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samedi, 04 avril 2015

Lisant Michel Zinc

Et si les "road movies" de notre temps n'étaient que les chevaliers errants de jadis ? 

Le chevalier Calogrenant se prenant par exemple pour un Pierrot le Fou, et JeanLuc Godard pour un Chrétien  de Troyes ?

 Il avint, près a de VI ans,
Que je, seus comme païsan
Aloie qu'érant aventures
Armé de toutes armeüres
Si come chevaliers doit estre
Et trouvai un chemin à destre
Par mi une forest espesse

C'est la forêt de Paimpont de mon enfance. C'est encore l'aventure.
Ou une nouvelle Odyssée... 
À propos comment dirait-on pour une "road movie" océane ?

 

mercredi, 18 mars 2015

au hasard d'un marché, un poète gascon

un poète gascon lu
trois cents ans plus tard
par un breton de souche linguistique gallèse,

mâtiné d'un quart de bas-poitevin,
manière de marquer la semaine de la Francophonie en 2015

 

Il suffit d'une flèche de signalisation, pour que se remue la curiosité. Ainsi, à la mi-février, au marché d'Aiguillon, petite ville au confluent de Garonne et du Lot : elle n'était pour moi jusqu'alors que la ville de naissance d'un certain duc d'Aiguillon, lieutenant général de Bretagne nommé par Louis XV pour mater les Bretons et envahir l'Angleterre, et dont les démêlés avec le vice-amiral de Conflans et les marins de ladite province ne furent pas pour rien dans le désastre de la bataille navale des Cardinaux en 1759.

Une simple signalétique urbaine donc, lettres blanches sur fond bleu, "salle Théophile de Viau" ! Vague mémoire d'un poète baroque qui "sonnettisa", entre Mathurin Régnier, Racan, D'Urfé et Saint-Amand.
Je néglige l'office du Tourisme et plonge dans la Toile avec ma tablette —mon iPad, comme on disait naguère "mon frigidaire" ——, j'y apprends qu'il est né à Boussères. Je chercherai et sur la rive gauche du Lot et sur la rive droite de Garonne, car il y a deux Boussères  et les "connaisseurs" s'affrontent, les uns pour celui de Clairac, les autres pour d'Aiguillon (ou de Port-Sainte-Marie ?).

À lire Théophile, j'opterai pour celui de Garonne ; il tint fort à y convier Cloris, sa Belle d'alors.

Si tu fais ce voyage, et mon amour te prie
D'y ramener tes yeux, car c'est là ma patrie :
Là tu verras un fonds où le paysan moissonne
Mes petits revenus sur le bord de Garonne
Le fleuve de Garonne où des petits ruisseaux
Au travers de mes prez vont apporter leurs eaux,
Où des saules espais ; leurs rameaux verd abaissent
Pleins d’ombre et de frescheur sur mes troupeaux qui paissent.
Cloris, si tu venais dans ce petit logis
Combien qu'à te l'offrir de si loin je rougis
Si cette occasion permet que tu l'approches,
Tu le verras assis entre un fleuve et des roches,
Où sans doute il fallait que l'Amour habitât
avant que pour le ciel la terre il ne quittât
Dans ce petit espace une assez bonne terre
Si je puis la sauver du butin de la guerre,
Nous fourniras des fruits aussi délicieux
Qui sauraient contenter ou ton goût ou tes yeux.
Mais afin que mon bien d'aucun fard ne se voile,
Mes plats y sont d'estain et mes rideaux de toile ;
Un petit pavillon dont le vieux bastiment
Fut massonné de brique et de mauvais ciment,
Monstre assez qu’il n’est pas orgueilleux de nos tiltres
Ses chambres n’ont plancher, toict, ny porte, ny vitre,
Par où les vents d’hyver s’introduisans un peu,
Ne puissent venir voir si nous avons du feu...

