samedi, 14 novembre 2015
noire dignité pour repousser la peur
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mardi, 03 novembre 2015
une si grossière erreur
Elle a duré plus de soixante-cinq ans.
Depuis les premiers émois amoureux et les premières lectures de Joachim.
Après le petit Lyré et la douceur angevine, entre les Ceux qui sont amoureux et les Messer non ou bien les Messer si, entre un conclave enserré et dix cardinaux en vente, il y avait ceci, tout ceci :
Ô beaux cheveux d’argent mignonnement retors !
Ô front crêpe et serein ! et vous, face dorée !
Ô beaux yeux de cristal ! Ô grand’bouche honorée,
Qui d’un large repli retrousses tes deux bords !
Ô belles dents d’ébène ! Ô précieux trésors,
Qui faites d’un seul ris toute âme enamourée !
Ô gorge damasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, dignes d’un si beau corps !
Ô beaux ongles dorés ! ô main courte et grassette !
Ô cuisse délicate ! et vous, jambe grossette,
Et ce que je ne puis honnêtement nommer !
Ô beau corps transparent ! ô beaux membres de glace !
Ô divines beautés ! pardonnez-moi, de grâce,
Si, pour être mortel, je ne vous ose aimer.
Tout ceci : qui rassemblait ce qui était visible et ce qui était invisible, connu et inconnu, su et seulement deviné et, ce qui ne pouvait être honnêtement nommé... L'enrobage litanique, ces Ô et ces ! à chaque vers, sinon même à chaque hémistiche, aggravait l'émotion. Aucune laideur n'était envisageable.
Le "prof" pouvait bien parler de pétrarquisme, de préciosité, demeurait le mystère de la gorge damasquine, des grands beaux tétins — Ô ces tétins ! — de la délicate cuisse ; sur la chose innomée, étaient posés des mots lus ailleurs, dans la clandestinité des poèmes non autorisés ou dans la banalité triviale du dictionnaire de langue française : le mont de Vénus, le sadinet, la vulve.
Quand la plus Belle et Première dévoila ses secrets, le poème, n'étant que littérature, fut mis de côté.
Plus tard repris et relu, il prit rang dans la poésie érotique de qualité. Le Pétrarquisme masquait toujours les "laideurs" (!) que ce diable de Joachim, dans son mépris pour toutes les pompes romaines et vaticanes, avait subrepticement glissées.
Me souviens que seules m'avaient longtemps interloqué les belles dents d'ébène.
* Le sonnet est le 91e (XCI) des Regrets.
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lundi, 02 novembre 2015
Il y a soixante ans...
Il y a dix ans, je fus très prolixe sur ce blogue : trois ou quatre notes publiées entre le 20 octobre et le 2 novembre 2005 pour "célébrer" le cinquantenaire de mon premier grand voyage.
La première note, du 20 octobre qui évoque la préparation :
Ce jour du 19 octobre 1955, il a préparé sa belle cantine neuve, riche de toutes les rouilles et cabossés à venir ; la veille, il a peint avec soin, sur la tôle verte, son prénom et son nom, Ancenis d'où il part, Bongouanou où il va. Sa mère lui a préparé, une fois encore, son "trousseau"...
La seconde du 2 novembre 2005, qui relate cette missive du 2 novembre 1955, missive rédigée en style quasi télégraphique, et sur la fin du voyage, et sur les premières heures enchantées, griffonnée d'un stylo qui s'assèche d'avoir trop tracé l'exotisme de longues lettres postées de Casablanca, de Dakar, de Conakry, de Sassandra, durant ces onze jours de voyage maritime :
Deux novembre, arrivée à Abidjan. Tout va très bien, accueil chaleureux... Lettre suit. Bons baisers.
Paradoxal d'évoquer ce vécu d'il y a soixante ans quand ces jours-ci de cure thermale sont centrés sur la lecture des Regrets de Joachim Du Bellay, "journal" poétique d'une nostalgie qui baigna mon adolescence et que je n'ai que si peu éprouvée ensuite lors de mes parcours terrestres et marins.
Si peu, mais parfois : ainsi cet après-midi du 3 novembre qui suit mon arrivée, je m'écroule en larmes dans un jardin d'Abidjan-Plateau, désemparé par le sentiment intense oscillant entre la solitude et l'égarement.
Parti, soit, mais pas encore arrivé...
Cet ébranlement, aujourd'hui encore, d'être, sur terre, partout chez moi et cependant toujours l'étranger.
à Loïc qui fut l'un des destinataires préférés de ces lettres "exotiques", nous souvenant d'Hélène, notre grande-tante, qui, fille de modestes paysans des Marches de Bretagne et du Bas-Poitou, partit vers les années 1890 pour les îles de Papouasie, nous ouvrant les horizons du monde.
