vendredi, 25 mars 2011
Glénan aux vives-eaux d'équinoxe
à AH, patron d'Éon Vor
À l'ouvert de la baie, un cormoran, deux goélands bruns, une "cardinale Est", la Linuen.
Errance dans l'archipel.
...Plus loin, plus loin, où sont les premières îles solitaires — les îles rondes et basses baguées d'un infini d'espace, comme des astres — îles de nomenclateurs, de généalogistes; grèves couvertes d'emblèmes génitaux, et de crânes volés aux sépultures royales...
... Plus loin, plus loin, où sont les îles hautes — îles de pierre ponce aux mains de cent tailleurs d'images; lèvres scellées sur le mystère des écritures, pierres levées sur le pourtour des grèves et grandes figures averses aux lippes dédaigneuses..
... Et au-delà, les purs récifs, et de plus haute solitude — les grands ascètes inconsolables lavant aux pluies du large leurs faces ruisselantes de pitié...
... Et au-delà, dernière en Ouest, l'île ou vivait, il y a vingt ans, le dernier arbrisseau : une méliacée des laves, croyons-nous — Caquetage des eaux libres sur les effondrements de criques, et le vent à jamais dans les porosités de roches basaltiques, dans les fissures et dans les grottes et dans les chambres les plus vaines, aux grandes masses de tuf rouge...
... Et au-delà, et au-delà, sont les derniers froncements d'humeur sur l'étendue des mers. Et mon poème encore vienne à grandir avec son ombre sur la mer...
... Et au-delà, et au-delà, qu'est-il rien d'autre que toi-même — qu'est-il rien d'autre que d'humain?...
Minuit en mer après Midi... Et l'homme seul comme un gnomon sur la table des eaux..
Saint-John Perse
Vents, IV, 2.
Photos ©Nicléane & grapheus tis
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dimanche, 20 mars 2011
quand meurt un poète
Soixante ans que Cadou est parti.
Plus de cinquante ans que je brasse mes mains, mes larmes, mes rires dans les mots de cet homme de même terre et de mêmes vents.
Ses rues furent mes rues, ses quais furent mes quais.
L'hiver, je quittais la maison sitôt déjeuner ; le soleil longeait nonchalamment les quais en vieil habitué et comme un authentique pêcheur de brochet le feutre un peu baissé sur les yeux, le fil de soie de la lumière sur l'index tendu.
J'allais me perdre quelque part derrière des chantiers de construction navale et des entrepôts de bois du Nord. J'avais onze ans le soleil était doux et je me sentais une envie de chanter. Je sortais, enfouie
dans la doublure de mon pardessus, une cigarette dérobée à mon père; assis sur une pierre plate, béatement; je fumais. Et lorsque je pense à des heures calmes, des heures d'intense quiétude, je revois un petit enclos plein de plantes desséchées, une barrière difficile, là-bas dans le quartier sud de la ville où c'est déjà l'aventure.
Rêveur, si je l'étais ! Je m'empourprais des joues, je dévalais l'unique pente semée de mâchefer et de seaux en émail qui menait au royaume interdit.
Mon enfance est à tout le monde, 1947
Peut-être l'ai-je rencontré — je n'étais qu'un petit garçon — dans les années 41-43, quand je hantais, à la recherche du rêve aventureux, les rues entre place Bretagne, quai Hoche et Cours Saint-Pierre, ce jeune homme au visage de lumière.
Mais ce jour du 20 mars 1951, c'est un compotier qui fait signe au rêveur.
PEUT-ÊTRE dans quelque maison basse de ville usée
Moi qui ai tant aimé les jardins
Lorsqu'il a plu dans la soirée
Et que parmi les myosotis pèse soudain
La lourde mamelle de la lune !
A bout de persuasion peut-être
Quand le filin du jour me glissera des doigts
Si je n'ai plus pouvoir d'orienter les fenêtres
Alors adieu garçon ! et que ce soit
Par un matin couleur de melon d'eau !
Tout dort
J'entends marcher au loin mille animaux
Et mon cœur doucement aura cessé de battre
A cause d'un compotier de pommes sur la table
Tandis qu'un coq et un sergent
Là-bas
Font respecter le règlement.
