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mercredi, 16 mars 2011

je n'aime guère ce fortuit

en pensant fort à Berlol

 

J'avais, la semaine dernière, quitté le jardin pour les lacis poldérisés de la Seudre. Au sortir de la forêt de la Coubre, dans l'estuaire de la Gironde, le printemps s'éveillait.

Un seul bouquin dans le sac : les journaux de voyage de Bashô *, étant encore en cette fin d'hiver, dans la nécessité de ne me plonger que dans des écrits brefs. Je n'étais pas encore parvenu dans ma relecture aux notes de la Sente Étroite du Bout-du-Monde quand, vendredi matin, l'annonce du désastre nous a été faite.

Est-ce inconvenant dans le désastre naturel de penser à un site ? Qu'est devenue, à quelques dizaines de kilomètres de Sandaï, cette baie de Matsushima, balayée elle aussi par le raz-de-marée, qui tant ressemble à notre Golfe du Morbihan ?

 

Le soleil déjà était proche du méridien. Louant une barque, je voguai vers Matsushima. Après une traversée d'un peu plus de deux lieues, j'accostai la grève d'Ojima.

Or, encore que ce soit un lieu commun, Matsushima est bien le plus beau site du Japon et n'a rien à envier à Dôtei ou Seiko. La mer le pénètre par le sud-est, la baie est profonde de trois lieues, le flux s'y étale comme dans la baie de Sekkô. Les îles sont innombrables et diverses, il en est de verticales, doigts dressés vers le ciel, d'horizontales qui rampent sur les flots. Certaines sont doubles, d'autres pliées en trois, séparées à gauche, reliées à droite. Il en est qui se portent, il en est qui s'embrassent, comme qui cajole un enfant. Les pins sont d'un vert profond, leur ramure est tordue par le vent du large, leur mouvement naturel paraît dû aux soins du jardinier. Tout ce paysage est d'une beauté distante, comme la physionomie apprêtée d'une belle. Serait-ce là l'ouvrage, aux temps jadis où régnaient les dieux impétueux, d'Ôyama-zumi ? Le génie du Céleste Artisan, quel homme pourrait le rendre par le pinceau, le cerner par la parole?

La grève d'Ojima est une langue de terre qui s'enfonce dans la mer. Vestige de la retraite du Maître de Zen Ungo, il reste notamment la pierre siège de méditation. D'ailleurs, sous le couvert des pins, j'ai aperçu, ci et là, quelques ermites ; dans leurs chaumières qu'enfument les feux de paille ou de rameaux de pin, ils coulent des jours paisibles ; bien qu'ignorant quelle sorte de gens ils étaient, un peu envieux, j'allai vers eux et c'est alors que la lune se refléta sur les flots, renouvelant le spectacle diurne. Je revins au fond de la baie et gagnai mon gîte : c'était une maison à étage à fenêtres ouvrantes ; dormir en voyage au sein des vents et des nuages, quelle sensation indiciblement merveilleuse !


Ah Matsushima
à la grue emprunte sa robe
ô coucou

Sora, compagnon de Bashô **.

 

Pour Bashô, il est dit que, plus que le lieu, lui importait la profondeur de la méditation, cependant stimulée par la contemplation du site que le voyageur arpentait. 

 

Et Matsushima, aujourd'hui ?

De notre malheur
ne résoudra le mystère
le chant du coucou


Yasui, autre compagnon de Bashô.

 

 

* BASHÔ, Journaux de voyage, traduit du japonais par René Sieffert, Publications orientalistes de France, 1988. 

** Sora est le compagnon de voyage de Bashô, sur la Sente Étroite du Bout-du-Monde, notant ce qu'omettait ou négligeait le maître.

Commentaires

Merci pour ce très beau texte.

Écrit par : Kohnlili | jeudi, 17 mars 2011

Voilà un rapprochement, un trou dans l'espace-temps bien étonnant, compte tenu des événements... Et un grand merci pour la forte pensée, bien parvenue à son destinataire !
Avec mes amicales salutations.

Écrit par : Berlol | vendredi, 18 mars 2011

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