu du trottoir.

C'est dans le fracas des nuits algéroises la belle et brune rebelle du Zaccar, sa douceur, le baiser, une étreinte.


Et quelques jours après ce cessez-le-feu,
dans cette petite palmeraie au sud de l'Aurès,
ce sont, armés encore, ces hommes d'en face
nos regards étonnés qui se croisent sans haine
et sous l'olivier, le visage émacié et souriant  de Si Salah, vieux maquisard,
devenu le temps si bref des quelques pas qui me séparent encore de lui
l'homme de justice et paix

Oui, nous rebâtissons déjà. S'annoncent quelques soleils possibles, mais aussi des temps obscurs et brutaux.

jeudi, 15 mars 2012

le 15 mars 1962

Toujours extraites des pages d'un journal du temps de guerre.

Un jour de février, Chris Van Der Meulen, mon collègue, débarqua à Star-Melouk : son centre de Fort-Turc avait été plastiqué dans la nuit. Peu de dégâts, des vitres brisées : la charge avait été placée près du portail d'entrée sur la route qui menait à l'aéroport. Ça semblait bien être dans les actions un peu lâches du réseau extrémiste de Biskra où les forts en gueule se faisaient plus entendre sur les terrasses des cafés de la place Béchut que dans les ruelles de la palmeraie ou dans le labyrinthe jugé malfamé de Star-Melouk
Brégardis avait été menacé, mais, sur le même palier que lui, résidait un policier véreux. Les forts en gueule n'allaient pas attenter à la vie de l'un des leurs.

Depuis janvier, quand je m'attardais un peu trop tardivement en ville, je ne reprenais le volant de ma 2 CV qu'après avoir soulevé le capot et deux fois, je dus débrancher de méchants bricolages de bâtons de dynamite reliés à un détonateur rudimentaire qui cependant au premier quart de tour de la clé de contact, nous auraient volatilisés, Rabéa, la voiture et moi.


Le 15 mars en fin d'après-midi, ce fut plus sérieux. Je m'étais rendu à Fort-Turc pour préparer une rencontre avec le responsable de la Sidérurgie Bônoise qui accompagnait l'action de formation que nous dispensions dans nos deux Centres aux chômeurs qui avaient postulé à ces futurs emplois.


Le téléphone sonne. Chris décroche et, de suite, je perçois une voix altérée dans l'écouteur. Le visage de Chris se fige. Le téléphone raccroché, c'est à peine si Chris peut articuler un mot.
 « Ils ont assassiné nos "patrons" ! C'était Brossard, notre responsable de Batna. Il était présent à la réunion de Château-Royal. Un commando OAS !  Brossard passera nous voir la  semaine prochaine. »
Nous ne reverrons plus jamais Brossard.

Nous apprendrons quelques jours plus tard par des collègues de Constantine, les circonstances odieuses de l'assassinat.
Le surgissement brutal d'une bande armée de huit hommes en civil à bord de deux Peugeot au tout début de la réunion qui regroupe nos responsables départementaux, l'appel de six noms par ordre alphabétique :

Eymard,
Basset,
Feraoun,
Hammoutene,
Marchand,
Ould Aoudia.

Leur alignement dos à un mur d'angle, le fracas des rafales intenses, brèves, de deux fusils-mitrailleurs, les six détonations d'une arme de poing comme coup de grâce. La fuite de la bande.

En vain, Chris et moi, nous rencontrerons les délégués syndicaux des écoles et du collège de la Palmeraie pour que soit organisée une protestation silencieuse avec les jeunes sur la place Béchut. Nous ne nous faisions guère d'illusion sur cette proposition, sachant les comportements timorés de beaucoup d'enseignants métropolitains de Biskra. Seuls, le collège et deux écoles primaires de la Palmeraie, Star-Melouk et le Village-Nègre, où les écoliers étaient en totalité d'origine algérienne, observeront la minute de silence recommandée par les instance nationales syndicales et par le ministère de l'Éducation.

La haine et le mépris.

 

Le 12 décembre 2001, au ministère de l'Éducation Nationale, une stèle était dévoilée à l'entrée d'une salle nommée "Max Marchand - Mouloud Feraoun". Jean Luc Mélenchon, alors ministre de l'Enseignement professionnel disait :

Nous avons le droit aujourd'hui, nous avons la passion à présent d'y voir plus clair.
Les nôtres, décidément, ceux que la République tient pour tels, les nôtres sont ceux
qui s'aimaient et non ceux qui se haïssaient. Il en est ainsi parce que cet amour ne
pouvait faire ses liens qu'en adhésion aux valeurs républicaines.
Les maîtres de l'école républicaine ont préféré la règle de leur principe, plutôt que
les séductions de l'abandon aux enfermements de leur temps.
Sur les gouffres du temps, que la mort creuse si vite et si fort entre les êtres et les
générations, je passe le fil de la mémoire. Je vous nomme, ombres de lumière.

Max Marchand, présent !
Mouloud Feraoun, présent !
Marcel Basset, présent !
Robert Eymard, présent !
Ali Hammoutene, présent !
Salah Ould Aoudia, présent !