René Guy Cadou
Dur à vivre
Les biens de ce monde, 1951
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samedi, 19 mars 2011
« à cause d'un compotier de pommes sur la table »
Il est dit que la veille au soir, le 19 mars 1951, Francis Caridel, le secrétaire de mairie de Louisfert, rendant visite à Hélène et René Guy Cadou dans leur "maison d'école", leur avait apporté un panier de pommes ; elles furent déposées dans un compotier.
Le lendemain...
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vendredi, 18 mars 2011
pour les marées d'équinoxe
Ce jour, vers les Glénan.
Pour célébrer un bel Équinoxe.
Grand âge, nous venons de toutes rives de la terre. Notre race est antique, notre face est sans nom. Et le temps en sait long sur tous les hommes que nous fûmes.
Saint-John Perse
Chronique.
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mercredi, 16 mars 2011
je n'aime guère ce fortuit
en pensant fort à Berlol
J'avais, la semaine dernière, quitté le jardin pour les lacis poldérisés de la Seudre. Au sortir de la forêt de la Coubre, dans l'estuaire de la Gironde, le printemps s'éveillait.
Un seul bouquin dans le sac : les journaux de voyage de Bashô *, étant encore en cette fin d'hiver, dans la nécessité de ne me plonger que dans des écrits brefs. Je n'étais pas encore parvenu dans ma relecture aux notes de la Sente Étroite du Bout-du-Monde quand, vendredi matin, l'annonce du désastre nous a été faite.
Est-ce inconvenant dans le désastre naturel de penser à un site ? Qu'est devenue, à quelques dizaines de kilomètres de Sandaï, cette baie de Matsushima, balayée elle aussi par le raz-de-marée, qui tant ressemble à notre Golfe du Morbihan ?
Le soleil déjà était proche du méridien. Louant une barque, je voguai vers Matsushima. Après une traversée d'un peu plus de deux lieues, j'accostai la grève d'Ojima.
Or, encore que ce soit un lieu commun, Matsushima est bien le plus beau site du Japon et n'a rien à envier à Dôtei ou Seiko. La mer le pénètre par le sud-est, la baie est profonde de trois lieues, le flux s'y étale comme dans la baie de Sekkô. Les îles sont innombrables et diverses, il en est de verticales, doigts dressés vers le ciel, d'horizontales qui rampent sur les flots. Certaines sont doubles, d'autres pliées en trois, séparées à gauche, reliées à droite. Il en est qui se portent, il en est qui s'embrassent, comme qui cajole un enfant. Les pins sont d'un vert profond, leur ramure est tordue par le vent du large, leur mouvement naturel paraît dû aux soins du jardinier. Tout ce paysage est d'une beauté distante, comme la physionomie apprêtée d'une belle. Serait-ce là l'ouvrage, aux temps jadis où régnaient les dieux impétueux, d'Ôyama-zumi ? Le génie du Céleste Artisan, quel homme pourrait le rendre par le pinceau, le cerner par la parole?
La grève d'Ojima est une langue de terre qui s'enfonce dans la mer. Vestige de la retraite du Maître de Zen Ungo, il reste notamment la pierre siège de méditation. D'ailleurs, sous le couvert des pins, j'ai aperçu, ci et là, quelques ermites ; dans leurs chaumières qu'enfument les feux de paille ou de rameaux de pin, ils coulent des jours paisibles ; bien qu'ignorant quelle sorte de gens ils étaient, un peu envieux, j'allai vers eux et c'est alors que la lune se refléta sur les flots, renouvelant le spectacle diurne. Je revins au fond de la baie et gagnai mon gîte : c'était une maison à étage à fenêtres ouvrantes ; dormir en voyage au sein des vents et des nuages, quelle sensation indiciblement merveilleuse !
Ah Matsushima
à la grue emprunte sa robe
ô coucou
Sora, compagnon de Bashô **.
Pour Bashô, il est dit que, plus que le lieu, lui importait la profondeur de la méditation, cependant stimulée par la contemplation du site que le voyageur arpentait.
Et Matsushima, aujourd'hui ?
De notre malheur
ne résoudra le mystère
le chant du coucou
Yasui, autre compagnon de Bashô.