19:08 Publié dans les voyages | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 31 octobre 2015
quand Joachim peut initier à l'histoire maritime
Hors les tous derniers Regrets platoniquement — soi-disant ? — adressés à Marguerite, les sonnets — plus de cinquante — écrits, après le retour de Joachim en France, me semblaient être trop sonnets de courtisan, sans être de "lèche-bottes", pour m'inciter à une lecture autre que de survol.
Mais voilà que la règle du jeu que le curiste s'est imposée, a donné à lire, dès l'entrée au vestiaire, le CLXVI. Lu avec étonnement, une heure plus tard, entre illutation et douche pénétrante.
Combien que ta vertu, Polin, soit entendue
Partout où des Français le bruit est entendu,
Et combien que ton nom soit au large étendu
Autant que la grand’ mer est au large étendue :
Si faut-il toutefois que Bellay s’évertue,
Aussi bien que la mer, de bruire ta vertu,
Et qu’il sonne de toi avec l’airain tortu
Ce que sonne Triton de sa trompe tortue.
Je dirai que tu es le Tiphys du Jason
Qui doit par ton moyen conquérir la toison
Je dirai ta prudence et ta vertu notoire :
Je dirai ton pouvoir qui sur la mer s’étend,
Et que les dieux marins te favorisent tant,
Que les terrestres dieux sont jaloux de ta gloire.
Etonné oui, et ravi, parce que le poète courtisan qui n'est pas mon Joachim préféré me dévoile un pan totalement ignoré de l'histoire maritime de la France.
Qui donc est ce Polin ?
Une note de bas de page, s'ajoutant à quelques recherches : voici Antoine Escalin des Aimars, dit Polin, seigneur de Pierrelatte, Général des Galères du Roi de France, né et mort à La Garde-Adhémar (1498 ?-1578). Il fut l'envoyé de François Ier près de Soliman le Magnifique à Constantinople, s'allia à Kheireddine, le Barberousse algérois, pour contrer la flotte de Charles-Quint.
François Ier jusqu'à ce sonnet : c'était le vainqueur de Marignan, le prisonnier de Pavie, l'admiration pour le Grand Logis du Château des Ducs de Bretagne, l'ordonnance royale de Villers-Cotterêts légiférant sur la langue française. J'ignorais tout de sa politique maritime.
Et Joachim de me faire réouvrir les Argonautiques d'Apollodore d'Athènes pour vérifier que nous avons bien, à cinq bons siècles d'écart, les mêmes sources grecques — à moins que ce ne soit celles de Diodore de Sicile ou d'Apollonios de Rhodes :
Τῖφυς Ἁγνίου, ὃς ἐκυβέρνα τὴν ναῦν,
Tiphys, fils d’Hagnius, qui tient le gouvernail du vaisseau
Tiphys est bien le skipper d'Argo, le vaisseau de Jason et sa cinquantaine de héros, Jason évoqué sans être nommé par le poète dans son plus célèbre sonnet, le XXXI :
pourquoi
Ou comme cestuy là qui conquit la toison.
Et non
Ou comme ce Jason qui conquit la toison
qui nous aurait valu deux beaux hémistiches.
Me faut-il réécrire Du Bellay ? J'y vas : par passion pour l'océan, la chute du fameux sonnet serait
Et plus que l'air romain la douceur angevine
J'aime trop le Joachim de mon adolescence pour ne pas lui être sacrilège. J'en veux sans doute au courtisan...
20:14 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets, Les antiques, les marines | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 26 octobre 2015
quand Joachim a peut-être le mal de mer
à Roger Morel, celui des bords de Vilaine
qui est un Morel plus récent que celui des REGRETS,
pour cette belle passion partagée : la mer et le vent,
un même port nous ayant rapprochés.
Au mitan de cette cure aux Thermes de Barbotan, la numérotation de mes salles de soins me fait rejoindre un Du Bellay triste et mélancolique dont, depuis son fameux « Heureux qui comme Ulysse… » (XXXI), toujours de la maison le doux désir (le)point. (XXX).
Le secrétaire-intendant depuis le XVII accumule le lexique et les métaphores du voyage maritime et de ses aléas, de l’errance et de l’exil étranger :
erré sur le rivage — vers le Nautonier sourd — pour payer le naulage — tirant à la rame — la rive latine — hausser les voiles, dresser le gouvernail, épier les étoiles — être ancré désormais — le vent à gré — des flots marins, lourdement outragé — sauvé du naufrage — en cette mer, nagé — cette mer romaine, de dangereux écueils et de bancs toute pleine — si tu ne sais nagé d’une voile à tout vent — aller de port en port — et voyage toujours sans penser au retour — perdre en voyageant le meilleur de (son) âge.