Élégie II
"Souverain qui régis l’influence des vers"

 

La vie de Théophile de Viau est pour moi innénarable: ce premier quart du XVIIe siècle était plutôt tumultueux. Viau fut de ceux qu'on nomma "libertins", de mœurs et de langue. J'aime bien qu'il y ait en lui du Joachim Du Bellay dans l'attachement à son terroir natal, du Pierre de Ronsard en ses amours, du Michel de Montaigne en ses amitiés ; il ne suivit pas  Malherbe, mais ne le dénigra point non plus.
Fut calomnié, amoureux, sans doute bisexuel et sodomite, ne se fiant ni à dieu ni à diable, dénoncé par des jaloux et condamné au bûcher pour ses licences, fausses ou avérées, ne fut brûlé qu'en effigie, mais vécu vingt-trois mois de cachot, à la Conciergerie entre autres lieux, si ardes qu'il commença l'an 1724 par une grève de la faim — c'est bien la première dont j'ai connaissance.

Ses textes : des odes, des stances, des élégies, une tragédie, des lettres en vers, en prose et en latin.

 Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l’eau,
Ouïr comme en songeant la course d’un ruisseau,
Écrire dans les bois, m’interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m’être égayé par cette douce erreur,
Je veux qu’un grand dessein réchauffe ma fureur,
Qu’un œuvre de dix ans me tienne à la contrainte,
De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :
Là si mes volontés ne manquent de pouvoir,
J’aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
En si haute entreprise où mon esprit s’engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n’ont jamais pensé les hommes et les Dieux.

Élégie à une Dame


Dans Première journée, récit mêlé de nombreuses digressions à la manière de Montaigne, il proclame également son exigence d’écrire à la moderne.

Il faut que le discours soit ferme, que le sens y soit naturel et facile, le langage exprès et signifiant ; les afféteries ne sont que mollesse et qu’artifice, qui ne se trouve jamais sans effort et sans confusion. Ces larcins qu’on appelle imitation des Auteurs anciens se doivent dire des ornements qui ne sont point à notre mode. Il faut écrire à la moderne ; Démosthène et Virgile n’ont point écrit en notre temps, et nous ne saurions écrire en leur siècle ; leurs livres quand ils les firent étaient nouveaux, et nous en faisons tous les jours de vieux.

Et puis des sonnets, s'immisçant entre Élégies et Odes, ce premier quand la guerre ravage son terroir natal :

Sacrés murs du Soleil où j'adorais Philis,
Doux séjour où mon âme était jadis charmée,
Qui n'est plus aujourd'hui sous nos toits démolis
Que le sanglant butin d'une orgueilleuse armée;

Ornements de l'autel qui n'êtes que fumée,
Grand temple ruiné, mystères abolis,
Effroyables objets d'une ville allumée,
Palais, hommes, chevaux ensemble ensevelis;

Fossés larges et creux tout comblés de murailles,
Spectacles de frayeur, de cris, de funérailles,
Fleuve par où le sang ne cesse de courir,

Charniers où les corbeaux et loups vont tous repaître,
Clairac, pour une fois que vous m'avez fait naître,
Hélas  ! combien de fois me faites-vous mourir  !

 

et cet autre, étrange, quand la femme aimée, Phyllis, remonte des enfers. Mais qui donc fut cette Phyllis ?

Je songeais que Philis des enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantôme encore fît l'amour
Et que comme Ixion j'embrassasse une nue.

Son ombre dans mon lit se glissa toute nue
Et me dit : " Cher Tircis, me voici de retour,
Je n'ai fait qu'embellir en ce triste séjour
Où depuis ton départ le sort m'a retenue.

Je viens pour rebaiser le plus beau des amants,
Je viens pour remourir dans tes embrassements. "
Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme

Elle me dit : " Adieu, je m'en vais chez les morts.
Comme tu t'es vanté d'avoir foutu mon corps,
Tu pourras te vanter d'avoir foutu mon âme. "

 

Plus rustique en amours, cette chanson dialoguée allègrement troussée. Mais est-elle de "notre" Théophile ?

 Demande
Quelle fièvre avez-vous, Pâquette,
Qui vous rend le teint si défait  ?
 Répons
C'est le désir d'une brayette
Dont je ne puis avoir l'effet.

