mercredi, 21 octobre 2015
à Rome point de thermes (?) pour Joachim
L’entrée aux Thermes s’est faite, ce matin, par le n°545.
Joachim a clos ses Regrets, sur le cent-quatre-vingt onzième sonnet ; j’ai dû me contenter d’additionner les trois chiffres de mon vestiaire et je suis entré au sonnet XIV dans le vif du sujet : "de quoi" des vers servent-t-ils ? En ces temps de déprime, de harcèlement, de syndrome d’épuisement professionnel — je bannis le « burn-out », cet anglicisme si laid qui dans sa brièveté ne fait que s’amplifier dans la détresse — ces neuf raisons d’écrire des vers et leurs conséquences devraient pallier les antidépresseurs.
Sonnetisons donc. Ou plutôt, « touittons » — je ne refuse point, ici, l’anglicisme refrancisé, puisqu’il s’agit bien, n’est-ce pas, d’un mot surgi d’une onomatopée !
Après ceux à Panjas et Bailleul, voici le "touitt" à Boucher
XIV
Si l’importunité d’un créditeur me fasche,
Les vers m’ôtent l’ennui du fâcheux créditeur :
Et si je suis fasché d’un fascheux serviteur,
Dessus les vers, Boucher, soudain je me défasche.
Si quelqu’un dessus moi sa colère délasche,
Sur les vers je vomis le venin de mon cœur :
Et si mon faible esprit est recru du labeur,
Les vers font que plus frais je retourne à ma tasche.
Les vers chassent de moy la molle oisiveté,
Les vers me font aymer la douce liberté,
Les vers chantent pour moi ce que dire je n’ose.
Si donc j’en recueillis tant de profits divers,
Demandes-tu, Boucher, de quoi servent les vers,
Et quel bien je reçois de ceux que je compose ?
Pour accéder au trente-cinquième sonnet, je n’ai que déposé mon peignoir et mes socs pour affronter un quart d’heure durant un tiède contre-courant à 35 °et achever mon parcours en descendant cinq marches qui me plongèrent dans une eau à 20° fort revigorante.
XXXV
La nef qui longuement a voyagé, Dillier,
Dedans le sein du port à la fin on la serre :
Et le bœuf, qui longtemps a renversé la terre,
Le bouvier à la fin lui ôte le collier ;
Le vieux cheval se voit à la fin délier,
Pour ne perdre l’haleine ou quelque honte acquerre ;
Et pour se reposer du travail de la guerre,
Se retire à la fin le vieillard chevalier ;
Mais moi, qui jusqu’ici n’ai prouvé que la peine,
La peine et le malheur d’une espérance vaine,
La douleur, le souci, les regrets, les ennuis,
Je vieillis peu à peu sur l’onde ausonienne,
Et si n’espère point, quelque bien qui m’advienne,
De sortir jamais hors des travaux où je suis.
Certains critiques — professeurs… certifiés…, agrégés…, autres… — prétendent que, dans les Regrets, Du Bellay n’est qu’un poète-stratège qui tient à capter la bienveillance du lecteur sur son pénible sort de larbin exilé ; en réthorique latine, ça aurait nom captatio benevolentiæ.
Mon droit de lecteur me fait lire son recueil comme une autobiographie et son expérience romaine très charnellement vécue dans la tristesse, la désespérance, l’ironie mordante, la rage parfois, ne fait que hausser le lyrisme de sa langue.
La douleur, le souci, les regrets, les ennuis
Dans les années 1550, l’avenir des retraites se poserait donc déjà ? et Du Bellay ignore que lors de sa future installation au cloître de Notre-Dame de Paris, il bénéficiera de 3 000 francs et de menus (?) bénéfices ecclésiastiques.
XI
Bien qu’aux arts d’Apollon le vulgaire n’aspire,
Bien que de tels trésors l’avarice n’ait soin,
Bien que de tels harnois le soldat n’ait besoin,
Bien que l’ambition tels honneurs ne désire :
Bien que ce soit aux grands un argument de rire,
Bien que les plus rusés s’en tiennent le plus loin,
Et bien que Du Bellay soit suffisant témoin
Combien est peu prisé le mestier de la lyre :
Bien qu’un art sans profit ne plaise au courtisan,
Bien qu’on ne paye en vers l’œuvre d’un artisan,
Bien que la Muse soit de pauvreté suyvie,
Si ne veux-je pourtant délaisser de chanter,
Puisque le seul chant peut mes ennuis enchanter,
Et qu’aux Muses je doy bien six ans de ma vie.
Le onzième sonnet qui n’est pour le lecteur que le hasard de la cabine pour douche pénétrante affirme à nouveau le projet d’écriture d’un homme sans illusions sur l’utilité de son art.
Mais pour soi, quel réconfort quand on est au fond du trou. Si loin du val de Loire, de Ronsard, de Baîf, de Belleau, de Magny, de Peletier, de son Olive angevine et sans doute plus secrètement de Marguerite.
15:44 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets | Lien permanent | Commentaires (0)
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