* BASHÔ, Journaux de voyage, traduit du japonais par René Sieffert, Publications orientalistes de France, 1988.
** Sora est le compagnon de voyage de Bashô, sur la Sente Étroite du Bout-du-Monde, notant ce qu'omettait ou négligeait le maître.
11:14 Publié dans Les graves, les marines, les voyages, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
mardi, 08 mars 2011
pour vous, Femmes
Avancer modestement derrière le poème pour saluer celles à qui je dois tant.
UN soir de pauvreté comme il en est encore
Dans les rapports de mer et les hôtels meublés
Il arrive qu'on pense à des femmes capables
De vous grandir en un instant de vous lancer
Par-dessus le feston doré des balustrades
Vers un monde de rocs et de vaisseaux hantés
Les filles de la pluie sont douées si je hèle
A travers un brouillard infiniment glacé
Leur corps qui se refuse et la noire dentelle
Qui pend de leurs cheveux comme un oiseau blessé
Nous ne dormirons pas dans des chambres offertes
A la complicité nocturne des amants
Nous avons en commun dans les cryptes d'eau verte
Le hamac déchiré du même bâtiment
Et nous veillons sur nous comme on voit les pleureuses
Dans le temps d'un amour vêtu de cécité
A genoux dans la gloire obscure des veilleuses
Réchauffer de leurs mains le front prédestiné.
René Guy Cadou
Femmes d'Ouessant,
Le diable et son train
Hélène ou le Règne végétal, 1952
07:00 Publié dans Cadou toujours, les diverses, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
dimanche, 06 mars 2011
forme brève
En ces jours de "décabouinage", rangement et allègement du débarras familial — le cabouin — lectures et écritures sont, sinon absentes, du moins renvoyées aux formes brèves.
Bonheur des haïkaï.
clapotis d'une carpe
jeux des ombres et de l'eau
l'éclat du forsythia
Librement adapté de Uryû de l'école de Bashô.
La lumière des bambous, traduction, présentation, illustration de Alain KERVERN, Éditions Folle Avoine, mars 1988.
09:28 Publié dans les diverses, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 25 février 2011
balade manchoise
Marées de vives-eaux, si loin des tumultes d'un Maghreb qui, dans l'inquiétude, n'est point oublié..
Nicléane calligraphie des estrans.
... vers l'eau verte les grandes îles alluviales arrachées à leur fange! Elles sont pétries d'herbage, de gluten; tressées de lianes à crotales et de reptiles en fleurs. Elles nourrissaient à leurs gluaux la poix d'un singulier idiome.
...qu'elles s'en aillent, au mouvement des choses de ce monde, ah! vers les peuplements de palmes, vers les mangles, les vases et les évasements d'estuaires en eau libre...
Qu'elles descendent, tertres sacrés, au bas du ciel couleur d'anthrax et de sanie, avec les fleuves sous leurs bulles tirant leur charge d'affluents, tirant leur chaîne de membranes et d'anses et de grandes poches placentaires — toute la treille de leurs sources et le grand arbre capillaire jusqu'en ses prolongements de veines, de veinules
Les migrations de crabes sur la terre, l'écume aux lèvres et la clé haute, prennent par le travers des vieilles Plantations côtières...
Saint-John Perse, Vents, II, 4
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jeudi, 17 février 2011
filiation ? paternité ? la belle leçon du Grec
τὸν δ᾽ αὖ Λαέρτης ἀπαμείβετο φώνησέν τε·
εἰ μὲν δὴ Ὀδυσεύς γε ἐμὸς πάϊς ἐνθάδ᾽ ἱκάνεις,
σῆμά τί μοι νῦν εἰπὲ ἀριφραδές, ὄφρα πεποίθω.
Et Laerte alors prit la parole pour répondre :
« Si tu es bien Ulysse mon enfant rentré chez lui
Donne m'en quelque signe assez clair pour me convaincre. »
Odyssée, XXIV, 327/329
Auraient-ils trois mille ans d'avance sur nous ?
En ces temps de bioéthique, de recherche de paternité, de filiation, de donneurs de gamètes, que nous narre le grand aveugle qui n'est ni religieux, ni moraliste, ni politique, mais poète, fabricant de la langue ?