 Demande
Certes vous êtes maigre et jaune,
Je ne sais pas que demandez.
 Répons
Un gros vit long comme un quart d'aune.
Prêtez-le moi si vous l'avez.

 Demande
Mais quoi  ? vous n'êtes point honteuse
De dire ainsi votre appétit  ?
 Répons
Homme goulu, femme fouteuse,
Ne désirent rien de petit.

 Demande
Si vous voyez quelque vit mince,
Voudriez-vous pas bien l'approcher  ?
 Répons
Quand ce serait celui d'un prince
Je ne voudrais pas le toucher.

 Demande
De quelque valet l'accointance
Serait-ce bien votre désir?
 Répons
Oui s'il le fait d'obéissance
Et le refait pour le plaisir.

 Demande
Vous avez la fesse soudaine
Alors qu'on vous presse le flanc  ?
 Répons
Le cul sans cesse me démène
Comme l'aiguille d'un cadran.

 Demande
Qui vous voit la mine si froide
Ne vous croit point le cul si chaud.
 Répons
C'est au cul qu'il faut un vit roide,
Ce n'est point au front qu'il le faut.

Chanson tirée de
Œuvres Poétiques. Appendice.
Poésies de Théophile
ou qui lui ont été attribuées
et qu'il n'a pas recueillies dans ses œuvres

 

D'aucuns écrivent qu'il influença La Fontaine et Nerval. C'est sûr, il séduisit Théophile Gautier. Et très près de nous, il inspira à Michel Chaillou un très savoureux chapitre libertaire, La Compagnie Théophile dans le Petit guide pédestre de la littérature française au XVIIe siècle".

Et comme belle épitaphe,

Il faudra qu'on me laisse vivre
Après m'avoir fait tant mourir.

 

Pour le lire,

• en Poésie/Gallimard, Après m'avoir fait tant mourir, œuvres choisies, édition de J.P. Chauveau. 2002.
Ce ne sont point œuvres complètes, mais on peut y parcourir cent pages d'un dossier bien touffu, sur vie et textes de Théophile.

• Les familiers des bouquins numérisés peuvent importer sur leur disque dur ou leur mémoire-flash :
Œuvres poétiques - Théophile de Viau, une œuvre du domaine public - ©2011 Norph-Nop  Editions, d'où est tirée la Chanson. C'est diffusé gratuitement par ...Amazon ; ça paraît édité à la "va comme j'te pousse", mis en page à la diable à la limite de l'illisible et format Kindle... Consulter la critique d'un client de ces éditions ??? À charger pour voir et puis supprimer, selon !

 

 

lundi, 23 février 2015

Inutile de chercher l'intrus

Pour le périple aux rives de Garonne, j'avais glissé dans ma besace de lecture deux "poches : d'Assia Djebar, L'Amour, la fantasia, pour une relecturede Pascal  Quignard, Les désarçonnés, pour la continuité plutôt ardue d'une lecture entamée au printemps 2014.
En ex-libris sur la page de garde où je note depuis plus de soixante ans le lieu et la date d'achat, j'avais ajouté après lecture du chapitre I, "Irai-je jusqu'au terme de ce dernier royaume ?" J'y suis encore... tanguant entre répulsion pour les moments de cruauté sur l'avant de ma barque et fascination toujours étonnée pour l'érudition gréco-latine sur ma poupe.

Voila que Le Monde des Livres m'a titillé avec La naissance de la philosophie par un italien qui m'était inconnu, Giorgio Colli. Abruptement, ce qu'il décrit et argumente est ceci : quand naît la philosophie "écrite" avec un certain Platon, s'efface l'oralité de la sagesse - oser écrire la sagesse oraculaire ? - des Héraclite, Empédocle et autre Parménide.