Le poète parvient au seuil du XXXIV avec cette métaphore désabusée qui clôt le dernier tercet du XXXII :
Ainsi le marinier souvent pour tout trésor
Rapporte des harengs au lieu de lingots d’or,
Ayant fait, comme moi, un malheureux voyage
Ce sonnet XXXIV est entièrement marin et, curieusement d'actualité, quand on songe à ces voiliers de la Transat du Café (laidement dite transat Jacques-Vabre) lancés depuis Le Havre vers les Amériques et qui depuis ce matin affrontent, — non pas une tempête, les média, toujours, exagèrent pour entretenir le suspense — mais une belle dépression qui génère un avis de grand frais avec des vents Sud de 30 à 35 nœuds.
Ne pas oublier ce que sont ces textes : un projet d'écriture, un labeur sur la langue qui s'énonce et s'affine tout au long des trente premiers sonnets, selon les situations évoquées et la relation que le poète entretient avec ses interlocuteurs : les "copains" de la Pléiade — Ronsard, Peletier, Belleau...—, les amis — Morel, Magny, Gordes...
Ainsi, Joachim "touitte" à Magny dans le XII :
Vu le soing mesnager dont travaillé je suis,
Vu l’importun souci qui sans fin me tourmente,
Et vu tant de regrets desquels je me lamente,
Tu t’esbahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis :
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante :
Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits.
Ainsi chante l’ouvrier en faisant son ouvrage,
Ainsi le laboureur faisant son labourage,
Ainsi le pèlerin regrettant sa maison,
Ainsi l’avanturier en songeant à sa dame,
Ainsi le marinier en tirant à la rame,
Ainsi le prisonnier maudissant sa prison.
Dans le Sonnet XXIV, Joachim se retrouve donc comme "le marinier tirant à la rame", et pis même, comme l'énonce, avec une belle dose d'humour noir, la clôture dans le dernier vers du second tercet :
Comme le marinier, que le cruel orage
A longtemps agité dessus la haute mer,
Ayant finalement à force de ramer
Garanti son vaisseau du danger du naufrage,
Regarde sur le port, sans plus craindre la rage
Des vagues ni des vents, les ondes écumer :
Et quelqu’autre bien loin, au danger d’abîmer,
En vain tendre les mains vers le front du rivage :
Ainsi, mon cher Morel, sur le port arrêté,
Tu regardes la mer, et vois en sûreté
De mille tourbillons son onde renversée :
Tu la vois jusqu’au ciel s’élever bien souvent,
Et vois ton Du Bellay à la merci du vent
Assis au gouvernail dans une nef percée.
18:12 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets, les marines, les voyages | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 24 octobre 2015
La Pléiade — ou presque — pour un vers ou deux
C'est le Cent-cinquante-sixième sonnet des Regrets.
Ne manque que Pontus de Tyard et la Pléiade serait au complet.
Par ses vers téïens Belleau me fait aimer
Et le vin et l’amour ; Baïf, ta challemie
Me fait plus qu’une reine une rustique amie,
Et plus qu’une grand ville un village estimer.
Le docte Pelletier fait mes flancs emplumer,
Pour voler jusqu’au ciel avec son Uranie ;
Et par l’horrible effroi d’une étrange harmonie
Ronsard de pied en cap hardi me fait armer.
Mais je ne sais comment ce démon de Jodelle
- Démon est-il vraiment, car d’une voix mortelle
Ne sortent point ses vers - tout soudain que je l’oy,
M’aiguillonne, m’époint, m’épouvante, m’affole,
Et comme Apollon fait de sa prêtresse folle,
À moi-même m’ôtant, me ravit tout à soi.
Ce matin, lors de mon soin d'illutation - allongé nu sur un lit de boue végétale, vous êtes enduit aux chevilles, aux genoux, aux hanches, aux épaules et sous la nuque d'une épaisse couche de cette même boue si agréablement portée à la température de votre corps, maintenue un quart d'heure durant, grâce à une bâche légère qui vous recouvre, vous entraînant dans une régression prénatale propice à la mise en goule d´un sonnet par exemple, même de son seul commencement et de son rejet au second vers, que vous allez psamoldier à l'envie,comme ceci que vous avez découvert à votre entrée aux Thermes, parce que votre numéro de vestiaire est le 156.
...Par ses vers téïens Belleau me fait aimer
Et le vin et l’amour ....
La tiède douceur des boues,
...Par ses vers téïens Belleau me fait aimer
Et le vin et l’amour ....
La douce tièdeur des boues, comme la prêtresse folle d'Apollon, la Pythie, qui
M’aiguillonne, m’époint, m’épouvante, m’affole...
...À moi-même m’ôtant, me ravit tout à soi.
Note-Bene : le mot "téïens" se dit en trois syllabes té / ï / ens. Il vient de la ville de Téos, d'où était originaire le poète Grec Anacréon (VIe siècle avant notre ère) ; Rémy Belleau en offrit une traduction..
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mercredi, 21 octobre 2015
à Rome point de thermes (?) pour Joachim
L’entrée aux Thermes s’est faite, ce matin, par le n°545.