Castoriadis l'écrit :
« Homère est le poète, celui qui fait être. Et ce poète n'interdit rien, n'impose rien, ne donne pas d'ordre, ne promet rien : il dit. Et ce faisant, il ne révèle rien — il n'y a pas de révélation -, il rappelle.
Il rappelle ce qui a été et ce qui est en même temps le linéament de ce qui est, de ce qui peut être. Cela, il le rappelle à la mémoire des hommes... » p. 95*
À la demande du père, Laerte à la lance d'ombre longue, le fils, Ulysse l'ingénieux répond, ainsi :
Vois d'abord de tes yeux cette blessure
qu'un sanglier me fit de son boutoir,
sur le Parnasse, quand vous m'aviez envoyé,
ma mère vénérable et toi
auprès d'Autolycos mon aïeul maternel bien aimé...
Et je te dirai encore les arbres de ton jardin si bien cultivé,
ceux qu'autrefois tu me donnas, comme je te les demandais,
j'étais enfant et je te suivais à travers le verger.
Et nous allions parmi les arbres
et tu me nommais chacun d'entre eux,
et tu me donnas treize poiriers, dix pommiers
et quarante figuiers
et tu me dis que tu me donnerais cinquante rangs de ceps de vigne
aux lourdes grappes déjà mûries.
Odyssée, XXIV, 331/344
Dans cette situation inversée à celle de nos jours, qu'importe de quel sperme, de quelle ovocyte ?
* Cornelius CASTORIADIS, Ce qui fait la Grèce, 1. D'Homère à Héraclite, Séminaires 1982-1983, La Création Humaine II, Le Seuil, 2004.
09:52 Publié dans Les antiques, petite Odyssée portative, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 14 février 2011
Sollers le citateur
Les arriérés d'aujourd'hui, consommateurs colonisés de la bouillie littéraire anglo-saxonne, croient qu'on fait des citations pour briller, remplir la page, s'épargner un effort, alors qu'il s'agit d'un art très ancien et très difficile. Les écrits essentiels en sont pleins, le Talmud, par exemple. Le subtil Walter Benjamin, expérimentateur de haschisch et auteur d'un « principe du montage dans l'Histoire », le définit ainsi :
« Les citations, dans mon travail, sont comme des voleurs de grands chemins qui surgissent en armes, et dépouillent le promeneur de ses convictions. »
Sollers cite donc, et beaucoup. Il affirme encore que « ce ne sont pas des citations, mais des preuves ». Preuve « qu'il n'y a qu'une seule expérience fondamentale à travers le temps »*. Parfois, il cite, mais n'avoue point ses sources. Les citateurs cités mériteraient fort d'être nommés.
Ainsi quand, au détour de la page 127, dans Les Voyageurs du Temps, je rencontre Héraclite que nous savons ne pouvoir lire qu'à travers ceux qui, du fond des siècles, le lurent et le citèrent.
Qu'est-ce que le Temps ? Un enfant qui s'amuse, un royaume d'enfance qui se joue aux dés.
Ici, un certain Hippolyte**, auteur de Réfutation de toutes les hérésies.
Là, Diogène Laerce**,
dans Vies et Doctrines des philosophes illustres, Livre IX, Héraclite, 3.
« II s'était retiré dans le temple d'Artémis, et jouait aux osselets avec des enfants. Aux Ephésiens qui s'étaient attroupés autour de lui, il dit : "Imbéciles, qu'est-ce que cela a d'étonnant? Ne vaut-il pas mieux s'occuper à cela, plutôt que d'administrer un Etat en votre compagnie? »
Voilà un homme.
Je vais paraître très éloigné de la Saint-Valentin !
* L'Étoile des amants, Gallimard 2002, Folio n° 4120, p. 85.
** L'un et l'autre, au IIe siècle de notre ère.
14:53 Publié dans dans les pas d'Héraclite, Les antiques, les lectures, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 12 février 2011
taiseux, le blogue
Entre deux quintes de toux, quelques accès de fièvre, de multiples éternuements, lectures par bribes :
Il faut écouter Glenn Gould de très près, de
préférence une fin d'après-midi d'été, devant
un paysage ouvert sur l'océan, les oiseaux, le sel.