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Et puis voici, comme un retour à l'envoyeur, que Noémie ouvre la curiosité de son aïeul, lui confiant son plaisir de lire l'Eldorado de Laurent Gaudé. Les réticences de l'aïeul à propos des romanciers d'aujourd'hui s'atténuent.
Faut-il encore faire le bon choix ? dans les invites de la table du libraire agenais s'affirmera sans hésitation Pour seul cortège parce que c'est la mort d'Alexandre, l'empire qui se fissure, les reines éventrées, le retour incertain du cadavre vers la mer Égée, la cohorte des pleureuses et parmi elles, Dryptéis, celle qui fut l'amante de Héphaistion et sans doute d'Alexandre. Courent tout au long des pages les noms des lieutenants d'Alexandre : Ptolémée, Lysimaque, Kleistos, Antigone, Léonnatos, Néarque, le nom des reines et des filles de roi, Sisygambis, Roxane, Stateira.

Du fond de son corps monte un nouveau spasme, plus terrible que les précédents. Ses muscles se figent. Il ne peut plus respirer. Il sent la douleur rayonner dans chaque nerf. Il est en feu. Il se renverse en arrière, le dos cabré, le visage blême et il cède. Il est temps de mourir.

Les pleureuses s'avancent lentement dans leur robe de deuil et Dryptéis maintiendra le souffle de l'empire.

Le retour aux lectures d'enfance se fit, hier, lors d'une foire aux Livres à Buzet-sur-Baïse. De tout : La semaine de Suzette, Bécassine, Dubout, les Talliandier avec les Delly et les Max du Vieuzit, jusqu'à la Bibliothèque Rose Illustrée : Le général Dourakine m'a été cédé pour 5 euros.
De suite j'ai vérifié. Je n'avais rien oublié de la fessée subie par Madame Papofski

lundi, 09 février 2015

poursuivre le chant de Fatima Zohra Imalayen

en merci à Gérard, Noëlle, Bénédicte

 

Dans le soleil, dans les nappes de sang, dans le gémissement de la femme violée, dans la plainte de l'exilée, dans le sourire tenace de l'écrivaine, continuer de faire entendre le Chant d'Assia Djebar.

 

Un garde sous les cerisiers
regarde
Le soir qui descend dans la sombre vallée


Des faces derrière du fil barbelé
s'effacent
Dans le sable que chasse midi de juillet


Un sanglot entre deux barreaux d'acier
longe
Le songe de nos longs jours d'été


Un cri dans les flammes de la forêt
a lui
Dans la nuit aux lueurs étoilées


Les douves dans les ruines d'un palais doré
recouvrent
Le chant d'un homme écartelé


L'anémone et la fleur d'amandier
parent
Le front d'un masque ensanglanté


Un garde décapité
regarde
Le soir qui descend dans  la sombre vallée.

SOUS LES CERISIERS
1964

dimanche, 08 février 2015

merci à Fatima Zohra Imalayen dite "Assia Djebar".

Comme un silence blanc autour des textes
de cette Femme

et en ligne d'horizon proche
Mouloud Feraoun, Kateb Yacine,
dans un plus lointain
Taos Amrouche, Jean Sénac,
Boualem Sansal,
Albert Camus

 

Ma poésie n'est que murmures
Voix de rouge-gorge ou son de cuivre
Fuient mon masque arabe troué
Même quand je tisse quelques mots français
Je retrouve mon langage étranger.

1967.

 

Cet extrait des Corps enlacés
comme une vaste métaphore
de mon entrée dans une "algérianité" que j'ai l'audace de revendiquer.

 

   Est-ce au cours de cette descente vers la mer ou le lendemain, dans un des camions du convoi, sous la pluie..., qu'un certain Bernard se confie à celui qui fera le récit de ces jours d'El Aroub, et évoque ce qu'il n'oubliera plus?...

  La veille du départ, en pleine nuit, Bernard sans armes rampe sur les genoux et les coudes, passe dans le noir entre deux sentinelles, progresse, tâtonne dans le village, jusqu'à ce qu'il trouve une ferme au toit à moitié effondré, à la porte presque entièrement arrachée.