Joachim a clos ses Regrets, sur le cent-quatre-vingt onzième sonnet ; j’ai dû me contenter d’additionner les trois chiffres de mon vestiaire et je suis entré au sonnet XIV dans le vif du sujet : "de quoi" des vers servent-t-ils ? En ces temps de déprime, de harcèlement, de syndrome d’épuisement professionnel — je bannis le « burn-out », cet anglicisme si laid qui dans sa brièveté ne fait que s’amplifier dans la détresse — ces neuf raisons d’écrire des vers et leurs conséquences devraient pallier les antidépresseurs.
Sonnetisons donc. Ou plutôt, « touittons » — je ne refuse point, ici, l’anglicisme refrancisé, puisqu’il s’agit bien, n’est-ce pas, d’un mot surgi d’une onomatopée !
Après ceux à Panjas et Bailleul, voici le "touitt" à Boucher
XIV
Si l’importunité d’un créditeur me fasche,
Les vers m’ôtent l’ennui du fâcheux créditeur :
Et si je suis fasché d’un fascheux serviteur,
Dessus les vers, Boucher, soudain je me défasche.
Si quelqu’un dessus moi sa colère délasche,
Sur les vers je vomis le venin de mon cœur :
Et si mon faible esprit est recru du labeur,
Les vers font que plus frais je retourne à ma tasche.
Les vers chassent de moy la molle oisiveté,
Les vers me font aymer la douce liberté,
Les vers chantent pour moi ce que dire je n’ose.
Si donc j’en recueillis tant de profits divers,
Demandes-tu, Boucher, de quoi servent les vers,
Et quel bien je reçois de ceux que je compose ?
Pour accéder au trente-cinquième sonnet, je n’ai que déposé mon peignoir et mes socs pour affronter un quart d’heure durant un tiède contre-courant à 35 °et achever mon parcours en descendant cinq marches qui me plongèrent dans une eau à 20° fort revigorante.
XXXV
La nef qui longuement a voyagé, Dillier,
Dedans le sein du port à la fin on la serre :
Et le bœuf, qui longtemps a renversé la terre,
Le bouvier à la fin lui ôte le collier ;
Le vieux cheval se voit à la fin délier,
Pour ne perdre l’haleine ou quelque honte acquerre ;
Et pour se reposer du travail de la guerre,
Se retire à la fin le vieillard chevalier ;
Mais moi, qui jusqu’ici n’ai prouvé que la peine,
La peine et le malheur d’une espérance vaine,
La douleur, le souci, les regrets, les ennuis,
Je vieillis peu à peu sur l’onde ausonienne,
Et si n’espère point, quelque bien qui m’advienne,
De sortir jamais hors des travaux où je suis.
Certains critiques — professeurs… certifiés…, agrégés…, autres… — prétendent que, dans les Regrets, Du Bellay n’est qu’un poète-stratège qui tient à capter la bienveillance du lecteur sur son pénible sort de larbin exilé ; en réthorique latine, ça aurait nom captatio benevolentiæ.
Mon droit de lecteur me fait lire son recueil comme une autobiographie et son expérience romaine très charnellement vécue dans la tristesse, la désespérance, l’ironie mordante, la rage parfois, ne fait que hausser le lyrisme de sa langue.
La douleur, le souci, les regrets, les ennuis
Dans les années 1550, l’avenir des retraites se poserait donc déjà ? et Du Bellay ignore que lors de sa future installation au cloître de Notre-Dame de Paris, il bénéficiera de 3 000 francs et de menus (?) bénéfices ecclésiastiques.
XI
Bien qu’aux arts d’Apollon le vulgaire n’aspire,
Bien que de tels trésors l’avarice n’ait soin,
Bien que de tels harnois le soldat n’ait besoin,
Bien que l’ambition tels honneurs ne désire :
Bien que ce soit aux grands un argument de rire,
Bien que les plus rusés s’en tiennent le plus loin,
Et bien que Du Bellay soit suffisant témoin
Combien est peu prisé le mestier de la lyre :
Bien qu’un art sans profit ne plaise au courtisan,
Bien qu’on ne paye en vers l’œuvre d’un artisan,
Bien que la Muse soit de pauvreté suyvie,
Si ne veux-je pourtant délaisser de chanter,
Puisque le seul chant peut mes ennuis enchanter,
Et qu’aux Muses je doy bien six ans de ma vie.
Le onzième sonnet qui n’est pour le lecteur que le hasard de la cabine pour douche pénétrante affirme à nouveau le projet d’écriture d’un homme sans illusions sur l’utilité de son art.
Mais pour soi, quel réconfort quand on est au fond du trou. Si loin du val de Loire, de Ronsard, de Baîf, de Belleau, de Magny, de Peletier, de son Olive angevine et sans doute plus secrètement de Marguerite.