Vous voilà parmi nous.
La poussière des fureurs de la guerre est tombée. Et voilà que vos assassins n'ont plus de nom. Ils n'ont aucun visage qui se distingue dans la cohorte sanglante des bourreaux de tous les âges et de toutes les guerres. Vous voici, maîtres de l'école publique,
passeurs de savoirs et de savoir être. Vous êtes uniques et singuliers comme le sont les visages de ceux qui donnent la vie.
La vie!
Celle de l'esprit que le savoir construit, faisant de chaque jeune individu une
personne.
La vie!
Celle du temps profond de l'Algérie comme rive de la Méditerranée, que ponctuent
nos tombes emmêlées et nos enfants communs.

 

Post-scriptum :

Jean-Philippe OULD AOUDIA, L'assassinat de Château-Royal, Alger : 15 mars 1962 - éditions Tirésias, 1992 (avec une préface de Germaine Tillion)

mardi, 13 mars 2012

un coin de rue de l'enfance

Décidément, cette fin d'hiver tire à la rubrique nécrologique. Difficile d'aborder une enclave échappant aux nostalgies. Un vieux poète nantais et bon universitaire — mais je n'ai point fréquenté l'Université — s'en est allé hier. Me semble qu'il avait introduit René Guy Cadou dans les Lettres Modernes. La dernière fois que je l'avais croisé, c'était pour la sortie de son Nantes au cœur, rue des Carmélites, chez Siloë. Il y avait aussi une vieille dame que je n'ai pas revue depuis ce jour, elle est très, très âgée ; je parle d'Hélène Cadou, veuve de René Guy.


Au coin de la rue Scribe et de la rue Boileau
La petite femme aux oiseaux et son landau
Faisait sauter ses chiens savants enrubannés
Colombes perruches et serins
Perchaient sur ses bras minces
Et les enfants ravis faisaient cercle
Autour de cette disciple de saint François
Cette femme mystère si chère à notre cher Michel Chaillou

Yves Cosson
Et pourquoi pas la cohorte des dames du pavé nantais
Nantes au cœur


C'était au temps de guerre — toujours la guerre, n'est-ce pas ? — et j'étais un de ces enfants ravis.

Plus tard, de ces dames du pavé nantais, j'en connus une... Dans les prisons de Nantes. J'animais un atelier d'écriture et lecture dans le quartier des femmes.
C'était la Grande Nicole, dame maquerelle bien connue sur le trottoir nantais et qui purgeait une peine pour proxénétisme. Elle n'était point disciple de François d'Assise — mais le sait-on jamais ? — et n'avait pas seulement fait sauter des chiens enrubannés.
Elle et moi, avions passion commune pour l'Océan et l'île de Houat.


dimanche, 11 mars 2012

Salut ! "BlueBerry"

Giraud001.jpg

Une belle planche du Hors-la-loi.

Triple hommage à Jean Giraud, à son héros, le lieutenant Blueberry et aux Femmes.

mercredi, 07 mars 2012

tirées d'un journal de guerre, ces quelques lignes

Un certain 19 mars 1962.
Il ne s'agit pas de commémorer.
Il importe d'humblement garder mémoire vive.


Un après-midi, alors qu’en patrouille, ils traversent un bois plus dense de chênes-lièges, des ombres, une course sinueuse, des cris aigus de femmes, puis des rires d’hommes, des pleurs d’enfants. Launay et son équipe ont débusqué d’un taillis d’arbousiers deux femmes et trois gosses. Étonnante, cette présence ; le village de regroupement le plus proche est à plus de vingt bornes dans le sud au voisinage de Littré.
Les mômes ont quatre ou cinq ans, les femmes sont jeunes, les haillons qu’elles portent sont grisâtres de poussière, leur teint est terreux, elles se serrent en un cercle apeuré, recouvrant le corps des enfants. Elles sentent le charbon de bois et la fumée. Abder leur parle doucement d’une voix presque tendre ; elles demeureront deux jours dans un total mutisme, amas humain quasi immobile. 

dans la guerre.jpg


Au bivouac, elles n’accepteront que de l’eau et encore faudra-t-il boire à la gourde devant elles ; les gars donneront aux trois enfants les pâtes de fruit des rations. Il n’y aura aucune réflexion graveleuse ; Jaqez surprendra souvent leurs regards étonnés quand ils passeront près du petit groupe.
Mais que font donc ces jeunes femmes dans ces djebel déserts ? Naguère elles auraient été ces belles Berbères aux cuisses nues qui foulaient le linge dans le creux de l’oued ; la guerre a réduit leur beauté à cette peur sombre accroupie parmi les tenues léopard du commando.
Il n’y aura aucune menace de quiconque.

 

Il y a plus de cinquante ans .
Que sont ces enfants, ces femmes, devenus ?
Dans leur liberté tant douloureusement conquise.

mercredi, 29 février 2012

j'étais seul

... au théâtre Graslin, ce soir.

Pour l'Orphée de Gluck.

Mais pourquoi n'a-t-il pas plongé jusqu'au profond de la désespérance que dit le mythe ? Sans doute la musique dément-elle le chœur béat qui clôt l'opéra ?

Illusion d'un "Trionfi Amore" ! La musique sous l'apparente douceur ne chante que la mort.