  — Là, avoue-t-il, dans la journée, une jolie Fatma m'avait souri ! Il se glisse sans frapper. Il doit être une heure trente du matin. Il hésite dans le noir, puis gratte une allumette : devant lui, une assistance féminine, recroquevillée en cercle, le regarde ; presque toutes sont de vieilles femmes ou le paraissent. Elles sont serrées les unes contre les autres ; leurs yeux luisent d'effroi et de surprise...
   Le Français sort de ses poches des provisions en vrac, qu'il distribue hâtivement. Il va et vient, il rallume une allumette; ses yeux qui cherchaient rencontrent enfin « la jolie Fatma » qui avait souri. Il la saisit aussitôt par la main, la redresse.
   Le noir est revenu. Le couple se dirige au fond de l'immense pièce, là où l'ombre est de suie. Le cercle des vieilles n'a pas bougé, compagnes accroupies, sœurs du silence, aux pupilles obscurcies fixant le présent préservé : le lac du bonheur existerait-il?...
   Le Français s'est déshabillé. « Je me serais cru chez moi », avouera-t-il. Il presse contre lui la jeune fille qui frémit, qui le serre, qui se met à le caresser.
   « Si l'une des vieilles allait se lever et venir me planter un couteau dans le dos ? » songe-t-il.
   Soudain, deux bras frêles lui entourent le cou, une voix commence un discours de mots haletants, de mots chevauchés, de mots inconnus mais tendres, mais chauds, mais chuchotés. Ils coulent droit au fond de son oreille, ces mots, arabes ou berbères, de l'inconnue ardente.
   « Elle m'embrassait de toutes ses lèvres, comme une jeune fille. Imagine un peu ! Je n'avais jamais vu ça!... A ce point-là! Elle m'embrassait! Tu te rends compte?... M'embrasser ! C'est ce petit geste insensé surtout que je ne pourrai oublier ! »

  Bernard est retourné au camp vers trois heures du matin. A peine endormi, il sera réveillé en sursaut : il faut quitter le village à jamais.


   Vingt ans après, je vous rapporte la scène, à vous les veuves, pour qu'à votre tour vous regardiez, pour qu'à votre tour, vous vous taisiez. Et les vieilles immobilisées écoutent la villageoise inconnue qui se donne.
   Silence chevauchant les nuits de passion et les mots refroidis, silence des voyeuses qui accompagne, au cœur d'un hameau ruiné, le frémissement des baisers.

 

Troisième partie : LES VOIX ENSEVELIES
Quatrième Mouvement
Les voyeuses
   Corps enlacés
pp. 293-295.

 

 

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J'ai libéré le jour
de sa cage d'émeraude
comme une source vive
il glissa de mes doigts.

J'ai libéré la nuit
de la tombe de l'onde
comme un manteau de pluie
elle retomba sur moi.

J'ai libéré le ciel
de son lit d'amarantes
dans un éclair d'orgueil
il s'envola en roi.

J'ai lancé le soleil
sur la scène du monde
l'ombre était si profonde
qu'il devint hors-la-loi.

POÈME AU SOLEIL
1956

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 et aux confins
Ibn Khaldoun

 

 Post-scriptum : Les deux poèmes sont  tirés  de « poèmes pour l'algérie heureuse", un mince recueil édité par la Société Nationale d'Édition et de Diffusion d'Alger, acquis dans une librairie à Bou Saada, le 2 novembre 1977.

mercredi, 21 janvier 2015

jour d'hiver

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Toute la nuit
les bambous gèlent

Matin de givre

Matsuo Munéfasa
dit Bashō
Seigneur ermite

 

 

Sorti de l'amoncellement des livres, des écrits, des images, j'aimerais bien un ermitage encerclé de roseaux.

jeudi, 15 janvier 2015

bon à savoir

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mardi, 13 janvier 2015

En ces jours troublants, troublés, troubles

Je n'ai pas écrit. Ou si peu.
Ceci, le jour même du massacre des journalistes de Charlie Hebdo.

                           Les tueurs ont la lâcheté des fuyards,

Les tueurs ont bien été abattus. Nous étions donc entrés en guerre ?