Le vieux Bach sourit... Une mouette plane vers vous
pour une bénédiction furtive.
Philippe Sollers, Les Voyageurs du temps
Rien de bien grave. Il importe de demeurer enfoui sous la couette. Après un vin chaud.
Dommage ! De beaux nuages cavalent dans un beau ciel.
14:11 Publié dans les diverses, Les listes, Sollers d'autres fois | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 01 février 2011
quand s'éclaire le « je » de Sollers, par lui-même
Je me perdrai désormais avec une alacrité certaine dans les méandres fictionnels et autobiographiques. Donc librement littéraires de Sollers.
« Quand un livre se développe, parallèle à votre vie, l'influençant ou se laissant gonfler par elle, quand par cette oscillation, on ne peut tomber, ni dans le réel, ni dans l'imaginaire, n'est-ce pas cela la liberté ? »
Une curieuse solitude.
Cette citation que j'extrais du LibéLivres du jeudi 6 janvier — article de Philippe Lançon, présentant Trésor d'amour — témoigne chez Sollers d'une grande constance dans les écrits, qu'il les nomme romans, essais, entretiens. Ça ne gommera point les exaspérations dues à des longueurs vaseuses et aux fatuités de Narcisse. Mais mes "gambades" de lecteur seront plus légères
Et pour ma gouverne personnelle, que ce soit dans mes lectures, que ce soit dans mes écrits, un horizon se désembrume de tout ce fatras accumulé depuis plus de trente ans autour de autobiographie, autofiction, autobiographie autofictionnelle, écritures du moi.
Avec Sollers, je ne suis pas loin des menteries de Giono, des fabulations de Cendrars, du "mentir-vrai d'Aragon.
C'est ainsi qu'est bien bonne, la littérature !
Demain commence la Folle Journée : ou quand la littérature laisse place à la musique.
19:06 Publié dans les lectures, Les musiques, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 30 janvier 2011
addiction à Sollers ?
Dès qu'un Sollers paraît en poche, j'achète. Je poursuis donc l'emplissage de mon rayon "Sollers"*.
Et toujours je commence ma lecture du "dit" avec un mélange de réticence et d'allégresse. J'y guette les petites leçons de littérature de monsieur Sollers. J'y redoute les miroirs un peu trop narcissiques de monsieur Joyaux.
Les voyageurs du Temps ont failli m'entraîner du côté de Énard et de La perfection du tir. Mais non, nous n'allons point être embarqués dans la psychè d'un sniper fou.
Il s'agit, ici et sans doute, comme souvent quand Sollers débute ce qu'il annonce être un roman, d'un homme qui dit "je", qui appartient à un "Service" plus ou moins secret, qui dans les premières pages fait l'amour à une femme et dans les dernières à une autre femme, qui réside souvent, solitaire, à l'île de Ré et fréquente, accompagné, assidument les hôtels de Venise, les gratte-ciel de New-York, qui travaillerait parfois dans l'édition, qui pratique le soliloque où affleurent des vestiges catholiques romains et de multiples incises avec force citations sur Baudelaire, Lautréamont, Nietztche, Rimbaud, Céline. Cette fois, on y rencontre aussi Kafka, Bataille et Breton.
Mais toujours et surtout Rimbaud !
Dans les Voyageurs du Temps, le héros — Sollers ou son héros ? de l'autofiction à l'autobiographie fictionnelle, je ne sais jamais où il me perd ? — le héros donc est vieillissant, il fréquente un centre de tir et son "corps le freine"... Il y a aussi une "Bête" et ses "Parasites".
Ça déborde d'érudition : un vrai guide du Routard parisien. La rue du Bach, la rue Sébastien-Bottin, l'église Saint-Thomas d'Aquin, etc. Je ne savais que peu par exemple de Raspail et de son boulevard.
Mais Rimbaud encore.
Ça tient de l'incantation chez Sollers et ce n'est point pour me faire fuir — ( dans Studio, plus de soixante pages nommant le poète sur deux cents soixante et audacieusement le rapt pour un essai, du titre "Illuminations", mais sans article)**
Donc à la page 67, le "je" de Sollers entend des phrases et le lecteur, quand il arrive au milieu de la page " loin des vieilles retraites et des vieilles flammes, loin des charniers indescriptibles" se surprend à murmurer : « Merde, mais c'est du Rimbaud, ça ! ».