15:44 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 19 octobre 2015
des sonnets en cure thermale
Après plus de deux mois de silence qui furent de petites errances marines, de rêvasseries et surtout de paresse, mais qu'il me fallait bien rompre pour fêter les onze années de ce blogue.
À Barbotan, barbotons allègrement dans de bonnes eaux tièdes, barbotons dans de bonnes boues tout aussi tièdes, douces et molles. Et quand les premières gelées matinales étoilent le pare-brise, le barbotant que, trois semaines durant, je suis, depuis cinq jours, devenu, barbotera dans le bonheur.
Mais entre les six soins qui me sont proposés — douche sous immersion, piscine de mobilisation, couloir de marche, illutation* générale, douche pénétrante et bain actif — il faut passer le temps. J'ai donc mis en poche Les Regrets de mon Joachim Du Bellay et me suis aidé de cette abondante "numérotation" — et non numéralogie — à laquelle m'astreint mon parcours de soins : du vestiaire à la douche, barbotant et pataugeant dans eaux et boues, de la douche au bain, pataugeant et barbotant dans boues et eaux, et du bain au vestiaire, pour le choix des sonnets à lire ou... relire.
Mais dès ce commencement, mon inclination à la dissidence m'a fait rompre cette règle de numérotation et opter pour le Sonnet XV, manière de rendre hommage à ce pays d'accueil qu'est Barbotan-les Thermes en... Armagnac qui n'est point seulement terre d'eaux thermales, mais aussi de vins frais, de grasses nourritures et de bel alcool d'or.
Or, en grand "blogueur" de Renaissance qu'est Joachim, il adresse ce texte à un sien compagnon et ami, Jean de Pardeillan, dit "Panjas" qui est lui aussi poète, lui aussi secrétaire d'un cardinal, un certain Georges d'Armagnac. D'où ce quinzième sonnet pour inaugurer ma cure.
C'est Du Bellay l'intendant, l'économe, le trésorier, le secrétaire de l'ambassadeur du roi de France près du Saint-Siège, un cardinal qui est son oncle. Mais comment fait-il pour être aussi poète ?
XV
Panjas, veux-tu savoir quels sont mes passe-temps ?
Je songe au lendemain, j’ai soin de la despense
Qui se fait chacun jour, et si faut que je pense
À rendre sans argent cent créditeurs contents.
Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps,
Je courtise un banquier, je prens argent d’avance :
Quand j’ay despesché l’un, un autre recommence,
Et ne fais pas le quart de ce que je prétends.
Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
Qui me dit que demain est jour de consistoire,
Qui me rompt le cerveau de cent propos divers,
Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui crie :
Avecques tout cela, dis, Panjas, je te prie,
Ne t’esbahis-tu point comment je fais des vers ?
Le numéro 4 fut, ce matin, mon vestiaire d'entrée : donc
le IV
Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs,
Je ne veux retracer les beaux traits d’un Horace,
Et moins veux-je imiter d’un Pétrarque la grâce,
Ou la voix d’un Ronsard pour chanter mes regrets
Ceux qui sont de Phoebus vrais poètes sacrés,
Animeront leurs vers d’une plus grand’ audace :
Moy, qui suis agité d’une fureur plus basse,
Je n’entre si avant en si profonds secrets.
Je me contenteray de simplement escrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves argumens.
Aussi n’ay-je entrepris d’imiter en ce livre
Ceux qui par leurs escrits se vantent de revivre
Et se tirer tout vifs dehors des monuments.
Joachim entre dans son projet romain d'écriture ; modeste, très humble, il souhaite "simplement écrire" en choisissant une forme brève mais contrainte, comme un "touitt" d'une certaine corpulence en 14 vers — à l'époque, on aurait écrit "épître" ou "lettre" — avec un destinataire qui fréquemment sera un de ses pairs et que l'on entretient de ses humeurs, de ce vécu "étrange" qui est l'ailleurs romain et qui laisse sourdre la nostalgie.
Le sonnet IV comme un vestiaire littéraire !
La nostalgie ? Voilà le sonnet 30 qui précède le ...31, ce 31 qui fit et accompagne toujours et encore la gloire de Joachim, de son petit Lyré, de son Loir gaulois, de la douceur angevine.
Comme un prélude...
Quiconques, mon Bailleul, fait longuement séjour
Soubs un ciel incogneu, et quiconques endure
D’aller de port en port cherchant son adventure,
Et peut vivre estranger dessous un autre jour ;
Qui peut mettre en oubly de ses parens l’amour,
L’amour de sa maistresse, et l’amour que nature
Nous fait porter au lieu de nostre nourriture,
Et voyage tousjours sans penser au retour ;
Il est fils d’un rocher, ou d’une ourse cruelle,
Et digne que jadis ait sucé la mamelle
D’une tigre inhumaine : encor ne voit-on point
Que les fiers animaux en leurs forts ne retournent,
Et ceux qui parmy nous, domestiques, séjournent,
Tousjours de la maison le doux désir les poingt.