Je n'ai participé à aucune manifestation.
Je n'exalte pas le CRAYON, précédé jadis par le stylet, le pinceau, la plume, accompagné aujourd'hui du clavier prolongé par l'écran.

                           Trop souvent ils ont précédé l'Arme.

 

10:22 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 05 janvier 2015

Vautier est mort

Ce dimanche, en fin d'après midi, j'ai compris pourquoi au début du flot la mer bretonne s'était engrisée dans le deuil.

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Le corps de René s'est évanoui dans des horizons incertains entre mer d'Iroise et gorges aurèsiennes de l'Oued Abiod.

Je dis "René". Il n'aurait pas aimé que de lui je dise qu'il fut mon maître ès cinéma. C'était un compagnon — camarade, aurait-il précisé — de plus d'ancienneté qui accompagnait avec passion et rigueur souriantes ses compagnons plus jeunes. Je l'avais accueilli, fin 1962, à Biskra au seuil des Aurès libres. Il lançait les CINE-POP Algériens et, une semaine durant, je l'ai trimbalé dans ma 2 CV camionnette avec mon projecteur DEBRIE 16 mm  entre Tolga et T'Kout. Dans les galettes d'alu, il y avait Alexandre Nevsky et un certain Drapeau du Forgeron...

Au printemps 1963, sous l'égide du ministère algérien de la Jeunesse et des Sports, Bouteflihka en étant le ministre et Hervé Bourges, le chef de cabinet, René organisa, à Tixeraïne-El Riath, un regroupement des chefs des ex-Centres Sociaux Éducatifs*, pour consolider la structure des "Ciné-Pops". Il était accompagné, entre autres cinéastes internationaux et ...révolutionnaires (!), d'un jeune assistant frais émoulu de Sciences Po qui se préparait sans doute à rejoindre les maquis sud-américains, Régis Debray...

J'ai revu et l'un et l'autre dans les années 1980-2000 au hasard de projections, de manifestations culturelles, de signatures : l'évocation de ces moments fut toujours une très forte charge d'émotion.

Pressentiment de la mort de René : avant Noël, je venais de m'offrir, chez les Mutins de Pangée, le coffret DVD de ses films algériens.

 

 * Fondés en 1956, lors de la guerre d'indépendance, par Germaine Tillion.
À quand, par la Cinémathèque de Bretagne, la publication des entretiens que Germaine Tillion et René Vautier eurent longtemps après ce combat que l'une et l'autre menèrent avec des armes qui peuvent paraître fort opposées, mais furent également libératrices ?
Ces entretiens furent projetés aux Archives départementales de Loire-Atlantique, il y a trois ou quatre ans. J'avais été sollicité comme intervenant lors du débat qui suivit la projection.

samedi, 03 janvier 2015

soixante ans de "poches" et de bonheur qui commencent ainsi

Mon premier poche : Terre des hommes de Saint-Exupéry, le 68,  le 20 août 1954.
Le deuxième : Le Zéro et l'Infini d'Arthur Kœstler, le 35, le 6 décembre de la même année.
Le troisième : Journal d'un curé de campagne de Georges Bernanos, le 103, en février 1955.

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Ils ne coûtaient que 150 fr — en "anciens francs" — et s'achetaient au sous-sol de la "grande surface" nantaise d'alors, chez Decré. Les premiers bouquins d'adolescence, pour moi tout seul, de "vrais" bouquins qui changeaient des minces classiques de Gigord, Hatier ou Larousse.