Eh oui ! C'est bien du Rimbaud "sur ondes ultracourtes, une écoute numérique des Illuminations", lui suggérera le "je" de Sollers.
Alors le lecteur saute sur son vieux Pléiade, celui de 1954 et lit et relit Les Illuminations. Relit encore. Déchiffre le "cut-up" de Sollers et se promet de relever le défi : « Qui fera mieux le dira et ça se saura. »
Il est juste qu'une fin fastueuse répare les
âges d'indigence, et qu'un jour de victoire nous
fasse oublier la honte. Il est bon de marcher sur
le sable rose et orange qu'a lavé le ciel vineux .
Il est normal que survivent de féeriques aristocraties
ultra-rhénanes, japonaises, guaranies,
propres à recevoir la musique ancienne (XXVIII) . L'Europe
s'éveille a peine après le déluge, loin des
vieilles fanfares d'héroïsme, loin des meurtriers
sans nom, loin des vieilles retraites et des vieilles
flammes, loin de ses charniers indescriptibles,
comme si une voix féminine arrivait enfin au
fond des volcans et des grottes arctiques (XXIX).
Quant à cet hôtel, dont je ne dirai pas le nom, ses
fenêtres et ses terrasses sont pleines d'éclairages,
de boissons et de brises riches, ouvertes à l'esprit
des vovageurs et des nobles (XXX). Certes, il v a un
moment d'étuve, de mers enlevées et d'embrasements
souterrains, et la planète est emportée
dans des exterminations conséquentes,(XXXII) mais
cette catastrophe n'empêche pas les voyageurs
d'éprouver la nouveauté chimique et de trouver
en elle leur fortune personnelle. C'est un Vaisseau
où s'éclairent sans fin des stocks d'études.
Sur cette Arche, chassés par l'extase harmonique,
un couple de jeunesse s'isole, chante et se poste (XXXIII).
Les Voyageurs du Temps, p. 67.
Les chiffres romains renvoient aux Illuminations "cutées".
* Sollers en Folio, c'est enrichir son Musée personnel portatif dont parlait Malraux dans Le Musée imaginaire. Quel portrait de quel peintre illustrera Trésor d'amour — on y attend Stendhal —, le roman récemment paru quand il sera édité en poche? dans six mois, dans un an ? Choix du maquettiste ou de l'auteur ?
** Il renouvelle ce genre d'emprunt avec "la Divine Comédie". Mais ce n'est pas du plagiat, n'est-ce pas ! c'est un livre d'entretiens.
19:49 Publié dans les lectures, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 24 janvier 2011
ne pas célébrer, ne pas commémorer, mais...
... relire, lire, voir, écouter, visiter.
Le cinquantenaire de la mort de Cendrars, la polémique au sujet de Louis-Ferdinand Céline pour le centenaire de sa naissance m'ont entraîné à me redéployer un horizon pour 2011.
Et je me suis aidé de ces célébrations que préconisent, parfois, malencontreusement les Archives Nationales dont j'ignorais le site. Merci donc à monsieur Louis Ferdinand Auguste Destouches et à ceux qui sont contre cette célébration — ceux-ci ont de très bonnes raisons de s'insurger. Célèbre-t-on les salauds ?
Centenaires, cinquantenaires, ou de naissance, ou de mort ! Livres à réouvrir, musiques à écouter, films à revoir : le tout à commenter
En 1661, Marie-Angélique de Sainte-Madeleine, dite Mère Angélique Arnauld, abbesse cistercienne de Port-Royal des Champs, admirée non pour son dieu, mais pour sa force de résistance aux pouvoirs, meurt le 6 août. Célébrée par Montherlant dans Port-Royal, note de théâtre II (1954).
En 1711, Clipperton, îlot désertique par 10°18 Nord et 109°13'01 Ouest est découvert le 4 avril, par Michel Dubocage, corsaire normand.
En 1811, Louis Antoine de Bougainville meurt le 31 août. Il appareilla de Nantes, le 5 novembre 1766 pour son Voyage autour du monde à bord de la frégate La Boudeuse. Un certain Denis Diderot commentera la relation de ce voyage, dans un Supplément au voyage de Bougainville, étant l'un des premiers à donner mauvaise conscience à l'Occident dans ses rapports avec le reste du Monde.
