lundi, 19 octobre 2015
des sonnets en cure thermale
Après plus de deux mois de silence qui furent de petites errances marines, de rêvasseries et surtout de paresse, mais qu'il me fallait bien rompre pour fêter les onze années de ce blogue.
À Barbotan, barbotons allègrement dans de bonnes eaux tièdes, barbotons dans de bonnes boues tout aussi tièdes, douces et molles. Et quand les premières gelées matinales étoilent le pare-brise, le barbotant que, trois semaines durant, je suis, depuis cinq jours, devenu, barbotera dans le bonheur.
Mais entre les six soins qui me sont proposés — douche sous immersion, piscine de mobilisation, couloir de marche, illutation* générale, douche pénétrante et bain actif — il faut passer le temps. J'ai donc mis en poche Les Regrets de mon Joachim Du Bellay et me suis aidé de cette abondante "numérotation" — et non numéralogie — à laquelle m'astreint mon parcours de soins : du vestiaire à la douche, barbotant et pataugeant dans eaux et boues, de la douche au bain, pataugeant et barbotant dans boues et eaux, et du bain au vestiaire, pour le choix des sonnets à lire ou... relire.
Mais dès ce commencement, mon inclination à la dissidence m'a fait rompre cette règle de numérotation et opter pour le Sonnet XV, manière de rendre hommage à ce pays d'accueil qu'est Barbotan-les Thermes en... Armagnac qui n'est point seulement terre d'eaux thermales, mais aussi de vins frais, de grasses nourritures et de bel alcool d'or.
Or, en grand "blogueur" de Renaissance qu'est Joachim, il adresse ce texte à un sien compagnon et ami, Jean de Pardeillan, dit "Panjas" qui est lui aussi poète, lui aussi secrétaire d'un cardinal, un certain Georges d'Armagnac. D'où ce quinzième sonnet pour inaugurer ma cure.
C'est Du Bellay l'intendant, l'économe, le trésorier, le secrétaire de l'ambassadeur du roi de France près du Saint-Siège, un cardinal qui est son oncle. Mais comment fait-il pour être aussi poète ?
XV
Panjas, veux-tu savoir quels sont mes passe-temps ?
Je songe au lendemain, j’ai soin de la despense
Qui se fait chacun jour, et si faut que je pense
À rendre sans argent cent créditeurs contents.
Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps,
Je courtise un banquier, je prens argent d’avance :
Quand j’ay despesché l’un, un autre recommence,
Et ne fais pas le quart de ce que je prétends.
Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
Qui me dit que demain est jour de consistoire,
Qui me rompt le cerveau de cent propos divers,
Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui crie :
Avecques tout cela, dis, Panjas, je te prie,
Ne t’esbahis-tu point comment je fais des vers ?
Le numéro 4 fut, ce matin, mon vestiaire d'entrée : donc
le IV
Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs,
Je ne veux retracer les beaux traits d’un Horace,
Et moins veux-je imiter d’un Pétrarque la grâce,
Ou la voix d’un Ronsard pour chanter mes regrets
Ceux qui sont de Phoebus vrais poètes sacrés,
Animeront leurs vers d’une plus grand’ audace :
Moy, qui suis agité d’une fureur plus basse,
Je n’entre si avant en si profonds secrets.
Je me contenteray de simplement escrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves argumens.
Aussi n’ay-je entrepris d’imiter en ce livre
Ceux qui par leurs escrits se vantent de revivre
Et se tirer tout vifs dehors des monuments.
Joachim entre dans son projet romain d'écriture ; modeste, très humble, il souhaite "simplement écrire" en choisissant une forme brève mais contrainte, comme un "touitt" d'une certaine corpulence en 14 vers — à l'époque, on aurait écrit "épître" ou "lettre" — avec un destinataire qui fréquemment sera un de ses pairs et que l'on entretient de ses humeurs, de ce vécu "étrange" qui est l'ailleurs romain et qui laisse sourdre la nostalgie.
Le sonnet IV comme un vestiaire littéraire !
La nostalgie ? Voilà le sonnet 30 qui précède le ...31, ce 31 qui fit et accompagne toujours et encore la gloire de Joachim, de son petit Lyré, de son Loir gaulois, de la douceur angevine.
Comme un prélude...
Quiconques, mon Bailleul, fait longuement séjour
Soubs un ciel incogneu, et quiconques endure
D’aller de port en port cherchant son adventure,
Et peut vivre estranger dessous un autre jour ;
Qui peut mettre en oubly de ses parens l’amour,
L’amour de sa maistresse, et l’amour que nature
Nous fait porter au lieu de nostre nourriture,
Et voyage tousjours sans penser au retour ;
Il est fils d’un rocher, ou d’une ourse cruelle,
Et digne que jadis ait sucé la mamelle
D’une tigre inhumaine : encor ne voit-on point
Que les fiers animaux en leurs forts ne retournent,
Et ceux qui parmy nous, domestiques, séjournent,
Tousjours de la maison le doux désir les poingt.
Le numéro 30 n'est pour moi, très trivialement, que mon emplacement pour la douche sous immersion : la poésie est quotidienne et roborative !
* Illutation : terme utilisé dans les Thermes, de l'ancien français lut « boue, fange ». En maçonnerie, action d'enduire un mur de boue, d'argile. Em médecine on illute un patient en l'enduisant de boue...
17:38 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Démo (des mots) d'avant (dans le vent) dans les termes
De ces maux goutte-à-gout'en la tiédeur des thermes
Ô l'humaine (haine) douleur dans le sens s'échappe
Cette force (dans l'esprit) quand Grapheus nous frappe !
(Heureuse de croiser votre route au hasard de mes clic's et déclic cher Grapheus,)
Écrit par : Curare- | mardi, 20 octobre 2015
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