Le zéro et l'infini nous avait été proposé par notre professeur de Philo, Jacques Dujardin, pour illustrer ses cours sur le Marxisme. Dans le milieu de mes "Bons Pères, je ne me souviens pas d'un anticommunisme viscéral. Le Goulag n'était pas encore dans l'actualité, mais les procès de Moscou n'étaient pas ignorés. Dois-je avouer que longtemps d'Arthur KŒSTLER ce que je retins ce furent, dans les troubles bien tardifs d'une sexualité adolescente,  "les seins dorés comme des pommes" : cet extrait d'un dialogue tapé contre le mur de la cellule en "alphabet quadratique"

COMBIEN DE TEMPS Y A-T-IL QUE VOUS AVEZ
COUCHÉ AVEC UNE FEMME?
Il avait certainement un monocle; il s'en servait sans doute
pour taper et son orbite dénudée était prise de tics nerveux.
Roubachof n'éprouva aucune répulsion. Du moins, cet homme
se montrait tel qu'il était; c'était plus agréable que s'il avait
tapé des manifestes monarchistes. Roubachof réfléchit un peu,
puis il tapa :
IL Y A TROIS SEMAINES.
La réponse vint aussitôt :
RACONTEZ-MOI TOUT.
Vraiment, il allait un peu fort. Le premier mouvement de
Roubachof fut de rompre la conversation; mais il se souvint
que son voisin pourrait par la suite devenir très utile comme
intermédiaire avec le n°400 et les cellule au-delà. La cellule
à sa gauche était évidemment inhabitée; la chaîne s'arrêtait
là. Roubachof se cassait la tête à chercher une réponse. Une
vieille chanson d'avant la guerre lui revint à l'esprit; il l'avait
entendue quand il était étudiant, dans quelque music-hall où
des femmes aux bas noirs dansaient le cancan à la française.
Il soupira d'un air résigné et tapa avec son pince-nez :
LES SEINS DORÉS COMME DES POMMES...
Il espérait que c'était le ton juste. Il avait bien deviné, car
le N° 402 insista :
CONTINUEZ. DES DÉTAILS.
Maintenant il devait certainement se tirailler nerveusement
la moustache. Il ne pouvait manquer d'avoir une petite
mous
tache aux bouts frisés. Le diable l'emporte; il était le seul
in
termédiaire; il fallait rester en relations. De quoi parlaient les
officiers dans leur mess? De femmes et de chevaux. Roubachof
frotta son binocle sur sa manche et tapota consciencieusement :
DES CUISSES DE POULICHE SAUVAGE...
Il s'arrêta, épuisé. Avec la meilleure volonté du monde il
n'en pouvait plus. Mais le N° 402 jubilait...*

Pour les "cuisses de pouliche sauvage", l'Apollinaire des Poèmes à Lou, clandestinement introduit entre grammaire latine de Petitmangin et grammaire grecque de Ragon, m'avait déjà sensibilisé à la sensualité équestre des artilleurs de 14/18.

Ce fut aussi l'année de la triade poétique, avec mes trois "Seghers" : René Guy Cadou, René Char, Henri Michaux. Tout aussi clandestins que l'Apollinaire.
Ajouts au Claudel des Cinq grandes Odes pour la gloire catholique et aux Méharées de Théodore Monod pour le voyage — eux, avaient obtenu le "nihil obstat" du préfet de discipline — ces trois Livres de Poche et ces trois Seghers m'établissaient Lecteur.

 

 

* Arthur KŒSTLER, Le zéro et l'infini, Le Livre de Poche, n°35, 1954

 

 

vendredi, 02 janvier 2015

pas de vœux, juste un encouragement

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La tourelle des Perdrix, dans l'estuaire de la rivière de Pont-l'Abbé.

lundi, 29 décembre 2014

Va se clore bientôt le temps des septantes

 

Étonnant - mais l'est-ce vraiment ? -  ce choix de quelques-unes de mes images quand "Face de bouc" me  propose de résumer ainsi mon année 2014

 

 La tombée du jour.jpg

Errant aux fins de terre

 

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quand de jours anciens surgit l'Étrangère

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Et que s'offre à l'homme de vent la fleur d'or dans son écrin de feu

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Ne s'oublie pas, compagnon, le poing levé droit

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 Quand s'annoncent les octobres de révolte 

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Et des jours d´amours violentes à en briser les chaînes

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 Passée la frontière à l'infini se multiplie le visage de L'Étrangère

 

 

 

* Sculptures d'Evelyne Galinsky, dessins d'Ernest Pignon-Ernest et d´Émilie Bransac, portrait de Maiakovsky.

mardi, 23 décembre 2014

le mirabellier d'Étienne

 

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Les Dogons érigent, passé le temps des rites funéraires, une poterie-autel pour le mort qui accède ainsi au statut d'ancêtre, l'antecessor, celui qui précède, l'éclaireur. Nous, l'avant-veille de ce solstice d'hiver, avons planté un mirabellier, l'arbre des merveilles, pour Étienne, notre compagnon d'Éducation populaire.