Le numéro 30 n'est pour moi, très trivialement, que mon emplacement pour la douche sous immersion : la poésie est quotidienne et roborative !
* Illutation : terme utilisé dans les Thermes, de l'ancien français lut « boue, fange ». En maçonnerie, action d'enduire un mur de boue, d'argile. Em médecine on illute un patient en l'enduisant de boue...
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lundi, 27 juillet 2015
viatique pour une croisière
J'embarque pour une dernière croisière à bord de Dac'hlmat
Les Essais de MONTAIGNE
Arhtur RIMBAUD et ses Œuvres complètes
Les Amers de SAINT JOHN PERSE
Les Poèmes en archipel de René CHAR qui est une anthologie de ses textes
De BASHÔ, Seigneur ermite, l'intégrale de ses Haïkus.
S' y ajouteront, au gré des mouillages et des ports, les vents, les houles, les marées.
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lundi, 08 juin 2015
Robert Desnos a cent-quinze ans
Il fut le rêveur éveillé des sommeils surréalistes, il fut le joueur des mots, il fut amoureux, il fut fraternel, il fut l'un de nos derniers fabulistes, il fut le cinquième des Quatre sans cou.
Il avait le regard ineffablement doux des myopes
Il fut homme de liberté et de résistance.
Il fut arrêté un jour de février 44.
Ce furent alors de sombres jours, avec des lueurs d'espérance entre avril et juin 1945.
....
Les survivants du convoi atteignirent à Terezine. Il y avait là un fort avec des casemates, des cellules, une chambre de torture, une cour pour les exécutions capitales, une chambre à gaz, un four crématoire.
On empila à coups de crosse les arrivants dans des casemates. Très vite, celles-ci furent pleines. On entassa ce qui restait dans les cellules à raison de vingt par cellule. On poussa l'excédent dans la chambre à gaz.
Parmi ceux des casemates, quelques-uns furent conduits au Revier (infirmerie). On leur ôta leurs loques que l'on remplaça par d'autres loques où grouillaient les poux.
Et ce fut le typhus.
Le 3 mai 1945, les SS s'enfuirent tandis que les forces russes et les partisans tchèques faisaient leur entrée dans la forteresse.
C'était la liberté.
Ce n'était pas encore la vie.
Les libérateurs amenaient avec eux des médecins et des infirmiers. Il s'agissait de faire vite, de sauver ceux que l'on pouvait encore sauver, d'adoucir les derniers jours des mourants.
Certains traînèrent longtemps. Plusieurs semaines après la libération, dans la nuit du
3 au 4 juin, l'étudiant tchèque Josef Stuna, fut exceptionnellement de service à la baraque n° 1. Joseph Stuna compulsa les listes de malades.
Sur une des cartes, il lut : Robert Desnos, né en 1900, nationalité française. Or l'étudiant tchèque savait qui était Desnos, savait ce qu'était le Surréalisme, la poésie. Il avait lu les livres de Paul Eluard, d'André Breton... Il se souvint d'un portrait de Robert dans Nadja...
Le jour commençait de se lever et d'envahir le bloc. Josef Stuna chercha Robert Desnos parmi les 240 squelettes en- core vifs dont il avait la garde. Il s'arrêta devant l'un d'eux dont le regard presque éteint s'abritait derrière de grosses lunettes. Stuna s'approcha :
— Est-ce que vous ne connaissez pas le poète français Robert Desnos ? demanda-t-il.
Les yeux du moribond furent alors indicibles. Malgré sa faiblesse extrême, l'homme essaya de se dresser. Puis il dit :
— Le poète français... c'est moi.
Tout fut soudain inouï. Robert n'était plus seul. Un ami était là. Cet ami savait qui il était, connaissait sa poésie. Dès lors, il ne s'agissait plus de mourir. Josef Stuna alla chercher son amie, l'infirmière Alena Tesarova. Elle comprenait le français mieux que lui. Elle parla de longues heures avec le poète mourant.
Il était très fatigué. Les souffrances du dernier transport l'avaient épuisé. La fièvre ne descendait jamais au-dessous de 39,6. Josef Stuna et Alena Tesarova firent tout pour le
sauver.
Ces trois êtres, dont l'un était promis à la mort, parlèrent de tout : de Paris, de la Liberté, de la Fraternité, de la Poésie, des arbres, du vent, des océans. Desnos disait ce qu'avait été la Résistance française contre les Allemands et aussi ce qu'avait été le Surréalisme, cette résistance à l'obscurantisme du monde. Alena Tesarova lui apporta une fleur d'églantier. La fleur se fana très vite. Le poète la garda quand même près de lui.
Au bout de trois jours il entra dans le coma.
Le 8 juin à 5 heures du matin, il mourut.
Pierre Berger
Poètes d'aujourdhui n°16
Pierre Seghers éditeur, 1960
Il mourut donc libre.