La même année, naît, le 22 octobre, Franzt Liszt. Dans une semaine, à l'occasion de la Folle journée de Nantes, je vais replonger avce délices dans ses Années de Pélerinage.
En 1861, le 18 janvier, naît Saint-Pol Roux qui s'exila sur les landes de Camaret, battues par les vents pour y bâtir le manoir de Cœcilian et y écrire les Reposoirs et les Fééries intérieures.
La même année, naît le 8 décembre, un drôle de loustic, Georges Méliès, qui chaussa les bottes des frères Lumière et nous proposa Un voyage dans la Lune.
Le même jour, la même année — décidément, un grand crû ! — naissance de Aristide Maillol, l'homme qui donne aux femmes, belles hanches, petits seins, belles cuisses et beaux culs.
Un saut de cinquante ans, en 1911, Patrice de la Tour du Pin naît le 16 mars. Je suis désormais très éloigné de ses horizons catholiques. Mais je garderai précieusement ses Enfants de Septembre.
En 1961, il y a cinquante ans, c'est une rubrique nécrologique :
Le 21 janvier, Cendrars. Il est Au cœur du Monde de cette année-là. Je n'en écrirai pas davantage dans cette note ; il bourlinguera dans le blogue tout au long de l'an.
Le 30 mars 1961, Armand Robin, fils de paysans bretons, poète qui, sachant je ne sais combien de langues, écouta le Monde. En mourut peut-être. Sa vie sans lui, il l'écrit dans Ma vie sans moi.
Le 25 juin, une belle parenthèse cinématographique, L'année dernière à Marienbad d'Alain Resnais et ...Alain Robbe-Grillet. Après Les quatre cents coups et À bout de souffle, le cinéma ne sera plus tout à fait comme avant.
Le 1er juillet, Louis Ferdinand Céline, abject sans doute, mais quelle langue ! Le Voyage au bout de la nuit n'est pas "interdit", que je sache ? Ni Mort à crédit.
Le lendemain, 2 juillet, Ernest Hemingway quitte sa machine à écrire et s'éclate la tête dans les étoiles. Ce matin-là, le soleil se lève aussi. Sur la table de chevet sont empilés L'adieu aux armes, Mort dans l'apès-midi, En avoir ou pas, Le vieil homme et la Mer.
En toute fin de cette année 61, quand se prolonge pour une sixième année encore la guerre d'Algérie, celui qui a écrit L'an V de la Révolution Algérienne, Frantz Fanon, "psychiâtre en Algérie et anticolonialiste partout", meurt le le 6 décembre. Il souhaitait recommencer une histoire de l'homme, il écrit Les Damnés de la Terre.
En juin 1961, je suis libéré de mes obligations militaires. J'essaie modestement dans l'ombre de Franzt Fanon de "recommencer une histoire de l'homme".
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samedi, 15 janvier 2011
« Les Modernes, et après ? »
Voilà belle manière de décentrer — ou peut-être bien recentrer — la question des PostModernes.
C'est ce qu'en janvier, offre Philippe Forest* en trois interventions aux vieux Nantais qui fréquentent l'Université permanente.
Il ouvre avec La Bruyère, au début des Caractères (1688):
« Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent... L'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d'entre les modernes »,
poursuit dialectiquement avec Isidore Ducasse à la fin de ses Poésies (1870):
« Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes... Nous avons l'avantage de travailler après les anciens, les habiles d'entre les modernes.
Il prolonge avec Jacottet et Aragon qui relancent Ducasse.
Je pense qu'il ne tient pas à résoudre le problème à l'usage des manuels de littérature à venir et je m'autoriserai à dégager mes horizons de lecteur quelque peu embrumés par "anti" et "post".
Baudelaire resurgit :
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !
Et ça me va bien, que ce soit dans le lire, que ce soit dans l'écrire : osciller de l'enthousiasme à la nostagie. Cendrars n'est pas loin.
* L'homme d'un Philippe Sollers au Seuil, de L'enfant éternel, et dernièrement du Siècle des nuages, chez Gallimard.
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