Etienne, l'homme de la douceur et de l’empathie, mais aussi celui du combat et de la force. Plus de trente ans à ouvrir ensemble des chantiers d'écriture et de lecture, accompagnant des adultes et leur proposant nos modestes outils.
Quand le temps fut venu pour moi d'abord, pour lui ensuite, de remiser notre métier et de ranger nos boites à outils, nous avons poursuivi l'entretien.

Vint la fin du printemps 2011. Notre ultime lecture commune fut La traversée des catastrophes de Pierre Zaoui ; sans doute était-elle trop tardive ? La maladie le recouvrait, déjà, nous n'étions plus sur la même rive.

Nous avons maintenu le bavardage.

Le verdict de la mort est un discours sans réponse possible pour le vivant : il vient d'au dehors de la vie sensible et s'y éteint en l'éteignant. Si la vie ne cesse de nous apporter des nouvelles de morts, elle ne nous a pas donné d'oreilles pour les entendre significativement. C'est pourquoi le discours de la mort impose généralement le silence et l'éloignement des vivants du mourant : on ne peut parler de ce qui n'a pas de réfèrent dans l'ordre de la vie, de ce qui ne se partage pas, à moins d'attrister la vie, et encore pour des prunes — la compassion avec les mourants est la plus stupéfiante des escroqueries, comme si l'on pouvait partager ensemble une souffrance que ni l'un ni l'autre n'éprouve en tant que souffrance déterminée, renvoyant à un réfèrent commun ou analogue.

La mort d'autrui exige ceci : ce que l'on ne peut pas dire, il faut malgré tout parvenir à le parler. Mais alors parler pour dire quoi, si l'on ne peut pas dire la mort ? Parler d'autre chose ? Parler pour ne rien dire et pour passer le temps ? Bavarder ? D'abord oui, évidemment oui...

                                                                                Pierre Zaoui.

Trois ans plus tard.
L'avant veille de ce solstice d'hiver, Alain et Didier ont creusé et planté ; je n'ai fait qu'arroser abondamment le Mirabellier.

 

à Marie, sa compagne,
à l'autre Marie
,
aux Compagnons.

15:35 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)

jeudi, 18 décembre 2014

en cette mi-décembre trop sombre

 

un après-midi brumeux, comme ce jourd'hui, un de ces jours comme abandonnés, j’avais parcouru lentement le Musée, guettant l’émotion qui allait sourdre ou non, l’œil paresseux...



Et puis, il y eut Cassandre*,

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cette blancheur nue
brisée dans le sang d’une guerre à peine achevée et dont le massacre se poursuit encore...

Visage haussé vers le ciel noir, pour l’ultime prière au dieu, à n’importe quel dieu !

La flamme qui brûle sur l’autel, pensée d’une foi moribonde ?
Dans les plis du vêtement jeté, ensanglanté
de violence et de feu,  sur l’angle d’une stèle, se devine
un harnachement d’homme de guerre...

Comme image de ma mort à-venir, cette longue, belle et froide nudité.






*Au Musée des Beaux-Arts de Nantes, tableau de Jérôme-Martin Langlois, 1779-1838.

lundi, 24 novembre 2014

in memoriam

 

 

dans l'ombre portée de sa mort

depuis ce lundi 24 novembre 1964, je l'imagine, Elle, mon Analphabète,
conversant avec mes vieux copains de génie que je fréquentais alors dans mes livres.

Elle, silencieuse, était attentive à mille vies infimes et humbles