Maintenant continuons de le lire.
Coucher avec elle
Pour le sommeil côte à côte
Pour les rêves parallèles
Pour la double respiration
Coucher avec elle
Pour l’ombre unique et surprenante
Pour la même chaleur
Pour la même solitude
Coucher avec elle
Pour l’aurore partagée
Pour le minuit identique
Pour les mêmes fantômes
Coucher avec elle
Pour l’amour absolu
Pour le vice
Pour les baisers de toute espèce
Coucher avec elle
Pour un naufrage ineffable
Pour se prouver et prouver vraiment
Que jamais n’a pesé sur l’âme et le corps des amants
Le mensonge d’une tache originelle
Coucher avec elle
1942
Vous avez le bonjour de Robert Desnos.
La photo de Robert Desnos, prise par Man Ray
et publiée dans Nadja d'André Breton
édition du Livre de Poche, 1964
Post-scriptum : En janvier 2005, il fut publié quelques notes sur ce blogue à propos du bouquin paru chez Seghers en 1960 ; je le tins entre mes mains sur le piton de Rhardous en mars 1961; il était alors, pour moi, cette lueur d'espoir comme seul, le Veilleur du Pont-au-Change, le poète de The night of loveless nights, des Sans cou, du Brochet et du Pélican pouvait la dispenser.
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mercredi, 27 mai 2015
le vrai Panthéon de Germaine
Son Panthéon, il est quelque part dans je ne sais quel désert, à moins qu'elle ne soit encore à deviser dans l'ombre d'une grotte aurèsienne pour "l'éternité... plus un jour", avec deux ou trois de ces Grands Vieux, les Imouqqranen, qui déjà lui attribuaient le statut de Grande Vieille.
Nous n'avons l'accès que d'un être humain — nous-même — et il est impossible d'inventorier les autres, si ce n'est par rapport à cet inventaire premier que nous ne pouvons trouver qu'en nous... Et oserais-je dire qu'on ne se connaît qu'à l'usage ?
Germaine Tillion
Fragments de vie, page 49.
Fondatrice des Centres Sociaux Éducatifs en Algérie, mon métier, je l'ai forgé en mettant mes pas dans les siens et elle fut l'une des plus fortes parmi mes "maîtres" de penser et d'agir.
à visiter
Germaine Tillion
10:47 Publié dans la guerre, les civiques | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 08 mai 2015
cette seule phrase pour cent Charlie Hebdos.
Je ne sais si cette phrase sera citée par les commissaires — quel titre paradoxal ! — dans l'exposition de la Bibliothèque Nationale de France sur les Écritures de Roland Barthes.
Zazie n'aurait pas mieux écrit, sans doute l'aurait-elle dit plus crûment.
Le texte est (devrait être) cette personne désinvolte qui montre son derrière au Père Politique.
Le plaisir du texte, page 84.
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mardi, 28 avril 2015
« ...n'étant de nul accrédités...»
Ce soir-là, je l'ai croisé dans l'ouvert de l'estuaire de Vilaine. Il allait toutes voiles offertes, vent arrière, cap sur la nuit.
©Nicléane
Dac'hlmat achevait sa première navigation de printemps. Nous rentrions à terre. J'étais paisible, mais las. Je l'enviais, ce partant. Mais,
De nul office n'avons-nous charge, n'étant de nul
accrédités — ni princes ni légats d'Empire,
à bout de péninsules, pour assister en mer l'Astre royal
à son coucher ; mais seuls et libres, sans caution ni gage,
et n'ayant part au témoignage... Une trirème d'or navigue,
chaque soir, vers cette fosse de splendeur où l'on verse à l'oubli
tout le bris de l'histoire et la vaisselle peinte des âges morts.
Les dieux vont nus à leur ouvrage.
La mer aux torches innombrables lève pour nous splendeur nouvelle,
comme de l'écaillé de poisson noir.
Saint-John Perse
Strophe, IX
Étroits sont les vaisseaux, VI
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dimanche, 19 avril 2015
un Homme des livres : François Maspéro II
« Chaque ménagère doit apprendre à diriger l'État »
Lénine
C'est l'exergue que place Fadéla M'rabet en tête de son dernier chapitre la femme algérienne. C'est mon deuxième bouquin de "chez Maspéro".
Avril 1965. Le ciel s'obscurcit déjà. Les résolutions du Congrès de Tripoli (juin 1962) sur l'avenir des femmes algériennes demeurent dans l'ombre.L'auteure journaliste et animatrice d'un magazine féminin à Radio Alger s'appuie sur les témoignages qu'elle recueille, dresse un tableau de la situation des femmes en 1965, affirme leurs souhaits, décrit les perspectives qu'il faudrait, enfin, envisager.
Sans complaisance, sans acrimonie, avec lucidité :« L'Algérienne est à inventer. »
Rabéa s'en est allée par delà les horizons de la Terre. Nous avions quitté le climat trop dur de Biskra pour la douceur marine d'Annaba. Je suis atrocement seul dans mes nuits algériennes.
Mais les jours sont habités par la douceur et l'amitié tendre de quelques-unes. Avec Zohra, Mériem, Nadja, nous relançons la bibliothèque de l'ancienne Maison des Jeunes et de la Culture saccagée en 61 par l'OAS ; c'était la seule d'Annaba avant l'implantation du Centre culturel français. À l'aide du Cours élémentaire de formation professionnelle édité par l'Association des Bibliothécaires Français, nous nous autoformons.
C'est le compagnonnage de ces jeunes femmes qui va enrichir l'inclination féministe que les longues et amoureuses confrontations nocturnes avaient fait sourdre dans la touffeur des nuits éburnéennes, puis dans la séche aridité des Aurès.
Le Harem et les cousins doit être en cours d'écriture et le Deuxième Sexe encore d'une lecture inconcevable.
Le 13 mai 1968 — quelle date et quelle année ! — l'Algérie est quittée et dans le tohu bohu fécond des années post-soixante-huitardes, Maspéro va beaucoup éditer.
En 1970, paraît le numéro 54-55 de PARTISANS, Libération des Femmes annnée zéro. Extrait de l'introduction à la première édition :
Nous avons pris conscience qu'à l'exemple de tous les groupes opprimés, c'était à nous de prendre en charge notre propre libération. En effet, si désintéressés soient-ils, les hommes ne sont pas directement concernés et retirent objectivement des avantages de leur situation d'oppresseurs. Seule l'opprimée peut analyser et théoriser son oppression et par conséquent choisir les moyens de la lutte.
La lecure de ce gant de crin est rude.
Mais s'affirme un ancrage — est-il achevé, quarante-cinq ans plus tard ? — dans certains comportements féminisés.
Le lecteur est déjà engagé aux côtés des Femmes, dans le Planning Familial où militent — quels que soient les avantages de leur situation d'oppresseurs (!) — un nombre certain de "mecs".
Deuxième merci à l'Éditeur.
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jeudi, 16 avril 2015
un Homme des livres : François Maspéro I
Je ne sais si l'autobiographie du lecteur qui n'est qu'une liasse d'une quinzaine de feuillets sera un jour un écrit ; ces notes du blogue jetées en vrac sur la Toile sont sans doute les traces toujours vives de cette nécessité du lire.
La mort de François Maspéro provoque un retour sur cette charnière de vie qui est la libération des obligations militaires - et quelles obligations : trente mois de guerre - et le retour au métier sur les lieux mêmes de cette guerre, l'Algérie.
Ce seront avant le cessez-le-feu du 19 mars 62, La Révolution Algérienne par les textes d'André Mandouze, emprunté dans la bibliothèque de Jobic ou de Christian, et puis passé l'enthousiasme de l'indépendance, quasi à sa parution, en novembre, le 7 exactement, acheté à cette si précieuse petite librairie de la place Ben M'hidi, anciennement place Béchut, Les damnés de la Terre de Frantz Fanon. La lecture de Fanon achèvera le grand lessivage inauguré dans les entretiens parfois vifs avec mes deux amis et la relation amoureuse avec Rabéa. Je découvrais alors la pensée politique des Français dits “libéraux” qui accompagnaient la lutte de libération. Se soulevait tout un univers inconnu de pensées, de points de vue, d’actes, se découvrait toute ma méconnaissance du mouvement de libération algérien. Je m’étonnais, m’irritais, défendais la victoire militaire française ; la rencontre dans le maquis des Aurès avait poursuivi le rinçage et l'essorage. L'enthousiasme de l'indépendance ouvrait l'horizon et, de Fanon, je prenais ma première leçon politique :
Nous ne voulons rattraper personne. Mais nous voulons marcher tout le temps, la nuit et le jour, en compagnie de l'homme, de tous les hommes... Il s'agit pour le Tiers-Monde de recommencer une histoire de l'homme...
J'y étais. Il aura fallu sept ans au jeune occidental qui, en octobre 55, s'en allait en rêvant enseigner les "petits noirs", pour accéder à ce nouveau monde. Curieusement, ce n'était pas la préface de Sartre — elle me laissait dubitatif — ce furent les quelques citations des poètes que je fréquentais depuis la fin de mon adolescence qui m'ancraient dans la pensée nouvelle : René Depestre, Aimé Césaire et... René Char. La lecture littéraire comme soubassement de la lecture politique et de l'action à engager.
Le poème émerge d'une imposition subjective et d'un choix objectif.
Le poème est une assemblée en mouvement de valeurs originales déterminantes en relations contemporaines avec quelqu'un que cette circonstance fait premier.
René Char
Partage formel
Premier merci à l'Éditeur.
15:29 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)